Abstracts
Résumé
Cet article prend en analyse Les cendres bleues (1990), poème-recueil de Jean-Paul Daoust, écrivain québécois. Il aborde quelques aspects proprement narratifs (la diégèse, les variantes d’une même scène) et autobiographiques (l’écart entre l’anecdote et la fiction, entre la rédaction d’un témoignage et l’écriture d’un texte) de ce récit coulé dans la forme extérieure d’un poème d’une seule strophe de 1 827 vers sans ponctuation, non sans en considérer l’incipit et la clausule ainsi que l’hypertexte et quelques-uns des intertextes.
Abstract
The purpose of this article is to analyze Les cendres bleues, a narrative poem composed of a single 1,827-line stanza without punctuation published in 1990 by Québec writer Jean-Paul Daoust. The article deals with certain aspects of the work that are clearly narrative (diegesis, variants on a same scene) and autobiographical (the gap between anecdote and fiction, writing a first-person account and writing a text). It also takes into consideration the poem’s incipit and clausula as well as the hypertext and a few of the intertexts.
Article body
Chaque poète a son enfance comme matériau d’écriture, moi, j’ai aussi l’homosexualité, qui en rajoute.
Jean-Paul Daoust à Jean Royer « Exagérer le réel », 1991
Nous irons à Valleyfield
Sur un fil
Charles Trenet Voyage au Canada, 1950
Un très long poème
Il s’agit de prendre en analyse un long, un très long poème. Dans la littérature québécoise contemporaine, il y en a quelques-uns : L’afficheur hurle, de Paul Chamberland, L’imagination laïque, de Roger Des Roches, S’inscrit sous le ciel gris en graphiques de feu, de Claude Beausoleil, et Les cendres bleues, de Jean-Paul Daoust, pour donner ces quatre exemples [1]. Le premier est un « poème » (dit le paratexte original), un « poème-éditorial » (dit l’avertissement ajouté) ; le deuxième, de 1 475 vers, est un « poème » (dit le paratexte original) en six parties appelées « premier souffle », « deuxième souffle », etc. ; le troisième, de 3 132 vers, est sans indication générique ; le quatrième, également sans indication générique, est dit « poème-policier » avec trait d’union (dans un entretien avec Jean Royer) [2]. Qu’il soit divisé en parties (Chamberland, Des Roches) ou non (Beausoleil, Daoust), ce poème, quantitativement très long, reste, dit le paratexte, un poème.
Je ne prendrai ici en analyse que Les cendres bleues, recueil fait d’un poème d’une seule strophe de 1 827 vers sans ponctuation [3]. Un poème-recueil, exactement. Nettement plus modeste — comme les trois autres, d’ailleurs — que le grand modèle [4], mais plutôt radical dans son projet : comment raconter, en quelque vingt-cinq versions, la mort de l’amant (qui a vingt ans) d’un enfant (de six ans et demi), cet enfant — on comprend assez vite que ce projet a un fondement autobiographique — étant devenu l’auteur : « Mais il faut que je m’arrête / Celui que j’aime me lit maintenant / […] / Maintenant que j’ai deux fois ton âge / […] / Ou maintenant les alcools trop purs » (v. 1227-1228, 1242 et 1245), « Oui j’aurai bu l’eau bleue de tes yeux / Plus forte que ces alcools purs / Trop dangereux » (v. 1560-1562).
J’aborderai quelques aspects proprement narratifs (la diégèse, les variantes d’une même scène) et autobiographiques (l’écart entre l’anecdote et la fiction, entre la rédaction d’un témoignage et l’écriture d’un texte) de ce récit coulé dans la forme extérieure d’un poème, non sans en considérer l’incipit et la clausule ainsi que l’hypertexte et quelques-uns des intertextes.
Poésie et autobiographie
C’est en 1986 que l’auteur, Jean-Paul Daoust, né en 1946, a deux fois vingt ans, et c’est en 1986, effectivement, qu’il commence à écrire ce poème.
Toute autobiographie, aussi partielle soit-elle, comportant sa part d’imprévu, de risque et de fiction, il n’est pas inutile, afin de mieux connaître le contexte présidant à l’élaboration de ce poème unique, d’une part, de mesurer l’écart entre les faits et la fiction, d’autre part, de considérer comme établis les quelques points suivants [5].
Premier point. L’auteur a d’abord fait un roman (sans titre de travail) dont, pendant trois ou quatre mois, il a écrit 200 pages : « je voulais embellir l’enfance, et ça ne marchait pas » ; ce roman parlait de l’enfance à Valleyfield (l’école, les amis, les régates, etc.). Il écrit ce roman en 1985, tout en écrivant ou publiant Dimanche après-midi, La peau du coeur et son opéra, Du dandysme et, particulièrement, Les garçons magiques, « confidence publique » (versus Les cendres bleues, « confidence intime ») [6].
Deuxième point. Un jour, « le voile s’est déchiré » et le roman, il l’a « câlissé dans les poubelles » ; nul manuscrit ou tapuscrit n’a été conservé. Il s’est alors mis à écrire un « récit poétique, près du quotidien », un long poème maintenant publié sous le titre de Les cendres bleues (c’est au milieu du travail poétique que le titre — « j’aimais ce titre » — s’est imposé). Il faut fortement nuancer ce que rapporte Jean Royer [7] : « je n’avais pas le choix de ne pas aborder ce sujet difficile. Chaque poète est confronté à son enfance, un jour ou l’autre. J’ai commencé par en faire un roman. J’en avais écrit 200 pages quand j’ai commencé à éliminer des choses, des conversations, des descriptions. Je cherchais le condensé et c’est dans la forme du poème que je l’ai trouvé ». Ce n’est pas en transformant un texte en prose, le texte d’un roman (dans lequel tel « sujet difficile » n’était pas abordé), mais en écrivant un autre texte, un texte en vers, le texte d’un récit poétique (dans lequel tel « sujet difficile » est abordé) intitulé en cours de route Les cendres bleues, que cela s’est fait. Le passage du roman au récit poétique et de la prose au vers aura entériné le dévoilement du sujet et déclenché, autorisé la sortie de l’impasse. Jean-Paul Daoust écrit ce long poème en 1986, 1987 et 1988, tout en écrivant et publiant Suite contemporaine, livre dédié « à M. S. » [= Celui que j’aime] [8].
Troisième point. Une fois le poème terminé, en 1988, il l’a lui aussi « câlissé dans les poubelles » ; c’est M. S. qui est allé le ramasser ! L’auteur, qui habite alors Montréal, reprend le poème en 1989 — « un soir [vers la fin du travail d’écriture], il était une heure du matin quand M. est arrivé, j’étais en larmes, couché en foetus autour de l’ordinateur ; lové sur la planche de mon bureau, j’étais out, dans un état second, j’avais régressé » — et le termine vraiment [9].
Quant à l’histoire d’amour, elle se déroule sur les lieux mêmes de l’enfance de l’auteur : « ça se passait entre la rue / Tully [où habite l’enfant] et le boulevard du Havre [où habite l’amant] / À Valleyfield / Là où la baie [Saint-François] met en scène / Les plus beaux couchers de soleil au monde » (v. 317-321), de l’été 1952, juste avant d’entrer en 1re année — il a six ans et demi en juillet 1952 —, au printemps 1957, juste avant la fin de la 5e année — « ça arrête à cause de la mort de mon père : je me sentais coupable, quelque part, de cette mort [10] » — ; à partir de l’année scolaire 1958-1959, le tout jeune homme qui est maintenant en Éléments français au Collège de Valleyfield n’a plus, de toute façon, à passer du côté de l’amant [11].
