Abstracts
Résumé
Dans cette étude sur Ben Sira, l’auteur propose une double analyse comparée. D’une part, il compare le texte de 46,1-10 aux autres textes qui évoquent Josué et Kalev, ces deux grandes figures de la conquête, afin de cerner la manière dont Ben Sira et son petit-fils ont choisi de se les approprier. D’autre part, comme le texte de 46,1-10 a été conservé en hébreu (texte de Ben Sira) et en grec (texte du petit-fils), l’auteur traduit les deux versions de façon à bien mettre en évidence leurs divergences significatives et à mieux cerner leur originalité. Cette double analyse comparée permet de constater que Ben Sira et son petit-fils ont fait un intense travail non seulement de sélection mais aussi d’interprétation.
Mots-clés :
- Ben Sira,
- Josué,
- Caleb,
- guerre,
- conquête
Abstract
In this study on Ben Sira, the author offers a double comparative analysis. On the one hand, he compares the text of 46,1-10 to other texts that evoke two great figures of the conquest, Joshua and Kalev, in order to identify the way in which Ben Sira and his grandson chose to appropriate them. On the other hand, as the text of 46,1-10 has been preserved in Hebrew (Ben Sira’s text) and in Greek (the grandson’s text), the author translates the two versions in such a way as to clearly highlight their significant differences and better understand their originality. This double comparative analysis shows that Ben Sira and his grandson did an intense work not only of selection but also of interpretation.
Article body
Dans son Éloge des Pères (Si 44-50) ou dans sa Glorification des oeuvres de Dieu dans l’histoire (Niccacci 2000, 225) — que d’aucuns identifient : 1/ à un poème épique unique en son genre dans la littérature connue au iie siècle avant l’ère chrétienne (Mack 1986, 136 ; Gilbert 2014, 334-335), 2/ à un midrash haggadique (Hildesheim 1996, 13 ; 38-39 ; 49-50 ; 52-53 ; 256-257 ; Rota Scalabrini 2003, 45) ou 3/ à un enkomion national (Lee 1986, 206-239 ; Collins 1997, 100 ; Perdue 2005, 135 ; 142) rédigé dans une perspective d’histoire universelle pour la visibilité d’Israël et de rétrospective historico-hagiographique (Wischmeyer 1995, 153 ; 170) —, Ben Sira n’entend pas simplement faire oeuvre d’archiviste ou de biographe. Son objectif est plutôt de faire l’éloge des hommes pieux (’nšy ḥsd) ou des hommes illustres (andras endoxous) (Si 44,1) qui ont laissé un nom (Si 44,8), afin de les proposer à ses compatriotes comme des modèles de foi. C’est pour lui une façon de rappeler à ses compatriotes qu’ils n’ont rien à envier à la culture grecque, qui s’impose de plus en plus comme la seule culture valable. C’est pourquoi il insiste pour présenter ses ancêtres comme des hommes fidèles (Si 44,20 ; 45,4 ; 46,7.15), fermes et résistants dans la foi (Si 45,23 ; 48,22 ; 49,3.10). De cette véritable Bible miniature, qui ne comprend pas une seule héroïne, le passage qui retiendra mon attention est consacré à Josué et à Kalev (Si 46,1-10), deux personnages clés du livre de Josué, lequel livre a longuement retenu l’attention de Robert David à qui il me fait plaisir de rendre hommage.
Mon approche de ce passage sera doublement comparative. Premièrement, je comparerai le texte de Si 46,1-10 aux autres textes de la Bible qui évoquent ces deux figures de la conquête, afin de cerner la manière dont Ben Sira et son petit-fils ont choisi de se les approprier[1]. Aussi, comme le passage concernant Josué et Kalev a été conservé en hébreu (texte de Ben Sira)[2] et en grec (texte du petit-fils)[3], je traduirai les deux versions de façon à bien mettre en évidence leurs divergences significatives et à mieux montrer leur originalité[4]. Toutefois, lorsque je signalerai des textes de Ben Sira sans aucune indication supplémentaire, ce sera toujours suivant le texte grec (Gr). Dans le cas contraire, j’indiquerai qu’il s’agit du texte hébreu (Hb).
Cette double analyse comparée, qui sera précédée d’une brève critique structurelle, permettra de constater que ce que dit Robert David au sujet du livre de Josué peut également être dit de ce passage de Ben Sira, à savoir qu’il invite le lecteur et la lectrice « à passer de l’historique au théologique » (David 2001, 2773).
1 Critique structurelle
Sachant que Si 44,1-15 forme un prologue dans lequel Ben Sira explique pourquoi il a choisi de retenir certains personnages (cf. l’emploi du verbe hll qui forme une inclusion au v. 1a et 15b du ms M et du ms B en marge, pour le v. 15b), on peut dire que le portrait de Josué et de Kalev introduit la deuxième des trois parties de l’Éloge des Pères : 1/ de Hénoch à Pinhas (44,16-45,26) — et non 49,16 (Petraglio 1993, 17) — ou la période des alliances (cf. les emplois du mot bryt dans le texte hébreu : 44,12.17.20.22 ; 45,15.24.25 et du mot diathēkē dans le texte grec : 44,12.18.20.22 ; 45,15.24.25) ; 2/ de Josué aux douze petits prophètes (46,1-49,10) — et non 47,22 (Mulder 2002, 223), 49,12 (Stadelmann 1980, 190), 49,16 (Lee 1986, 223 ; Goshen-Gottstein et Morasha 2002, 240) ou 50,24 (Niccacci 2000, 200 et 223) — ou la période des prophètes (on verra ci-dessous que c’est dans cette section qu’apparaît le vocabulaire appartenant au champ sémantique du prophétisme) ; 3/ de Zorobabel au grand prêtre Simon (49,11-50,21 ou 50,24) ou la période de la reconstruction du Temple, laquelle comprend toutefois quelques personnages étrangers à l’histoire de cette époque (cf. 49,14-16). Ces trois parties semblent correspondre à la division tripartite de la Bible signalée dans le prologue du livre, c’est-à-dire la Loi, les Prophètes et les autres livres (v. 1.8-10.24-25)[5]. La terminologie instable pour identifier la troisième partie du canon est l’indice que celle-ci était encore ouverte au temps de Ben Sira ; c’est peut-être ce qui explique la présence de Si 49,14-16.
Du point de vue des personnages, le texte de Si 46,1-10 est divisé en trois parties, la première portant sur Josué (46,1-6d), la deuxième sur Josué et Kalev (46,6e-8) et la dernière sur Kalev (46,9-10). Par contre, du point de vue thématique, Corley (2010, 213-215 ; 243) divise le texte hébreu en deux parties, tout comme le livre de Jos : la conquête (Si 46,1-6d ; cf. Jos 1-12) et l’héritage (Si 46,6e-10 ; cf. Jos 13-24). En effet, la seconde partie est encadrée par la même formule : le verbe ml’ suivi du mot ’ḥry et du nom de Dieu. Quant à la première partie du texte grec, elle est encadrée par le mot polemos (v. 1a et 6d), qui apparaît aussi aux v. 3b et 6a, mais jamais aux v. 6e-10.
2 Critique littéraire et comparative
Dans l’analyse qui va suivre, je respecterai l’ordonnancement chronologique du texte ; par conséquent, je présenterai et j’analyserai successivement la traduction hébraïque et la traduction grecque de chacun des dix premiers versets du chapitre 46.
2.1 Verset 1
HbHéros fils de brave, Josué fils de Nun,
ministre de Moïse en prophétie,
qui fut façonné pour être en ses jours
un grand salut pour ses élus,
pour les venger de vengeance contre l’ennemi
et pour donner à Israël l’héritage.
GrFort à la guerre, Jésus fils de Navè
et successeur de Moïse dans des prophéties,
qui fut selon son nom
grand pour le salut de ses élus,
pour punir des ennemis dressés,
de façon à donner à Israël l’héritage.
