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Introduction

Au Brésil, la traduction du poème est à l’origine d’un important débat ciblé sur le principe de la transposition créative, déjà annoncée par Jakobson en 1963, mais amplement divulguée dans les ouvrages des frères Augusto et Haroldo de Campos. Il faudra attendre la fin des années 1980 pour qu’une autre approche, plus textuelle, émerge au Brésil.

Cet article a pour objectif d’examiner les raisons qui ont permis l’essor, au Brésil, de la transposition poétique au moment même où les études de la traduction, en Europe et aux États-Unis, tendaient plutôt à incorporer les fondements des théories de la déconstruction et des études culturelles.

La traduction littéraire au Brésil esquisse ses premières réflexions théoriques à partir des années 1950 et 1960. Un groupe de poètes traducteurs, notamment les frères Haroldo et Augusto de Campos, comme l’observe John Milton (1996a, p. 196), sont « à l’origine de la première école de traduction littéraire au Brésil », et en ont formulé les principes en s’inspirant des « théories anthropophagiques » des modernistes brésiliens et des principes d’Ezra Pound. Ainsi, les frères Campos, en prônant une pratique de la traduction poétique, fondée sur la transcréation et la transculturation où le traducteur digère et réinvente le poème, défendent l’idée que celui-ci devient explicitement co-auteur des poèmes qu’il traduit. Partant de cette nouvelle conception de la traduction poétique, appliquée à des oeuvres de poètes russes ou provençaux, ainsi qu’à Rimbaud, Mallarmé, Ezra Pound, cummings, ils ont construit les bases de leur école dont les principes sont aujourd’hui partagés par certains auteurs, qui s’intègrent au courant des études post-coloniales, comme Else Vieira (1999) et Oséki-Dépré (1999).

Cependant, depuis les années 1980 et surtout à partir des années 1990, un groupe de critiques et de traducteurs élaborent d’autres perspectives théoriques. Ces nouvelles approches, que nous avons appelées « sémiotiques et textuelles […] proposent un équilibre dynamique entre la forme, le sens et les caractéristiques rhétoriques du texte littéraire » (Faleiros, 2005, p. 61) et occupent une place plus importante dans les études et dans la pratique de la traduction poétique au Brésil. Il s’agit donc là d’une sorte de méfiance envers les excès de liberté souvent reprochés au courant anthropophagique. Pour mieux comprendre ce phénomène, il importe d’analyser les grands débats suscités par les théories et les pratiques du traduire des frères Campos.

Les grandes polémiques

S’il est vrai que la théorie de la traduction des frères Campos débute en 1960 avec la publication de leur première traduction d’Ezra Pound, et que le premier essai sur la traduction, « De la traduction comme critique et comme création », écrit par Haroldo de Campos[2], date de 1963, ce n’est que vingt ans plus tard que les premières études et les grandes polémiques concernant leurs traductions auront lieu.

En effet, il a fallu attendre l’année 1983 pour que José Paulo Paes publie la première version de son texte « La traduction littéraire au Brésil[3] » où il reconnaît la contribution de l’oeuvre des frères Campos à la formation de « notre encore pauvre bibliographie traductologique » (PAES, 1990, pp. 30-31), tant en raison de l’importance de leurs traductions, que de celle de leurs « formulations concernant la théorie de la traduction poétique ».

La reconnaissance de l’importance du travail des frères Campos prend un ton moins emphatique chez Jorge Wanderley (1985), auteur du premier travail universitaire à esquisser une histoire de la traduction poétique au Brésil. Wanderley attire notre attention sur le fait que : « la vision théorique des concrétistes (Augusto et Haroldo de Campos) contamine les poètes qu’ils traduisent et que ces poètes-là n’observent pas les excès » du principe du « make it new » d’Ezra Pound (1985, p. 122, 129)[4].

Wanderley reconnaît aussi que certaines critiques faites à Pound – celle de Bewley, par exemple, qui considère l’acquisition d’autres cultures de la part de Pound comme est un peu trop empressée; ou celle de Butor, qui identifie un ensemble d’« erreurs littérales » dans les traductions de l’auteur américain – s’appliquent à ses disciples brésiliens.

