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Introduction

Cette étude s’inscrit dans une perspective de prévention du décrochage scolaire chez les jeunes (12 à 17 ans) en situation de vulnérabilité. Le décrochage scolaire désigne le fait d’abandonner un parcours scolaire sans avoir obtenu un diplôme (diplôme d’études secondaires ou d’études professionnelles) ou une qualification pour un métier. Les taux de sortie sans diplôme ni qualification peuvent être utilisés pour estimer l’ampleur du décrochage scolaire, bien que d’autres raisons puissent expliquer le fait que des jeunes soient sortis du système scolaire (p. ex. émigration). Ainsi, pour l’année 2019-2020, 13,5 % des élèves (16,4 % pour les garçons et 10,7 % pour les filles) étaient sortis du système scolaire sans diplôme ni qualification du secondaire (Gouvernement du Québec, 2022). Les jeunes qui quittent l’école sans diplôme peuvent être confrontés à des situations de vulnérabilité et de précarité dans plusieurs sphères de leur vie, en partie parce que les compétences qu’ils pourraient avoir développées ne sont pas reconnues pour une insertion durable sur le marché de l’emploi, ni pour une participation citoyenne active, critique et responsable (Emploi-Québec, 2017). Que ce soient les problèmes de santé physique ou mentale, les risques plus élevés d’incarcération ou la difficulté à obtenir et conserver un emploi bien rémunéré, les conséquences potentielles du décrochage scolaire à long terme sont nombreuses et ont été bien documentées (Janosz et al., 2013 ; Potvin, 2015).

En dépit des interventions mises en place, les taux de diplomation dans les écoles québécoises demeurent inférieurs à ceux des autres provinces, notamment dans certains quartiers à fort indice de défavorisation (Homsy et Savard, 2018). À elle seule, l’école peine à garder les jeunes à l’école jusqu’à l’obtention d’un diplôme qualifiant. Pour une majorité des jeunes qui ne terminent pas leur secondaire, le décrochage constitue l’étape ultime d’un long processus de désengagement (Rumberger et Rotermund, 2012 ; Janosz et al., 2013). Selon divers écrits, l’engagement de personnes intervenantes (PI) communautaires, en collaboration avec les acteurs scolaires et les parents, contribue à soutenir la réussite des élèves et à diminuer le risque de décrochage scolaire (Cook, 2008 ; Larivée et al., 2017 ; Lessard et al., 2017 ; Desbiens et al., 2020 ; Gouvernement du Québec, 2021). En effet, les jeunes qui sont soutenus dans leurs différentes sphères de vie ont une plus grande probabilité de persévérer, surtout si, de part et d’autre, on les encourage à se mobiliser dans leur parcours d’apprentissage. L’autodétermination réfère à cette capacité à se mobiliser, soit à identifier et mener les actions permettant d’influencer les événements de sa vie et d’agir sur son bien-être (Ryan et Deci, 2017). Cette étude a donc pour objectif d’examiner comment les PI communautaires ont contribué à développer l’autodétermination des jeunes en contexte de pandémie pour ainsi soutenir leur parcours d’apprentissage. L’article expose d’abord quelques impacts de la pandémie sur le parcours des jeunes puis précise le rôle des maisons des jeunes. Après avoir défini l’autodétermination, les objectifs de recherche sont formulés et la méthodologie de l’étude est décrite. Les résultats sont présentés pour chaque objectif et discutés par la suite.

Problématique

Depuis 2020, les changements générés par la pandémie ont influencé le parcours d’apprentissage de plusieurs jeunes. Alors que l’organisation scolaire (p. ex. calendrier, modalités d’enseignement) se déroulait de la même manière depuis plusieurs décennies, du moins au Québec, les adaptations nécessaires pour respecter les mesures sociosanitaires ont modifié les repères et façons de faire des élèves et des personnes enseignantes. Le fait de ne plus voir ses amis, de ne pas pouvoir pratiquer de sports et la difficulté d’accès à des ressources technologiques sont des facteurs qui ont entravé la motivation scolaire d’un grand nombre d’élèves (Tardif et al., 2021). Face à cette situation, les jeunes semblent avoir vécu une plus grande détresse psychologique, notamment ceux qui présentaient déjà des vulnérabilités (Baudry et al., 2021). Plusieurs jeunes ont dit être plus stressés, anxieux ou déprimés, ont rapporté manifester des comportements plus agressifs ou ont expérimenté un sentiment d’impuissance (Rousseau et al., 2021). Mener avec succès un parcours scolaire s’est donc complexifié pour plusieurs pendant cette période.

Dans un tel contexte, l’importance d’outiller les élèves pour qu’ils puissent faire face aux difficultés et de les amener à exercer un certain contrôle sur leur vie est de plus en plus reconnue (Conseil supérieur de l’éducation, 2020). Soutenir l’autodétermination des jeunes est une voie à considérer, d’autant plus qu’il s’agit d’un facteur influant significativement sur leur motivation, diminuant les chances qu’ils abandonnent leur parcours scolaire (Alivernini et Lucidi, 2011). Plus les jeunes sont autodéterminés, plus ils s’engagent sur la voie de la persévérance et de la réussite scolaire (Ryan et Deci, 2017). Pour soutenir l’autodétermination, Laguardia et Ryan (2000) insistent sur l’importance de satisfaire trois besoins fondamentaux, soit le besoin d’appartenance, le besoin de compétence et le besoin d’autonomie. L’autodétermination se construit donc en relation avec un environnement qui soutient la réponse à ces besoins fondamentaux. Par exemple, les situations où le jeune peut exercer un certain contrôle sur les choix qui le concernent le rendent plus susceptible d’opter pour des actions le menant à la réussite. Si l’école peut favoriser la réponse à ces besoins, d’autres milieux sont aussi susceptibles d’y contribuer.