Toute autobiographie se tient sur le fil (voir la seconde épigraphe) du risque, littéralement, entre le biographique et le fictionnel, entre le racontable et le non-racontable, entre le tolérable et l’intolérable (et où tolé n’est qu’une autre graphie du nom de la rue) : « Au bout de la rue Tully il y a la baie / Impassible / À droite [en prenant le sentier qui longe cette baie et en entrant dans la cour arrière des Boutin] il y avait un hangar / C’est là que j’ai appris / Ce que les yeux suffoqués de désir / Pouvaient souffrir » (v. 1017-1022). Tout autobiographe travaille d’après souvenirs, comme on dit d’après nature, fait quelques recherches, bien sûr, et invente. Ainsi, durant la difficile élaboration de ce poème, plus de trente ans après les faits, Jean-Paul Daoust, poète, n’aura jamais su l’âge exact de l’amant, aura oscillé entre il s’est tué et (peut-être qu’au plus profond de moi) je l’ai tué et fait de cette oscillation l’une des caractéristiques et l’un des ressorts du texte, et aura placé ou cru placer dans la cuisine la mort de l’amant tout en « oubliant » de le dire vraiment dans le texte…
Les cinq chapitres de la section « Lecture » du Pacte autobiographique de Philippe Lejeune [12] vont, au-delà des dates d’écriture des oeuvres étudiées, de « La punition des enfants, lecture d’un aveu de Rousseau » à « Michel Leiris, autobiographie et poésie ». De l’aveu à la poésie, exactement. Faisant masse, poème-recueil of love and death, Les cendres bleues participe plus radicalement (voir la première épigraphe) de ces extrêmes. Pourtant, Jean-Paul Daoust n’écrit pas une autobiographie au sens de récit « portant sur une vie entière ou sur l’essentiel d’une vie (ce qui exclut à la fois les souvenirs d’enfance, les récits détachés d’épisodes de la vie d’adulte, et les journaux intimes) [13]. » Il se concentre, en effet, sur tels souvenirs d’enfance, les fait tourner autour de la figure emblématique de l’« amant bleu » (v. 1344, 1396, 1473, 1700) et le récit de sa mort revient plusieurs fois, sans qu’il soit possible de dire que telle fois est la bonne. Allant donc d’un je « nettement autobiographique gagé sur le nom propre de l’auteur » à un je « lyrique traditionnel », nettement poétique [14], comme s’il tentait cette « quadrature du cercle de produire un texte qui soit à la fois un texte poétique, construit sur une série de procédés dérivés des combinaisons de langage qu’utilise la poésie […] et un texte autobiographique discursif et narratif, se développant conformément au pacte autobiographique et représentant l’effort d’un sujet pour construire son identité [15] ». Un récit qui utilise à la fois l’une des formes de la poésie moderne (le vers libre) et l’un des procédés du roman contemporain (le récit multiplié d’une mort). Un texte où, pour le dire avec ses termes, un « Poème érotique » (v. 198), qui est, en fait, l’amant, et un « Poème policier » (v. 1425), qui est, en fait, l’enfant, sont mis en présence de façon telle que le second, à l’occasion du récit constamment refait, finalement ambigu de la mort du premier, devient littéralement le livre.
La diégèse, l’incipit et les variantes de cette histoire
La petite constellation des noms du lieu, édifice et artifice, où cela se passe va comme suit :
« dans un hangar » (v. 21), « dans ce hangar sanctuaire » (v. 177), « du hangar » (v. 207, 817), « dans le hangar » (v. 538, 1183, 1412), « Dans le hangar » (v. 1523), « un hangar » (v. 1019) ;
« dans l’antre du dragon » (v. 136) ;
« dans l’appentis » (v. 304) ;
« À l’abri de toutes les sottises » (v. 366), « à l’abri / Dans « cette shed minable » » (v. 1035-1036) ; « dans cet abri » (v. 1212) ;
« Dans le château des hiers » (v. 894), « dans un château de tôle et de bois / Devant le plus beau paysage du monde / Devant des couchers de soleil organisés / Par des anges en mal d’amour » (v. 1145-1148) ;
« dans cette remise » (v. 1300) ;
« dans la serre de tes étreintes » (v. 1311) ;
« Pourquoi à six ans et demi / M’avoir précipité dans cet enfer de l’amour » (v. 1379-1380) ;
« Dans cette dépendance » (v. 1549).
Comment ne pas lire, par la rime [16] /mi/ (minable, remise), le lien avec l’âge de l’enfant (six ans et demi), et par la rime /ance/ (sanctuaire, dépendance), le lien avec la toponymie (la baie Saint-François), avec le rôle théâtral qu’elle a (« Là où la baie met en scène », v. 320), avec la charnière syntaxique que cela implique (dans cette, dans cet) ? Comment ne pas lire, paragrammatiquement, dans plusieurs de ces mots (abri, château, le hangar, du dragon, sanctuaire), le prénom et le nom de l’amant [17], dans « Un si charmant voisin disait maman » (v. 706) quelque allusion et au nom de l’amant et au titre d’un livre de Claude Mélançon (ici aussi la rime /ance/) [18], puis dans « Il avait ces regards-là / Impossibles / Des yeux de ces couchers de soleil / Quand Venise tombe épuisée de lumière » (v. 613-616) quelque rime supplémentaire (regard/ hangar) et quelque allusion au titre de chef de l’ancienne république de cette ville ? Enfin, comment ne pas entendre, dans serre, une contraction de sanctuaire, dans antre, de hangar sanctuaire, dans shed minable et château de tôle, de château admirable, dans cet enfer, de cet enfant « Marqué au fer rouge » (v. 96) dans cette serre, dans tes étreintes, de la confrontation de Thésée (l’enfant) et du Minotaure (l’amant) — « L’enfant qui n’a pas voulu mourir a tué / L’amant bleu / Tué le Minotaure / Moi qui léchais son visage / Comme la flamme / Son visage rendu méconnaissable / Par cette eau bleue » (v. 1343-1349), dans l’appentis le lieu du lape-petit — « il me lavait / Un chat » (v. 576-577), « tu me léchais à en arracher ma peau » (v. 1073) —, dans dépendance et le lieu et l’état de dépendance dans lequel sont les protagonistes de cette « histoire d’un amour / Inacceptable inoubliable / Épithètes inutiles mais indispensables » (v. 886-888) ? La cellule /an/ + (dans un, dans le, dans cet, dans cette), partout active : + /g/ (hangar, dragon), + /i/ (appentis, abri), + /r/ (enfer, serre, sanctuaire, hiers), + /ch/ (shed, château), jusqu’au redoublement : + /an/ (dépendance), referme cette histoire sur elle-même.
Dans un poème-recueil de 1 827 vers, l’incipit a toutes les chances d’être long. Il ne faut pas moins de 186 vers, en effet, pour mettre en place tous les éléments propres à la fiction : « Les mots aimeraient s’ajuster pour en finir / Une fois pour toutes » (v. 185-186) [19]. Il est impossible de bien lire le tout début (enclos entre deux infinitifs : « être » et « penser ») :
v. 1-5Être un homme blessé
D’avoir connu le sexe enfant
Six ans et demi
Puis la mort trop vite
Quand le bois brûle penser
avant de connaître la suite où il devient clair qu’il faut entendre autant « la mort quand le bois brûle » (c’est, dans la diégèse, la mort de l’amant) que « penser quand le bois brûle » (c’est, dans l’incipit, la situation d’énonciation). Il suffit, dit la mise en scène [20], d’une soirée où l’on est seul devant un feu (« Dans l’âtre le feu est un ange anonyme / Amours aux poèmes maudits », v. 25-26, « Ce soir j’ai le feu limpide », v. 42, « Le feu [à l’époque] flambe vite efficace / Le bois coupé rituel omniprésent / Les souvenirs secs [ce soir] crépitent », v. 244-246) pour qu’ait lieu le passage de cette soirée de 1986 à telles histoires (« Des histoires à ne pas raconter / […] / Maintenant que je suis seul avec mon âge / Ces souvenirs d’histoires me hantent », v. 34, 37-38) impliquant « mes amants [des années 1950] surtout un » (v. 9). C’est lorsqu’est mis en place « le sexe enfant », participant bientôt avec son e et son a et de l’être et de l’âtre, que peuvent être lus des vers comme « Baptisé du péché de la chair avant l’âge / De raison / J’ai été un enfant violé / Dans le plus beau des paysages » (v. 10-13) et « j’aimais voir ce sexe content / De ma présence / Même si l’idée de l’amour m’était inconnue » (v. 17-19).
