Abstracts
Résumé
Cet article étudie deux essais publiés à l’occasion du dixième anniversaire de l’affaire Noir Canada. Il s’agit d’identifier dans Le droit du plus fort d’Anne-Marie Voisard et Procès verbal de Valérie Lefebvre-Faucher les effets de l’intrication du droit et de l’économie sur le monde du livre et sur la liberté d’expression. Nous explorerons l’hypothèse qu’en analysant ces deux essais, qui examinent la poursuite bâillon qui a censuré la maison d’édition Écosociété, nous pouvons voir à l’oeuvre une modalité spécifique de l’économie, soit sa manifestation dans l’appareil juridique. Le jeu des intérêts, des transactions et des négociations mis au jour dans ces deux essais trace un imaginaire économique du droit qui est aussi une réflexion sur le pouvoir et ses méthodes de répression. Cet article se propose de rendre compte de l’émergence de l’analyse économique du droit et de la subordination de l’ordre juridique à la sphère économique. Nous soumettons l’hypothèse que le « droit-économie » – c’est-à-dire le droit en ce qu’il se fait la voix et la force de mise en oeuvre des principes économiques – se définit précisément contre la littérature. Nous cherchons également à comprendre ce que le droit-économie fait aux notions de fiction et de langage. Nous tentons finalement de comprendre comment la figuration du métier d’éditrice dans ces livres constitue à la fois une répétition et une actualisation d’une longue histoire de procès littéraires et de censure.
Abstract
This article studies two essays published on the occasion of the tenth anniversary of the Noir Canada affair. Through a discussion of Le droit du plus fort by Anne-Marie Voisared and Procès verbal by Valérie Lefebre-Faucher, it aims to highlight the effects of the law-economics relationship on the book industry and freedom of expression. An analysis of these two essays examining the SLAPP lawsuit to censure the publishing house Écosociété points to a specific feature of the economy, that is, its manifestation in the legal system. The game of interests, transactions and negotiations highlighted in these essays traces an economic imagination of the law which is, simultaneously, a reflection on power and its methods of repression. This article proposes to report on the emergence of the economic analysis of law and the subordination of the legal system to the economic sphere. We argue that “law-economics”—that is, the law as the voice of, and the power to implement, economic principles—is defined precisely against literature. We also seek to understand how law-economics impacts notions of fiction and language. Finally, we attempt to understand how the characterization of the profession of editor in these books is at once a repetition and an updating of a long history of literary and censorship trials.
Article body
L’histoire de l’édition est ponctuée de procès intentés aux auteur·es, aux maisons d’édition, aux imprimeurs, aux librairies[1]. À ces tentatives de censures juridiques, clairement identifiables par leurs mécanismes et leurs effets, se superpose une censure économique informelle, où les rouages du marché du livre ont pour effet d’invisibiliser certaines publications. L’affaire Noir Canada, l’un des cas de poursuites les plus médiatisées de l’histoire récente de l’imprimé au Canada (notons que l’affaire Little Sisters[2], sur laquelle nous préparons un article, représente probablement ce qui constitue en propre une véritable censure publique d’imprimés pour des raisons morales), mérite analyse en cela qu’elle met en évidence un rabattement de l’économie sur le droit en régime contemporain, et qu’elle permet de mesurer les effets concrets de ce rabattement sur le secteur du livre. Ainsi, s’il s’agit dans le cadre de ce dossier d’étudier les figures de l’économie, nous proposons dans cette contribution d’examiner deux essais publiés à l’occasion du dixième anniversaire de Noir Canada : Le droit du plus fort[3] d’Anne-Marie Voisard et Procès verbal[4] de Valérie Lefebvre-Faucher. Lire les figures de l’économie consistera ici à identifier dans ces deux ouvrages les effets de l’intrication du droit et de l’économie sur le monde du livre et sur la liberté d’expression. Nous explorerons l’hypothèse qu’en analysant les témoignages de Lefebvre-Faucher et de Voisard (qui n’en sont pas stricto sensu, en cela qu’ils sont pleinement des essais réflexifs), nous pouvons voir à l’oeuvre une modalité spécifique de l’économie, soit sa manifestation dans l’appareil juridique, car ce sont deux textes qui évoquent explicitement la circulation des imprimés, et plus encore, leur circulation empêchée, censurés pour des raisons fictives. Ces essais pensent aussi contre le pouvoir économique en ce qu’il s’incarne et s’exerce à travers le droit. Nous pourrions dire que, sur le plan légal, c’est l’objet livre qui est objet de censure dans l’affaire Noir Canada par l’interdiction de circulation du livre, et non pas la littérature, car l’ouvrage censuré n’est pas d’abord identifiable comme appartenant à un corpus littéraire. Mais Barrick Gold[5] cherche néanmoins à censurer le propos du livre, notamment en se livrant à une guerre de faits, en alléguant que les faits relatés étaient mensongers ou alors qu’ils avaient été obtenus illégitimement. C’est donc une guerre qui concerne en dernière instance les notions de vérité et de fiction, et l’usage vertueux ou malhonnête du langage. Ces essais ripostent toutefois de manière proprement littéraire au pouvoir économique (tel qu’il s’incarne et s’exerce à travers le droit), en cela que les deux auteures tentent de réaffirmer le pouvoir de la fiction et de la polysémie du langage. Lefebvre-Faucher et Voisard interrogent des notions fondamentales en littérature : mise en récit, narration, rhétorique (exagération, caricature, stéréotypie, etc.), personnages, poétiques génériques (autobiographie, essai littéraire). Le jeu des intérêts, des transactions et des négociations mis au jour dans ces deux essais trace bel et bien les contours d’un imaginaire économique du droit qui est aussi une réflexion sur le pouvoir et ses méthodes de répression. Nous identifierons un conflit (formel et symbolique) entre le livre Noir Canada (dans sa matérialité, ses modalités de diffusion) et la raison juridique, laquelle emprunte ici la voix de la raison économique (et inversement, puisqu’elles se confondent).
Nous ouvrirons l’article en présentant quelques remarques qui concernent l’arrimage du droit à l’économie, que met en oeuvre la convergence de deux forces, l’une interne au discours juridique et l’autre, tributaire du contexte : d’abord l’émergence de l’analyse économique du droit (AÉD) et ensuite la subordination, ordonnée par le capitalisme néolibéral, de l’ordre juridique à la sphère économique. Nous avancerons ensuite que le « droit-économie » – c’est-à-dire le droit en ce qu’il se fait la voix et la force de mise en oeuvre des principes économiques – se définit précisément contre la littérature. Plus spécifiquement, il se définit, sur le terrain trouble de l’interprétation des normes et discours juridiques, contre la part littéraire du droit. Les liaisons entre le « droit-économie » et la littérature sont en cela particulièrement tendues ; elles tracent les contours d’une lutte à finir pour le contrôle de la rationalité juridique.
Nous analyserons ensuite à l’aune de ces considérations, dans un premier temps, le texte de Valérie Lefebvre-Faucher en cherchant à comprendre ce que le droit-économie fait à la fiction, et comment la fiction peut constituer une manière de se détourner des perversions du droit. Dans un second temps, nous proposerons une lecture de l’essai d’Anne-Marie Voisard en portant notre attention sur la conceptualisation du langage qu’elle propose, et l’injonction à la parole induite par le droit. Pour l’une comme pour l’autre, l’engagement de l’éditrice est à la fois une répétition et une actualisation d’une longue histoire de procès littéraires et de censure littéraire (qui est aussi, d’une certaine manière, une histoire de la figure de l’intellectuel·le).