C’est dans cet esprit que les maisons des jeunes, des organismes communautaires, mènent leur mission d’accompagnement auprès des jeunes. Au Québec, les maisons des jeunes aspirent à contribuer au développement global des jeunes en optant pour une approche préventive et participative (Regroupement des maisons de jeunes du Québec [RMJQ], 2012). Les jeunes y sont considérés comme des personnes capables de faire des choix éclairés et de trouver des solutions. En ce sens, les activités et les interventions que les maisons des jeunes déploient visent à leur fournir des outils et des occasions d’exercer ou de développer diverses compétences. Parmi les objectifs du cadre de référence des pratiques en maison des jeunes (RMJQ, 2012), il est question de favoriser la responsabilisation et l’autonomie chez les jeunes, de favoriser leur participation à la vie de la communauté et de renforcer leur capacité à entretenir des relations interpersonnelles positives. Pour ce faire, les maisons des jeunes proposent un lieu de rencontre animé dans lequel les jeunes peuvent vivre des activités et des contacts fréquents et significatifs avec des adultes référents et des pairs. Ce milieu, par ses valeurs et actions, partage ainsi des similitudes avec le travail social.

La communauté scientifique (p. ex. Cook, 2008 ; Desbiens et al., 2020) et des organisations soulignent l’apport considérable des acteurs de la communauté à la persévérance et à la réussite des jeunes. Par exemple, des organismes tels que le National Dropout Prevention Center appuient l’idée que la collaboration avec la communauté, les opportunités d’apprentissage parascolaires et l’implication des jeunes dans leur parcours sont des facteurs-clés de la persévérance et la réussite scolaire. Le gouvernement du Québec (2009), dans sa stratégie d’action visant la persévérance et la réussite scolaires « L’école, j’y tiens ! », va dans le même sens et encourage la participation à des activités parascolaires, notamment pour les élèves susceptibles de décrocher. Dans le même sens, Denault et Poulin (2012) sont d’avis que la participation des jeunes à des activités de loisir organisées contribue positivement à leur développement, en favorisant leur rendement scolaire, en diminuant le risque de décrochage et en les prédisposent à un meilleur engagement civique. Des programmes comme « Accès 5 », qui comporte cinq sphères d’action dont le soutien scolaire et les activités parascolaires et communautaires, ont aussi montré leur efficacité à diminuer les risques de décrochage (Lessard et al., 2017). À la suite de l’implantation d’Accès 5 par les intervenants de la maison des jeunes dans l’école secondaire du quartier, le taux de décrochage a diminué, passant de 35,3 % en 2009-2010 à 23,5 % en 2015-2016, et on a remarqué chez les jeunes un changement d’attitude qui « représente un pas de plus vers la réussite » (Lessard et al., 2017).

Moins nombreuses sont les publications qui examinent le soutien à l’autodétermination par des acteurs communautaires. Dans leur recension, Duerden et Gillard (2008) ont dressé un portrait des pratiques cohérentes avec les besoins d’autodétermination dans un contexte impliquant une relation avec un adulte comme celui du mentorat, des camps d’été ou de pratique des sports. Ailleurs dans le monde, l’étude de Nagpaul et Chen (2019) qui a été menée auprès de jeunes et de personnes professionnelles des services sociaux de Singapore est l’une des rares qui examinent le soutien au besoin d’autodétermination dans un contexte extrascolaire. Les jeunes y rapportent apprécier les expériences qui satisfont leurs besoins d’autonomie, de compétence et d’appartenance, mais peu de programmes parviennent à les soutenir adéquatement. Aux États-Unis, les Youth Centers jouent un rôle analogue à celui des maisons des jeunes au Québec. À notre connaissance, aucune étude scientifique n’a examiné ces milieux en explorant les liens avec l’autodétermination des jeunes, à plus forte raison en contexte pandémique.

Bien qu’il s’avère essentiel, le travail des PI en soutien à l’autodétermination reste insuffisamment documenté et reconnu. Ces connaissances semblent d’autant plus pertinentes considérant le rôle accru que ces personnes ont pu avoir pendant la pandémie en raison des difficultés psychosociales de plusieurs jeunes (Baudry et al., 2021). Ces constats invitent donc à examiner les pratiques des PI qui permettent de soutenir de manière plus large les parcours d’apprentissage des jeunes, notamment par le biais de l’autodétermination.

La théorie de l’autodétermination

La théorie de l’autodétermination (Ryan et Deci, 2017, 2020) postule que les êtres humains ont une propension naturelle à apprendre et à développer des compétences pour la satisfaction et le bien-être qui en résultent. Cette théorie est de perspective organismique, qui considère que l’humain est le premier auteur de son développement (Little et al., 2006). Elle met en avant que l’évolution et le développement des êtres humains sont liés notamment à la curiosité, à l’activité physique et aux interactions sociales. Les individus sont autodéterminés lorsqu’ils peuvent déterminer, choisir et mener les actions qui soutiendront leur développement. Dans ces situations, ils sont davantage enclins à s’engager, à mobiliser les ressources nécessaires et à persévérer face aux obstacles (Little et al., 2006).

Bien que les individus possèdent une part de contrôle sur leur vie, les circonstances et les contextes dans lesquels ils évoluent façonnent leur développement, leur engagement et leur bien-être (Ryan et Deci, 2017). Ainsi, la théorie de l’autodétermination, qui porte sur le comportement et le développement humain, examine comment les facteurs sociaux et contextuels soutiennent ou entravent les capacités des individus à se développer et à atteindre un niveau satisfaisant de bien-être. Les individus ont une tendance intrinsèque à expérimenter, assimiler des informations et s’intégrer à des groupes, ce qui fait que les divers milieux de vie et les personnes qui s’y trouvent influencent leur parcours. L’idée que le parcours d’apprentissage des jeunes est influencé par des facteurs externes, comme le soutien dans une maison des jeunes, s’inscrit donc dans cette perspective de Ryan et Deci (2017) sur l’autodétermination.