Le premier titre que Ben Sira accorde à Josué, fils de Nun (cf. Jos 1,1), est celui de héros ou de guerrier (gbwr ; cf. Jos 1,14 ; 6,2 ; 8,3 ; 10,2.7), fils de brave (littéralement « fils de la force » ou « fils de la bravoure » ; pour ce sémitisme, cf. Dt 3,18 ; Jg 21,10 ; 1 S 18,17 ; 2 S 2,7 ; 13,28 ; 17,10 ; 2 R 2,16 ; 1 Chr 5,18 ; 2 Chr 28,6). Le petit-fils considère également la force de Jésus du point de vue strictement militaire, puisqu’il le présente comme étant un fort ou un robuste (krataios ; cf. Si 6,14 et 41,5d) en guerre (en polemō). Pour le petit-fils, la force de Jésus est comparable à celle de Goliath, car c’est le seul autre personnage qu’il présente comme un « puissant en guerre » (dunaton en polemō ; cf. 47,5).
Le deuxième titre donné à Josué témoigne de sa relation à Moïse. Selon Ben Sira, Josué est le ministre ou l’assistant de Moïse (mšrt mšh), une appellation qui fait écho à Ex 24,13 ; 33,11 ; Nb 11,28 et Jos 1,1, et qui désigne, chez Ben Sira, le prêtre (7,30 Hb)[6]. Par contre, pour le petit-fils, Jésus est plutôt le successeur (diadochos) ou le diadoque de Moïse, un titre qui n’est nulle part ailleurs donné à Josué[7]. Ainsi, contrairement à son grand-père, le petit-fils est davantage préoccupé à mettre en évidence le fait que Jésus appartient à une lignée qui commence avec Moïse (cf. Dt 34,9 qui déclare que Josué était rempli de l’esprit de sagesse, car Moïse lui avait imposé les mains ; cf. aussi Nb 27,22-23 et Ac 7,45). Ce souci à l’égard de la succession apparaît également dans le portrait d’Élisée qui est présenté comme successeur d’Élie (cf. diadochos, « successeur » ; tḥlyp tḥtyk, « qui te succéda à ta place », en 48,8) et dans celui de Salomon qui suit David (cf. l’expression kai di’ auton / [w]b‘bwrw, « à cause de lui », en 47,12). Ce thème de la succession semble avoir été important à l’époque de Ben Sira. Par exemple, Sotion d’Alexandrie, entre -200 et -170, compose une oeuvre, en treize volumes, intitulée « La succession des philosophes » (Lee 1986, 64-65 ; 74-79). Du côté romain, Sextus Pomponius retrace la succession des juristes romains depuis T. Corunicianus, au iiie siècle avant l’ère chrétienne, jusqu’à son temps, soit le milieu du iie siècle (Bikerman 1952, 50-51). Plus près de Ben Sira, Eupolème, historien judéen du milieu du iie siècle avant l’ère chrétienne, présente la succession des prophètes en ces termes : « D’après Eupolème dans un livre Sur la prophétie d’Élie, Moïse prophétisa pendant quarante ans ; ensuite Jésus fils de Navè, pendant trente ans ; il vécut cent dix ans et fixa la tente sacrée à Silo. Après cela Samuel devint prophète » (Eusèbe de Césarée, La préparation évangélique, IX,30,1-2a). Pour sa part, dans les Antiquités judéennes 4,165, Flavius Josèphe affirme également que Josué est le diadochos de Moïse (Koskenniemi 2005, 28 et 251) ; en outre, dans le Contre Apion 1,41, il fait référence à l’exacte succession des prophètes : tēn tōn prophētōn akribē diadochēn (Mason 2019, 524-556). Ce thème de la succession, qui a peut-être son origine en milieu hellénistique, sera par la suite très important dans le judaïsme rabbinique aussi bien que dans le judaïsme qaraïte (Astren 2004, 40-64) ; c’est par exemple ce qu’illustrent les premières lignes des Maximes des Pères : « Moïse reçut la Torah du Sinaï et l’a transmise (wmsrh) à Josué, et Josué aux Anciens, et les Anciens aux Prophètes, et les Prophètes la transmirent (msrwh) aux hommes de la Grande Assemblée. » (Gross 2013, 12)
Par ailleurs, Ben Sira et son petit-fils s’entendent pour reconnaître que la mission de Josué est prophétique (cf. Si 44,3), le premier en affirmant qu’il est « serviteur de Moïse en prophétie » (au singulier : bnbw’h) et le second en déclarant qu’il est « successeur de Moïse dans des prophéties » (au pluriel : prophēteias). Certains exégètes rendent le mot nbw’h ou prophēteias par « prophétie » (Pereira 1992, 224 ; Mopsik 2003, 290), mais d’autres estiment que la traduction par « ministère prophétique » (Duesberg et Fransen 1966, 306 ; Koskenniemi 2005, 26 ; Zapff 2010, 336) ou par « fonction prophétique » (Beentjes 2006b, 139) est plus adéquate. À mon avis, la traduction du mot nbw’h par « prophétie » convient aussi bien pour ce passage que pour les autres passages où ce mot apparaît (Si 44,3 ; 46,13.20 ; 2 Chr 9,29 ; 15,8 ; Ne 6,12 ; Esd 6,14). La référence à Josué comme prophète, qui s’appuie peut-être sur Dt 18,15 ou 1 R 16,34 ou encore sur l’emploi de la formule typiquement prophétique kh ’mr YHWH en Jos 7,13 et 24,2, est très significative, et ce, pour plus d’une raison. Premièrement, c’est le seul passage de la Bible où Josué est explicitement identifié comme prophète. Cette identification est d’autant plus surprenante que Ben Sira et son petit-fils ne présentent ailleurs comme prophètes que quelques personnages que la tradition a explicitement désignés comme tels : Samuel (prophētēs, prophēteuein et prophēteia : Si 46,13.15.20 ; nbw’h : 46,13.20), Nathan (prophēteuein : 47,1), Élie (prophētēs / nby’ : 48,1), Élisée (prophētēs et prophēteuein / nby’ : 48,8 ; prophēteuein / nb’ [texte corrigé] : 48,13), Isaïe (prophētēs : 48,22), Jérémie (prophētēs / nby’ : 49,7) et les douze prophètes (prophētēs / nby’ : 49,10). Quant aux autres emplois des mots prophētēs et prophēteia, ce sont des expressions génériques qui ne désignent aucun individu en particulier (Prologue 1.8.18 ; 24,33 ; 36, 20-21 ; 39,1 ; 44,3). Peut-être doit-on y voir un indice que les livres de Josué, Juges, Samuel et Rois étaient déjà classés parmi les livres prophétiques (cf. le prologue, aux v. 1.8-10.24-25) ? Deuxièmement, Ben Sira ne rattache Moïse à la prophétie qu’en lien avec Josué, alors que le livre du Dt, qui semble être la source d’inspiration du portrait que fait Ben Sira de Moïse (Duhaime 1976, 223-228), en fait le plus grand prophète d’Israël (Dt 34,10-12)[8]. Qui plus est, le portrait de Moïse n’a que 18 stiques (44,23f-45,5), tandis que celui de Josué en comprend 30 (46,1-8, dont 8 stiques sont communs à Josué et Kalev).
Puis, Ben Sira précise que Josué a été façonné (yṣr) pour être en ses jours (bymyw[9]) un grand salut pour ses élus. Ce verbe « façonner » appartient à la terminologie de la création, qui occupe une place très importante dans l’oeuvre de Ben Sira. En effet, Reiterer (1999, 92-93) a recensé plus de 99 stiques, dans 31 chapitres, où apparaissent des termes relatifs à la théologie de la création. Ce verbe yṣr, employé au niphal en Ben Sira, fait indirectement référence au Dieu créateur (cf. le titre ywṣr hkl, « Créateur de tout », en Si 51,12d), plus précisément au Dieu qui crée comme un potier, comme en Gn 2,7-8.19 (cf. Si 36[33],10b.13a). Pour Ben Sira, seuls deux autres personnages sont façonnés comme Adam et Josué : il s’agit du prophète Jérémie (Si 49,7 ; cf. Jr 1,5) et du patriarche Hénok (Si 49,14a).