Pour le dire et pour ne plus avoir à le dire, le texte ayant si facilement pu n’être qu’un cas de rature, de censure, de régression — je reprends le mot [21] —, le mot violé ne sera utilisé que deux fois au tout début (v. 12, 21) [22]. Tant du côté de l’écriture que de la lecture, la psychanalyste et le poète se recoupent :
C’est une naïveté de croire qu’il peut y avoir une transparence psychique. La sexualité ne peut se dire que figurée ou défigurée, dans du style ou du mensonge. […]
L’acte de l’écriture est l’acte sexuel par excellence. C’est plus compromettant et plus intense que ce que l’écrivain a pu vivre. Ce n’est pas ce qu’il a vécu exactement qui nous intéresse, mais le moment où le vécu passe dans l’écrit. Ce qu’il a vraiment vécu, c’est ce qu’il en dit. […] La vérité se trouve dans l’oeuvre.
[…] La vérité de l’être humain, c’est de ne pas pouvoir dire la vérité sur le sexe, mais d’essayer toujours [23].
Je me dis qu’il faut faire face au réel que j’ai vécu. C’est mon côté barbare. Je suis un Goth, un Wisigoth, un Hun quand j’arrive avec un texte comme Les cendres bleues qui balaie tout, qui installe une affaire épouvantable [24].
Je suis conscient de la provocation. Évidemment, l’anecdote est scabreuse. En même temps, je me dis que c’est ce que j’ai vécu. C’est une histoire d’amour dont les personnages ont été changés. C’est Roméo et Juliette dans une autre version [25] ! J’ai amené ma version autobiographique mais elle rejoint tout le monde parce que tout le monde a aimé ou a envie d’aimer. Il y a un dénominateur commun et l’anecdote est secondaire [26].
Cet hypertexte, récit poétique, « confidence intime », « version autobiographique » en forme de poème narratif d’une célèbre oeuvre de William Shakespeare (elle-même hypertexte en forme de pièce d’un poème narratif, lui-même hypertexte, etc. [27]), est bien une oeuvre littéraire et non un témoignage qui, depuis la jurisprudence actuelle, ferait le procès de ce qui s’est passé. Dans la pièce, les jeunes amants appartenant à deux familles rivales de Vérone, mariés en secret par le Frère Laurent, mourront. Dans le poème, R et J sont toujours les initiales (mais non dites) des amants, V est toujours l’initiale de la ville [28], le mariage est toujours secret (« Pendant que j’entendais ma mère et ses amies dire / Pourquoi un si charmant jeune homme ne se marie-t-il pas / Je m’enfermais alors dans un garde-robe / Fou de rage / Mais il est marié avec moi », v. 438-442) et le Frère Laurent est devenu « la baie comme une chanson » (v. 1743) — la baie Saint-François qui donne sur le lac Saint-François qui est dans le fleuve Saint-Laurent —, et les noms des amants, gravés comme les disques de La bonne chanson [29] le sont dans l’eau (« Nos noms qu’il dit graver à la surface de l’onde », v. 213), dans le feu (« Il me faisait écrire sur les bûches qu’il découpait / Nos deux noms / Gravés dans le feu », v. 417-419) et dans le paysage (« Nos noms qui brûlent encore dans le feu / De ces couchers de soleil qui me rappellent / Toi et moi », v. 747-749). Il suffit, par ailleurs, de rapprocher « J’aimais sentir l’odeur de ta main / Quand elle écrivait posée sur la mienne / Ma peau un manuscrit en braille / Que tu lisais si bien » (v. 959-962) et « Il me buvait de ses deux larges mains / Pleines de larmes » (v. 1783-1784), d’une part, et « Mais je sais que chaque geste de ta main / Peut-être / Était un cri » (v. 1789-1791), d’autre part, pour que surgissent, par infratexte, telles autres lectures : ma peau un manuscrit en pleurs et était écrit.
Dans le poème, seul l’amant de l’enfant mourra. Tout au long du texte, il aura vingt ans, l’âge de la jeunesse, « le plus bel âge de la vie [30] ».
L’essentiel de la diégèse est donc formé de l’histoire d’amour dont fait partie la scène de la mort de l’amant, dite voire racontée de façon plus ou moins succincte pas moins de vingt-cinq fois [31]. Les variantes des multiples versions d’une même scène qui est souvent une scène de mort sont bien présentes dans le nouveau roman — celle, célèbre, de l’écrasement du mille-pattes dans La jalousie (1957) d’Alain Robbe-Grillet, ou celles de la mort du maître, d’une part, et du crétin, d’autre part, dans Passacaille (1969) de Robert Pinget — et font alors, sauf erreur, leur entrée en poésie québécoise. Là de quelques lignes à quelques pages, ici de quelques mots à quelques vers [32].
Il s’agit alors de disposer, du meurtre (je l’ai tué) au suicide (il s’est tué) en passant par la parole publique (on a dit), l’ensemble des citations pour constater que cela se partage clairement entre le je et le on (le on laissant entendre le il). Une seule version fait le pont, allant du suicide au meurtre par le sas de ce que j’appellerais la légende (qui déplace du il au tu le suicide et que le texte associe explicitement au regard, v. 910) et sans qu’il soit possible, et sans qu’il soit nécessaire de départager ce qui s’est passé vraiment d’un côté ou de l’autre et ce qui est fantasmé : « On a dit que [suicide] tu t’étais jeté dans le feu / Un malade mental a-t-on dit / Mais [légende] es-tu mort pour de vrai / Pourtant dans le hangar / Pow Pow t’es mort / Tu n’avais qu’une manière de ressusciter / À l’autopsie que je devais pratiquer / Mais cette fois-là je n’ai pas pu / Mais je n’ai jamais cru à ta mort / On n’a pas reconnu ton visage / Moi je l’aurais pu / Mais [meurtre] comment me soupçonner / De l’avoir assommé d’une de nos bûches / De l’avoir poussé tête première dans le poêle / De m’être sauvé / De rentrer chez moi comme d’habitude » (v. 1409-1424). Entre le tu de la proximité (suicide) et le il de l’éloignement (meurtre), tous deux introduits par le on de la parole publique mais aussi des pouvoirs publics, il aura fallu unir la conquête et la quête en jouant au cowboy (Pow Pow) et au docteur (autopsie).
Le poêle, dont le poème laisse entendre qu’il est dans le hangar, est le lieu dans le lieu où cela se passe. Et c’est à la rime que, dans l’hypothèse du suicide, le poêle est dans le hangar peut être retourné en le regard est dans le poêle [33].
Les autres histoires et la clausule de cette histoire
Il y a entre Dimanche après-midi (1985) et Les cendres bleues (1990) bien des parentés : non seulement il est parlé dans le premier recueil du « réel fictif des autres histoires » (p. 46), de celle qui, par exemple, sera racontée dans le second recueil, et dans ce dernier recueil il est parlé du « génie du premier amour / À quoi bon les autres histoires » (v. 672-673), celle qui, par exemple, est racontée dans Suite contemporaine (1987), recueil intermédiaire, mais, dans les deux cas, il est raconté une mort qui aura été importante, celle du père pour l’homme (le « 5 mai 1957 [34] »), celle de l’amant pour l’auteur [35]. Il ne faut pas s’étonner, alors, que l’amant, passionnément aimé, meure, comme le père passionnément aimé, en mai [36], de la même façon qu’il ne faut pas s’étonner qu’Emma Bovary, l’épouse mal aimée, s’empoisonne le jour même (23 mars 1846) où Caroline, la soeur bien-aimée de Flaubert, meurt [37]. Le choix de faire coïncider au mois près, voire au jour près, ce qui s’est passé dans la vie et ce qui se passera dans l’oeuvre est une façon de dire sans dire, sans désigner nommément, de dire au lecteur, donc, comment lire : « Lui qu’on enterre / Dans la clameur de Mai / Les lilas mauves à force d’en être bleus » (v. 1661-1663), « Lui et sa peau de la douceur des lilas mauves » (v. 593) et « Le prisme de ses yeux alors / Une eau aux feux mauves » (v. 1205-1206) relançant « L’enfant le parfum tragique des lilas / La mort s’écrit en mauve » et « les traîtrises des corps le dimanche après-midi où l’enfant gémit au bout de la rue Tully […] les lilas mauves leurs parfums sucrés qui étourdissent […] l’enfant voit la mort qui ricane sous les ombres mauves des lilas [38] », refaisant ainsi l’équivalence au point d’être en phase : « Maintenant les lilas sont devenus des dates / L’eau de la baie [est devenue] indélébile » (v. 1787-1788). Des dates : celle, réelle, de la mort du père, celle, fictive, de la mort de l’amant, le cinquième jour du mois n’étant pas sans convoquer les cinq lettres du nom de l’amant et les cinq lettres du nom de la fleur. Et il n’y a qu’à déplacer une lettre et qu’à ajouter cet « Accent / Grave » (v. 1781-1782) — sur deux vers pour en faire ressortir la gravité —, et le nom de la fleur devient didascalie : lis là telle date, tel chiffre, telle inscription en -là : « ce corps-là » (v. 302), « ces yeux-là » (v. 455), « La lumière rugit quand le soleil part / Il avait ces regards-là » (v. 612-613), « Nous on s’aimait à cette heure-là / Alors que le ciel se convulsait / Dans un dernier baiser » (v. 497-499), « Il me buvait de ses deux larges mains / Pleines de larmes / Dans ces oasis-là / Tous les mirages étaient permis » (v. 1783-1786). Et il n’y a qu’à ajouter cette lettre, la même, pour que je, moi, devienne le mois, pour que le mois, mai, devienne un mais : « Mais allez donc savoir à six ans et demi » (v. 41), « Mais je n’avais que six ans et demi » (v. 300, 579, 643, 845, 1116, 1264, 1439, 1701), « Mais oui je n’avais que six ans » (v. 779), « Mais tu étais si jeune / Et moi si vieux » (v. 1108-1109), pour ne prendre que les exemples où le « mais » amorçant le vers fait que riment cet âge et ces mirages. Ceci trouvant son point de rencontre et de révulsion dans : « Mais qui a été brûlé cette fois-là / Sinon nous deux / Comme nos bûches gravées » (v. 1444-1446). De grave à gravé, par l’accent retourné, devenu circonflexe : être — verbe et nom — et âtre, « fourneau de ma tête » (v. 1686) et poêle, bûche et brûle, « Prêt pour la mort » (v. 930) et « Toujours prêt pour l’amour » (v. 1276).