Selon Ryan et Deci (2017, 2020), les jeunes sont motivés à apprendre lorsque leurs besoins fondamentaux d’autodétermination sont satisfaits. Ces besoins sont présents chez tous les jeunes, peu importe leur genre, leur ethnie, leur milieu socioéconomique ou leur âge. Le besoin d’autonomie renvoie au sentiment de pouvoir agir et à la volition, c’est-à-dire au sentiment de pouvoir faire ses propres choix et d’avoir un contrôle sur les décisions qui nous concernent. Lorsque satisfait, il favorise l’intégrité et l’authenticité du jeune. Dans le cas contraire, celui-ci ressent de la pression. Le besoin de compétence se rapporte au sentiment d’efficacité et de maitrise au regard des actions à poser. Lorsque l’évaluation de ses capacités s’avère favorable, le jeune est plus susceptible de s’engager dans des activités et de persévérer face aux obstacles. Enfin, le besoin d’appartenance exprime le besoin de se sentir lié à ses pairs et d’être important pour eux. Un jeune peut ainsi entretenir des relations authentiques et chaleureuses lorsque ce besoin est soutenu alors qu’il ressent de la solitude ou de l’exclusion lorsque ce n’est pas le cas. De nombreuses études démontrent que soutenir les besoins d’autonomie, de compétence et d’appartenance se traduit par des retombées positives sur le développement des jeunes (Tian et al., 2014 ; Bergeron, 2018) alors qu’à l’inverse, un manque de soutien de ces besoins ou une frustration liée à ces besoins tend à générer de la passivité ou un sentiment d’impuissance (Vansteenkiste et Ryan, 2013).

Il est ainsi souhaitable que le jeune trouve dans son environnement immédiat des adultes qui soutiennent son autodétermination. Or, ce ne sont pas tous les jeunes qui côtoient dans leur milieu familial ou scolaire des adultes qui y parviennent. Les maisons des jeunes au Québec sont des milieux de vie susceptibles de faire vivre aux jeunes de 12 à 17 ans qui les fréquentent des activités menant à des sentiments d’autonomie, de compétence et d’appartenance. Ainsi, cette étude a pour objectif de comprendre comment les PI en maison des jeunes ont contribué à développer l’autodétermination des jeunes dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Elle vise les trois objectifs spécifiques suivants :

  1. Brosser le portrait des stratégies et activités déployées par les PI pour remplir leur mission auprès des jeunes en contexte pandémique.

  2. Explorer, du point de vue des PI, leur capacité à soutenir les besoins d’autodétermination des jeunes.

  3. Identifier les obstacles qui ont freiné le déploiement de stratégies ou d’activités permettant de soutenir les jeunes en contexte pandémique.

Méthode

Cette étude de cas s’intéresse au rôle des PI à l’égard du soutien à l’autodétermination des jeunes en optant pour un devis descriptif explicatif (Fortin et Gagnon, 2016). Elle a été approuvée par le comité d’éthique de l’université d’appartenance des auteures. Le premier objectif permet de décrire le contexte environnemental dans lequel les jeunes et les PI évoluent. Ainsi, la page Facebook d’une maison des jeunes de la région de l’Estrie a été analysée afin de relever les activités proposées par les PI pendant la première année de la pandémie, soit de mars 2020 à avril 2021. Une grille d’observation « maison » des publications et des commentaires a permis de relever le nom de l’activité, la teneur de celle-ci (activité sportive, culturelle, capsule d’information), la date de réalisation de même que les PI associées à cette dernière. Cette étape a d’ailleurs permis de rédiger un canevas d’entrevue cohérent avec la réalité de ce milieu.

En vue de répondre au deuxième et au troisième objectifs, une entrevue individuelle semi-dirigée d’une durée de 60 minutes a été réalisée auprès des PI de cette même maison des jeunes. Le canevas portait principalement sur le soutien aux besoins d’autonomie, de compétence et d’appartenance, sur les activités déployées avant et pendant la pandémie de même que sur la capacité des PI à créer ou maintenir les relations avec les jeunes. Une partie des questions étaient fondées sur les constats issus de l’analyse de la page Facebook. Par exemple, le rappel des activités effectuées pendant l’année précédente permettait aux PI de s’appuyer sur celles-ci pour élaborer leurs réponses. Menées via la plateforme TEAMS pendant les mois de juin et juillet 2021 auprès de toutes les PI de la maison des jeunes qui étaient toujours en fonction au moment de l’entrevue (n = 11), les entrevues ont été réalisées par une seule personne pour en assurer une plus grande constance interne.

Les entrevues ont été enregistrées, transcrites intégralement puis importées dans le logiciel NVivo (version 12) et anonymisées. Le logiciel NVivo repose sur la création de noeuds, c’est-à-dire un système de classement de l’information. En les identifiant à l’aide d’un ou plusieurs mots représentatifs du contenu abordé, les noeuds permettent de regrouper les références qui s’y rapportent. L’arborescence d’encodage a d’abord été construite de manière déductive à partir des objets de cette étude, soit les besoins fondamentaux de la théorie de l’autodétermination, les activités des PI et le contexte pandémique. Ces thèmes ont tout de même été précisés en cours de traitement en leur ajoutant des sous-catégories. L’encodage de la première entrevue a été réalisé par trois personnes. Des discussions ont eu lieu jusqu’à ce que l’arborescence et la définition de chaque noeud soient stabilisées. La comparaison d’encodage de la deuxième entrevue, notamment par l’accord interjuge, a permis d’apporter des nuances supplémentaires dans la définition des noeuds. Les entrevues suivantes ont été encodées par l’une de ces trois analystes. Tout au long du processus, des échanges ont eu lieu et une révision de l’encodage a été effectuée par la coordonnatrice du projet afin d’assurer la fiabilité des résultats. Lorsque tous les verbatim ont été encodés, la lecture du contenu des noeuds a permis d’en dégager les thèmes principaux et de construire un sens aux propos des participants, comme le proposent Paillé et Mucchielli (2016) dans leur définition de l’analyse thématique.