L’opposition entre la vision plutôt positive de Paes et le regard plutôt critique de Wanderley réapparaît, en 1985, au moment où, d’après Rosemary Arrojo (1986), Nelson Ascher (1985) fait une critique des traductions de John Donne, publiées par Paulo Vizioli (1985a), et les compare à celles d’Augusto de Campos (1978). Ascher affirme que, si le travail de Vizioli fait preuve d’érudition et sert de bonne base pour l’étude et l’appréciation correcte de l’auteur du texte source, celle d’Augusto de Campos est un « travail magistral de poète », et que, par conséquent, si la traduction du premier est « utile et nécessaire », de par sa « fonction didactique et informative », seule celle du second est une « oeuvre créative ». Ascher en conclut qu’Augusto de Campos a créé un « langage propre », alors que Vizioli est « conservateur et possède une diction dépassée ». Arrojo, par ailleurs, estime que la critique d’Ascher s’inspire des principes théoriques de Campos et qu’une bonne traduction de Donne, pour cet auteur, n’est possible que par la transcréation; elle soutient également que Vizioli prône une traduction plutôt proche de la diction du XVIIe siècle.

Les partisans et les détracteurs des frères Campos, à l’exception de Wanderley (1985), ont en commun, comme l’a bien fait remarquer Arrojo, de toujours situer leurs débats autour des projets de traduction de ces deux auteurs. Wanderley a, d’ailleurs, été le premier à signaler que la pratique traductrice des frères Campos semble parfois moins radicale que leurs discours et même plus conservatrice que celle de leurs prédécesseurs modernistes (1985, p. 157). Il ajoute même que les frères Campos sont plus proches des formalistes de leur génération qu’il ne le paraît à première vue.

Andréia Guerini (2002) partage l’opinion de Wanderley dans son article sur la traduction du poème L’infinito de Leopardi, faite par Haroldo de Campos. Guerini signale d’abord que chez Campos « traduire la forme est un critère de base et quand on traduit un poème, l’essentiel n’est pas la reconstitution du message, mais la reconstitution du système de signes où le message est incorporé; de l’information esthétique et pas de l’information purement sémantique » (Guerini, 2002, p. 109). Guerini nous fait remarquer que la traduction est presque « littérale » et souligne enfin l’évident « conflit entre la conception théorique défendue par Haroldo de Campos et sa propre pratique de traduction » où l’on observe un équilibre entre forme et contenu.

Ana Cristina César (1988) s’intéresse surtout aux traductions d’Augusto de Campos et signale son excès de formalisme ainsi que l’engagement politique et idéologique très marqué de ses traductions. D’après César, il s’agit d’un vrai programme qui a pour devise invention et rigueur. Tout poète qui ne suit pas ces principes ne mérite pas d’être traduit, tout traducteur qui ne suit pas ces principes n’est pas un poète.

Ana Cristina César identifie les principales caractéristiques de ce parti pris : thèmes en conflit avec les formes dominantes (satire, violence, sexualité, ironie); rigueur formelle (comme chez Arnaut Daniel); signification obscure (Mallarmé); poésie plus intellectuelle. Il en résulte que les traductions sont, elles aussi, régies par ces mêmes principes et Cristina César conclut : « Dans les traductions on trouve de grandes solutions poétiques, même quand quelques-unes relèvent trop d’idiosyncrasies concrétistes et d’un goût pour la préciosité formelle ». Elle ajoute qu’« Augusto de Campos semble rejeter la question du thème, de la figuration, des sensations sentimentales » (César, 1988, pp. 147-149).

Ainsi, les analyses de Jorge Wanderley, d’Ana Cristina César et la réaction de Paulo Vizioli à la critique de Nelson Ascher indiquent que l’adoption, de la part des Campos et de leurs défenseurs, d’une perspective d’avant-garde très influencée par Ezra Pound les empêchent, d’une part, de reconnaître la qualité des traductions « non créatives » et d’autre part, de percevoir que leurs traductions sont parfois plus proches de l’original qu’ils ne le pensent. Réfléchir sur les rapports entre le texte-source et le texte-cible devient donc un besoin pour la génération suivante.