J’accumule ces quelques exemples pour bien faire voir comment une « anecdote scabreuse » peut être formellement saisie et, ainsi, jusqu’au moindre signe graphique, transformée en texte. Que l’on songe, dans les oeuvres de Mozart ou de Beethoven par exemple, aux multiples variations ou modifications d’un thème, par un procédé quelconque en apparence : transposition modale, changement de rythme, modifications mélodiques. Or, cette « anecdote scabreuse », dit le paratexte, est présentée, dans le texte, comme une histoire, comme un poème — à lire déjà : « Il était toujours là / Quand je le voulais » (v. 93-94), est-il dit d’un des personnages ; « L’eau de la baie est toujours là » (v. 468), est-il dit d’un des éléments du décor ; « Mais je n’ai jamais lu une histoire comme la nôtre » (v. 1691), « Mais le poème suivait son cours / L’eau du lac [suivait] dans le fleuve » (v. 631-632), et l’on comprend que cette eau, comme l’encre, soit désormais indélébile ; « L’eau s’en va toujours ailleurs / Les ailleurs amoureux » (v. 381-382), et l’on comprend que les autres histoires, dans leur réel fictif, puissent être ici, une fois de plus, convoquées.
« Il n’y a rien à raconter » (v. 339) [39], et pourtant « Dans l’eau de la baie une autre folie d’inscrite / Sur la page bleue d’un lac s’avance dans le fleuve / Une autre histoire démente / Comme seules les petites villes savent / Les raconter » (v. 1330-1334). D’emblée, une autre histoire d’amour est dite démente — le a (d’am-) et le e (dém-), une fois de plus —, comme si l’amour ne pouvait être que fou, comme si la folie ne pouvait être qu’amoureuse, inséparablement. Comment expliquer cela, sinon par le fait que, dans la langue et dans une petite ville, les mots et les gens sont unis entre eux, étymologie et consanguinité : « la folie est chaque mot / question de famille / de mariages / consanguins / l’histoire de la poésie en est le meilleur exemple / du moins / le plus réussi [40] ». En ce sens, l’amant, qui, côté famille, est et n’est pas, par polysémie, un proche (« Ce n’était pas un parent / [C’était] Un jeune voisin », v. 345-346) — un proche qui est, par infratexte, « Prêt pour la mort » (v. 930) et « Toujours prêt pour l’amour » (v. 1276) —, est, côté poésie, une folie d’autant plus grande que les mots utilisés à son égard, par égard pour la rime hangar / regard, par exemple, l’une de « ces racines insensées / [données] À ma vie à écrire [et, en ce sens, toujours déjà] écrite [41] / Comme si je pouvais être sauvé de la folie » (v. 47-49), finissent par lui faire une famille — folie et filiation : foliation, dira-t-on — d’autant plus ramassée qu’elle est risquée dans son projet, grave dans son sujet et flamboyante dans ses effets. « Ce soir un écrivain se penche / Au-dessus du puits hallucinant de son enfance / Tombe comme Alice et c’est encore toi / Qui me recueilles » (v. 974-977) : conjuguant le geste de Narcisse qui, épris de sa propre image reflétée dans une fontaine, se penche sur l’eau (et languit de désespoir car il « aurait aimé mourir », v. 1080), et celui d’Alice tombant dans ce qui « semblait être un puits très profond » au fond duquel il y a « un tas de branchages et de feuilles mortes [42] », Jean-Paul Daoust lie par la rime (Narcisse / Alice / hallucinant / phallus) ce qui le fait devenir poème, poème-recueil.
Dans le corps de l’enfant comme dans le corps du mot enfant, du mot enfance, au centre exactement, dans ce recueil-ci exactement, il y a le f de famille ou de folie, de famille et de folie. Par le sas de telle « dépendance » (v. 1549), s’introduit le d de splendeur — de « la splendeur de Mai » (v. 82), côté thanatos, à « La splendeur d’un corps qui vous convoite » (v. 1780), côté éros —, splendeur portée, dans les tout derniers vers (v. 1821-1827), jusqu’à l’incandescence :
Le totem de la victoire
Maintenant dans le musée de nos rires
Bleu à en arracher l’incandescence de nos yeux
Qui s’aiment
Malgré moi
Malgré nous
Cendres étoilées
« Poème policier / Dont je tairai la finale » (v. 1425-1426) : il n’y a plus lieu, désormais, de taire cette dernière épreuve qui désigne, entre « méchant » (v. 1819) et « mon chant » (v. 1817), le vainqueur. Autant le totem ou le poème de cette victoire que le musée sont bleus, autant nos yeux que nous, partie et tout, sont cendres. Et si le totem, considéré autant comme l’ancêtre que comme le protecteur de cette famille — cette « histoire d’un amour / Inacceptable inoubliable » (v. 886-887) —, est un oiseau, animal ai(toi)lé, et si, à l’occasion du récit constamment refait, finalement ambigu, d’une mort, cet oiseau devient poème et ce poème recueil, il sera dit que ces cendres, bleues d’avoir été celles de cet « amant bleu » (v. 1344, 1396, 1473, 1700), seront disposées en rayons partant d’un centre, double en ce qu’il est fait du « feu bleu / Violent de ses yeux » (v. 1158-1159) [43]. Il sera dit, alors, que Les cendres bleues est cette fiction, « Bleue elle aussi » (v. 1500), toute semée de cette histoire :
v. 752-756Ne dérangez pas les enfants
Qui lisent Tintin
Sur les genoux de la passion
Quand ils apprennent à lire la vie
À l’écrire
Il aura donc fallu à l’auteur qu’il accepte qu’il ne puisse pas ne pas y retourner quand cette histoire dans et par l’écriture surgit enfin, et qu’il sache de quoi il en retourne quand il en retourne la force, ne pouvant la fractionner, ne pouvant que la diffracter, exactement, quand il en distribue l’impact sur l’ensemble du recueil, selon quelques angles. Victoire : fiction de toi, le « bel indien » (v. 1195), au bout de la rue Tully, par l’eau, désormais, de la « baie indélébile » (v. 1788). Fiction dont l’incipit se termine sur « Une fois pour toutes » (v. 186) et le développement sur « À six ans et demi on ne sait pas tout » (v. 1555). Étoilées : allées [44] — et, surtout, cette fiction, à l’écrire. Tintin : syllabe double où, déjà, percent les mots inacceptable et inoubliable [45].