Avant toute chose, il semble utile de restituer les grandes lignes de l’affaire Noir Canada, soit les poursuites intentées après la parution d’un livre visant à montrer l’implication de compagnies minières canadiennes dans des histoires de pillage, de corruption et de criminalité en Afrique[6]. Le 10 avril 2008, les Éditions Écosociété reçoivent une mise en demeure de la compagnie aurifère Barrick Gold, adressée aux trois auteur·es du livre Noir Canada (Alain Deneault, Delphine Abadie et William Sacher) ainsi qu’aux membres du conseil d’administration de la maison d’édition.
Nous pouvons aisément démontrer que les allégations voulant que des mineurs aient été enterrés vivants en Tanzanie, soit par Barrick, soit par Sutton, sont dénuées de tout fondement. Nous demandons qu’Écosociété prenne immédiatement tous les moyens nécessaires afin d’assurer que tous les passages du livre Noir Canada ayant trait à Barrick soient exacts avant que le livre ne soit mis en circulation. Si Écosociété refuse de se plier à ces demandes, ce sera à ses risques et périls. Si Écosociété procède au lancement du livre prévu le 11 avril [le lendemain] et met en circulation ne serait-ce qu’une copie du livre Noir Canada contenant des allégations fausses et diffamatoires à l’endroit de Barrick, tel que semble le suggérer le site web d’Écosociété, Barrick n’hésitera pas à intenter des procédures. Soyez assurés que Barrick demandera, entre autres, des dommages et intérêts substantiels contre chacune des personnes visées par la présente lettre.
DPF, p. 314-315
Le lendemain, le livre est lancé, mais sans exemplaire physique. Dans les jours qui suivent, il est décidé de commercialiser le livre malgré la menace de poursuite. Sa parution est accompagnée d’un soutien de différents professeurs de droit et de sciences sociales. Dès le 29 avril, Barrick Gold dépose une poursuite en diffamation et une demande d’injonction contre les auteur·es, réclamant 5 millions de dollars pour dommages moraux et 1 million de dommages punitifs. Le 11 juin, Banro Corporation poursuit à son tour les auteur·es pour 5 millions de dollars (devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario), poussant Écosociété à se défendre dans deux juridictions distinctes. L’affaire provoque un débat, alimenté par des juristes, autour des poursuites-bâillons (aussi appelées Strategic Lawsuits Against Public Participation, SLAPP). Pierre Noreau, professeur de droit, écrira à propos des poursuites-bâillons :
[Qu’elles] révèlent la fragilité du statut du chercheur et le risque que courent les intellectuels et les penseurs dans notre société. Chercher à comprendre notre monde devient une activité risquée, surtout si on a le mauvais goût de faire savoir ce qu’on y découvre… […] Un simple constat devient rapidement une dénonciation… notamment lorsque le silence tue, menace la santé publique, favorise l’exploitation d’un groupe par un autre ou fait craindre le pire pour l’avenir de la planète[7].
En septembre 2008, Barrick Gold envoie une autre mise en demeure demandant aux défendeurs de cesser d’utiliser l’expression « poursuite-bâillon » sans quoi ils s’exposent à davantage de dommages punitifs et que d’éventuelles excuses publiques seront « encore plus difficiles et embarrassantes ». On voit bien le rapport répressif du droit sur le langage, sur les mots qui servent à le désigner. Durant les années 2009 et 2010, de fastidieuses procédures judiciaires sont accompagnées, en parallèle, par de nombreux articles (notamment dans Le Trente, périodique diffusé par la Fédération des journalistes professionnels du Québec et consacré au monde des médias, et dans Le Devoir), des rassemblements et des levées de fonds. En mars 2009, la distribution du livre est stoppée et les auteur·es s’engagent à ne plus parler du livre. Une loi est déposée à l’Assemblée nationale par la ministre de la Justice, Kathleen Weil, en 2009 : la Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics, ou « Loi anti-SLAPP ». Le 12 août 2011, un jugement de la Cour supérieure du Québec conclut que le comportement de Barrick Gold est immodéré et que le recours intenté par l’entreprise semble chercher à intimider les auteur·es de Noir Canada. La Cour maintient le droit de Barrick Gold à un procès, mais reconnaît une apparence d’abus dans la conduite de l’instance. Le 18 octobre, on annonce une entente de règlement à l’amiable avec Barrick Gold qui met fin à la poursuite ; puis, le 25 avril 2013, une entente est également conclue avec Banro et met à fin à la poursuite.
Penser le « droit-économie »
Pour lire l’économie dans les textes au xxie siècle, il faut identifier, en amont du pouvoir matériel que peut exercer le droit sur l’économie du livre à travers des recours et des décisions judiciaires, un certain rabattement du droit sur l’économie en contexte contemporain, lequel façonne les paramètres légaux de l’inscription sociale des textes. Nous entendons par là qu’on peut évidemment lire une intériorisation des normes, des conflits et des codes qui sont ceux du droit dans les textes. D’une part parce que le droit est enforceable ; il détient un pouvoir institué, matériel, qui lui permet d’agir directement sur le texte, en définissant les frontières de la parole licite (ce que l’on peut dire en toute légalité). D’autre part, et de manière moins immédiate, parce qu’il est possible de lire dans les textes diverses manifestations de la « conscience du droit » des auteur·es, c’est-à‑dire les modalités à travers lesquelles les individus interprètent et font l’expérience du droit et de la légalité, tant au contact des institutions judiciaires et du droit positif que dans leur vie quotidienne[8]. Or nous voulons mettre ici en relief le fait que l’on peut aussi lire, à travers cette intervention et ces manifestations du droit dans les textes, les principes de la science économique, puisque ceux-ci façonnent les discours, les normes et la rationalité juridiques contemporaines, au point où l’on peut parler d’un véritable rabattement du droit sur l’économie. Nous proposons que ce phénomène soit expliqué par la convergence de deux facteurs. D’abord, l’essor et la diffusion de l’analyse économique du droit (AÉD), tant au sein de la théorie du droit, de la doctrine que de la jurisprudence. Ensuite, et dans un même mouvement, la subordination effective de l’ordre juridique à la sphère économique ordonnée par le capitalisme néolibéral.
L’analyse économique du droit (AÉD) – présentée de manière excessivement succincte – est un courant de la théorie juridique étasunienne qui, à partir des années 1950, tente de jeter un éclairage économique sur les phénomènes juridiques. Cette approche se définit au départ par rapport à d’autres courants en théorie du droit qui se constituent aux États-Unis à la même époque. Héritières, à bien des égards, du réalisme juridique, ces approches se développent afin d’aborder de front le problème de l’interprétation du droit et de l’indétermination du sens des règles juridiques. D’un côté, donc, les Critical Legal Studies et le Law & Literature, par exemple, prendront un virage résolument herméneutique pour fonder de nouvelles théories de l’interprétation du droit – puisant largement dans la théorie littéraire et la théorie critique – tandis qu’à l’opposé du spectre, les tenants du Law & Economics puiseront dans la science économique des fondements « rationnels et scientifiques » pour expliquer les phénomènes juridiques et interpréter les normes juridiques. Se développent alors un ensemble de méthodes plus ou moins unifiées, que l’on peut rassembler sous l’étiquette de l’analyse économique du droit (AÉD). À ce titre, il faut mentionner la contribution déterminante du juge et professeur de droit Richard A. Posner, dont les travaux marquent l’introduction triomphale de l’AÉD tant au sein des facultés de droit que devant les tribunaux. Posner fonde sa théorie économique du droit sur l’intuition que les principes de la science économique constituent les outils par excellence pour analyser et interpréter le droit. La common law, avance-t-il, ne serait en réalité qu’une rationalisation des normes et des mécanismes d’attribution des ressources (ce qui en fait par ailleurs un système efficace). C’est ce qu’il appelle la « logique économique implicite » de la common law[9]. Pour Posner les fondements du droit sont avant tout économiques et, partant, les opérations juridiques et les décisions judiciaires (l’application des règles de la common law) ne font qu’imiter le marché[10]. Le rabattement de l’économie sur le droit, chez Posner, se donne à voir immédiatement : le droit ne serait rien d’autre que la voix de l’économie et l’économie serait toujours déjà inscrite dans le droit. S’il existe bel et bien des critiques de la théorie avancée par Posner, celle-ci dominera largement les approches économiques du droit jusque dans les années 1980[11], notamment parce qu’il est possible d’en déduire un programme positif, c’est-à-dire une méthode d’analyse et d’interprétation du droit, à partir des outils économiques.