Pour sa part, le petit-fils omet le verbe « façonner », pour ne faire explicitement référence qu’à la seule étymologie du nom de Jésus, sans doute parce que celle-ci n’est plus évidente en grec : « qui fut selon son nom grand pour le salut de ses élus ». Comme en Mt 1,21, Ben Sira fait donc allusion à l’étymologie du nom hébraïque de Josué — ou Jésus en grec, Iēsous étant la translittération de la forme abrégée yešû‘a, la forme longue étant yehôšu‘a —, nom théophore composé de Yah, abréviation du tétragramme YHWH, et de la racine yš‘, « sauver », « délivrer » (cf. aussi Si 48,20 où l’on retrouve le jeu de mots entre sauver et le nom du prophète Isaïe : wywšy‘m byd yš‘yhw, « et il les sauva par l’intermédiaire d’Isaïe »). Dans le texte hébreu de Ben Sira, on notera l’assonance entre, d’une part, yehôšu‘a et nebûāh (Josué et prophétie) et, d’autre part, yehôšu‘a et tešû‘āh (Josué et salut). Le nom de Josué ou de Jésus indique qu’il n’est que l’intermédiaire entre Dieu et son peuple, et que le salut trouve son origine en Dieu. Ce salut est qualifié de « grand » (megas / gdlh), comme le Seigneur (megas : 46,5) et ce qu’il accomplit (megalas : 50,22), mais aussi comme Abraham (megas : 44,19), Isaïe (megas : 48,22) et le prêtre Simon (megas / gdl : 50,1). Ce qualificatif de « grand » indique que Jésus fait partie des personnages les plus importants des ancêtres d’Israël. Ce salut, procuré par l’intermédiaire de Josué, est destiné aux élus[10] (cf. Dt 7,6-8), lesquels sont tantôt protégés par Dieu (47,22), tantôt livrés aux ennemis (49,6).
La fin du v. 1 décrit en quoi consiste ce salut, d’abord de manière négative, puis de manière positive. Le salut consiste en un châtiment des ennemis : « pour les venger de vengeance contre l’ennemi » (Hb) ou « pour punir des ennemis dressés » (Gr). Le mot ’wyb, « ennemi », employé au singulier par Ben Sira, est un singulier collectif qui a le sens d’un pluriel, comme l’indique la traduction grecque. Par ailleurs, le petit-fils accentue le caractère dangereux des ennemis en précisant qu’ils sont dressés, voire excités ; il s’agit du seul emploi dans la traduction du petit-fils du verbe epegeirō, dont le sens premier est « réveiller », « ranimer ». Fidèle à ses sources, mais non sans surprise, Ben Sira interprète la conquête comme une vengeance (cf. le même emploi du verbe nqm en Jos 10,13 ; Nb 31,2 et Dt 31,43), voire comme une punition (pour le verbe ekdikeō, « venger », « punir », employé par le petit-fils, cf. Nb 31,2 et Dt 31,43).
Dit de manière positive, ce salut a pour objectif qu’Israël possède son héritage, c’est-à-dire qu’il hérite du territoire que Dieu lui avait promis (cf. l’emploi du verbe nḥl / kataklēronomeō en Dt 1,38 ; 3,28 ; 31,7 ; cf. aussi l’emploi du verbe nḥl en Jos 1,6)[11]. Il est vrai que Ben Sira, contrairement aux autres sages de la Bible (cf. Jb, Pr et Qo), cherche à plus d’une reprise à distinguer son peuple[12] des autres peuples[13]. Toutefois, Schmidt Goering a de bons arguments pour réfuter les exégètes qui déclarent que Ben Sira déteste l’hellénisme, les Grecs ainsi que les petites nations païennes voisines (2009 : 188-194).
2.2 Verset 2
HbComme il était honoré quand il étendait la main
et qu’il lançait le javelot sur une ville.
GrComme il était glorifié quand il levait ses mains
et qu’il tendait un sabre sur des villes.
Le v. 2a fait référence à la prise de Aï et plus précisément à Jos 8,18-26. Ben Sira reprend le même terme pour désigner l’arme de Josué, à savoir le kydwn, le « javelot » — ou l’« épée » selon Corley (2010, 224) —, un mot qui n’apparaît dans la Bible que neuf fois (Jos 8,18[2x].26 ; 1 Sam 17,6.45 ; Jb 39,23 ; 41,21 ; Jr 6,23 et 50,42). Par contre, la traduction retenue par le petit-fils n’est pas celle de la Septante. En effet, en Jos 8,18, le traducteur grec a choisi le mot gaisos, un terme gaulois qui désigne le javelot en fer à l’usage des populations alpestres (Moatti-Fine 1996, 136), tandis que le petit-fils emploie le mot romphaia, un mot obscur qui peut désigner le large sabre à deux tranchants à l’usage des Thraces, mais aussi l’épée, le coutelas, la grande javeline ou le glaive (Bailly 1919, 1723 ; Bauer 1963, 1461 ; Alexandre 1988, 337). En outre, au lieu de reprendre le mot ‘yr, « ville », au singulier, du texte hébreu de Ben Sira et de Jos 8,18, le petit-fils utilise le mot poleis, « villes », au pluriel, comme si la conquête ne visait plus seulement la ville de Aï.
Le thème de la gloire constitue la différence la plus importante entre le texte de Ben Sira et celui de Josué. En effet, ce thème est totalement absent du livre de Josué, alors qu’il joue un rôle majeur dans l’Éloge des Pères, particulièrement dans la traduction du petit-fils ; il constitue même, en quelque sorte, le fil conducteur de l’Éloge[14]. Création de Dieu (44,2), cette gloire est aussi ce qui est répandu dans toute la création ; ainsi, le thème de la gloire rattache l’éloge des Pères à l’éloge de la création (42,15-43,33 ; pour le substantif, cf. 42,16.17.25 ; 43,1.9.12 ; pour le verbe, cf. 43,28.30). La gloire permet de hiérarchiser les individus. C’est par exemple ce que montrent les passages suivants : Abraham est inégalable en gloire (44,19) ; Moïse a reçu une gloire égale à celle des saints, c’est-à-dire des anges (45,2) ; Pinhas est le troisième en gloire (45,23a). Quant à Jésus, il a lui aussi reçu la gloire comme un don divin ; c’est ce qu’indique la forme passive du verbe doxazō, qui laisse entendre que c’est Dieu qui est le sujet du verbe. Cette gloire ne fait donc pas référence à l’exploit de Jésus, mais à la présence active de Dieu par l’intermédiaire de Jésus. Pour sa part, Ben Sira utilise le verbe hdr au niphal, laissant lui aussi entendre que cet honneur ou cette majesté est d’origine divine : mh nhdr bnṭwtw yd, « comme il était honoré quand il étendait la main[15] ». Qui plus est, Josué s’apparente ici au grand prêtre Simon, puisque ce sont les deux seuls personnages qui sont présentés avec la même exclamation, en hébreu comme en grec : « comme il était honoré (mh nhdr b) / comme il était glorifié (hōs edoxasthē) quand il regardait de la tente » (Si 50,5 ; cf. aussi le verbe hdr / doxazō en lien avec le prêtre en 7,31).
2.3 Verset 3
HbQui face à lui se tenait debout ?
Car les combats de YHWH il combattait.
GrQui avant lui s’était ainsi dressé ?
Car il a conduit les guerres du Seigneur.