Totem ou poème (érotique et poétique, désormais) : o et m — avec ou sans le h de histoire, héros (« mauvais héros », v. 1705, si près de « lilas mauves »), hangar ou hache —, comme dans « Être un homme blessé / D’avoir connu le sexe enfant » (v. 12). Voilà, « Dans l’éclairage exact interdit / En ces temps-là » (v. 583-584), « Comment revivre ce que vous avez vécu » (v. 117).
Appendices
Annexe
Annexe
La mort de l’amant
1-25 |
variantes de la mort de l’amant : meurtre (je) / (on) / suicide (il) |
•/— |
constat/commentaire du narrateur |
•• |
scène fantasmée par l’enfant avant la mort de l’amant |
••• |
scène fantasmée par l’enfant après la mort de l’amant |
Meurtre (je)
• Être un homme blessé / D’avoir connu le sexe enfant / Six ans et demi / Puis la mort trop vite / Quand le bois brûle (1-5)
• J’ai été un enfant violé (12)
— Des histoires à ne pas raconter (34)
— Maintenant que je suis seul avec mon âge / Ces souvenirs d’histoires me hantent / Des désirs enracinés dans le vertige (37-39)
— Ce soir je suis un enfant-loup qui hurle / Aux corps mouvants de nos caresses / Elles auront donné ces racines insensées / À ma vie à écrire écrite / Comme si je pouvais être sauvé de la folie (45-49)
1 ••• J’aurais dû l’avoir tué plus vite / Mais allez donc savoir à six ans et demi (40-41)
2 • Où est-il maintenant que je l’ai [tué] / Que le texte frémisse (54-55)
— Les mots ont beau s’ajuster / Des bagues aux doigts clichés / Aucun effet (64-66)
— Quand les mots tombent arrachés (87)
• J’ai été un enfant drogué par le sexe des autres / Surtout de cet autre (88-89)
— Les mots me matraquent (103)
— Classer ses souvenirs avant / Il est déjà trop tard / Ils nous étouffent un jour ou l’autre / Comment revivre ce que vous avez vécu (114-117)
• J’ai été un enfant sacrifié / Dans les bras d’un Moloch amoureux (151-152)
— Comment parler aux souvenirs / Quand le cerveau perd ces échafaudages / De sa mémoire / Qui semble avoir raison de tout (163-166)
— Les mots aimeraient s’ajuster pour en finir / Une fois pour toutes (185-186)
— Quand il s’avance / Poème érotique / Il écarte les bras les cuisses / Il me dit (197-200)
— Le feu [à l’époque] flambe vite efficace / Le bois coupé rituel omniprésent / Les souvenirs secs [aujourd’hui] crépitent (244-246)
— Personne n’en savait rien / Personne ne voulait rien savoir / Qui peut comprendre cette histoire (254-256)
3 •• Et déjà j’apprenais à faire souffrir / À l’âge de l’alphabet / Des chenilles des papillons des fourmis / Des sauterelles donne-du-miel ou je te tue (283-286)— Il n’y a rien à raconter (339)
Suicide (il)
[voir 4] •• Durant des années nous nous sommes aimés / Mais je suis devenu grand / Lui ne changeait pas / Je l’ai laissé / Au feu / En l’injuriant (368-373 ; voir 566)
Meurtre (je)
••• M’aime-t-il encore / Là en bouquet de cendres (377-378)
— Mais ce grand corps qui se penchait sur moi / Que mes souvenirs hallucinent / […] / Souvenirs magiques (383-384 et 388)
[voir 13] •• Parfois j’étais sûr que la hache / S’abattrait sur moi / Nos différends (396-398)
— Comment raconter mon désir de lui (489)
[voir 13] •• J’apparaissais derrière le banc de neige / La tuque et le nez rouge dégoulinant / Ce qu’il pouvait me lécher / À s’en jeter sauvagement sur moi / À m’en réchauffer / À me jeter entre les cordes de bois / [Ce que nous pouvions] Nous aimer jusqu’à en perdre conscience / Après il m’enterrait de bûches / Il levait sa hache / Ces images saintes de l’Ancien Testament / Abraham et Isaac / Vlan une bûche se fendait / […] / Tout cela était si vrai dans ce livre de la Bible (540-551 et 556 ; voir 998-1000)
— Il en savait des choses / Comment les raconter / Dans l’éclairage exact interdit / En ces temps-là (581-584)
— Maintenant que je sais les métaphores / Se souvient-il de moi (617-618)
— Mais le poème suivait son cours / L’eau du lac dans le fleuve (631-632)
— Je l’aimais comme on n’aime qu’une fois / Le génie du premier amour / À quoi bon les autres histoires (671-673)
— Anecdotes anecdotes pour transcrire / Nos noms qui brûlent encore dans le feu / De ces couchers de soleil qui me rappellent / Toi et moi (746-749)
4 • Je sais / Que je l’ai tué / Par un soir froid de Mai / Quand j’ai accepté de grandir / De vieillir (758-762)
(on)
5 On t’a retrouvé / La tête dans le fourneau du poêle / Calcinée / Il a eu une attaque / A-t-on dit / Un sinistre accident / A-t-on écrit (763-769)
6 Il a pris feu / Pendant que nos bûches gravées se consumaient / À l’unisson / Je t’aimais / Tu m’aimais (770-774)
7 •• Ne rien dire à personne / Son leitmotiv / Il avait peur de moi / Il me détestait / Il voulait me voir disparaître / On l’a retrouvé la tête carbonisée (829-834)
Meurtre (je)
— À relire maintenant les grands livres / Les grandes histoires / Je l’aime encore plus (849-851)
— Notre histoire aura été celle de soleils couchants (873)
8 •• / ••• J’ai décidé de l’aimer / Comme on décide de faire dire aux sauterelles / Donne-moi du miel ou sinon [je te tue] / Voilà l’histoire d’un amour / Inacceptable inoubliable / Épithètes inutiles mais indispensables (883-888)
(on)
9 •• Il est mort la tête calcinée / Le coeur broyé / Entre mes pinces d’écrevisse (890-892 ; voir 506)
10 •• On jouait aux cowboys / Il faisait le méchant / Que je devais terrasser / Pan pan t’es mort / Il disait regarde / Il ressuscitait (936-941)
Meurtre (je)
— [voir 4] La page redevient blanche / Parce que c’est l’hiver parce que / Les mots n’en peuvent plus de s’organiser / Parce que la peur m’épie / Depuis l’enfance / Où je devenais tout à coup adulte / Entre tes bras (950-956 ; voir 942-946)
— Ce soir un écrivain se penche / Au-dessus du puits hallucinant de son enfance / Tombe comme Alice et c’est encore toi / Qui me recueilles (974-977)
11 •• Ta main autour de mon cou / Si petit dans tes doigts tentaculaires / Qui m’encerclaient / C’est là que j’ai décidé de te tuer (1030-1033)
— Ici seulement des mots / Pour te forcer à revenir (1085-1086)
— Que les mots pleuvent (1113)
12 •• Et que je te frappe encore / Pendant que tu me coinces / Contre ton corps ardent / Je me débats pendant que tu cries / Je voudrais te jeter au feu / Comme tu jettes ces bûches / Témoins de nos ébats (1126-1132)
— Je fais des voeux insensés / Poésie sonore (1174-1175)
[voir 15] ••• Je pense à lui / Sa tête en cendres / Que j’aurais aimé jeter / Dans l’eau de la baie (1179-1182)
13 [inverse de 10] •• Lui dans les interstices des murs de planches / Il m’observait impuissant / Qu’il aurait aimé me tuer / Pan pan t’es mort / Mon bel indien / Puisque je venais de lui dire / Je te donne cinq minutes / Puis je pars (1191-1198 ; voir 207-210)
— Que reste-t-il de nos amours chantais-tu / Tu m’as façonné / Je parle maintenant par tes mots (1209-1211)
— Mais il faut que je m’arrête / Celui que j’aime me lit maintenant / […] / Maintenant que j’ai deux fois ton âge / […] / Ou maintenant les alcools trop purs (1227-1228, 1242 et 1245)