Il faut également souligner que, dès le départ, l’approche économique du droit, le Law & Economics, sera très précisément située idéologiquement : des années 1960 à 1980, elle se développe quasi exclusivement autour de l’École de Chicago (HAE, p. 2), devenant en quelque sorte un conduit pour importer les principes de l’économie néoclassique et les outils d’analyse micro-économiques à l’analyse juridique. Cette connivence idéologique entre l’AÉD et l’École de Chicago se situe aussi dans un contexte historique particulier. Parce qu’elle épouse chronologiquement l’essor et la diffusion politique et culturelle de la théorie économique de l’École de Chicago et donc, pour le dire vite, la construction de l’hégémonie néolibérale, l’AÉD a participé, armée de la force contraignante du droit, à la définition des représentations, normes et valeurs qui ont écrit le « roman économique[12] » de la révolution néolibérale. De manière contingente, l’AÉD s’est en quelque sorte retrouvée à agir comme vecteur de diffusion de la rationalité économique non seulement dans le discours et la théorie juridiques, mais dans le discours social. Elle connaît son âge d’or au moment où il se crée comme une chambre d’écho entre le droit, l’économie et le discours social, propulsant l’intégration des principes de l’économie néolibérale aux normes juridiques. Il en résulte une mise en tutelle de l’ordre juridique, lequel est désormais placé, comme le souligne Benoît Frydman, dans une « dépendance fonctionnelle » par rapport au système économique[13]. À leur tour, les normes produites par ce régime de droit-économie ont légitimé (et légitiment toujours), en la sanctionnant juridiquement, la primauté de l’économie dans le discours social. Cela a permis (et permet toujours) de naturaliser la rationalité économique comme fondement de l’ordre juridique[14], et de parfaire, en la reconduisant sans cesse, la confusion entre droit et économie, et de laisser ce cadre normatif dicter l’organisation des sociétés contemporaines (puisque la négation de l’autonomie du droit par rapport à l’économie induit aussi une négation de l’autonomie du politique par rapport à l’économie)[15]. Cet effacement de l’autonomie du juridique et du politique par rapport à l’économie serait aujourd’hui tel que l’on pourrait parler de l’émergence d’un « droit naturel économique » : sous ce régime, les normes orientant l’activité juridictionnelle partagent le même horizon normatif que le marché, et les principes économiques sont « naturellement » appelés à fournir des solutions efficaces (on ne parle plus de solutions justes, mais bien de solutions efficaces) aux problèmes juridiques. Cela se manifeste, par exemple, par la primauté accordée aux principes d’efficacité dans la résolution des litiges et l’élaboration des cadres règlementaires, notamment en droit privé, commercial et en droit des sociétés ; ou encore par la standardisation des pratiques et des raisonnements juridiques à l’échelle globale, lesquels sont de plus en plus soumis à l’impérialisme de la common law américaine, terreau originel et vecteur par excellence du droit-économie.
Or bien que ce régime de droit-économie jouisse d’un rapport de force considérable au sein des sociétés capitalistes avancées, il s’échafaude sur une tension qui n’a jamais été entièrement résolue par les tenants de l’AÉD, s’articulant autour de l’enjeu de l’interprétation des normes juridiques. L’analyse économique du droit se présente en effet à la fois comme une théorie du droit (c’est sa dimension descriptive) et comme méthode d’objectivation des normes juridiques (c’est sa dimension positive, ou prescriptive). Cette double vocation comporte une contradiction. L’AÉD avance, nous l’avons dit, que les principes économiques permettent de dégager des fondements rationnels et objectifs aux règles juridiques, ainsi que de résoudre des litiges. En toute logique, cela devrait suffire à neutraliser, voire à évacuer, tout possible conflit entourant l’interprétation des normes. S’il existe une solution objective aux problèmes juridiques, que l’on peut déduire de principes économiques, alors la question des ambivalences de l’interprétation se résout d’elle-même ; les acteurs qui manient et élaborent les normes juridiques ne font qu’appliquer un calcul. Or la question de l’interprétation des normes n’est jamais réellement évacuée, elle resurgit notamment au niveau juridictionnel ; les juges, on le comprend, ne font jamais vraiment qu’appliquer un calcul. C’est précisément pour cette raison, pour résoudre cette contradiction, que Posner articule sa théorie dans les termes d’une théorie de l’interprétation du droit. Posner a en effet tenté de positionner l’AÉD comme le lieu d’une synthèse entre une théorie de l’interprétation du droit et une méthode d’objectivation des normes juridiques, en plaçant le travail interprétatif du juge au centre de son analyse[16]. La synthèse qu’il propose s’appuie toujours sur l’intuition, évoquée plus haut, que l’AÉD permet de dévoiler la « logique économique implicite » (HAE, p. 178) de la common law. Il est donc possible, avance Posner, de mobiliser les modèles économiques en tant que théorie de l’interprétation juridique. Il faut ici insister sur la nuance : Posner n’évacue pas entièrement le problème de l’interprétation. Au contraire, il fait sienne l’idée que le sens de la règle de droit doit toujours être déterminé, qu’il n’est jamais donné. En revanche – et c’est en cela qu’il s’oppose fondamentalement au Law & Literature, qui soutient qu’il est nécessaire d’investir le terrain du texte pour éclairer les phénomènes juridiques, à défaut de pouvoir, quoiqu’il arrive, les maîtriser entièrement –, il considère que si « la littérarité du texte ne peut suffire à déterminer le sens de la règle » (HAE, p. 174), il est possible, malgré tout, de fonder l’interprétation du droit sur une méthode rationnelle, et c’est ce que peut fournir la théorie économique. Cette synthèse proposée par Posner entre la théorie économique et la théorie de l’interprétation des normes donnera une forte impulsion à l’AÉD, qui se propagera largement, en ces termes, au sein des institutions universitaires et devant les tribunaux, où l’on s’inspire des outils de l’analyse économique pour formuler des arguments judiciaires (HAE, p. 118). En revanche, sur le plan de la critique interne du droit, cette « synthèse posnérienne » ne réussira pas à résoudre définitivement le problème de l’interprétation, qui ne cesse de hanter l’AÉD. Il resurgit dès que les acteurs se saisissent des matériaux juridiques, même armés des outils de l’économie, parce que ces matériaux juridiques sont aussi toujours textuels, discursifs, autrement dit : littéraires. Prenant de front ce que sa théorie refoule, Posner ira même jusqu’à consacrer un ouvrage curieux, Law and Literature[17], dans lequel il tente surtout de minimiser la pertinence des travaux qui abordent le droit à partir des questionnements herméneutiques que partage le droit avec la littérature, et d’affirmer encore que l’interprétation du droit relève avant tout de la théorie économique, pas de la littérature. Or on peut difficilement parler d’une démonstration implacable ; confortant au contraire l’intuition que la part proprement littéraire du droit, semble-t-il, est irréductible, elle ne se dissout pas entièrement au contact de la rationalité économique. Elle résiste, malgré tout, à l’ambition de rendre le droit imperméable aux ambivalences du texte, ainsi qu’aux discours, aux représentations et aux savoirs qui débordent de la théorie normative fantasmée par le droit-économie.
