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Éric André Poirier, professeur à l’Université du Québec à Trois-Rivières, a publié, chez Linguatech, un ouvrage stimulant, intitulé Initiation à la traduction professionnelle – Concepts clés. Rappelons que Linguatech est une maison d’édition québécoise bien connue parmi les langagiers, puisque sa mission est « de publier et de commercialiser, à des prix concurrentiels, des outils de travail et des manuels d’enseignement dans le domaine langagier : traduction, rédaction, révision, terminologie et français langue seconde » (Linguatech, n.d., n.p.).

Conformément au style adopté par Linguatech, le livre est joliment présenté, avec sa couverture, agrémentée d’une oeuvre picturale de Réal Sirois, et son format agréable à lire et à manipuler. Il comporte une table des matières, des tables de figures et d’abréviations, une introduction, quatre grands chapitres, des annexes, une bibliographie générale et un index des concepts-clés. Outre la bibliographie générale, des références organisées thématiquement sont ajoutées à la fin de chaque chapitre. Enfin, l’objectif pédagogique, clairement énoncé dans l’introduction, se traduit par une mise en relief des termes métalangagiers en gras, par l’insertion, au sein du texte, d’encadrés contenant des définitions, ainsi que par la présence d’exercices à la fin de chaque chapitre. On ne peut que constater le souci de clarté qui a animé l’auteur. Celui-ci, dans son introduction, explique qu’il vise un public large : non seulement les enseignants et les étudiants en contexte universitaire, mais aussi, dans l’ensemble de la francophonie, quiconque s’intéresse aux pratiques langagières. Il souligne, à juste titre, que le grand public connaît peu les principes de la traduction, et souhaite, objectif on ne peut plus louable, que ceux-ci soient mieux connus par toute personne intéressée par les langues ou les pratiquant.

Le premier chapitre (p. 7-59) est consacré à des concepts fondamentaux de traduction. Il expose les différents métiers langagiers et les spécialisations de la profession de traducteur. L’auteur se concentre essentiellement sur la pratique au Québec, au Canada et en Amérique du Nord, et détaille l’usage de bases de données terminologiques bien connues : TERMIUM Plus® et le Grand dictionnaire terminologique. Le chapitre se termine sur l’exposé des compétences attendues chez les traducteurs professionnels.

Le chapitre deux (p. 61-100) est consacré aux concepts clés de la signification et du sens sur le plan lexical. Après avoir présenté le concept d’acception (p. 62), l’auteur expose les concepts de « traduction opération » et de « traduction duplication » (p. 63) : la première exige un effort de création de solutions de traduction, tandis que la seconde consiste à rechercher une solution dans un outil qui répertorie des solutions de traduction. La distinction est intéressante, car elle correspond effectivement aux deux grands types de pratique de la traduction professionnelle. Suit l’explication de différentes relations conceptuelles entre les unités linguistiques, empruntées parfois à différents cadres linguistiques. Le concept d’équivalence (p. 81) est ramené à celui de synonymie interlinguistique – ce qui n’est pas notre point de vue cependant, car il nous semble trop réducteur compte tenu des nombreuses situations où il ne nous paraît pas applicable.

Le chapitre trois (p. 101-160), quant à lui, se consacre aux textes, plus précisément, « de la traduction comme résultat textuel » (p. 101). L’auteur aborde les corpus, passe en revue la typologie des phrases, revient sur la question du mot et du lexème, mais en tant qu’éléments de la phrase, et introduit la notion de syntagme. Il termine en insistant sur l’importance des éléments cognitifs de la traduction et du contexte, ainsi que sur le caractère essentiel du jugement du traducteur.

Le quatrième et dernier chapitre (p. 161-220) porte sur le contrôle de la qualité des traductions. Après une introduction sur la question de la fidélité, l’auteur explique en détail une série d’erreurs de langue, puis analyse l’interférence sous différents angles. Les anglicismes font l’objet d’une section à part. On remarquera qu’il ne fait pas appel à certaines catégories bien connues, comme le faux sens, le contresens ou le non-sens. Enfin, il énonce deux catégories de sources, qu’il qualifie de primaires (les dictionnaires, par exemple) ou de secondaires (les ouvrages formulant des jugements sur les sources primaires).

L’ouvrage se termine par trois annexes relatives aux domaines utilisés dans TERMIUM Plus® et le Grand dictionnaire terminologique (p. 221-228), une bibliographie (p. 229-236), un index des concepts-clés (p. 237-240), une liste de publications de l’auteur (p. 241-242) et une liste des autres titres de la maison d’édition (p. 243-245).

L’ensemble de l’ouvrage donne un très bon survol de nombreux concepts utiles en traduction. Nous ne souscrivons pas nécessairement à tous les choix qui ont été faits[1] (il faut accepter le fait que dans les sciences langagières, le consensus sur les concepts est inatteignable !), mais dans une perspective d’initiation, il vaut assurément la peine d’être consulté. Nous avons particulièrement aimé l’effort évident pour structurer le propos et rendre accessible une matière qui se révèle loin d’être simple ! Et en ce sens, l’objectif est pleinement atteint : les étudiants débutants autant que les amoureux des langues prendront pleinement conscience de la complexité du processus de traduction.

Quelques remarques pour terminer, et parce qu’il faut bien tenter de trouver quelques défauts : publié en 2019, l’ouvrage ne fait cependant pas écho à l’émergence de la traduction neuronale par apprentissage profond (fin 2016 : Google Traduction devient neuronal ; courant 2017 : DeepL voit le jour). L’auteur mentionne essentiellement la traduction probabiliste (p. 28) et, en passant, la traduction à base de règles (p. 72). Une mise à jour à ce chapitre sera bienvenue dans une édition ultérieure éventuelle. Par ailleurs, l’auteur évoque la Théorie Sens-Texte d’Igor Mel’čuk, remarquant que c’est l’une des rares théories de linguistique prenant en compte le principe de traduction : mais, du coup, on aurait peut-être souhaité qu’il s’y réfère plus précisément lorsqu’il décrit les entrées de dictionnaire de langue (p. 62 et suiv. : par exemple, il aurait pu introduire la notion de « vocable »[2]). Enfin, l’un des objectifs de l’ouvrage étant de sensibiliser le public à la traduction, il aurait peut-être été souhaitable d’y insérer davantage d’exemples dans certaines sections dont le propos reste assez théorique. Cela n’est toutefois pas dénué d’avantages : l’enseignant de cours de traduction pourra facilement illustrer différents points avec des textes et des exemples de son cru.

En conclusion, il ne fait pas de doute que cet ouvrage complètera utilement le panorama des ouvrages didactiques en traduction. Tout aussi intéressant comme ouvrage d’initiation que comme « boîte à outils » à avoir constamment sous la main, il accompagnera autant les étudiants que les enseignants de traduction générale ou spécialisée, qui sauront en tirer « la substantifique moelle »[3] pour l’adapter à leur contexte d’enseignement. Il sera également une introduction autant utile que nécessaire à mettre entre toutes les mains qui s’approcheront, de près ou de loin, du monde langagier : et pourquoi pas, pour commencer, celles des clients et des employeurs !