••• Dans le dédale des mots le retrouver / Malgré une mort atroce (v. 1324-1325)
(on)
14 • Il s’est suicidé a-t-on chuchoté / Pas trop fort le petit pourrait entendre (1326-1327)
Meurtre (je)
— Dans l’eau de la baie une autre folie d’inscrite / Sur la page bleue d’un lac s’avance dans le fleuve / Une autre histoire démente / Comme seules les petites villes savent / Les raconter (1330-1334)
15 L’enfant qui n’a pas voulu mourir a tué / L’amant bleu / Tué le Minotaure / Moi qui léchais son visage / Comme la flamme / Son visage rendu méconnaissable / Par cette eau bleue (1343-1349)• Mon bel amour calciné / Film d’horreurs (1397-1398)
(on)
16 • On a dit que tu t’étais jeté dans le feu / Un malade mental a-t-on dit / Mais es-tu mort pour de vrai / Pourtant dans le hangar / Pow Pow t’es mort / Tu n’avais qu’une manière de ressusciter / À l’autopsie que je devais pratiquer / Mais cette fois-là je n’ai pas pu / Mais je n’ai jamais cru à ta mort / On n’a pas reconnu ton visage / Moi je l’aurais pu / Mais comment me soupçonner / De l’avoir assommé d’une de nos bûches / De l’avoir poussé tête première dans le poêle / De m’être sauvé / De rentrer chez moi comme d’habitude (1409-1424)
Meurtre (je)
— Poème policier / Dont je tairai la finale (1425-1426)
17 • Quelqu’un devait payer / Je t’ai tué / Avais-je le choix / À six ans et demi on ne comprend pas (1487-1490)
— Mais que j’excite ton souvenir / Cette fiction m’incommode / Bleue elle aussi / L’image s’estompe / Dans une mauvaise prise de vue (1498-1502)
18 • Toi célèbre dans mon coeur / D’enfant de six ans et demi / Tu l’auras voulu / La vie poussée jusqu’à la mort / Un classique du genre (1505-1509)
— Maintenant ce texte / Que tu ne liras pas / C’est tant mieux (1556-1558)
19 •• Je rêvais d’être le professeur Tournesol / Pour trouver une invention / Qui te réduirait en cendres / Te brûler comme ces sorciers du Moyen Âge (1577-1580)
20 •• Mais quand je t’ai surpris / Avec un autre / Un petit voisin / Je me suis juré ta perte / Oui je vous ai vus / Non je ne scènais pas comme tu disais / Moi qui pensais que nous étions sacrés / C’est toi qui l’avais dit / Qui a brûlé qui / Ma vengeance sera terrible / Les gestes que je croyais uniques / Je me suis enfui / En criant / […] / Moi qui avais tout sacrifié / Pour toi / […] / Tout que je te dis / Une bûche lancée sur ton crâne infidèle / Vlan / La tête dans le feu (1586-1598, 1602-1603 et 1609-1612)
21 •• Je t’ai haï / À t’en tuer (1617-1618)
— Que sais-je vraiment de ce qui est arrivé (1637)
(on)
22 • On l’a retrouvé la tête dans le fourneau / Complètement calcinée / Dans une odeur / […] / Les cheveux roussis / Quelle senteur (1639-1641 et 1650-1651)
[voir 4] Lui qu’on enterre / Dans la clameur de Mai (1661-1662)
Meurtre (je)
— En quelle année suis-je donc (1667)
23 •• Mais dans le fourneau de ma tête / Ta tête dure flambe / Je te déteste / Mais tu m’aimes n’est-ce pas (1686-1689)
— Mais je n’ai jamais lu une histoire comme la nôtre (1691)
— Qui a tué qui / Qui a brûlé qui (1698-1699)
24 •• Fuir dans l’idée à suivre / Le tuer / Ce mauvais héros à la Walt Disney / Ce mauvais Tintin (1703-1706)
• Tu es toujours vivant / Malgré tes cendres (1738-1739)
25 • Nous nous sommes aimés d’amour / Je l’ai tué (1803-1804)
Notice biobibliographique
André Gervais
Professeur de littérature à l’Université du Québec à Rimouski, André Gervais est codirecteur de Tangence. Ses dernières publications portent, d’une part, sur l’oeuvre d’un artiste français et américain : C’est. Marcel Duchamp dans « la fantaisie heureuse de l’histoire », Nîmes, Éd. Jacqueline Chambon, coll. « Rayon Art », 2000 ; d’autre part, sur l’oeuvre d’un poète québécois : Petit glossaire des « cantouques » de Gérald Godin, Québec, Éd. Nota Bene, coll. « NB poche », 2000 ; Gérald Godin, Ils ne demandaient qu’à brûler, poèmes 1960-1993, édition revue et augmentée par André Gervais, préface de Réjean Ducharme, Montréal, Éd. de l’Hexagone, coll. « Rétrospectives », 2001.
Notes
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[1]
Paul Chamberland, L’afficheur hurle [1965], avec un « avertissement » inédit, Montréal, Éd. Parti pris, coll. « Paroles », 1969 ; Roger Des Roches, L’imagination laïque, Montréal, Éd. les Herbes rouges, coll. « Lecture en vélocipède », 1982 ; Claude Beausoleil, S’inscrit sous le ciel gris en graphiques de feu, Trois-Rivières, les Écrits des Forges, coll. « Radar », 1985 ; Jean-Paul Daoust, Les cendres bleues, avec une postface de Paul Chamberland, Trois-Rivières, les Écrits des Forges, coll. « Radar », 1990. Aucun de ces quatre recueils n’est dans l’anthologie préparée par Joseph Bonenfant, Alain Horic et France Théoret, Les grands poèmes de la poésie québécoise, Montréal, l’Hexagone, 1999, grand signifiant ici « long » (aspect quantitatif : plus de cent lignes) et « important » (aspect qualitatif : une « oeuvre en soi »).
-
[2]
Jean Royer, « Jean-Paul Daoust. Exagérer le réel », Le Devoir, Montréal, 19 janvier 1991, p. C9. Ce que l’auteur glose ainsi (Lucie Côté, « Pour Jean-Paul Daoust, la poésie est le journal intime de la planète », La Presse, Montréal, 17 février 1991) : « J’ai voulu que […] ce long poème d’amour soit comme un roman policier : on ne se couche pas avant d’avoir fini de le lire. »
-
[3]
Dans l’édition originale, le poème est aux p. 7-62, la postface aux p. 63-66 ; dans Blue Ashes. Selected Poems : 1982-1998, traduit en anglais par Daniel Sloate, Toronto, Guernica, « Essential Poets Series », 1999, il est aux p. 25-76.
-
[4]
Le grand modèle, sans conteste, avec ses quatre univers culturels de référence (arabe, portugais, castillan, français), est Aragon, Le fou d’Elsa, poème, Paris, Gallimard, 1963, 459 (grandes) p. : textes en prose (textes narratifs, textes historiques, textes explicatifs, dialogues, lexique et notes), textes en vers (vers comptés et rimés de moins et de plus de 12 syllabes — jusqu’à 20 syllabes —, vers comptés et non rimés, vers « libres », versets ou longs vers « libres »), imprimés en romain et en italique, en romain ou en italique.
-
[5]
Plusieurs des précisions qui suivent (avec ou sans guillemets) proviennent de conversations avec l’auteur lors d’entretiens téléphoniques (18 janvier et 12 mars 2001), de rencontres à Sainte-Mélanie, chez lui (7 mars 2001), et à Montréal, aux Terrasses Saint-Sulpice (19 juillet 2001), ainsi que d’une conversation avec l’auteur et Lucie Vinet (Mme Fernand Boutin), une grande amie, à Valleyfield (26 août 2001). Il va sans dire que je les remercie de s’être prêtés en toute confiance au jeu de la question.
-
[6]
Dimanche après-midi, Trois-Rivières, les Écrits des Forges, [septembre] 1985 ; La peau du coeur et son opéra, Saint-Lambert, Éd. du Noroît, [septembre] 1985 ; Du dandysme, Montréal, Éd. NBJ, [janvier] 1986 ; Les garçons magiques, Montréal, VLB, [avril] 1986.
-
[7]
Jean Royer, « Jean-Paul Daoust. Exagérer le réel », art. cité.
-
[8]
Suite contemporaine, Trois-Rivières, les Écrits des Forges, [octobre] 1987.