Le v. 3, qui fait référence à Jos 1,5 et 10,8, débute par une question rhétorique, dont la réponse est : personne. Ben Sira emploie à maintes reprises ce type de question apprécié par les sages d’Israël (cf. 46,4 ; 2,10 ; 10,29 ; 12,13 ; 13,2.17.18 ; 17,27 ; 31,28-28). Pour le petit-fils, la question a un sens temporel (proteros autou), tandis qu’elle a un sens spatial pour Ben Sira (lpnyw)[16].
Selon le v. 3b du texte hébreu qui est lacunaire, c’est Josué qui combat pour la cause de YHWH : ky mlḥmwt yy [.] nl[..], « car les combats de YHWH il com[battait] ». Cette leçon, qui correspond à celle du texte grec[17], suppose une conception théologique de la guerre semblable à celle qui est suggérée à propos de David en 1 Sam 18,17 et 25,28 (pour les parallèles entre Josué et le roi David, cf. Corley 2010, 242). On notera que le texte de Jos 10,14, qui relate la guerre à Gabaôn, est plus audacieux, car c’est YHWH lui-même qui combat pour Israël : ky yhwh nlḥm lyśr’l (cf. aussi Is 28,21 ; Nb 21,14 ; 2 M 12,15).
2.4 Verset 4
HbN’est-ce pas par sa main que s’est immobilisé le soleil un jour […] ?
GrN’est-ce pas par sa main que le soleil a été entravé et qu’un jour en devint deux ?
Bien que le texte hébreu soit mutilé, il est clair que ce v. 4 fait référence à Jos 10,12-14. Par contre, dans ce chapitre 10, Josué s’adresse d’abord à Dieu et c’est par sa voix et non par sa main qu’il arrête le soleil. L’emploi de la main peut faire allusion à Jos 8,18.26, où Josué fait un geste analogue à celui de Moïse en Ex 17,8-16 (cf. aussi Ex 14,16.21.26). Par conséquent, la mention de cette « main » vise peut-être à comparer Josué à Moïse. En outre, au v. 4b, Ben Sira apporte une précision temporelle absente du texte de Jos.
Le choix de ce récit n’est pas anodin. En effet, dans sa présentation des prophètes, Ben Sira évoque avec insistance leur capacité à accomplir des gestes miraculeux. Par exemple, c’est le cas de Moïse (45,2-3), de Samuel (Si 46,20)[18], d’Élie (48,3-5), d’Élisée (Si 48,12-14) et d’Isaïe (48,23), ce dernier ayant accompli un miracle semblable à celui de Josué, puisqu’il avait fait reculer le soleil (cf. 2 R 20,8-11 ; Is 38,7-8). Cette insistance est d’autant plus frappante que ces phénomènes extraordinaires n’occupent souvent qu’une place secondaire dans les livres où ils sont présentés[19]. Dans le cas de Josué, ce geste miraculeux vise probablement à légitimer son comportement guerrier et conquérant. Maints autres auteurs après Ben Sira feront l’éloge des miracles relatifs au récit de Josué (Koskenniemi 2005, 203-205 ; 249-254).
2.5 Verset 5
HbCar il appela vers le Dieu Très-Haut,
quand le pressaient […]
et il lui répondit le Dieu Très-Haut
avec des pierres […].
GrIl invoqua le Très-Haut puissant,
quand l’opprimaient les ennemis tout autour
et il l’exauça le grand Seigneur,
avec des pierres de grêle d’une puissance forte.
Ce v. 5, dont le texte hébreu est en grande partie mutilé, est une relecture de Jos 10,11-12, mais avec quelques variantes. Premièrement, ce n’est pas le miracle du soleil qui est le résultat de la parole de Josué adressée à YHWH (Jos 10,12-14), mais l’intervention divine à l’aide des « pierres de grêle », expression qui n’apparaît que trois autres fois dans la Septante (Jos 10,11 ; Si 43,15 et Ez 38,22)[20]. Le texte de Si 43,15 est particulièrement instructif au sujet des conceptions météorologiques de l’époque, car on y apprend que les pierres de grêle ou les grêlons proviennent des nuages épaissis par Dieu. Deuxièmement, là où le livre de Jos évoque simplement de « grosses pierres » (10,11), le petit-fils insiste sur la puissance et la force de ces pierres de grêle, notamment en reprenant le terme krataios employé au v. 1 pour qualifier Jésus. Troisièmement, selon Ben Sira, le Dieu invoqué par Jésus n’est pas le Seigneur (kurios) ou YHWH, comme en Jos 10,12, mais le Très-Haut (hupsistos / ’l ‘lywn)[21]. Selon Hayward (2002, 183), la source qui est à l’origine de cette nomination divine se trouve au Ps 18,14 et dans son texte parallèle en 2 S 22,14. Quoi qu’il en soit du texte qui a inspiré Ben Sira, dans l’éloge des ancêtres, il s’agit de la troisième des dix mentions de ’l ‘lywn (44,2.20 ; 46,5 ; 47,5.8 ; 48,20 ; 49,4 et 50,14.16-17) ou de la deuxième des treize mentions du mot hupsistos (cf. 44,20 ; 46,5 ; 47,5.8 ; 48,5 ; 49,4 ; 50,7.14.15.16.17.19.21). Or, ce titre divin apparaît en lien avec des prières à plusieurs autres reprises (pour l’expression ’l ‘lywn avec le verbe qr’ + ’l, cf. 47,5 et 48,20 ; cf. aussi 47,8 ; 50,16-17 ; pour le terme hupsistos avec le verbe epikaleō, cf. 47,5 ; cf. aussi 47,8 ; 50,14.15.16.17. 19.21). Qui plus est, Ben Sira présente à trois autres reprises des ancêtres priant en vue d’être libérés des ennemis. C’est le cas de Samuel (46,16-18), de David (47,5), d’Ézéchias et de son peuple (48,20). Dans tous les cas, les prières sont exaucées, le portrait des ancêtres confirmant ainsi le bien-fondé de la confession de foi de Si 2,10-11, selon laquelle celui qui invoque (epikaleō) le Seigneur est écouté et sauvé au jour de sa détresse (cf. aussi Si 51,1-12). Quant aux ennemis qui oppriment Jésus[22], ils sont toujours décrits, dans la galerie des ancêtres, comme ceux qui ont été vaincus (cf. le mot echthros en 45,2 ; 46,1.16 ; 47,7 ; 49,9).
Outre les différences entre le texte de Ben Sira et celui de Josué, il y a aussi deux écarts théologiques entre le texte de Ben Sira et la traduction de son petit-fils : d’une part, au v. 5a, le petit-fils rend l’expression « Dieu Très-Haut » par hupsiston dunastēn, « Très-Haut puissant », expression qui n’apparaît qu’ici dans le livre ; d’autre part, au v. 5c, il paraphrase le titre de « Très-Haut » par l’expression megas kurios, « grand Seigneur », qui n’apparaît qu’une seule autre fois dans le livre, en 43,5[23] ; par contre, le petit-fils emploie 205 fois le titre de kurios (Barucq 1976, 173).
2.6 Versets 6a-d
Hb[…]
[…]
afin que [sa]chent toutes les nations interdites
que YHWH surveille leurs combats.
GrIl fondit sur la nation guerrière
et dans la descente il anéantit les assaillants,
pour montrer aux nations son arsenal
et que c’est contre le Seigneur qu’elles faisaient la guerre.
Le texte hébreu du v. 6ab est intraduisible, puisqu’il ne reste que trois lettres (l […] wb). Par contre, Jos 10,11-12 constitue la source du texte grec du v. 6ab. Ainsi, après avoir rappelé l’intervention extraordinaire de Dieu, le petit-fils revient à Jésus et décrit à l’aide de deux verbes son activité guerrière et meurtrière : il fondit (en Si, il s’agit du seul emploi du verbe katarassō, « rompre de haut en bas ») sur la nation guerrière (littéralement : une nation de guerre) et il anéantit (apolluō ; cf. 49,7) les assaillants (littéralement : des ayant dressé contre).