Les approches textuelles

Dès les années 1980, et surtout à partir des années 1990, même si la polémique se poursuit[5], un ensemble de travaux annonce un nouveau moment de l’histoire des études de la traduction littéraire au Brésil. Il s’agit des « approches textuelles » qui mettent en jeu le principe de la « re-création » de Paulo Vizioli (1985b), la notion de « signifiance » de Mário Laranjeira (1996), la perspective « pragmatique » de Walter Costa (1992) et le concept de « correspondance » de Paulo Henriques Britto (2002).

Vizioli (1985b) est le premier à esquisser une approche plutôt textuelle au Brésil. Dans son article sur la traduction de poésie anglaise, il affirme qu’il ne s’agit pas de construire des théories « complexes ou ésotériques », mais de traiter le sujet de façon « directe et informelle » en se fixant un objectif « essentiellement pratique ». L’approche de Vizioli est fondée sur la définition des trois activités de la création poétique systématisées par Ezra Pound : la mélopée, la phanopée et la logopée.

Il explique qu’un traducteur doit d’abord partir du rythme (mélopée) du poème et créer un texte qui reprend une régularité métrique, s’il y en a une dans le texte original. Un pentamètre iambique anglais, par exemple, peut être traduit en décasyllabes ou en alexandrins. L’important est que ce choix ne soit pas isolé des autres qualités sonores du texte, comme les répétitions, les assonances et les allitérations.

Vizioli fait aussi remarquer que l’« imagistique » (la phanopée) du texte doit être recréée et que les termes trop marqués par la « couleur locale » ne doivent pas être remplacés par des éléments de la culture cible. Ainsi, pour en arriver à une « vraie re-création poétique », il faut transposer le terme avec son étrangeté. L’effacement de cette étrangeté par l’introduction d’éléments de la langue-culture d’arrivée signifie que l’on abandonne le domaine de la traduction pour pénétrer celui de l’adaptation littéraire.

Enfin, l’auteur déclare que la logopée est, à son avis, l’élément le plus difficile à traduire et que l’essentiel est ici « de cerner fidèlement le TON du texte original, qu’il soit sentimental ou réservé, comique ou sérieux, naïf ou ironique ». Vizioli conclut son texte en soulignant l’éventuel besoin de certaines notes de bas de page pour expliquer les situations qui n’ont pas de parallélisme géographique, historique ou culturel dans la langue d’arrivée.

Dans cet article où il indique les éléments textuels à transposer dans une traduction poétique, il établit également une différence importante entre ce qu’il nomme « la re-création » et « l’adaptation »; concepts qu’il reprendra dans un entretien (Nóbrega et Giani, 1988) au cours duquel il identifie trois types de traduction de textes littéraires.

D’abord, la simple traduction du sens des mots qui a comme but d’appuyer la lecture des originaux. Ensuite, l’adaptation littéraire, type d’activité littéraire courante au Moyen Âge et à la Renaissance comme, par exemple, les pièces de Shakespeare ou les histoires de Chaucer. Un autre exemple est la traduction de Properce, faite par Pound, où le poète latin offre un réfrigérateur à son aimée. Vizioli observe que le résultat, souvent de grande valeur artistique, est un poème tout à fait nouveau et souligne que c’est le cas des transcréations qu’Haroldo de Campos a faites de Goethe. Et enfin la « re-création » a lieu lorsque « le traducteur cherche à donner le sens global du texte et, en même temps, à recréer les caractéristiques sonores du texte original dans sa nouvelle langue ». D’après Vizioli, le texte doit donc être traduit au niveau sémantique, socioculturel et au niveau de ses caractéristiques sonores, visant à produire un texte où ces deux dimensions dialoguent. Ainsi Vizioli annonce avec Wanderley les principes d’une approche textuelle, plus systématique chez Laranjeira.

John Milton affirme que, outre les frères Campos, « Mario Laranjeira puts forward his argument for translation significância of poem, but the rest of the field is vague and nebulous » (1996a, p. 197). Mário Laranjeira publie en 1993 sa thèse de doctorat, soutenue en 1989, sous le titre Poétique de la traduction : du sens à la signifiance. Une synthèse de ce travail a été produite sous la forme d’un article où Mário Laranjeira affirme que :

Dans le cas de la traduction de textes poétiques, il est important de faire ressortir la prédominance du signifiant (face « matérielle » du signe) et l’obliquité sémantique constituant le passage d’accès au niveau sémiotique de signifiance et rendant possible la lecture multiple par la rupture du référent externe.