Résultats

Les stratégies et activités en maison des jeunes : un portrait

Le premier objectif était de brosser le portrait des stratégies et activités déployées par les PI pour remplir leur mission auprès des jeunes en contexte pandémique. L’analyse du contenu de la page Facebook de la maison des jeunes révèle que les PI façonnent et entretiennent un milieu favorable à l’autodétermination. En plus de mobiliser divers moyens de garder le contact avec les jeunes, les PI ont proposé une multitude d’activités qui offrent des opportunités cohérentes avec le développement humain optimal (p. ex. éveiller la curiosité, favoriser l’activité physique et les interactions sociales) et qui mobilisent le pouvoir d’agir des jeunes.

D’emblée, mentionnons que les PI ont fait preuve de créativité afin de capter l’attention des jeunes et de maintenir les échanges. Elles ont publié plusieurs messages liés à leurs intérêts pour maximiser les possibilités de susciter la discussion. Toutefois, les jeunes ont très peu réagi aux publications des PI, sauf lorsqu’il s’agissait de questions à propos de leurs goûts, leurs intérêts ou leurs occupations (p. ex. musique, nourriture). Les PI ont aussi fréquemment diffusé des messages d’encouragement ou des félicitations sur le fil de discussion. Lorsqu’un jeune inscrivait un commentaire, une PI le relançait systématiquement par une question, une rétroaction ou une réaction composée de symboles propres aux systèmes de communication en ligne (p. ex. émojis), afin de poursuivre la discussion. D’autres traces laissent voir des propositions de conversation en privé lancées à certains jeunes qui semblaient avoir besoin de se confier.

Ensuite, les PI ont proposé des activités qui permettaient de maintenir ou créer des interactions entre les jeunes et qui assuraient leur développement dans diverses sphères (p. ex. physique, artistique ou éducative), ce qui suggère que les PI créent un contexte favorable à l’autodétermination des jeunes. Les contenus de la page Facebook révèlent le souci des PI à la fois de divertir, d’informer et d’assurer un soutien psychosocial auprès des jeunes lors de la pandémie de COVID-19. Les analyses ont permis de générer cinq catégories qui regroupent les activités publicisées sur la page Facebook, soit les activités centrées sur le divertissement, les activités éducatives, les activités valorisant la créativité, les activités de ressourcement et d’autres suscitant l’activité physique (voir le tableau 1 présenté plus loin). La catégorie « divertissement » renvoie aux activités qui proposaient un moment ou un moyen pour se distraire de la routine ou encore à celles se démarquant par leur caractère ludique. Cette catégorie est celle à laquelle le plus grand nombre d’activités a été associé, regroupant par exemple des propositions culturelles (lectures, films, musique), des propositions de défis de même que des soirées de jeux (questionnaire, jeux de société ou jeux vidéo).

La catégorie « activités éducatives » regroupe le deuxième plus grand nombre d’activités proposées par les PI. Celles-ci se caractérisent par le fait que les PI s’assurent de transmettre des informations justes et pertinentes, qu’elles mobilisent des connaissances ou qu’elles actualisent le développement de compétences. Une évolution des activités proposées s’observe sur la période d’analyse ciblée. Ainsi, en début de pandémie, de nombreuses activités informatives étaient proposées aux jeunes, concernant principalement les mesures sanitaires et les ressources offertes durant le confinement. Celles-ci étaient souvent proposées de manière humoristique, comme cette PI qui avait remplacé le savon par du ketchup pour effectuer une démonstration d’un lavage de main adéquat. Les activités de cette catégorie se sont ensuite orientées davantage vers des activités de discussion à propos de différents sujets, dont la désinformation ou l’environnement. Enfin, des activités permettant de développer de nouvelles compétences, comme la cuisine, la menuiserie, la réparation de vélo ou la recherche d’emploi, apparaissent plus fréquemment dans les derniers mois de la période observée.

Lorsque l’activité amenait les jeunes à pratiquer une activité physique, comme la danse, l’entraînement physique ou le disque volant (« frisbee »), elle a été placée dans la catégorie « activité physique ». Il s’agit aussi de défis sportifs, dont certains se déroulaient sur une période pouvant aller jusqu’à un mois. Différentes activités sportives de groupe ont été organisées lorsque les rassemblements extérieurs ont été autorisés, comme des parties de soccer, de basketball ou des jeux de plage. Les activités associées à la catégorie « créativité » sont celles qui menaient à une production artistique, telle que la création de jeux de société ou de cartes de Noël. Les activités inscrites dans la catégorie « ressourcement » sont celles qui étaient orientées sur l’idée de prendre soin de soi. Les activités de cette catégorie, tel le yoga, se sont déroulées à maintes reprises au cours de la première année de pandémie.

L’analyse du contenu de la page Facebook laisse penser que l’offre d’activités était modulée par l’intérêt qu’elles suscitaient chez les jeunes. Par exemple, dans la catégorie divertissement, l’activité de soirée de jeux qui avait eu lieu à 4 reprises en juin 2020, s’est déroulée à 11 reprises en mars 2021. L’intérêt démontré par les jeunes a donc amené les PI à la réitérer dans leur offre, menant à une occurrence totale élevée. Les jeux de société se démarquent particulièrement, puisqu’ils composent 51 des 70 occurrences de la catégorie divertissement tandis que l’activité cuisine a été la favorite parmi celles de la catégorie information et apprentissage (29 sur un total de 35). Le tableau 1 présente ces catégories et les activités qui ont été offertes, en fonction de leur occurrence.