La comparaison entre le texte hébreu et le texte grec de la suite du v. 6 révèle des différences importantes. Dans le texte de Ben Sira, les nations sont dites « interdites » (cf. Si 16,9 où l’on trouve la même expression gwy ḥrm). Le terme employé, ḥrm, fréquent en Jos (6,17.18[2x] ; 7,1[2x].11. 12[2x].13[2x].15 ; 22,20), apparaît dans la Bible, « principalement dans les récits de guerres sacrées (surtout en Josué), où l’on insiste sur l’extermination des peuples et de leurs villes » (David 2001, 2774, à la note en 2,10). Ce terme, précise Robert David, « renferme l’idée de ‘consacrer’, ‘mettre à part pour la divinité’. […] C’est une interdiction d’appropriation. » (2001, 2774 ; à ce sujet, cf. aussi Vermeylen 2010, 1-34 et Noort 2010, 69-86). En somme, Ben Sira rappelle que les nations ennemies appartiennent à Dieu et que nul ne peut faire de ses ennemis des esclaves. Puis, la déclaration du v. 6d, à savoir que YHWH surveille (ṣph) leurs combats, équivaut à dire que YHWH est à l’origine de la victoire de Josué (cf. Jos 10,14 ; 23,3.5.9-10).
La traduction grecque a un autre sens que le texte hébreu. Au v. 6c, le petit-fils poursuit sa description de Jésus comme vaillant guerrier. Plus précisément, Jésus est présenté comme celui qui va révéler aux nations son arsenal, littéralement sa « panoplie ». Le mot panoplia, qui n’apparaît qu’ici en Si, désigne l’armure complète d’un guerrier, c’est-à-dire le bouclier, le casque, la cuirasse, l’épée, etc. Par ailleurs, en 2 S 2,21, ce mot traduit l’hébreu ḥlyṣh, qui désigne les dépouilles prises à un ennemi.
Le v. 6d du texte grec a été traduit de diverses façons. Par exemple, Snaith (1974, 228) paraphrase plus qu’il ne traduit en rendant le v. 6d comme suit : « et leur apprendre qu’il a combattu sous les yeux mêmes du Seigneur. » Pourtant, dans l’édition de Ziegler (1980, 342), adoptée par Reiterer (2003, 37), le v. 6c se lit comme suit : hoti enantion kuriou ho polemos autōn, « que contre Seigneur la guerre d’eux », le mot enantios pouvant aussi être rendu par « en face de », mais avec l’idée d’hostilité. Par conséquent, ce n’est pas Jésus qui mène la guerre devant le Seigneur, comme le supposent également la Bible de Jérusalem (1998, 1247) et d’autres auteurs (MacKenzie 1983, 176 ; Michaud 1998, 182) qui suivent ici l’édition de Rahlfs-Hanhart (autou), mais ce sont les nations (autōn) qui font la guerre contre le Seigneur. Quoi qu’il en soit de cette variante, à l’instar du texte hébreu, de Si 36,3.6-9.12 et de Jos 10,14 ; 23,3.5.9-10, c’est le Seigneur qui est le véritable protagoniste de la guerre contre les nations. Cette compréhension du v. 6d est également confirmée par la version syriaque qui se lit comme suit : d’lh’ hw ’qrb ‘mhwn, « que Dieu lui-même avait fait la guerre contre eux », la préposition ‘m pouvant signifier « contre » ou « avec ».
2.7 Versets 6e-7
HbParce qu’il était pleinement derrière Dieu
et qu’aux jours de Moïse il avait agi fidèlement,
lui et Kalev, fils de Yéfounné,
pour s’opposer au débridement de l’assemblée,
pour détourner la colère de la communauté
et pour faire cesser un murmure mauvais.
GrEn effet, il marchait derrière le Puissant
et aux jours de Moïse, il fut compatissant,
lui et Caleb, fils de Yéphonnè,
en résistant face à l’assemblée,
pour détourner le peuple du péché
et faire cesser les murmures mauvais.
Dans cette deuxième partie apparaît un nouveau personnage : Kalev, dont le nom signifie « chien[24] ». Que faut-il déduire de ce nom ? On sait que le chien était un animal méprisable (Qo 9,4), considéré comme un charognard (Ex 22,30 ; 1 R 14,11 ; 16,4 ; 21,19. 23.24 ; 22,38 ; 2 R 9,10.36) et associé au porc (Mt 7,6 ; cf. aussi 2 Pi 2,22 qui cite Pr 26,11) ; c’est sans doute pour cette raison que le mot « chien » servait de terme de mépris (1 S 17,43 ; 2 S 3,8 ; Is 56,10-11) et qu’il désignait la personne qui se prostitue (Dt 23,19 ; Si 26,25) ainsi que les puissances hostiles, voire maléfiques (Ps 22,17.21 ; 59,7.15 ; 68,24). Par ailleurs, quelques passages bibliques présentent le chien comme un animal utile (cf. « les chiens de mon troupeau » en Jb 30,1 et l’expression « ton serviteur le chien » en 2 R 8,13) ou censé être utile (Is 56,10-11), voire comme un animal domestique, ami de l’être humain (Tb 6,1 et 11,4)[25]. Peut-être peut-on voir dans le nom de Kalev un nom ou un surnom indiquant la loyauté ou la qualité de farouche bagarreur ? Quant au nom du père, Yéfounné, son étymologie est incertaine (Panitz 1992, 682-683).
Ce v. 6e débute par un ky qui peut avoir un sens explicatif (parce que) ou emphatique (en effet), comme c’est le cas dans la traduction grecque. Corley (2010, 233) reconstruit le début de ce v. 6e en lisant wgm, « et aussi ». La traduction retenue se tient au plus près du texte hébreu. L’expression formée du verbe ml’, suivi du mot ’ḥry et du nom de Dieu, pourrait très bien être rendue par « il était entièrement pénétré par Dieu ». En effet, dans sa note portant sur Jos 14,8, Robert David (2001, 2776) affirme que le verbe ml’ signifie non seulement que Kalev suit YHWH, « mais plus encore, qu’il se laisse totalement pénétrer de la volonté divine ». En outre, il écrit que, « dans toute la Bible, l’expression “plein de la suite de YHWH” ne s’applique avec un sens positif qu’à Kalev (six occurrences : Nb 14,24 ; 32,12 ; Dt 1,36 ; Jos 14,8.9.14). Nb 32,11 et 1 R 11,6 l’emploient dans un sens négatif à propos du peuple et de Salomon qui ne se sont pas laissé remplir de Dieu » (David 2001, 2776). Si l’on considère que le texte hébreu de Ben Sira fait partie de la Bible, il convient alors de préciser que l’expression « plein de la suite » s’applique également avec un sens positif à Josué. La traduction mot à mot du petit-fils laisse également entendre qu’il s’agit de suivre Dieu de façon parfaite : « il suivait de près derrière [le] Puissant ». On notera toutefois que là où les passages de Jos font référence au nom de YHWH, Ben Sira évoque simplement le terme générique ’l, « Dieu », tandis que le petit-fils emploie le mot dunastēs, « Puissant ». Dans l’Éloge des ancêtres, Ben Sira emploie huit fois le mot ’l (46,11, également précédé du mot ’ḥry ; 46,13.16 ; 47,13.22 ; 48,3.18 ; 49,3), mais aussi les mots ’lhym (45,1.2), ’lwh (45,23) et ’lhy (50,22 ; 51,1[2x]. 12) qui ont tous le sens de « Dieu ». Quant au mot dunastēs, employé seul pour désigner Dieu, il n’apparaît qu’ici dans la traduction du petit-fils et n’a jamais ce sens dans la version grecque de Jos ; par ailleurs, dans l’éloge de ancêtres, le petit-fils emploie les expressions hupsiston dunastēn (cf. v. 5) et kuriondunastēn, « Seigneur puissant » (46,16).
