Abstracts
Résumé
Cet article étudie deux essais publiés à l’occasion du dixième anniversaire de l’affaire Noir Canada. Il s’agit d’identifier dans Le droit du plus fort d’Anne-Marie Voisard et Procès verbal de Valérie Lefebvre-Faucher les effets de l’intrication du droit et de l’économie sur le monde du livre et sur la liberté d’expression. Nous explorerons l’hypothèse qu’en analysant ces deux essais, qui examinent la poursuite bâillon qui a censuré la maison d’édition Écosociété, nous pouvons voir à l’oeuvre une modalité spécifique de l’économie, soit sa manifestation dans l’appareil juridique. Le jeu des intérêts, des transactions et des négociations mis au jour dans ces deux essais trace un imaginaire économique du droit qui est aussi une réflexion sur le pouvoir et ses méthodes de répression. Cet article se propose de rendre compte de l’émergence de l’analyse économique du droit et de la subordination de l’ordre juridique à la sphère économique. Nous soumettons l’hypothèse que le « droit-économie » – c’est-à-dire le droit en ce qu’il se fait la voix et la force de mise en oeuvre des principes économiques – se définit précisément contre la littérature. Nous cherchons également à comprendre ce que le droit-économie fait aux notions de fiction et de langage. Nous tentons finalement de comprendre comment la figuration du métier d’éditrice dans ces livres constitue à la fois une répétition et une actualisation d’une longue histoire de procès littéraires et de censure.
Abstract
This article studies two essays published on the occasion of the tenth anniversary of the Noir Canada affair. Through a discussion of Le droit du plus fort by Anne-Marie Voisared and Procès verbal by Valérie Lefebre-Faucher, it aims to highlight the effects of the law-economics relationship on the book industry and freedom of expression. An analysis of these two essays examining the SLAPP lawsuit to censure the publishing house Écosociété points to a specific feature of the economy, that is, its manifestation in the legal system. The game of interests, transactions and negotiations highlighted in these essays traces an economic imagination of the law which is, simultaneously, a reflection on power and its methods of repression. This article proposes to report on the emergence of the economic analysis of law and the subordination of the legal system to the economic sphere. We argue that “law-economics”—that is, the law as the voice of, and the power to implement, economic principles—is defined precisely against literature. We also seek to understand how law-economics impacts notions of fiction and language. Finally, we attempt to understand how the characterization of the profession of editor in these books is at once a repetition and an updating of a long history of literary and censorship trials.
Appendices
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