-
[9]
Le tapuscrit est remis en mains propres en mai 1989 à Louise Blouin et Bernard Pozier, des Écrits des Forges, qui l’acceptent à l’été 1989. L’auteur, qui habite maintenant Sainte-Mélanie, corrige les épreuves en août 1989. Paul Chamberland, qui loue cet été-là lui aussi une maison à Sainte-Mélanie, lit le tapuscrit et en fait sur le coup ou presque la postface. L’achevé d’imprimer est de février 1990. Le lancement a lieu en mai 1990 aux Terrasses Saint-Sulpice. Il y aura, indices d’un « succès » certain, trois autres tirages : novembre 1991, novembre 1998 et mars 2001 (ces deux derniers avec une nouvelle couverture).
-
[10]
Voir tels anachronismes, constatés après coup, dans les intertextes : « Nous retournions à Tintin / C’était lui le yéti » (v. 452-453), le yéti apparaissant dans Tintin au Tibet (1960) ; « Déjà mon regard fellinien » (v. 1383), ce passage faisant allusion aux enfants mis en scène dans Juliette des esprits (1965) ou Fellini-Satyricon (1969).
-
[11]
« Malgré de très bonnes notes, j’ai fait Éléments français à cause de mes nerfs : j’étais à la fois hyperactif, comme on dit aujourd’hui, et déprimé ». Première dépression et premiers valiums (dûment prescrits) en 1957, à 11 ans !
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[12]
Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1975.
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[13]
Philippe Lejeune, Moi aussi, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1986, p. 265.
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[14]
Philippe Lejeune, Moi aussi, ouvr. cité, p. 29.
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[15]
Philippe Lejeune, Le pacte autobiographique, ouvr. cité, p. 247 (au début du chapitre à propos de Leiris).
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[16]
J’entends par rime la rime proprement dite, mais aussi l’allitération et l’assonance, l’anagramme et le calembour, par exemple, procédés par lesquels s’ordonne le texte dans ses petites unités (son grain) comme dans ses plus grandes (son envergure). S’il faut encore justifier le principe d’une lecture dite anagrammatique, je renverrai globalement, pour l’argumentation, à Jan Baetens, « Postérité littéraire des Anagrammes » (Poétique, Paris, no 66, avril 1986, p. 217-233). Cette postérité est celle des Cahiers d’anagrammes (anagramme ou paragramme ou hypogramme), tenus de 1906 à 1909 par Ferdinand de Saussure et partiellement publiés par Jean Starobinski dans des articles (1964-1970) repris et augmentés dans Les mots sous les mots. Les anagrammes de Ferdinand de Saussure, Paris, Gallimard, coll. « Le Chemin », 1971. Je rappellerai, avec Baetens, que « l’anagramme est moins le but ou l’enjeu de la lecture qu’un de ses outils de recherche » (p. 225) et que, bien sûr, « la lecture anagrammatique doit être cautionnée par les structures internes du texte sur lequel elle opère » (p. 231). La rime comme détail construit par le poète peut-être qui, fondamentalement, méconnaît toute la portée des décisions qu’il prend, mais certainement par le lecteur. J’entends ici par rime ce que j’entends ailleurs (depuis 1977) par ryme : voir, par exemple, C’est. Marcel Duchamp dans « la fantaisie heureuse de l’histoire », Nîmes, Éd. Jacqueline Chambon, coll. « Rayon art », 2000, p. 62 (ceci dans un chapitre rédigé en 1985).
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[17]
Nom que, bien qu’il ne soit jamais dit, on peut paragrammatiquement lire dans les vers suivants : « La raison de l’enfant s’est réveillée / Du côté du coeur / Il m’aura donné ce que tous les autres / Essaieront de m’enlever » (v. 354-357).
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[18]
Claude Mélançon, Charmants voisins, Québec, La Société zoologique de Québec, 1954 ; Charmants voisins. Les oiseaux du Québec, Montréal, Éd. du jour, 1964. L’oiseau impliqué ici n’est pas décrit dans l’une ou l’autre édition de ce livre.
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[19]
L’auteur me raconte que lorsqu’il accepte d’en lire publiquement un extrait, il lit toujours ce qu’il a lu au lancement : les quatre premières pages, jusqu’à « je venais d’entrer dans l’antre du dragon » (v. 136), suspendant le tout à la lecture (et non plus à l’écoute). Il en a par ailleurs fait un enregistrement complet sur cassette : Les cendres bleues, Paris, Artalect, 1992.
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[20]
Mise en scène par ailleurs toute référentielle : l’auteur, dans son appartement montréalais, avenue du Parc-La Fontaine, a un foyer.
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[21]
Voir Jean Laplanche et Jean-Baptiste Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse [1967], Paris, Presses universitaires de France, 5e édition revue, 1976, p. 402 : « on sera sensible [chez Freud] au fait que la notion de régression est couplée avec celle de fixation et que celle-ci ne saurait être réduite au montage d’un pattern de comportement. Dans la mesure où la fixation serait à comprendre comme une “inscription” […], la régression pourrait être interprétée comme une remise en jeu de ce qui fut “inscrit” ».
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[22]
La traduction anglaise, naturellement vérifiée par l’auteur (le traducteur est un ami), dit « a child violated » (to violate « violer », cinquième et dernier sens) et « a child molested » (to molest « attenter à la pudeur de »).
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[23]
Julia Kristeva, « Peut-on dire la sexualité ? » (entretien), Lire, Paris, no 213 (Sexe mensonge & biographie), juin 1993, p. 22-23.
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[24]
« J’étais un barbare dans la soie de ses mains » (v. 458) ; voir aussi Arthur Rimbaud, « Barbare », Illuminations (1886) : « Oh ! Le pavillon en viande saignante sur la soie des mers et des fleurs arctiques ; (elles n’existent pas.) Douceurs ! »
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[25]
Ce que l’auteur glose ainsi (Lucie Côté, « Pour Jean-Paul Daoust, la poésie est le journal intime de la planète », art. cité) : « Tout le monde est marqué par son premier amour, c’est secondaire que ce soit Roméo et Juliette ou Roméo et Roméo ». Dans le poème, on lit : « À six ans et demi tu auras prouvé / Qu’on peut aimer / Comme toi / À vingt ans / Drôles de Roméos / À en frissonner » (v. 1774-1779).
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[26]
Jean-Paul Daoust, dans Jean Royer, « Jean-Paul Daoust. Exagérer le réel », art. cité.
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[27]
Arthur Brooke, The Tragical History of Romeus and Juliet (1562), plus de 3 000 vers, Brooke travaillant sur la version française de Pierre Boisteau (1559) d’une nouvelle de Matteo Bandello (1554), ce dernier étant précédé d’une « chaîne de conteurs italiens, français et anglais. Chacun ajoute un détail, un personnage, un incident, si bien que lorsque l’histoire arrive à Brooke, Shakespeare [en 1594-1595] n’aura qu’à puiser » (Henri Fluchère, dans Shakespeare, Oeuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1959, p. LXXIV). C’est dans une nouvelle de Luigi Da Porto (dont la seconde version est publiée en 1535), par exemple, qu’apparaissent deux importants détails : « Ce fut lui qui transporta le lieu de l’action à Vérone et qui changea le prénom des malheureux amants : Giannozza et Mariotto devinrent Giuletta et Romeo, prénoms qui furent maintenus dans toutes les littératures » (Laffont-Bompiani, Le nouveau dictionnaire des oeuvres de tous les temps et de tous les pays, Paris, Laffont, 1994).
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[28]
V est aussi l’initiale, entre autres, de « Vingt ans » (v. 970), de « Vlan » (v. 551, 1611) et de « je me suis promené sur la lune / Avec Jules Verne et lui » (v. 414-415), allusion à De la terre à la lune (roman, 1865) qui sera transformée en « tu t’éloignes de moi / Comme la lune de la terre » (v. 1715-1716).
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[29]
La bonne chanson, éditée par l’abbé Charles-Émile Gadbois, c’est dix recueils (plus de 500 chansons), publiés de 1937 à 1955. De la baie à l’abbé, du gars de bois (« tu fendais du bois / Hiver comme été », v. 1550-1551) au nom de l’abbé, il n’y a naturellement qu’un pas.