Dans ce v. 7, Ben Sira fait allusion à Nb 14,1-9, qui relate la fidélité (ḥsd) de Josué et de Kalev, fils de Yéfounné (Nb 32,12 ; Jos 14,6.14), lesquels s’opposèrent à la communauté qui renonçait à la conquête de la terre promise, préférant retourner en Égypte. Dans la galerie des ancêtres, l’expression ‘śh ḥsd, littéralement « il avait fait bonté » (cf. Jos 2,12.14), n’apparaît qu’avec Josué, Kalev et Josias (49,3)[26]. Le mot ḥsd, que l’on peut aussi rendre par « loyauté », apparaît douze fois en Ben Sira (7,33 ; 37,11 ; 40,17 ; 41,11 ; 44,1.10 ; 46,7 ; 47,22 ; 49,3 ; 50,24 ; 51,3.8), mais il n’est rendu par eleos, « compassion » ou « pitié », que cinq fois (44,10 ; 46,7 ; 47,22 ; 50,24 ; 51,3). Ben Sira oppose donc la loyauté de Josué et de Kalev à la déloyauté de la communauté.
C’est précisément parce qu’ils sont fidèles à Dieu que Josué et Kalev s’opposent au débridement ou au déchaînement (pr‘) de l’assemblée (qhl), qu’ils détournent la colère divine — le mot ḥrwn n’étant employé qu’à propos de Dieu dans la Bible — de la communauté (‘dh) et qu’ils apaisent le murmure mauvais ou la calomnie de malheur (dbh ; cf. Nb 13,32 ; 14,36.37)[27].
Par ailleurs, le petit-fils transforme l’affirmation théologique, relative à la colère de Dieu, en déclaration anthropologique : Jésus et Caleb font preuve de compassion (eleos[28]) et cherchent à détourner le peuple du péché (hamartia[29]). Plus que les autres sages, le petit-fils est préoccupé par le péché. En effet, Minissale (1988, 68) compte 102 emplois de mots qui désignent le péché : hamartia (46 fois), hamartolos (38 fois), hamartanō (16 fois) et hamartema (2 fois). Dans l’Éloge des ancêtres, le petit-fils conçoit surtout le péché dans sa dimension collective. En effet, à l’exception du péché de David, mentionné en 47,11, le péché est celui du peuple (46,7 ; 48,15-16), de Jéroboam et d’Israël (47,23-24).
2.8 Verset 8
Hb« C’est pourquoi aussi eux deux furent distingués
des six cent mille piétons,
pour les faire venir vers leur héritage,
une terre ruisselante de lait et de miel. »
Gr« Et eux deux furent épargnés
sur six cent mille piétons,
pour être introduits dans l’héritage,
dans la terre où coule le lait et le miel. »
Le premier mot du v. 8 doit être corrigé : au lieu de lire lkm, « pour vous », il faut lire lkn, « c’est pourquoi ». Cette confusion provient vraisemblablement du fait que les trois mots suivants se terminent par un m (Corley 2010, 233-234). C’est parce que Josué et Kalev ont été loyaux envers Dieu et qu’ils ont soutenu Moïse contre le peuple rebelle qu’eux seuls, sur six cent mille piétons, ont été sauvés de la mort (Nb 14,29-30.38 ; 26,65 ; Dt 1,35-38). Ce chiffre fait référence au nombre de personnes que Moïse guidait dans le désert à la sortie d’Égypte (cf. Si 16,10 ; Ex 12,37 ; Nb 11,21). Comme le mot ’lp, « mille », a parfois le sens de « clan » (cf. Jg 6,15 ; 1 S 10,19 ; Mi 5,2), Corley (2010, 238) estime que le sens original devait être « six cents clans d’infanterie ». L’expression rendue par « piétons », littéralement « des pieds », peut également être traduite par « marcheurs » ou « fantassins ». Ce verset rappelle que ce sont Josué et Kalev qui ont conduit le peuple vers la terre promise (Jos 11,23 ; Dt 1,38 ; cf. 1 Mac 2,56), plus précisément vers une « terre ruisselante de lait et de miel ». Cette expression, qui revient 22 autres fois dans la Bible hébraïque, dont une seule fois en Jos (5,6), évoque non seulement la fertilité et l’abondance merveilleuse, mais aussi la terre idéale et paradisiaque, promise aux ancêtres (Hunziker-Rodewald 2013, 135-144).
2.9 Verset 9
Hb« Il donna à Kalev la force
— et jusqu’à la vieillesse elle demeura avec lui —
pour le faire marcher [s]ur [les haut[eurs] de la terre,
aussi sa descendance posséda un héritage, »
Gr« Et le Seigneur donna à Caleb la force
— et jusqu’à la vieillesse elle resta avec lui —
de le faire marcher sur les hauteurs de la terre
que sa descendance garda en héritage, »
Dans ce verset, Ben Sira est plutôt fidèle à ses sources bibliques. Au v. 9a, en rappelant la force (‘ṣmh) qui faisait la réputation de Kalev, Ben Sira évoque Jos 14,11, où l’on a toutefois les mots ḥzq, « force », et kḥ, « vigueur ». Par contre, en employant le mot ischus, le petit-fils est plus près de sa source, car le texte grec de Jos 14,11 répète deux fois le verbe ischuô. Puis, en mentionnant la vieillesse, Ben Sira évoque le récit de Jos 14,7.10, selon lequel Kalev, bien qu’âgé de 85 ans, était aussi fort que le jour où Moïse l’envoya pour espionner le territoire (Jos 14,7.10-11). Quant au v. 9c, il fait allusion à la région montagneuse, où habitaient les Anaqim, que Kalev conquit dans sa vieillesse (Jos 11,21 ; 14,10-12 ; cf. aussi Dt 32,13 et 33,29)[30]. Enfin, la mention de l’héritage donné à sa descendance renvoie à Jos 14,9.13-15 ; Nb 14,24 et Dt 1,36.
2.10 Verset 10
Hbafin que s[ache] toute la descendance de Jacob
qu’il est bon d’être pleinement derrière YHWH.
Grafin que tous les fils d’Israël voient
qu’il est bon de marcher derrière le Seigneur.
La notion d’héritage est liée à la descendance de Jacob (zr‘ y‘qb), une expression plutôt rare dans la Bible (cf. Ps 22,24 ; Is 45,19 ; Jr 33,26 ; cf. aussi Is 65,9), ou aux fils d’Israël (huoi Israēl), une expression fréquente dans la Bible et en Jos, aussi bien dans le texte hébreu (bny yśr’l : Jos 1,2 ; 2,2 ; 3,1.9 ; 4,4.5.8.12.21 ; etc.) que dans le texte grec (Jos 2,2 ; 3,9 ; 4,4.8.12 ; etc.)[31].
Au v. 10b, Ben Sira rappelle la fidélité exemplaire de Kalev en reprenant la formulation déjà employée au v. 6e, à la différence que le nom de Dieu est cette fois-ci celui de YHWH[32]. En outre, cette fidélité est qualifiée de « bonne » (ṭwb / kalos), comme YHWH en 45,25 (Hb). Cet emploi du mot « bon » contraste avec le mot « mauvais » qui clôt le v. 7 (cf. Dt 30,15). En guise de conclusion, Ben Sira rappelle qu’il est important que l’on sache (Hb) ou que l’on voie (Gr) que c’est cette fidélité et non la force qui a procuré l’héritage à Kalev et à ses descendants.