La réponse aux besoins d’autodétermination des jeunes : perspectives des PI

Le deuxième objectif visait à explorer, du point de vue des PI, leur capacité à soutenir les besoins d’autodétermination des jeunes. Plusieurs propos indiquent que les interventions ou les activités proposées visent explicitement à répondre aux trois besoins d’autodétermination. Les analyses montrent que les PI travaillent de manière consciente, concertée et soutenue à répondre aux trois besoins d’autodétermination des jeunes et qu’elles ont maintenu autant que possible leurs approches en temps de pandémie. Plus encore, les PI visent à ce que le soutien offert aux jeunes ait des retombées dans leur parcours scolaire, comme le montre l’extrait suivant :

Ils ont évolué dans leur maitrise, que ce soit, c’est bête, mais les ciseaux, le coloriage, la précision, avoir des angles, des formes, ça a évolué, à leur rythme chacun. Moi je vise de pouvoir justement leur permettre d’évoluer là-dessus, puis faire des liens avec un peu ce qu’ils ont à l’école, parce qu’ils le font vite en fait des liens, ils le font naturellement dans ces moments-là, parce qu’on n’est pas en train de leur demander de faire des maths, mais si je leur dis « mets ta feuille là, il faut que tu la coupes en quatre », ils vont prendre leurs règles, ils vont compter, donc c’est un peu faire tous ces liens entre leurs apprentissages théoriques.

Tableau 1

Catégorisation des activités et nombre de fois qu’elles ont été offertes entre les mois de mars 2020 et d’avril 2021 à la maison des jeunes

Catégorisation des activités et nombre de fois qu’elles ont été offertes entre les mois de mars 2020 et d’avril 2021 à la maison des jeunes

Note. Il a été impossible de classer 21 activités à partir des informations de la page Facebook, comme « soirée surprise » ou « soirée insolite ».

Source. Tiré de la page Facebook de la maison des jeunes.

-> See the list of tables

Besoin d’appartenance

De manière générale, mais plus encore en contexte pandémique, les PI se préoccupent de développer le sentiment d’appartenance des jeunes envers la maison des jeunes ou un groupe qui s’y trouve. En effet, le noeud relatif au sentiment d’appartenance est celui qui contient le plus grand nombre d’extraits. L’une des premières actions menées par les PI à la suite du confinement a été de prendre un moment pour s’informer de l’état du jeune et lui faire savoir qu’elles étaient présentes en cas de besoin. L’une des PI clarifie cette importance : « quand c’est déjà difficile d’accepter de l’aide quand on te l’offre, c’est encore plus difficile de la demander quand on te l’offre pas ». Plusieurs objectifs sous-jacents aux activités qui ont été nommés par les PI montrent qu’elles visent à soutenir le besoin d’appartenance, en aidant les jeunes à créer des liens avec leurs pairs, en visant à renforcer la cohésion du groupe et en favorisant une collaboration entre eux. Puisque les PI reconnaissent l’importance pour les jeunes de se sentir liés à leurs pairs, elles ont travaillé activement à favoriser la création et le maintien de tels liens dans plusieurs occasions pour qu’ils « puissent s’épanouir dans leurs relations interpersonnelles ». Enfin, le sentiment d’appartenance repose aussi sur le fait de sentir que l’on a une valeur aux yeux d’autrui. Une des PI soulignait l’importance qu’a pu avoir la présence d’une relation authentique avec un adulte en contexte pandémique en formulant des propos que les jeunes auraient pu tenir dans cette période : « On ne voit plus nos amis, j’ai pas le droit d’aller au parc, j’ai pas le droit de voir ma famille, à qui je peux me relier, être en appartenance ? Hey crime, mes intervenants, ils m’offrent ça. »

Besoin d’autonomie

Les PI mettent également l’accent sur le développement de l’autonomie des jeunes dans l’ensemble de leurs interventions, notamment pour le suivi scolaire et la prise en charge du bien-être. Par exemple, les PI se sont assurées avec certaines activités que les jeunes comprennent et maitrisent mieux les outils de communication comme la plateforme Zoom et qu’ils sachent organiser leur espace de travail afin de s’adapter à l’enseignement à distance. Par des capsules d’information et des rencontres plus spécifiques, les PI ont aussi aidé les jeunes à comprendre l’importance d’une routine et d’une hygiène de vie, à se doter de moyens pour les mettre en place, et les ont encouragés à les maintenir.

Un autre volet important du soutien au besoin d’autonomie des jeunes consiste dans les occasions qui leur sont offertes d’exprimer leurs opinions, d’énoncer leurs intérêts, de réfléchir aux enjeux et de faire des choix. Les PI ont régulièrement sollicité l’opinion des jeunes avant d’offrir des activités. Elles les incitent aussi à penser par eux-mêmes : « c’est aussi regarder leur travail, regarder le travail des autres, puis pouvoir se juger de façon critique, de pouvoir se dire, “hey ça j’aime ça, moi j’aimerais apprendre ça” ». Autant que possible, les PI ont impliqué les jeunes dans les décisions, les mesures à mettre en place pour le retour en présentiel dans les installations, et leur ont attribué des responsabilités, comme de trouver une recette pour l’atelier de cuisine. Une PI explique que le fait que les jeunes se soient sentis écoutés et considérés dans l’offre de services et d’activités leur a permis de se mobiliser. Toutefois, elles ont tenté de limiter la charge qui peut être associée au fait d’avoir plus de choix ou de responsabilités : « on n’est pas allé trop loin au niveau des responsabilités parce que c’est déjà hyper instable. Ils en ont déjà beaucoup sur les épaules comme juste s’adapter à tout ça ». Enfin, les PI adoptent un style d’accompagnement qui soutient l’autonomie du jeune. Comme l’exprime l’une de celles-ci, « l’attitude du sauveur n’est jamais bonne parce qu’on n’est pas là pour sauver, on est là pour intervenir ». En ce sens, lorsque les jeunes éprouvent des difficultés, l’approche consiste à développer chez eux le réflexe de chercher de l’aide et à les outiller pour trouver des solutions et qu’ils « soient en mesure de répondre à leurs propres besoins après. Parce que le but c’est pas qu’ils reviennent vers moi toutes les fois. Le but c’est qu’ils développent leur autonomie. »