Aujourd’hui, dans le champ de la théorie du droit, la dominance de l’AÉD et la tension opposant les méthodes « rationnelles et scientifiques » aux méthodes herméneutiques et littéraires ont été largement tempérées, voire ravalées, par l’essor, notamment, du pluralisme juridique. Il demeure néanmoins que le rabattement du droit sur l’économie, dont l’analyse posnérienne est emblématique, demeure un phénomène bien tangible du monde contemporain. À bien des égards, le fantasme d’une rationalisation du droit par l’économie s’est réalisé. À la fois instrument et produit de l’hégémonie néolibérale, le droit est aujourd’hui envisagé avant tout comme l’expression des rapports économiques – et c’est bel et bien en ces termes qu’il s’inscrit dans la littérature. En revanche, et c’est ce que peut éclairer l’examen des tensions internes à l’AÉD, le droit-économie s’invite dans la littérature en exposant aussi ses lignes de faille ; en dévoilant les impensés entourant la part littéraire irréductible des discours juridiques. Or nous avançons que la parole littéraire s’immisce dans ces failles, elle en fait le lieu d’une riposte, et c’est ce qui se donne à voir dans les textes de Valérie Lefebvre-Faucher et d’Anne-Marie Voisard.
Valérie Lefebvre-Faucher : la littérature hors-la-loi
Deux essais québécois nous donnent à lire un imaginaire de l’économie qui prend la forme d’une conscience du droit-économie inscrite à même le texte. Rappelons que les deux textes ont été publiés au moment du dixième anniversaire de la parution de Noir Canada. Valérie Lefebvre-Faucher était, au moment de l’affaire, éditrice à la maison d’édition Écosociété. Elle fut ensuite éditrice aux éditions du Remue-ménage. Anne-Marie Voisard, quant à elle, fut embauchée par les éditions Écosociété peu de temps après le début des poursuites à titre de responsable des affaires juridiques. Elle y est restée de 2008 à 2013. L’essai de Lefebvre-Faucher, dont la première version fut écrite dans le cadre d’un mémoire en création littéraire, se déploie comme une adresse au lectorat, comme un ensemble de preuves déposées, un second procès, littéraire celui-là, dont le texte constituerait le procès-verbal :
Ce texte se situe en littérature, écrit-elle. En cela il se déclare contestable et évite de faire quoi que ce soit au sens de la loi, encore moins des accusations. Ce pacte littéraire ne prémunit personne contre les chocs, l’angoisse, les désaccords ou tout autre trouble provoqué par la lecture. L’auteure se désole d’avance de vos souffrances ; elle n’en dort pas la nuit. Ce texte n’engage qu’elle. Mais ses conclusions n’engagent que vous.
PV, p. 6
L’esprit de Lefebvre-Faucher est hautement dialectique, et tout le livre est placé sous les auspices d’un examen des effets d’un texte sur un public. Car si l’affaire Noir Canada est au coeur de l’ouvrage, on comprend au fil du récit parcellaire qu’elle raconte son parcours d’éditrice et qu’elle a fait face à des procédures judiciaires dans toutes les maisons d’édition pour lesquelles elle a travaillé au cours de sa carrière. La prise de parole, nous dit-elle, est risquée. Pas un risque abstrait comme celui qu’invoquent les intellectuels aux postures licencieuses ; non, elle suscite un risque réel de poursuite.
Ce récit imbriquera mon témoignage comme éditrice, qui a vu son rapport à la culture, à la parole et à la société transformé par des poursuites, dans une histoire plus grande : l’histoire de livres et de personnages d’écrivain·e·s qui, face au droit, se ressemblent. Je ferai différentes sortes de reconstitution de mes mésaventures réelles, qui ne m’ont pas réduite au silence comme tant d’autres moins fortuné·e·s. Vous assisterez aussi au cheminement intellectuel qui les a accompagnées, et surtout suivies, puisque mon projet me redonne la parole sur ma propre histoire, garde mémoire d’épreuves et de réparations. Puisque négocier sa parole n’a pas de fin, ne doit pas en avoir. Vous y trouverez dans le désordre un ensemble de documents de preuve appuyant ou contestant mon plaidoyer pour la littérature libre et ambiguë. Ces documents, s’ils sont fictifs à des degrés variables, n’en sont pas moins vrais, d’autant plus que la fiction sert ici de stratégie pour braver des interdits. C’est moi qui les rassemble et les ordonne, mais ils tiennent compte de voix multiples.
PV, p. 11-12 ; nous soulignons
La littérature est réparation, au sens où elle vient reconstituer le récit hors de sa récupération juridique. Ce qui transparaît à la lecture de Lefebvre-Faucher, c’est la manière dont la loi est au service d’intérêts économiques, ceux des puissants, et non pas de la vérité. Ce constat, qui peut sembler candide et qui trahit peut-être la méconnaissance des éditeurs du fonctionnement des hautes instances de pouvoir, montre surtout que la grammaire du droit n’est pas au service d’un idéal de clarté, mais bien d’une norme procédurale, laquelle prend pour horizon un principe d’efficacité économique, en régime de droit-économie. Nous l’avons dit : l’un des piliers de l’AÉD, dans sa dimension prescriptive et normative, est l’idée d’efficacité. Les règles de droit doivent être efficaces, leur horizon n’est pas tant la justice, l’équité, l’utilité publique, mais l’efficacité économique – tant sur le front procédural que substantif. Or cet impératif se passe aisément de l’exigence de rendre la justice transparente, accessible, pour donner voix à celles et ceux que la procédure vise et contraint. L’opacité, voire la perversion de la vérité par la « grammaire du droit », coexiste sans problème avec les impératifs d’un droit efficace. Se dévoile ici, en creux, un autre a priori normatif du droit-économie, à savoir qu’il institue un régime entièrement désincarné. Le droit-économie n’appréhende pas les acteurs du droit comme des sujets politiques à part entière (ou même comme des sujets de droits), mais au mieux comme des titulaires de droits subjectifs (contractuels, extracontractuels) qui transigent sur le marché. Il peut ainsi reformuler entièrement la réalité en des termes et fictions transactionnelles qui masquent la vérité (la violence) des rapports de pouvoir. C’est ce qui pousse Lefebvre-Faucher à penser des paroles qui sont hors-la-loi. La notion d’hors-la-loi dans Procès verbal désigne une reprise de contrôle de la vérité par la fiction, comme si la fiction, en contournant les faits, pouvait se prémunir des attaques juridiques potentielles. Mais la littérature possède un avantage sur le droit, c’est qu’elle peut raconter ce dernier : « S’il est vrai que ce texte joue au droit, écrit Lefebvre-Faucher, et mime sa structure narrative, j’ai aussi voulu qu’il reste dans l’incontrôlable » (PV, p. 14).