3 Conclusion
Contrairement à l’auteur des livres des Chroniques qui omet de signaler les noms de Josué et de Kalev, Ben Sira leur consacre dix versets, soit plus que de nombreux autres ancêtres présentés en Si 44-50. Dans son portrait de ces deux héros de la conquête, Ben Sira fait un intense travail non seulement de sélection mais aussi d’interprétation. De la même façon, si l’on admet que le texte hébreu correspond à celui qu’aurait rédigé Ben Sira, le petit-fils ne se contente pas de traduire mot à mot, de manière servile ; à l’occasion, il suit les traces de son grand-père dans la mesure où il fait son propre travail de sélection et d’interprétation. Par exemple, au v. 1, le petit-fils, sensible à l’importance du thème de la succession dans le milieu hellénistique, préfère présenter Jésus comme successeur de Moïse plutôt que ministre de Moïse. Au v. 2, il témoigne encore une fois d’un souci d’acculturation, car il explique l’étymologie du nom de Jésus, celui-ci n’étant plus évident en grec. En outre, dans la version grecque de ce v. 2, la conquête menée par Jésus ne vise plus seulement la ville de Aï. Au v. 6, en omettant de rendre le mot ḥrm, traduit en Jos par anathema / anathēma (6,17.18 ; 7,1.11.12.13 ; 22,20), le petit-fils occulte un aspect particulier de l’idéologie guerrière du livre de Jos. Au v. 7, il transforme l’affirmation théologique relative à la colère de Dieu (ḥrwn) en déclaration anthropologique : Jésus et Caleb font preuve de compassion (eleos) et cherchent à détourner le peuple du péché (hamartia). Au v. 10, au lieu du texte hébreu qui a « descendance de Jacob », le petit-fils préfère l’expression « fils d’Israël », fréquente dans le livre de Josué. Du point de vue théologique, on notera quelques variantes entre le texte hébreu et le texte grec : au v. 2, l’allusion au créateur est absente du texte grec ; au v. 5, les deux mentions du « Dieu Très-Haut » sont rendues par « Très-Haut puissant » et « grand Seigneur » ; au v. 6, le mot « Dieu » est remplacé par le mot « Puissant » ; enfin, au v. 9, seul le texte grec a le mot « Seigneur », lequel traduit le nom de YHWH aux v. 3.6 et 10.
Ainsi, Ben Sira et son petit-fils sont tous deux comparables au scribe dont parle l’évangile, qui sait tirer de son trésor de l’ancien et du nouveau (Mt 13,52). À l’instar de Ben Sira et de son petit-fils, Robert David a su, lui aussi, tirer de son trésor de l’ancien et du nouveau ; toutefois, contrairement à eux, il a contesté l’éthique sous-jacente à ce récit de conquête. En effet, c’est avec raison que Robert David est sensible à l’« aspect guerrier rébarbatif » du livre de Josué (2001, 2773) et qu’il est critique face aux croyantes et croyants qui exploitent la « vision d’un Dieu militaire » pour « justifier la dépossession des territoires » (2006, 188).
Appendices
Note biographique
Jean-Jacques Lavoie est professeur titulaire au Département de sciences des religions de l’Université du Québec à Montréal. Il a récemment rédigé deux articles sur Qohélet, à paraître dans Science et Esprit et dans Religiologiques, et trente articles sur le temps dans les judaïsmes, à paraître dans P. Martin, dir., Dictionnaire du temps sacré, Paris, CNRS.
Notes
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[1]
Bien entendu, je ne prétends pas forcément que Ben Sira et son petit-fils avaient les textes de la Torah et du livre de Josué sous les yeux, le premier dans sa version hébraïque, telle qu’on la connaît aujourd’hui, et le second dans sa version grecque dite de la Septante. Certes, les découvertes de Qumran prouvent que des textes bibliques circulaient déjà à l’époque de Ben Sira, mais pas forcément sous leur forme actuelle et assurément pas sous la forme de livre, avec des chapitres et des versets. En outre, ma comparaison du texte de Ben Sira avec les sources bibliques ne suppose aucunement que la Bible était la seule source d’inspiration de Ben Sira. Voir à ce sujet les remarques pertinentes de Wright (2008, 183-189 ; 205-207) et le récent livre d’Adskin (2018) issu de sa thèse de doctorat.
-
[2]
Les manuscrits hébreux du livre de Ben Sira ont une histoire assez compliquée. Ils nous proviennent de la genizah d’une synagogue du vieux Caire, de Qumran et de Massada ; l’ensemble de ces manuscrits totalisent environ 64 % (Reiterer 2003, 18) ou 68 % (Skehan et Di Lella 1987, 53) du texte hébreu. Les exégètes discutent encore pour savoir si ces manuscrits de Qumran et de Massada nous donnent le texte écrit par Ben Sira ou un texte revu, corrigé et augmenté. Quoi qu’il en soit, le texte hébreu de Si 46,1-10 est connu par le manuscrit B de la genizah du Caire, qui date du xie ou du xiie siècle, mais celui-ci témoigne vraisemblablement d’une forme textuelle très proche du texte le plus ancien, c’est-à-dire le texte composé par Ben Sira entre -190 et -180. Pour le texte hébreu, je travaille avec les éditions critiques de Beentjes (2006a) et de Vattioni (1968).
-
[3]
Le texte hébreu a été traduit en grec par le petit-fils de Ben Sira à l’intention des Judéens hellénisés d’Égypte vers -132 (cf. le Prologue, v. 26ss). Cette traduction est connue par trois grands manuscrits (B, S et A). Par ailleurs, les manuscrits 248, 253 et 493 comprennent divers ajouts. Pour le texte grec, je travaille avec l’édition critique de Ziegler (1980). Pour un état de la recherche récent sur l’histoire textuelle de Ben Sira, on consultera avec profit Gile (2011, 237-256).
-
[4]
À l’occasion, notamment lorsque j’indiquerai les divergences entre l’hébreu et le grec, je consulterai la traduction syriaque, effectuée autour des iiie-ive siècles, qui présente des affinités aussi bien avec le texte hébreu que le texte grec. Je ne retiens que la version syriaque, car elle est, avec le texte grec, la traduction qui donne les informations les plus importantes sur la transmission du texte hébreu (Reiterer 2003, 21). Pour le texte syriaque, je travaille avec les éditions de Calduch-Benages, Ferrer et Liesen (2003) et Vattioni (1968).
-
[5]
Ainsi, tout en rattachant étroitement Josué à Moïse, comme l’indique 46,1b, Ben Sira, du point de vue macro-structurel, semble considérer le livre de Josué comme le premier de la série des livres prophétiques. Ce point de vue de Ben Sira rejoint celui de Robert David (2001, 2272), qui refuse de « trancher définitivement pour l’une ou l’autre hypothèse », à savoir s’il faut considérer Josué « comme le premier de la série des livres prophétiques » ou comme la « suite logique » de la Torah.
-
[6]
Il n’y a donc pas lieu d’adopter l’hypothèse proposée par Corley, selon laquelle le petit-fils aurait lu mšnh mšh au lieu de mšrt mšh (2010, 218 ; 2011, 62). Par contre, Corley montre bien que Josué, dans le livre qui porte son nom, est décrit comme Moïse en Ex et Dt, tout comme Isaïe en 1-2 R a pour modèle Moïse tel qu’il est présenté dans le Pentateuque (2011, 57-63).
-
[7]
Pour sa part, Lee estime que le petit-fils rend correctement l’hébreu mšrt mšh par diadochos mōusē (1986, 78). Pourtant, dans la Bible, le mot mšrt n’a jamais le sens de successeur.
-
[8]
Pour sa part, le traducteur de la version syriaque du v. 1b rappelle la grandeur de Moïse, mais en précisant que celle de Josué est identique : bnbywt’ ’tnṭr lmhw’ ’yk mwš’ rb’, « selon la prophétie, il a été conservé afin d’être comme le grand Moïse ».
-
[9]
Skehan et Di Lella (1987, 515) corrigent le texte hébreu à partir du texte grec et traduisent la finale du v. 1c comme suit : « comme son nom l’indique. » Cette correction ne s’impose pas, d’autant plus que l’indication temporelle du texte hébreu apparaît aussi en 46,7 ; 47,13 ; 48,18 et 49,3.
-
[10]
Dans la version syriaque, le salut est plutôt destiné à ceux qui l’aiment (lrḥmwhy).