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[30]
Paul Nizan, Aden Arabie (1939), deuxième phrase de l’incipit du livre. Dans le référent, l’amant, qui a 17 ans en août 1952 (et 21 ans à la fin de l’histoire), est toujours vivant.
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[31]
Voir, en annexe, ces citations.
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[32]
Les deux romans : Paris, Minuit. C’est dans la poésie de Francis Ponge, par ailleurs, qu’on peut lire les variantes impliquées par la réécriture (avec ou sans redécoupage en vers ou en prose) d’un texte : « Le verre d’eau » (1948), repris dans Le grand recueil. Méthodes (Paris, Gallimard, 1961, p. 113-167, repris dans la coll. « Idées » en 1971), ou « La figue (sèche) » (1951-1959), repris dans Le grand recueil. Pièces (Paris, Gallimard, 1961, p. 204-207, repris dans la coll. « Poésie », 1971). Si « Le verre d’eau » incorpore effectivement les quelques versions du texte, il faudra attendre Comment une figue de paroles et pourquoi (Paris, Flammarion, coll. « Digraphe », 1977, 213 p., repris dans la coll. « GF », 1997) pour avoir une idée très complète de l’ensemble des manuscrits et dactylogrammes.
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[33]
C’est lorsque je dis à l’auteur que le poème laisse entendre que le poêle est dans le hangar, qu’il me dit, très étonné, quelque chose comme : mais non, il est dans l’appartement ! Je lui rappelle alors l’« anecdote » que raconte Jean Ricardou à propos d’une lecture d’une nouvelle d’Alain Robbe-Grillet (« Le remplaçant », dans Instantanés, Paris, Minuit, 1962), anecdote qui lui permet de préciser « deux caractères du fonctionnement producteur [d’un texte]. Premièrement : sauf à en revenir aux rassurantes délices de l’expression, les conséquences sémantiques, ou si l’on préfère les pensées du texte, sont loin de suivre nécessairement les pensées de l’écrivain. Deuxièmement : l’écrivain est en un sens, et s’il n’y prend garde, le moins bien placé pour penser les pensées de son texte ». Voir Jean Ricardou, Nouveaux problèmes du roman, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1978, p. 174-176.
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[34]
Dimanche après-midi, ouvr. cité, p. 45.
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[35]
C’est par « La chaloupe Verchères » (1971), chanson de Clémence DesRochers mettant en scène son père (« Mon père était un capitaine / Il avait des bras de géant / Pour ramer contre le courant »), qu’on peut lier supplémentairement l’amant et le père : « Il avait des bras de géants / De dessins animés » (v. 143-144) et « Dans la chaloupe de mon père il m’emmenait / Capitaine du plus beau naufrage disait-il » (v. 681-682).
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[36]
Ce que l’auteur me signale, comme ça, en ajoutant : « j’ai aucun mérite ! » (voir note 5).
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[37]
Sur cette question, voir Roger Bismut, « Sur une chronologie de Madame Bovary » [colloque, Paris, février 1973], Les amis de Flaubert, Rouen, no 42, mai 1973, p. 4-9, et Jacques Seebacher, « Chiffres, dates, écritures, inscriptions dans Madame Bovary », dans Claudine Gothot-Mersch (sous la dir. de), La production du sens chez Flaubert [colloque, Cerisy, juin 1974], Paris, UGÉ, coll. « 10/18 », 1975, p. 286-296. C’est en tentant de placer exactement, à partir de la seule date du roman qui ait une indication de jour (le lundi 4 septembre ne pouvant être que le 4 septembre 1843), l’ensemble de ce qui est raconté dans ce roman qu’a pu être établie cette chronologie et découverte cette analogie. Au lecteur, donc, le repérage, d’une part, la production du sens, d’autre part.
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[38]
Dimanche après-midi, ouvr. cité, p. 45 et 36 respectivement.
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[39]
« Il n’y a rien à raconter / On devine on sait après » (v. 339-340) et « Il jouait sa vie / je ne le savais pas » (v. 481-482). Le même constat dans Fille d’aujourd’hui (1962), chanson de Guy Béart : « Tout s’est passé trop tôt et trop vite / J’étais jolie et j’étais petite », « Qui peut le savoir on apprend après ». Dans un couplet, les amants de la fille sont métaphorisés par deux oiseaux (voir note 18).
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[40]
Suite contemporaine, ouvr. cité, p. 90.
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[41]
« Et je relis dans d’autres textes / Dans d’autres films / Que tu étais ma merveille du monde » (v. 803-805). Allusion, entre autres, à « Les jambes écartées au-dessus du bois à couper / Colosse de Rhodes / Moi marin fidèle » (v. 178-180) ; l’une des Sept Merveilles du monde antique, cette gigantesque statue en bronze d’Hélios (le Soleil) était érigée à l’entrée ou au fond du port de Rhodes, sur l’île du même nom, en mer Égée. Non seulement les deux premières syllabes (Héli-) se prononcent comme les deux premières lettres de lilas, liant le Soleil et les couchers de soleil, mais le nom de l’artiste (Charès) n’est pas sans rapport avec le prénom de l’amant.
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[42]
Lewis Carroll, Les aventures d’Alice au pays des merveilles [1865], traduit de l’anglais par Henri Parisot [1975], dans Oeuvres, t. II, édition présentée et établie par Francis Lacassin, Paris, Laffont, coll. « Bouquins », 1989, p. 47 et 49. Ce bois au fond du puits n’est pas sans rapport avec l’amant.
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[43]
« Tu me murmurais les refrains / Des chansons à la mode / C’était Colette Bonheur Édith Piaf Lucienne Boyer / Tu les inscrivais dans mon oreille » (v. 1118-1121). Or l’une des chansons à la mode interprétées par Édith Piaf, écrite par Charles Aznavour, alors un inconnu, s’intitule « Plus bleu que tes yeux » (1951) : « Plus bleu que le bleu de tes yeux / Je ne vois rien de mieux / Même le bleu des cieux ». Qu’elle soit synchrone avec l’histoire d’amour (1952-1957) ou qu’elle soit apparue depuis et puisse être prise en charge par le récit de cette histoire d’amour (1986-1989, publié en 1990), la musique populaire comme intertexte insiste. Dans Suite contemporaine, par ailleurs, que Jean-Paul Daoust, je le rappelle, écrit en même temps que Les cendres bleues, on lit : « curieux comme le coeur a toujours les yeux bleus / color number two » (p. 43) et « ce que nous voulons / vivre / dans les cendres encore chaudes / de nos vingt ans / réédités » (p. 52) ; voir, en écho, « Maintenant dans la traversée tumultueuse des rencontres / Je goûte toujours la mort » (v. 1055-1056). Dans le référent, l’amant a les yeux d’un brun très foncé, et un regard intense qui scrute jusqu’au plus profond : « comme un doberman, comme une bête féroce qui te regarde » (voir note 5).
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[44]
« C’est la mer allée / Avec le soleil » (Arthur Rimbaud, « L’éternité ») : ce qu’on voit par les deux trous d’un morceau d’un mur, tout ce qui reste d’une maison de l’Isla Mujeres (Île des Femmes), au large de Cancun (Yucatan, Mexique), après le passage d’un ouragan. Cette photo, prise par Bernard Lavoie, un ami, est celle de la première de couverture. Ne renvoie-t-elle pas aux « fenêtres bleues de ton visage » (v. 1312), à « l’eau bleue de tes yeux » (v. 1560), à « Les cheveux roussis / Quelle senteur / Par la fenêtre le bleu implacable » (v. 1650-1652), etc.
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[45]
Plus aucun rapport, ici, avec les amants contrariés par les étoiles (star-crossed lovers) : « C’est dire que Roméo et Juliette ne sont pas morts poussés par la fatalité de leur passion, comme il se doit dans les tragédies, mais frappés par une série de hasards dignes d’une comédie, qu’ils n’ont rien fait d’assez grave pour provoquer et mériter. Ce n’est même pas la vengeance des Dieux qui les abat : ce sont les “étoiles” irresponsables, concept pour nous vague ou périmé, mais à la mauvaise influence desquelles, sans doute, le public élisabéthain donnait encore quelque crédit » (Henri Fluchère, dans Shakespeare, Oeuvres complètes, t. II, ouvr. cité, p. LXXVI).