Lefebvre-Faucher en vient à définir la littérature comme ce qui n’est pas du droit, c’est-à-dire tout ce qui est écart à la norme, aux attentes et au décorum :
Ce que je dis, c’est que la littérature prétend à quelque chose de « plus » vrai, plus juste, comme si elle pouvait apporter un complément de vérité, une précision. C’est une question de qualité plus que de totalité de la vérité. En prétendant apporter plus de vrai, ou « une » vérité, forcément on croit. Mais à quoi ? C’est une vérité sentie, proche de l’expérience. C’est comme ça que la littérature fonctionne le plus souvent. C’est un peu comme des convictions, aussi. Paul Chamberland l’a bien expliqué dans son livre sur le sentiment de la fin du monde. Il ne sert à rien de prouver scientifiquement (ce serait impossible, d’ailleurs) que la fin du monde arrive. Qu’un nombre suffisant de personnes ait le sentiment de la fin du monde est déjà une vérité importante. Ça ressemble à ça, la vérité littéraire. Et bien sûr qu’en droit, ça n’a pas de bien grande valeur. C’est une vérité presque religieuse, surtout pas scientifique. La vérité littéraire est liée à la croyance.
PV, p. 47
La croyance dont parle Chamberland[18], dans le cas qui nous occupe, c’est aussi celle de la valeur accordée au mot, de la confiance qu’on confère au langage, sa valeur transactionnelle. C’est d’ailleurs le crédit accordé au langage qui confère aux écrits leur pouvoir diffamatoire. Il est donc notable que la réponse de Lefebvre-Faucher à une censure commerciale et juridique, que sa réflexion critique pour la liberté d’expression et la multiplication des voix entendues prennent la forme d’un plaidoyer pour la fiction, alors que les allégations qui pèsent sur Écosociété concernent précisément le caractère supposément mensonger des affirmations contenues dans Noir Canada. La distinction entre fait et fiction qu’opère Lefebvre-Faucher a quelque chose de surprenant : le monde du livre, nous dit-elle, est soumis à des pressions extérieures importantes qui entament la liberté d’expression. Ce sont les faits (ceux mis en circulation par les auteur·es de Noir Canada) qui font l’objet d’une négation, on leur impose une autre fiction, celle que le colonialisme n’existe plus, que des exactions n’en sont pas, que la corruption n’est qu’alléguée, que ce qui est arrivé n’est pas arrivé. L’économie capitaliste apparaît, une fois passée par le prisme de l’appareil juridique, comme une fiction délirante, notamment parce que le droit n’a plus aucune distance avec l’économie ; ou du moins, cette disqualification du réel, de la réalité de l’exploitation capitaliste, serait un symptôme de l’abolition de cette distance. Devant la loi du plus fort, le petit éditeur – les petites éditrices en l’occurrence (ou le personnel) –, les petits auteurs, ne peuvent pas se défendre par la vérité toute nue, ils doivent la rétablir par le biais de la fiction, par la réflexion oblique.
La littérature, dans l’argumentaire de Lefebvre-Faucher, utilise la fiction pour dénoncer une autre fiction, celle de la rhétorique des puissants qui nie son caractère mensonger, ses propres détournements de la réalité. Exposer le langage et la fiction dans leur forme nue, la brandir comme un idéal de transparence, c’est ce que font les auteures – pas exactement en ayant en tête qu’elles pourraient témoigner dans la littérature de manière totalement claire, mais plutôt que leurs témoignages ne gommeraient pas les aspérités, contrairement à l’économie et au juridique qui revêtent les habits d’une fausse transparence. La fiction n’est donc pas chez Lefebvre-Faucher du côté du mensonge, elle est un dire-vrai, qui constitue le caractère irrémédiable de la liberté d’expression. Lefebvre-Faucher comme Voisard, ces deux éditrices disent explicitement les contraintes réelles de la liberté d’expression, les paramètres de l’existence matérielle des livres, de ce qu’engage juridiquement et économiquement la responsabilité matérielle des idées et des formes esthétiques. Rien ne met autant en jeu les économies et les valeurs symboliques que l’on accorde à la littérature que quand elle est confrontée réellement à des forces hétéronomes (économiques, judiciaires) qui ont des conceptions radicalement différentes du langage, de la fiction, de la diffusion des idées.
Anne-Marie Voisard : forcer à dire, forcer à faire
Anne-Marie Voisard propose un ouvrage légèrement différent de celui de sa consoeur en cela qu’il ne juxtapose pas autant de formes hétérogènes, et épouse les traits plus classiques de l’essai littéraire. Mais les deux essais tentent semblablement de se réapproprier des formes juridiques dans un espace hors-la-loi : la note, la plaidoirie, la pièce à conviction sont détournées par Lefebvre-Faucher ; la procédure, la mise en demeure, l’entente hors cour sont objectivées par Voisard. La fiction n’est pas l’objet d’analyse de Voisard comme chez Lefebvre-Faucher, mais la réflexion sur le langage y est toutefois centrale. Contre la fiction juridique et économique, il faut savoir reconstruire le récit en le resémantisant.
Enfin, les fragments de récit qui parsèment cet ouvrage visent à tenir le registre des exactions du pouvoir. Leur donner, par la narration, une force affectante dont les dénonciations abstraites sont dépourvues. Laisser entrevoir, dans la singularité de l’expérience vécue, l’excédent et le surplus que la théorisation avait laissé échapper. Montrer de la violence là où on ne la voit plus, là où on la prend pour nécessaire ou pour inévitable. La donner à voir, à sentir. Rappeler que le pouvoir, dans toute son épaisseur historique, ses ramifications sociologiques et son échafaudage idéologique complexe, s’il est susceptible de sourdre en tous lieux et en toutes occasions, prend corps dans l’intimité même du rapport de force, dans la méticulosité impitoyable des procédures, sous la forme des rires sardoniques d’un avocat ou encore celle d’un chou à la crème qu’il fait éclater entre ses dents entre deux questions cinglantes d’interrogatoire.
DPF, p. 22
Dans Le droit du plus fort, ce sont à proprement parler les moyens des puissants qui sont démontés : leur langue vide, cette langue adverse dont parle Victor Klemperer[19]. Dans les rondes de négociations qui mènent à la rédaction de l’entente hors cour, la parole des avocats des puissants est vue comme raisonnable, alors qu’elle détourne le sens des mots et contourne la réalité. À la censure économique qui empêche la circulation du livre, à la censure juridique qui menace à coup de millions, se superpose une censure stylistique, qui nie le principe de réalité et de clarté du langage. Ainsi, si l’on croise Suzanne Jacob (PV, p. 87) et Françoise Collin (PV, p. 91) chez Lefebvre-Faucher, c’est sans surprise qu’Hannah Arendt (DPF, p. 124) fait son apparition chez Voisard. Il y a en effet quelque chose d’arendtien dans Le droit du plus fort : la réflexion sur le droit procède par une déconstruction de son langage, et par la profonde négation de la justice que constitue l’usurpation du récit juste et de la parole équitable.
Si la notion de fiction est centrale chez Lefebvre-Faucher et que la forme du procès-verbal y est subvertie, c’est la notion de procédure que Voisard explore plus en détail. La procédure est certes une notion de droit, mais elle renvoie également à une conjonction singulière entre temps et langage, et Voisard remarque une « colonisation du temps » par la procédure (DPF, p. 62). Le temps de l’essai est celui qui permet à Voisard de décoloniser le langage de la procédure, et de remplacer le droit par le temps improductif – non procédurier – de la pensée, de la nuance, de la réflexion.