-
[11]
Dans la version syriaque, ce sont plus précisément les fils d’Israël (bny ’ysryl) qui vont hériter du « pays de la promesse » (’r‘’ dmwlkn’).
-
[12]
Cf. les emplois des mots suivants dans le texte grec : Israël (Si 36,17 ; 37,25 ; 45,17.23), tous les enfants d’Israël (46,10), son ou ton peuple (Si 35,25 ; 36,11), héritage de Jacob (Si 23,12) et tribus de Jacob (Si 36,13).
-
[13]
Cf. les emplois des mots suivants dans le texte grec : nation de perdition (16,6), nations étrangères (36,3 et au singulier en 49,5), nations (39,23 ; 46,6c ; 50,25-26) et nation ennemie (46,6).
-
[14]
Pour le substantif doxa dans le texte grec, cf. 44,2.13.19 ; 45,2.3.7.20.23.26 ; 47,6.8.11.20 ; 49,5.8.12 ; 50,7.11.13 ; pour le verbe doxazō, cf. 44,7 ; 45,3 ; 46,2.12 ; 47,6 ; 48,4.6 ; 49,16 ; 50,5.11. La racine kbd, elle, est moins fréquente dans le texte hébreu de Si 44-50 : 44,2.7[variante marginale].19 ; 45,2[variante marginale].20.25 ; 47,20 ; 48,4[ne comprend que la première lettre de la racine, la suite du texte étant manquante].6 ; 49,5.12 ; 50,11.
-
[15]
Le traducteur syriaque opte pour le mot y’’, « beau », « convenable » : m’ y’’, « comme il était beau ».
-
[16]
Par ailleurs, en hébreu, l’expression lpnyw peut aussi avoir un sens temporel. En effet, le passé est devant soi, car il est déjà connu (cf., par exemple, l’emploi de lpny au sens temporel en Dt 2,10 ; 1 S 9,9 ; Rt 4,7 ; etc.), tandis que l’avenir, étant inconnu, est derrière soi (cf., par exemple, l’emploi de ’ḥr en Gn 17,19 et Is 44,6).
-
[17]
À mon avis, Petraglio (1993, 162) ne présente aucune raison valable lorsqu’il déclare que le texte grec est ambigu et qu’il pourrait être traduit comme suit : les combats du Seigneur, c’est le Seigneur lui-même qui les a combattus. À ce sujet, le texte syriaque est également clair.
-
[18]
Dans son analyse comparée entre Josué et Samuel, Corley (2011, 64-68, 72) montre qu’ils sont tous deux décrits comme des prophètes, des intercesseurs, des guerriers et des leaders nationaux ; toutefois, il omet de signaler que tous deux ont le pouvoir d’accomplir des gestes miraculeux.
-
[19]
Selon Perdue (2005, 152), Ben Sira cherchait à opposer les prophètes d’Israël aux voyants de l’apocalyptique, aux prophètes hellénistiques et aux faiseurs de miracles.
-
[20]
Dans la version syriaque, il s’agit à la fois de « pierres de grêle », au v. 5c, et de soufre (kbryt’), au v. 5d.
-
[21]
Le traducteur syriaque n’emploie qu’une seule fois le nom de Dieu, au v. 5a, et celui-ci est mry’, « Seigneur », l’équivalent du tétragramme YHWH : « Car il a prié devant le Seigneur et il a répondu ».
-
[22]
Le verbe thlibō, traduit par « opprimer » (cf. Si 4,4 ; 16,28 ; 30,21 ; 34[31],31 ; 46,16), correspond au mot hébreu ’kph, un hapax qui est tantôt considéré comme un verbe, tantôt comme un substantif, dans les deux cas le mot faisant référence à l’idée d’être pressé (Minissale 1999, 10-11).
-
[23]
Cf. aussi l’emploi des expressions kurios ho megas en 39,6 et phoberos kurios kai sphroda megas en 43,28 ; ailleurs, le mot megas qualifie aussi la puissance du Seigneur (Si 3,20), sa miséricorde (17,29), ses desseins (24,29) et tout ce que Dieu de toute chose a fait (50,22).
-
[24]
Cf. Nb 13,6.30 ; 14,6.24.30.38 ; 26,65 ; 32,12 ; 34,19 ; Dt 1,36 ; Jos 14,6.13-14 ; 15,13-18 ; 21,12 ; Jg 1,12.14-15.20 ; 1 S 25,3 ; 30,14 ; 1 Chr 4,15 ; 6,56 ; cf. aussi 1 Chr 2,9.18-19.42.49.50 ; 4,11. Pour une liste des noms formés à partir du mot « chien » dans la littérature phénicienne et punique, cf. Dixon (2018, 34-35).
-
[25]
Par ailleurs, il convient aussi de mentionner que la découverte de cimetières de chiens sur le territoire d’Israël et de Judée, qui datent entre le vie et le ier siècle avant l’ère chrétienne, a donné lieu à de nombreuses interprétations, notamment le cimetière d’Ashkelon où les archéologues ont découvert plus de mille chiens. Selon Miller, ces cimetières pourraient être un indice que le chien était un animal domestique (2008, 487-500). Stone estime que le point de vue nuancé de l’étude de Miller mérite d’être retenu, même s’il adopte une approche différente de la sienne ; en outre, il est d’avis que le chien est inclassable, puisqu’il n’est ni un animal domestique, ni un animal sauvage (2018, 48-49 et 56). Par contre, Dixon critique la thèse de Miller (2018, 28), mais sans nier pour autant les services que pouvaient rendre les chiens ; par exemple, ils pouvaient éliminer ce qui pourrissait (cf. Ex 22,30) et alerter la population de certains dangers (cf. Ex 11,7).
-
[26]
Dans la version syriaque de 46,7, l’expression est rendue par ‘bd ṭybwt’, « il avait fait [la] bonté / [le] bienfait », c’est-à-dire « il avait agi avec bonté ». Par contre, en 49,3, la même expression est rendue comme suit : ‘bd kwšt’, « il avait fait [la] vérité / justice », c’est-à-dire « il avait agi avec vérité / justice ».
-
[27]
À la fin du v. 7, la version syriaque comprend un ajout : mn ’r‘’ dmwlkn’, « au sujet de la terre promise ».
-
[28]
Et non « piété », comme c’est le cas dans la Bible de Jérusalem (1998, 1247). En effet, le mot « piété » traduit plutôt le mot eusebeia (cf. Si 49,3). Quant à la traduction du mot eleos par « loyauté », proposée par Snaith (1974, 228), Bullard et Hatton (2008, 933), elle est également erronée ; cette traduction rend plutôt l’hébreu ḥsd.
-
[29]
La version syriaque s’apparente davantage à la version grecque : wlmhpkw knwšt’, « et pour convertir la communauté ».
-
[30]
La version syriaque se lit comme suit : lmšlṭwth ‘l twqph d’r‘’, « pour lui donner autorité sur la citadelle de la terre ». À la lumière du texte syriaque et du texte grec, peut-être faut-il lire lhdrykw, « pour le faire marcher », au lieu de lhdrykm, « pour les faire marcher », du texte édité par Vattioni. En effet, dans l’édition de Beentjes, le suffixe n’est pas lisible.
-
[31]
Le petit-fils semble préférer l’expression « fils d’Israël », car c’est aussi cette expression qu’il utilise pour traduire l’hébreu « Israël » (47,2 ; 50,20) ; par ailleurs, en 47,11, le texte grec a « Israël » là où l’hébreu a « Jérusalem », et en 48,10 le texte grec a « tribus de Jacob » là où l’hébreu a « tr[ibus d’Israë]l ».
-
[32]
Si la version syriaque suit fidèlement le texte hébreu du v. 10a, ce n’est pas le cas du v. 10b, qui se lit comme suit : dšlm nmwsh d’lh’ wdnwhy, « qu’il a accompli la loi de Dieu et ses jugements ».
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