Besoin de compétence

Le besoin de compétence est souvent considéré par les PI et différents moyens permettent d’y répondre. D’une part, les PI sollicitent les jeunes qui ont une expertise ou une aisance dans un sujet pour qu’ils agissent comme mentors auprès de leurs pairs. Par exemple, offrir du soutien à ses pairs dans une matière scolaire motive et valorise les jeunes qui le font. Les PI se prêtent elles-mêmes à cet exercice de formation par les jeunes, comme le montre cette PI qui est allée faire du vélo de montagne avec de jeunes passionnés ou encore l’appel qu’elles leur ont lancé pour savoir comment s’y prendre sur une application populaire auprès des jeunes. D’autre part, elles proposent une diversité d’activités afin que les jeunes découvrent ou approfondissent des intérêts et les compétences sous-jacentes. Les activités sont aussi réfléchies dans l’optique de faire naitre un sentiment de fierté ou d’utilité, comme l’expose l’extrait qui suit sur l’atelier de menuiserie : « créer quelque chose de leurs mains, puis de voir quelque chose qui perdure. Parce qu’on a fait des tables, on a fait des bancs qui sont encore là, qui sont encore utilisés en maison des jeunes. Les jeunes étaient vraiment fiers. »

En somme, les PI s’efforcent de transmettre aux jeunes qu’ils peuvent agir sur leur vie, malgré les embûches de l’environnement comme le contexte pandémique. Certaines rapportent : « le fait de se réapproprier le pouvoir d’intervenir sur soi-même c’est de dire “Ah oui c’est vrai, j’ai du contrôle sur mon bien-être, j’ai les moyens, je les connais, je les ai déjà utilisés donc je peux les réutiliser aujourd’hui” » ou encore « c’est normal que tu trouves ça tough parce que nous autres aussi on le trouve tough. C’est tough ! Maintenant que c’est dit, qu’est-ce qu’on peut faire ? Qu’est-ce qu’on peut mettre en place ensemble pour qu’on poursuive notre chemin même s’il est cahoteux, mais on va arriver à l’autre bout quand même. » Que ce soit par le soutien à l’un ou l’autre des besoins d’autodétermination ou encore par une volonté de montrer aux jeunes qu’ils ont un pouvoir d’agir, les PI en maison des jeunes soutiennent réellement leur autodétermination.

Les obstacles qui limitent le soutien offert par les PI

Le troisième objectif était d’identifier les obstacles induits par la pandémie qui ont freiné le déploiement de stratégies ou d’activités permettant de soutenir les jeunes. Pour ce faire, tous les propos en lien avec les adaptations que les PI ont dû faire pour continuer à offrir du soutien aux jeunes, les modifications de leurs tâches de même que les changements liés à la COVID-19 ont fait l’objet d’analyse.

Moyens de communication

Le premier constat est que les difficultés technologiques liées aux moyens de communication ont été un obstacle dans la capacité des PI à soutenir les jeunes. L’intervention auprès des jeunes, qui se faisait antérieurement en présentiel dans la quasi-majorité des cas, est passée à une approche à l’aide des moyens de télécommunication comme le téléphone, la plateforme Zoom et l’échange de messages. Or, les PI ont remarqué que ces modalités limitaient leur capacité à intervenir dans une grande proportion des cas. Plus précisément, les PI ont souligné que certains éléments comme la maitrise des outils informatiques, leur accessibilité au domicile ou le fait que le reste de la fratrie soit à proximité empêchaient le jeune de communiquer avec elles ou nuisaient à la qualité des échanges. Une PI énumérait ainsi diverses difficultés liées aux échanges à distance : « quand ils sont trois dans la même chambre, quand il y a un seul ordinateur, le problème de réseau, le problème d’équipement électronique », tandis qu’une autre ajoutait « des fois on entend les gens parler en arrière. Ou on peut avoir… honte de notre milieu ? Tu sais, notre chambre est pas belle… Ce qui se passe en arrière c’est pas beau, ça crie tout le temps… » Le contexte entourant les communications entre PI et jeunes par les moyens informatiques a donc été moins propice à certaines interventions psychosociales malgré le fait qu’ils aient permis de maintenir les liens.

La communication par des outils informatiques a aussi constitué un frein aux échanges pour trois autres raisons selon les PI. La première est que certains jeunes avaient déjà bien suffisamment l’obligation de rester assis devant un ordinateur pour les périodes scolaires qu’ils ne se sentaient pas motivés à y retourner pour prendre part à d’autres activités. Une PI le dit ainsi : « on s’est rendu compte aussi que nos jeunes, il y en avait qui n’en pouvaient plus d’être sur un écran à certains moments ». La deuxième est le temps supplémentaire requis pour communiquer individuellement avec eux, notamment pour effectuer les suivis par téléphone : « parce que tu sais si je vais à l’école le midi, je peux voir cinq jeunes en une heure ; là, on n’est pas là-dessus là, c’est appeler au bon moment ». La troisième est liée au fait que lorsque les échanges se font par écrit, ils ne permettent pas de cerner les émotions du jeune comme il est possible de le faire en présence « parce que c’est le visage aussi, si tu vois un jeune qui est triste, qui n’est pas bien, tu vas aller vers lui ». Néanmoins, des PI ont remarqué que le téléphone apportait une occasion d’approfondir l’échange avec certains jeunes puisque ces derniers appréciaient le contact individuel et prolongé que cela permettait. Au fil des semaines, les PI ont donc adapté leur façon de rejoindre les jeunes selon les préférences et besoins de chacun.