Voisard élabore par ailleurs une critique sociologique du droit (« une exploration des mécaniques du droit » ; DPF, p. 113), sensible à la distribution de capitaux qu’il induit. Il semble qu’il s’agisse également d’une autre manière de se saisir de l’économie de la littérature mise en place dans ces textes, dans la mesure où le droit agit comme une organisation des lignes de partages entre capitaux culturels, économiques et symboliques. Cela renvoie à la question éminemment sociologique que celle des conflits de normes, qui est une question de droit, mais également de théorie littéraire, dans la mesure où le langage rend visibles les conflits de codes, comme le rappelle André Belleau[20]. Lire l’économie pourrait également revenir à relever, par l’interprétation, les conflits de codes qui émergent de l’espace social en raison de disparités économiques, et qui ici se retrouve pris en charge par le droit. L’affaire Noir Canada met donc en évidence l’importance pour l’édition d’être le relais de textes qui sont déviations de la norme, ce qui l’expose à la censure judiciaire : « L’édition est un champ qui se révèle particulièrement vulnérable aux dérives normalisatrices du pouvoir judiciaire » (DPF, p. 183).
Voisard explore l’idée que les poursuites judiciaires sont une manifestation contemporaine de censure étatique :
Dans nos démocraties libérales, la disparition de la censure préventive a permis aux gouvernements de se dédouaner en grande partie de la violence effective que constitue le fait de confiner au silence. Cette fonction disciplinaire a largement été confiée aux tribunaux, lesquels se sont vus chargés, sur la base notamment du principe de responsabilité civile, de sanctionner les « abus de droit » en matière de liberté d’expression.
DPF, p. 134
Toutefois, cette assignation de la littérature à l’hors norme, que l’on observe également chez Lefebvre-Faucher, n’est pas sans tache aveugle, et peut conduire à une définition essentialiste :
La littérature est, certes, de nature séditieuse. Elle exalte l’imagination et le désir, fait foisonner le champ de l’expérience humaine et courir les risques de la liberté. Art du mentir-vrai, elle révèle bien souvent des vérités que les autres discours négligent ou à tout le moins esquisse-t-elle des voies qu’il nous revient ensuite d’emprunter. Elle porte en elle le désir de connaissance du monde tel qu’il va et le pouvoir de conjurer toutes les indifférences. Si elle dévoile souvent au Pouvoir l’ampleur de son indignité, si elle le conteste témérairement en certaines occasions, tout au moins résiste-t-elle toujours en soubassement à sa bêtise, « de façon subtile et entêtée ».
DPF, p. 217
Cette définition de la littérature peut au premier abord sembler légèrement convenue, car elle réactive deux filiations dans l’histoire des rapports entre littérature et politique en France. D’un côté, Voisard semble renvoyer à la notion d’engagement littéraire[21], et à toute une filiation qui, de Zola à Sartre, met la littérature au service de la connaissance et du dévoilement de la vérité ; c’est la posture de l’intellectuel à l’engagement sublime[22] dont la parole est aussi vraie que désintéressée, vraie parce que désintéressée devrait-on préciser. L’autre filiation (de Sade à Bataille, pour dire vite) s’attache à l’idée d’une littérature essentiellement scandaleuse où les écrivains sont inassimilables dans l’espace public pour des raisons esthétiques et morales. Il existe dans cette seconde tradition l’idée forte d’une vérité de la forme, au sens où l’effraction à l’ordre public ne consiste pas à intervenir directement dans l’espace public, mais plutôt à y imposer des formes littéraires non identifiables. Il est à noter que cette tradition n’existe pas fortement dans l’histoire littéraire au Québec. L’histoire de la censure au Québec[23] s’est souvent manifestée en regard des formes populaires, vues par le clergé comme des éléments perturbateurs de l’unité nationale par l’importation des valeurs américaines.
La définition proposée par Voisard est donc originale à condition de la cadrer dans les débats contemporains portant sur les paramètres économiques qui contraignent la liberté d’expression et sur la perversion du langage par les univers économique et juridique. C’est par l’actualisation d’un lexique de l’engagement littéraire qu’elle se distingue. Autrement dit, l’argumentaire de Voisard ne consiste pas à affirmer que la littérature est essentiellement politique parce que vraie, ni essentiellement scandaleuse parce qu’inassimilable par le discours social ; mais bien parce que les textes qui sont instruits en justice rendent visibles plus spécifiquement les zones où persiste la censure. C’est ce que Voisard désigne comme les « effets dissuasifs sur le débat public de poursuites » (DPF, p. 142). La définition prescriptive de la littérature proposée par Voisard a comme vertu de révéler les paramètres légaux dans lesquels se développe cette sédition : « S’ouvre alors un champ d’affrontements pour la qualification des conduites “raisonnables” en matière d’écriture et d’édition, de pratiques de recherche, de prises de parole publiques, de critique sociale. Une lutte à armes inégales dont l’issue est de savoir quelle partie imposera aux autres ses propres normes » (DPF, p. 183).
« Le pouvoir des mots a pour corollaire la lutte pour leur appropriation, leur assignation et leur confiscation politique » (DPF, p. 221), écrit Voisard. Cette affirmation aux relents foucaldiens (elle parle également de « langue adverse » pour désigner le discours des avocats, et précise aussi que le processus juridique « fai[t] dire et empêch[e] de dire ») montre bien de quoi il s’agit ici : la littérature dit, mais le droit force à dire (il est fixation des normes, mais aussi injonction de parole pour pouvoir mieux la brimer, en quelque sorte). L’essai de Voisard vise à montrer comment le droit vient baliser ce qui est publiable, dans la foulée de ce que Jacques Rancière dans Le partage du sensible[24] identifie comme la capacité de l’art à déplacer les frontières du dicible et du pensable établies par la police. L’étude historique des textes littéraires et, en l’occurrence, l’étude en creux de ceux qui sont interdits, permettent de voir ce qui est pensable et dicible à un moment donné. Et les petits éditeurs indépendants, en raison de leur mode d’organisation et de leurs capitaux limités, ont à la fois comme responsabilité de beaucoup dire, de faire preuve d’une « délirante entorse à la raison instrumentale [qui] peut conduire auteur·es et éditrices à tenir tête à des multinationales pour défendre des principes de justice qu’ils jugent bafoués » (DPF, p. 185).
Conclusion : l’éditrice comme médiation
Suivre la figure de l’éditrice recèle des vertus méthodologiques lorsque vient le temps d’identifier un imaginaire économique du livre. L’éditrice apparaît comme jouant un rôle primordial de médiation entre l’espace social et le monde des idées, et donc, en l’occurrence ici, entre l’économie, le droit et la diffusion des textes. Si certains discours d’éditeur·trices portent leur attention sur un aspect ou l’autre du métier, ici, Voisard et Lefebvre-Faucher mettent en scène non seulement un discours réflexif, mais métaréflexif en cela qu’il place la littérature comme objet du droit, et comme réponse au droit. La littérature n’est toutefois pas compensation ; elle interroge semblablement le langage et les asymétries de pouvoir qui en découlent (la procédure, la mise en accusation, etc.). Le droit est dans ces livres représenté, mais pas par le biais de la fictionnalisation. Il est objectivé par un langage qui cherche à explorer des possibles que le droit cherche à rendre impossible. La littérature subvertit aussi, à son tour, les fictions du droit. Il est intéressant de voir que, dans cette histoire, ce sont deux éditrices qui prennent la parole ; cela nous permet de mettre en évidence le caractère genré de la mythologie du discours de l’éditeur, mais aussi d’envisager ce que cela implique comme révélateur du travail invisible des petites mains de l’édition, et ce que signifie véritablement la liberté d’expression lorsqu’elle est mesurée à l’aune de l’économie et du droit, c’est-à-dire une asymétrie de parole qui est avant tout une asymétrie de moyens matériels.