1996, p. 217

Il s’agit de repérer dans les textes ce qui constitue la manifestation du poétique et de vérifier quelles opérations, dans l’acte de traduction, permettent de « faire passer » ce poétique dans le texte traduit. Les opérations signifiantes par lesquelles le poétique se manifeste sont identifiées par Mário Laranjeira comme des indices textuels. Le premier de ces indices, que le lecteur-traducteur doit reconnaître, est « l’agrammaticalité ». Laranjeira souligne que ce terme est employé dans un sens large et ajoute « qu’il peut désigner aussi bien les cas mineurs de perturbation de la linéarité syntaxique que les cas extrêmes qui conduisent à l’hermétisme ou frôlent le non-sens » (1996, p. 219).

La définition de Laranjeira, beaucoup plus vaste que celle des grammairiens, demeure, cependant, celle d’un linguiste puisqu’elle présuppose l’existence d’une norme identifiable à laquelle on peut comparer la grammaire du poème. Il cite comme exemple l’antéposition de l’article qui est la règle en anglais mais pas dans les langues romanes. La plupart des éléments syntaxiques acceptent cependant un ensemble considérable de variations. Malgré cette remarque, Laranjeira rompt avec la logique d’une idéologie d’avant-garde et structure ses arguments à partir de principes textuels et socioculturels.

Un deuxième élément sur lequel Laranjeira attire notre attention est ce qu’il appelle le signe double, « un mot équivoque situé à l’intersection de deux séquences d’associations sémantiques ou formelles » (1996, p. 219). Il ne s’agit donc plus de cerner seulement la forme ou d’orienter l’activité traduisante vers un certain nombre d’auteurs dont les oeuvres sont essentiellement valorisées par leur aspect formel, mais de lire le poème en prenant en compte des marques textuelles formelles ou sémantiques, comme le signe double. Le traducteur cherche à transmettre les associations, les ambiguïtés, les polysémies et non seulement une forme.

Cela n’empêche pas Laranjeira de réfléchir sur des éléments signifiants, comme le rythme de l’original et la primauté de l’élément matériel du signe puisque, dans certains poèmes, le choix des mots obéit à des critères associés à la création de rimes ou d’ambiguïtés plutôt qu’à leur valeur sémantique. Selon l’auteur, la marque textuelle qu’il faut repérer ne se réduit pas au sens mais atteint des opérations au niveau textuel.

Le troisième élément identifié par Mário Laranjeira, qui relève davantage des aspects sémantiques, voire même anthropologiques, est ce qu’il nomme « les interprétants textuels ». L’exemple qu’il nous en donne a été choisi dans le poème « Mea Culpa » de Prévert. Laranjeira observe que le traducteur doit être capable de capturer la référence, faite dans ce poème, au Confiteor; de comprendre cette réalité religieuse et de la resituer dans la tradition brésilienne pour bien interpréter et traduire le texte (1996, p. 220).

Une dernière dimension, la « vi-lisibilité », est également prise en compte par Laranjeira. Celui-ci note qu’avant d’accéder à la signifiance du texte, le récepteur du poème procède à « une sorte de pré-lecture strictement visuelle, basée sur la distribution spatiale de la masse textuelle sur la page » (1996, p. 221). C’est une perception globale qui, dans l’oeuvre de certains poètes comme Apollinaire et Mallarmé, joue un rôle central et doit être aussi reproduite dans le texte d’arrivée.

Après avoir cerné les éléments syntaxiques (agrammaticalités), sémantiques (le signe double) et culturels (les interprétants textuels), Laranjeira conclut en attirant notre attention sur les aspects formels. Il développe une systématique et une analytique qui consistent « dans la récupération, dans le texte d’arrivée, des marques textuelles de la signifiance » (1996, p. 222); marques qui orientent aussi la perspective de Costa (1992).

D’après Serra (1997, pp. 198-199), le principe de base de la perspective « pragmatique » de Walter Costa repose sur la reconnaissance que « [l]a traduction est un texte ». Et pour évaluer le texte traduit, Serra identifie chez Costa un ensemble de critères objectifs : « (1) nombre de mots, de périodes et de paragraphes; (2) rupture d’équivalences graphologiques; (3) rupture d’équivalences textuelles : omissions, ajouts, erreurs; (4) idiotismes vs choix lexico-grammaticaux; (5) registre et idiolecte; (6) modèles lexicaux; (7) relations de combinaisons; (8) style et qualité textuelle; (9) iconicité lexicale ».