Répercussions de la pandémie

Le deuxième obstacle nommé par les PI en lien avec leur capacité à soutenir renvoie aux répercussions que la pandémie a eues sur les habitudes. D’une part, la présence de restrictions, particulièrement le fait de ne pas pouvoir fréquenter les lieux de rassemblement habituels, a nui aux activités et interactions entre jeunes et PI. Comparativement au contexte habituel de rencontre dans le local de la maison des jeunes, où il y a beaucoup de mouvement puisque les jeunes arrivent et repartent à toute heure, les activités et rencontres ne pouvaient être que planifiées. Or, « il y a certains jeunes qui aimaient mieux que ça soit plus spontané ». Proposer de chiller (expression des jeunes signifiant prendre du bon temps, ne rien faire et se détendre) en ligne est beaucoup moins évident que lorsque l’ambiance s’y prête dans la maison des jeunes. Cela s’avère également vrai pour les activités sportives ; comme le souligne cette PI, « tout ce qui est sportif, entraînement, ça prend la présence d’un groupe, ça prend les pairs positifs pour les motiver à être là ». Le local réservé aux PI à même l’école secondaire du quartier est habituellement un lieu de rencontre spontané pour les jeunes pendant les récréations ou l’heure du midi. Des interactions peuvent ainsi avoir lieu, favorisant la création de liens et, de ce fait, la capacité de soutenir les jeunes.

D’autre part, certains jeunes ont été passablement angoissés durant cette période, ce qui a nui à leur implication. Selon une PI, « le plus grand obstacle à la participation, c’est le fait qu’ils ont tellement été isolés longtemps que juste sortir de chez soi c’est angoissant, juste de participer à quelque chose, il y a d’autres personnes, c’est angoissant. C’est sûr qu’il y a cet obstacle-là, amené par la COVID-19, qui est plus significatif. » Les PI ont aussi noté une baisse de motivation ou un état apathique chez les jeunes. Comme l’évoquait celle-ci : « de se lever, puis d’aller faire une activité, ç’a été difficile de recommencer à faire ça, au début. Il y en a quelques-uns qui étaient vraiment contents, mais on s’est rendu compte que de se déplacer pour se rendre à une activité, pour certains ç’a été un frein. » Ainsi, la capacité à soutenir les jeunes a été limitée par les restrictions liées au contexte, mais aussi par les conséquences qu’elles ont eues sur les habitudes.

Enfin, certains obstacles concernent plus directement les PI. S’il est vrai que les jeunes ont été mis à l’épreuve sur plusieurs plans en raison de la pandémie, les PI ont eux aussi eu à composer avec certaines difficultés, sur les plans personnel ou professionnel. En plus d’avoir à acquérir les compétences nécessaires sur le plan des technologies de l’information, certains avaient de jeunes enfants à la maison, ce qui complexifiait le travail à distance. Une PI résume les difficultés induites par la pandémie autant sur le plan personnel que professionnel :

C’était beaucoup de charge émotionnelle surtout au début, il faut pas oublier que nous aussi on a notre charge émotionnelle personnelle dans ce contexte […]. Pour moi, ce qui a été difficile, c’est de pas pouvoir m’appuyer sur mon équipe, ce que j’aurais fait en vrai, là c’était plus difficile pour moi de décrocher le téléphone pour avoir une conversation de tout et de rien, donc je me suis beaucoup plus appuyée sur mon filet personnel, alors que normalement j’aurais plus fait ça avec mon équipe.

Discussion

Cette étude avait pour objectif de comprendre comment les PI communautaires ont contribué à développer l’autodétermination des jeunes dans le contexte de la pandémie de COVID-19, ce qui permettait de soutenir leurs parcours d’apprentissage. Les actions que les PI ont menées participent au développement du pouvoir d’agir des jeunes dans leur environnement, tout comme le vise le travail social. De l’avis de Skinner et al. (2012), les acquis dans un contexte particulier, ici les maisons des jeunes, peuvent se traduire par des gains sur la réussite scolaire. Ainsi, il est probable que les jeunes qui ont développé le sentiment de pouvoir agir sur leur vie, par exemple en se dotant d’une routine favorisant le bien-être, ont été en mesure de poursuivre et réussir leur scolarité dans les circonstances exceptionnelles générées par la pandémie.

Alors que divers organismes n’ont pas été en mesure de maintenir leurs services, les maisons des jeunes ont adapté leur offre d’activités et leurs moyens d’intervention afin de continuer à répondre aux besoins des jeunes. De nombreux exemples montrent que les PI de cette maison des jeunes ont contribué favorablement aux parcours d’apprentissage de ces jeunes, dans un contexte qui présentait des défis importants, notamment pour les jeunes présentant des facteurs de vulnérabilité. En plus de l’aide directe pour le soutien scolaire (p. ex. formation portant sur l’utilisation d’outils informatiques), les PI se sont engagées activement pour favoriser la réponse aux besoins de compétence, d’autonomie et d’appartenance dans un contexte qui suscitait des obstacles dans le parcours scolaire des jeunes. Selon la théorie de Ryan et Deci (2017), un jeune qui vit des sentiments d’autonomie, de compétence et d’appartenance sera plus motivé et persévérant. Par le grand nombre d’activités proposées et leur variété, les PI ont offert de multiples possibilités aux jeunes de se mobiliser, évitant que certains tombent ou continuent à être dans un état apathique. Pour Bergeron (2018), travailler dans une visée d’autodétermination, c’est amener l’élève à prendre des décisions, à devenir responsable de ses choix, à se prendre en charge et ultimement lui donner « le goût de se créer lui-même » (p. 21). Ainsi, choisir les sujets des discussions de groupe, donner du pouvoir, offrir des occasions d’exprimer sa pensée sont des moyens cohérents mis en place pour soutenir le besoin d’autonomie des jeunes en contexte de pandémie. Dans le même sens, un besoin d’appartenance comblé suscite chez le jeune un sentiment de sécurité qui lui permet de mieux explorer le monde qui l’entoure (Nagpaul et Chen, 2019). Les efforts mis par les PI pour développer un sentiment d’appartenance chez les jeunes, notamment en leur témoignant l’importance qu’ils ont pour eux, ont donc potentiellement eux aussi favorisé le parcours scolaire des jeunes.