Les récits examinés ici ont la particularité d’appartenir au corpus des discours d’éditeur·trices[25]. Les discours d’éditeur·trices rendent visibles les rouages du métier, les forces hétéronomes qui le traversent et les actions entreprises par l’éditeur·trice pour changer sa profession, pour influencer le champ, voire l’ensemble de la société. Ces discours sont également un lieu de défense de la grandeur des idées et de la littérature dans l’espace social, un élément central dans l’élaboration des politiques de la littérature[26]. En bref, ils sont le lieu de négociations en ce qui a trait tout à la fois à des économies réelles (les tirages, les contrats) et les économies symboliques, les réseaux et médiations qui confèrent aux textes leur valeur d’échange. S’appuyer sur des discours d’éditeur·trices afin de nous interroger sur les rapports entre économie et littérature a ceci d’intéressant que ce sont des textes qui possèdent un double statut : leur caractère métadiscursif nous donne accès à « la fabrique » de la littérature, et produit au demeurant un discours inédit qui peut à son tour être objectivé et devenir littérature. C’est en cela qu’il est en plein coeur de l’économie des lettres : il montre les rouages de l’économie réelle tout en participant à l’élaboration d’un « imaginaire » littéraire fait de transactions qui remettent en cause la valeur des livres dans l’espace social. Il s’agit de faire se croiser une méthode de lecture rapprochée des textes afin d’identifier les représentations de l’économie dans le texte, la sociologie de l’édition, l’entremêlement contemporain du droit et de l’économie et les rapports de ce « droit-économie » avec la littérature.
Ainsi, dans le vaste corpus des discours d’éditeur·trices, il nous semble que ceux-ci ont une valeur particulière, parce qu’ils posent à nouveaux frais une distinction entre art et économie qui s’écarte de sa conceptualisation par Pierre Bourdieu[27] qui considère que l’idéologie est le reflet inversé de l’économie, qu’elle y est asservie ou inféodée à divers degrés. Entre culture et économie, il y a ici une autre médiation, qui est celle du juridique. C’est une médiation primordiale, parce que quiconque s’intéresse minimalement à l’histoire du livre va croiser le juridique : les écrivain·nes sont incessamment instruits en procès[28], ainsi que les éditeur·trices. Mais en plus, la circulation de l’imprimé, on le sait, est soumise à un ensemble de règlements, de lois. Il y a sous le corpus littéraire toute une littérature grise qui l’encadre, qui la réglemente. Les discours d’éditeur·trices sont primordiaux lorsque vient le temps d’observer ces jeux de négociation pour l’indépendance de la pensée et de la littérature par rapport à l’économie. Pour reprendre au vol l’idée de la camera obscura de l’idéologie[29], le discours d’éditeur·trices dit l’influence des conditions matérielles de production sur les oeuvres d’imagination ou de réflexion et montre comment celles-ci sont productrices d’un imaginaire se développant à la fois contre et depuis l’économie. Cela ouvre la porte, de manière assez inédite, nous semble-t-il, à une réflexion très fertile sur la liberté d’expression, sur le partage équitable des voix et des moyens de production pour faire exister ces voix. Ces combats pour la liberté d’expression ne sont pas en soi neufs, et les essais de Voisard et Lefebvre-Faucher font montre d’une connaissance de l’histoire de ces combats : elles performent leur rhétorique, mais en l’actualisant et en montrant ce que le rabattement de l’économie sur le droit peut éventuellement faire à des notions aussi précieuses que le langage et la fiction, des notions d’autant plus précieuses qu’elles constituent des armes contre la censure.
Considéré sous cet angle, le droit est comme un cheval de Troie qui fait entrer l’économie (au sens de : la rationalité économique, plus particulièrement la rationalité économique néolibérale, les asymétries de pouvoir qu’elle ordonne et sanctionne) dans les textes. Parce que le droit jouit d’un pouvoir institué (évidemment), parce qu’il est enforceable. Mais aussi, plus immédiatement, parce qu’il opère lui aussi essentiellement à travers la fictionnalisation et la mise en récit du réel ; parce qu’il est, à bien des égards, lui aussi littérature. Les textes de Valérie Lefebvre-Faucher et d’Anne-Marie Voisard rendent visibles les rapports de similitude entre le droit et la littérature, et aussi la profonde intrication de l’économie au secteur de l’édition comme au droit. Mais ils ne révèlent pas une sorte de parallélisme abstrait : ils montrent de manière nette le rétrécissement de l’espace de parole sous l’effet de la puissance destructrice d’une raison économique à laquelle le droit semble asservi. Les livres sont des victimes collatérales de cette dévastation.
Appendices
Notes biographiques
Aurélie Lanctôt
Aurélie Lanctôt est doctorante en droit à l’Université McGill. Ses recherches portent sur les interactions et recoupements entre le droit et la littérature, plus particulièrement dans le contexte du droit criminel. Elle a également codirigé la revue Liberté de 2018 à 2022.
Julien Lefort-Favreau
Julien Lefort-Favreau est professeur agrégé au Département d’études françaises de l’Université Queen’s (Kingston, Canada). Ses principales publications sont : Henri Deluy, ici et ailleurs (avec Saskia Deluy), Le Temps des cerises, 2017 ; Politique de l’autobiographie. Engagements et subjectivités (avec Jean-François Hamel et Barbara Havercroft), Nota Bene, 2017 ; Pierre Guyotat politique, Lux éditeur, 2018 ; Le luxe de l’indépendance. Réflexions sur le monde du livre, Lux éditeur, 2021.
Notes
-
[1]
Sur l’histoire de la lutte pour l’autonomie de la littérature en France, notamment au regard de l’appareil judiciaire, voir : Gisèle Sapiro, La responsabilité de l’écrivain. Littérature, droit et morale en France (xixe-xxiesiècle), Paris, Seuil, 2011.
-
[2]
Little Sister’s Book and Art Emporium est une librairie LGBT de Vancouver. Les douanes canadiennes ont retenu plusieurs ouvrages que la librairie importait des États-Unis sous prétexte qu’ils seraient pornographiques. Little Sisters a porté plainte après du gouvernement du Canada en 1990. Après de multiples tribulations, l’affaire s’est rendue à la Cour Suprême en 2000, et le gouvernement a été reconnu coupable d’avoir violé la Charte canadienne des droits et libertés.
-
[3]
Anne-Marie Voisard, Le droit du plus fort, Montréal, Écosociété, 2018. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle DPF, suivi de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte.
-
[4]
Valérie Lefebvre-Faucher, Procès verbal, Montréal, Écosociété, 2019. Désormais, les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle PV, suivi de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte.
-
[5]
Barrick Gold est une compagnie minière canadienne. Elle exploite des sites en Amérique du Nord, du Sud, en Asie, en Australie et en Afrique.
-
[6]
Alain Deneault, Delphine Abadie et William Sacher, Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique, Montréal, Écosociété, 2008.
-
[7]
Pierre Noreau, « Savoir et se taire », Le Devoir, 21 août 2008, p. a-7.
-
[8]
Voir Patricia Ewick et Susan Silbey, The Common Place of Law. Stories from Everyday Life, Chicago, University of Chicago Press, 1999, p. 20-21 et 33-34.
-
[9]
Richard A. Posner, Economic Analysis of Law [3e éd.], Boston, Little Brown and Company, 1986, p. 229.
-
[10]
Richard A. Posner, Economic Analysis of Law, ouvr. cité, p. 230.
-
[11]
Samuel Ferey, Une histoire de l’analyse économique du droit. Calcul rationnel et interprétation du droit, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 117. Désormais les références à cet ouvrage seront indiquées par le sigle HAE, suivi de la page, et placées entre parenthèses dans le corps du texte.