Costa applique ces critères à l’analyse de traductions de Borges, Serra à l’analyse de traductions de Wilde. Même s’il ne s’agit pas spécifiquement de poésie, les critères objectifs ci-dessus ont comme objet le texte littéraire et mettent en évidence le fait que les éléments lexico-grammaticaux, ainsi que les omissions et les ajouts, qui se superposent à l’information esthétique produisent aussi de la signification et font l’objet d’analyses.

Britto (2002) propose lui aussi des instruments d’analyse « pour une évaluation plus objective de traduction de poésie » et les organise à partir de quatre grands niveaux de correspondance. Britto (2002, p. 54 et suivantes) signale qu’il est possible de « comprendre le concept de correspondance à plusieurs niveaux de précision » et il commence par le niveau métrique. Après avoir décrit que la correspondance la plus exacte en portugais pour la traduction du pentamètre iambique anglais est le décasyllabe, il affirme que certains systèmes métriques de l’anglais « peuvent correspondre fonctionnellement à des mètres portugais formellement différents ». Et il cite comme exemple la traduction du mètre de la ballade anglaise (pp. 6-8) en octosyllabes espagnols, mètre populaire au Brésil. De toute façon, que ce soit au niveau formel ou fonctionnel, ce que l’auteur propose est la recherche d’une « correspondance ».

Cette correspondance est à un premier niveau une correspondance syllabique-accentuelle, à laquelle Britto (2002, p. 58) ajoute ensuite une correspondance au niveau des rimes, suivie d’une correspondance d’allitérations, pour en arriver à une correspondance des éléments lexicaux. À chacun de ces niveaux, Britto propose toute une échelle qui va, par exemple, au niveau de la rime, de la correspondance de tous les sons à la suppression de la rime. L’importance de chaque niveau de correspondance varie d’un poème à l’autre. Selon Britto, « dans la traduction du poème, nous devons préserver les éléments qui présentent une plus grande régularité dans l’original puisqu’ils seront les plus visibles » (2002, p. 59).

On note que chez les quatre auteurs – Britto, Vizioli, Laranjeira et Costa – l’unité d’analyse est toujours le texte, système où s’articulent sons et sens, forme et image. C’est dans ce sens que Vizioli propose « une sorte de fidélité à l’expression » et que Laranjeira indique que la seule « fidélité » possible est aux « marques textuelles de la signifiance ». Quant à Costa et Serra, ils précisent qu’il s’agit d’équivalences « graphologiques », « textuelles – omissions, ajouts, erreurs », « d’iconicité lexicale ». Il en va de même pour Britto et de son concept de correspondance « rythmique », « sonore » ou « sémantique ». C’est la matérialité du texte qui est en jeu. Comme l’affirme Berman (1999, p. 76), « l’Étranger est un être charnel [...] de même l’oeuvre est une réalité charnelle, tangible, vivante au niveau de la langue. C’est même sa corporéité (par exemple son iconicité) qui la rend vivante et capable de survie au cours des siècles ».

Enfin, il ne faut pas confondre corporéité et information esthétique. Le résultat de cette dernière mène dans la plupart des cas à une adaptation libre, où l’étranger est souvent dépaysé par un processus de transculturation[6], tandis que la première peut être interprétée comme re-création de sons, de tons et d’images, où les interprétants textuels, le registre, l’idiolecte ou le style constituent eux aussi le mode de signifier.

Mettre en évidence l’essor d’une approche textuelle pour l’analyse de la traduction poétique peut sembler anachronique aux tenants brésiliens des théories féministes et de la déconstruction les plus connus en Europe et aux États-Unis, tels Haroldo de Campos, Else Vieira et Rosemary Arrojo. On ne peut pourtant pas nier le fait qu’un « retour au texte », compris dans son historicité, indique un besoin de la part des auteurs cités – d’ailleurs tous d’importants traducteurs – d’appréhender et de penser le texte dans sa corporéité : une autre perspective qui occupe une place centrale aujourd’hui dans les études de la traduction littéraire au Brésil.