Selon Leclerc (2020), le partage d’un sort commun favorise les dynamiques d’aide mutuelle dans les groupes. Face à cette situation exceptionnelle créée par la pandémie, les PI et les jeunes ont éprouvé des fragilités semblables, alors qu’habituellement ils ne partagent pas les mêmes difficultés, du moins dans le moment présent. Les PI ont pu servir de modèles puisqu’elles ont été proactives et créatives face à la situation qui a affecté tous les groupes de la société. Par la modélisation et les activités proposées, les PI ont permis aux jeunes de voir et d’expérimenter des situations dans lesquelles il était possible d’avoir du pouvoir d’agir malgré les contraintes environnementales.

De l’avis de Behzadnia et FatahModares (2020), durant la pandémie de COVID-19, la participation à diverses activités était un moyen efficace pour aider les personnes à éprouver davantage de vitalité et de bien-être et à mieux gérer le stress. En ce sens, les PI ont proposé aux jeunes une programmation d’activités régulières, leur permettant de maintenir une routine et potentiellement de trouver un sens à leurs semaines. Une autre contribution importante des PI a été d’informer les jeunes et d’offrir un espace pour entendre leurs préoccupations en contexte de pandémie. Les activités de nature informative ont particulièrement été nombreuses en début de confinement, où l’incertitude créée par la situation pandémique était particulièrement importante. Les PI ont estimé qu’il était souhaitable d’informer les jeunes adéquatement puisque certains milieux familiaux n’étaient pas en mesure de le faire. Ainsi, le fait de mieux comprendre la situation, notamment les règles de passage d’un degré scolaire à l’autre scolaire, a certes été un moteur pour aider les jeunes à mieux naviguer dans le contexte qui présentait beaucoup de nouveauté et d’incertitude. Ces éléments ont potentiellement contribué à créer un filet de sécurité autour des jeunes durant cette période.

Certes, soutenir les jeunes ne s’est pas réalisé sans difficulté. Tenir compte des besoins des jeunes semble être la clé qui a déterminé la façon de continuer à leur offrir du soutien. Les études témoignent d’ailleurs que considérer le point de vue des jeunes favorise leur engagement (Skinner et al., 2008). Même si certaines modalités s’avéraient moins optimales en termes de rendement, comme les appels téléphoniques, les PI se sont adaptées et ont maintenu celles qui leur permettaient de rejoindre les jeunes. Malgré la diversité des moyens mis en place, les PI déplorent que certains jeunes se soient trouvés davantage isolés. En outre, les jeunes en situation de défavorisation socioéconomique ont subi des conséquences plus importantes en raison de l’inaccessibilité aux outils technologiques pour pouvoir demander et obtenir de l’aide.

Limites

Les activités proposées par les PI ont été documentées par une analyse de contenu de la page Facebook de la maison des jeunes. Il aurait été intéressant d’avoir accès aux documents qui les décrivent afin d’en connaitre les objectifs et ainsi de mieux cerner leur contribution au soutien à l’autodétermination des jeunes. De plus, les dispositifs de collecte de données n’ont pas permis de vérifier les effets sur les jeunes des activités proposées par les PI à partir de leurs points de vue. En outre, l’entrevue menée en visioconférence a quelquefois été interrompue par des difficultés de réseau, ce qui a pu nuire à la qualité des échanges. Notons par ailleurs que bien que la taille de l’échantillon soit petite puisque quelques PI avaient quitté leurs fonctions entre le moment de l’analyse de la page Facebook et celui de l’entrevue, toutes les PI encore à l’emploi lors de la collecte de données ont participé à l’entrevue, ce qui représente relativement bien le travail effectué par ces personnes. Il aurait été toutefois intéressant de comparer avec ce que d’autres maisons des jeunes ont été en mesure de réaliser comme activités / programmation pendant la pandémie.

Conclusion

Au Québec, le travail des PI en maison des jeunes est méconnu, voire perçu comme étant principalement un rôle d’animation de loisirs. Cette étude, l’une des rares sur le sujet, a mis en lumière la contribution importante qu’elles peuvent apporter concernant le parcours scolaire, notamment par leur soutien à l’autodétermination des jeunes. Les résultats de cette étude mettent en évidence que de multiples activités peuvent soutenir le développement des jeunes lorsque des adultes bienveillants et créatifs se donnent comme mission de le faire. Ces résultats invitent à reconnaitre davantage les effets positifs sur la persévérance d’interventions et activités menées dans un contexte extrascolaire, à l’instar de celles déployées en travail social.

Depuis plusieurs années, les études ont indiqué que le décrochage scolaire résulte de facteurs liés à différentes sphères de la vie du jeune et qu’un soutien systémique permettrait de mieux le contrer (Fortin et al., 2013). Dans le cadre de cette étude, on a vu que les PI ont joué un rôle de proximité important auprès des jeunes vulnérables et contribué notamment à amoindrir des obstacles à la participation scolaire, comme ceux touchant à la maitrise des outils technologiques et au maintien d’une hygiène de vie favorable au succès scolaire. Divers aspects ont été abordés, plus particulièrement les activités déployées en temps de pandémie, le soutien aux besoins d’autodétermination des jeunes offert par les PI et les obstacles rencontrés. Au-delà des actions qui peuvent être menées en contexte scolaire, il importe donc de réfléchir à inclure d’autres milieux de vie dans l’équation de la persévérance scolaire puisque ceux-ci peuvent permettre de développer des compétences ou de les réinvestir, notamment pour les jeunes qui parviennent plus difficilement à trouver leur place à l’école. Dans le cas à l’étude, le soutien à l’autodétermination des jeunes apporté par des PI semble s’être avéré déterminant dans le contexte de changements et de ruptures dus à la pandémie. Les études futures et les programmes de soutien à la persévérance et à la réussite scolaires gagneraient à inclure les PI, du milieu communautaire ou psychosocial, dans une visée systémique de soutien à l’élève.