-
[12]
Pour reprendre l’expression de François Ost (« Prolégomènes à une théorie narrative du droit », dans Jacqueline Guittard, Émeric Nicolas, Cyril Sintez [dir.], Narrations de la norme, Paris, Mare et Martin, 2022, p. 322).
-
[13]
Benoît Frydman, « Les nouveaux rapports entre droit et économie : trois hypothèses concurrentes », dans Thierry Kirat et Evelyne Serverin (dir.), Le droit dans l’action économique, Paris, CNRS éditions, 2000, p. 27.
-
[14]
Benoît Frydman, « Les nouveaux rapports entre droit et économie », art. cité, p. 28.
-
[15]
Benoît Frydman, « Les nouveaux rapports entre droit et économie », art. cité, p. 27.
-
[16]
C’est ce qu’on a appelé la « synthèse posnérienne ». Voir HAE, p. 170-180.
-
[17]
Richard A. Posner, Law and Literature: A Misunderstood Relation, Cambridge, Harvard University Press, 1988.
-
[18]
Paul Chamberland, Une politique de la douleur, Montréal, VLB, 2004.
-
[19]
Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, coll. « Agora », 1996.
-
[20]
André Belleau, « Le conflit des codes dans l’institution littéraire québécoise », Liberté, no 134, 1981, p. 15-20.
-
[21]
Benoît Denis, Littérature et engagement. De Pascal à Sartre, Paris, Points, coll. « Points Essais », 2000.
-
[22]
Susan Suleiman, « L’engagement sublime : Zola comme archétype d’un mythe culturel », Les Cahiers naturalistes, no 67 (Émile Zola. Bilan et perspectives, dir. Alain Pagès), 1993, p. 11-24.
-
[23]
Voir Pierre Hébert, Yves Lever et Kenneth Landry (dir.), Dictionnaire de la censure au Québec : littérature et cinéma, Montréal, Fides, 2006.
-
[24]
Jacques Rancière, Le partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La fabrique éditions, coll. « Hors collection », 2000.
-
[25]
Il s’agit « de situer l’éditeur dans le champ littéraire – pour saisir les conditions d’exercice de son métier et son rôle spécifique de médiateur essentiel dans la chaîne du livre, partant de ses prises de position publiques – mais aussi dans la société : par les choix commerciaux qu’il opère, par les causes qu’il embrasse ou récuse, par les textes qu’il accepte ou refuse, l’éditeur infléchit la circulation des idées et cette action peut être renforcée par les propos qu’il tient sur les événements historiques, sur les luttes de pouvoir entre groupes sociaux, de sexe ou d’ethnie » (Anthony Glinoer et Julien Lefort-Favreau, « Les discours de l’éditeur », Mémoires du livre/Studies in Book Culture, vol. 10, no 2, printemps 2019, p. 4).
-
[26]
Voir Jean-François Hamel, « Qu’est-ce qu’une politique de la littérature ? Éléments pour une histoire culturelle des théories de l’engagement », Cahiers Figura, no 35 (Politiques de la littérature. Une traversée du xxe siècle français, dir. Jean-François Hamel, Élyse Guay et Laurence Côté-Fournier), 2014, p. 9-30.
-
[27]
Pierre Bourdieu, Les règles de l’art, Paris, Seuil, 1992.
-
[28]
Plus récemment, et plus proche de nous, le romancier Yvan Godbout fut accusé en 2019, puis acquitté en 2020, de production et de distribution de pornographie juvénile en raison d’un passage de son roman d’horreur et de science-fiction Hansel et Gretel (2017).
-
[29]
« La conscience ne peut jamais être autre chose que l’Être conscient et l’Être des hommes est leur processus de vie réel. Et si, dans toute idéologie, les hommes et leurs rapports nous apparaissent placés la tête en bas comme dans une camera obscura [chambre noire], ce phénomène découle de leur processus de vie historique, absolument comme le renversement des objets sur la rétine découle de son processus de vie directement physique » (Karl Marx et Friedrich Engels, L’idéologie allemande [1932], trad. de Henri Auger, Gilbert Badia, Jean Baudrillard et Renée Cartelle, Paris, Éditions Sociales, 1968, p. 50-51).
Bibliographie
- BELLEAU, André, « Le conflit des codes dans l’institution littéraire québécoise », Liberté, n° 134, 1981, p. 15-20.
- BOURDIEU, Pierre, Les règles de l’art, Paris, Seuil, 1992.
- CHAMBERLAND, Paul, Une politique de la douleur, Montréal, VLB, 2004.
- DENEAULT, Alain, Delphine ABADIE et William SACHER, Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique, Montréal, Écosociété, 2008.
- DENIS, Benoît, Littérature et engagement. De Pascal à Sartre, Paris, Points, coll. « Points Essais », 2000.
- EWICK, Patricia, et Susan SILBEY, The Common Place of Law. Stories from Everyday Life, Chicago, University of Chicago Press, 1999.
- FEREY, Samuel, Une histoire de l’analyse économique du droit. Calcul rationnel et interprétation du droit, Bruxelles, Bruylant, 2008.
- FRYDMAN, Benoît, « Les nouveaux rapports entre droit et économie : trois hypothèses concurrentes », dans Thierry Kirat et Evelyne Serverin (dir.), Le droit dans l’action économique, Paris, CNRS éditions, 2000, p. 25-41.
- GLIONER, Anthony et Julien LEFORT-FAVREAU (dir.), « Les discours de l’éditeur », Mémoires du livre/Studies in Book Culture, vol. 10, no 2, printemps 2019.
- GUITTARD, Jacqueline, Émeric NICOLAS et Cyril SINTEZ (dir.), Narrations de la norme, Paris, Mare et Martin, 2022.
- HAMEL, Jean-François, « Qu’est-ce qu’une politique de la littérature ? Éléments pour une histoire culturelle des théories de l’engagement », Cahiers Figura, no 35 (Politiques de la littérature. Une traversée du xxe siècle français, dir. Jean-François Hamel, Élyse Guay et Laurence Côté-Fournier), 2014, p. 9-30.
- HÉBERT, Pierre, Yves LEVER et Kenneth LANDRY (dir.), Dictionnaire de la censure au Québec : littérature et cinéma, Montréal, Fides, 2006.
- KLEMPERER, Victor, LTI, la langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, coll. « Agora », 1996.
- LEFEBVRE-FAUCHER, Valérie, Procès verbal, Montréal, Écosociété, 2019.
- MARX, Karl et Friedrich ENGELS, L’idéologie allemande [1932], trad. de Henri Auger, Gilbert Badia, Jean Baudrillard et Renée Cartelle, Paris, Éditions Sociales, 1968.
- NOREAU, Pierre, « Savoir et se taire », Le Devoir, 21 août 2008, p. a-7.
- POSNER, Richard A., Law and Literature: A Misunderstood Relation, Cambridge, Harvard University Press, 1988.
- POSNER, Richard A., Economic Analysis of Law [3e éd.], Boston, Little Brown and Company, 1986.
- RANCIÈRE, Jacques, Le partage du sensible. Esthétique et politique, Paris, La fabrique éditions, coll. « Hors collection », 2000.
- SAPIRO, Gisèle, La responsabilité de l’écrivain. Littérature, droit et morale en France (xixe-xxie siècle), Paris, Seuil, 2011.
- SULEIMAN, Susan, « L’engagement sublime : Zola comme archétype d’un mythe culturel », Les Cahiers naturalistes, no 67 (Émile Zola. Bilan et perspectives, dir. Alain Pagès), 1993, p. 11-24.
- VOISARD, Anne-Marie, Le droit du plus fort, Montréal, Écosociété, 2018.