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Introduction

En plus d’être caractérisé par des transformations sur les plans professionnel et relationnel, le passage à l’âge adulte est une période de la vie marquée par un renouvellement de ses entourages et par la recherche identitaire (Arnett, 2000 ; Bidart, Degenne et Grossetti, 2011). Une nouvelle génération semble d’ailleurs affirmer de plus en plus son désir de percevoir le genre et d’exprimer le sien en dehors des catégories binaires traditionnelles (Frohard-Dourlent et al., 2017). Ainsi, au Québec, 38 % des jeunes trans (14-15 ans) s’identifieraient comme non binaires (Taylor et al., 2020). Au Canada, 44 % des jeunes trans (14-25 ans) s’identifieraient d’une façon autre que comme « homme trans » ou « femme trans » (Veale et al., 2017). La non-binarité peut être comprise comme un refus de se conformer aux catégories de genre homme/femme qui découle d’un sentiment personnel concernant sa propre identité (Richards et al., 2016).

Ces identités émergentes demeurent marginalisées et les personnes qui les revendiquent risquent de vivre de la discrimination (Richards et al., 2016). Les personnes non binaires font donc face à des enjeux de marginalisation, d’invisibilisation et de discrimination qui leur sont particuliers. Notamment, les jeunes non binaires canadiens (14-25 ans) peuvent se sentir incompris et avoir l’impression qu’il leur est impossible de vivre leur vie quotidienne dans leur propre genre (Veale et al., 2017). Par exemple, dans une société comme la nôtre qui ne reconnait que les genres homme et femme, la majorité des gens ne connaissent pas les pronoms neutres, voire ignorent jusqu’à leur existence (Veale et al., 2017). L’utilisation par autrui du prénom choisi par les jeunes trans aurait pourtant un effet sur leur bien-être (Russell, Pollitt et Grossman, 2018). D’ailleurs, cette incompréhension et l’absence de validation de la non-binarité par autrui seraient une cause de stress pour les personnes non binaires (Testa et al., 2015).

Il existe encore peu de données sur la situation des personnes non binaires. Plusieurs études traitent des personnes de la diversité sexuelle et des personnes trans ainsi que des enjeux qui les concernent, notamment en matière de santé (p. ex. : Pachankis et al., 2018 ; Shearer et al., 2016), mais très peu parlent spécifiquement des personnes non binaires. Il est pourtant particulièrement pertinent de se pencher sur les particularités de l’identité de genre et ses répercussions sur la santé, puisqu’il a été suggéré que les expériences de stigmatisation et un niveau inférieur de bien-être parmi les minorités sexuelles sont plus fortement liés à leur degré de non-conformité par rapport aux normes sociales relatives au genre qu’à leur orientation sexuelle (Baams et al., 2013). D’autres études (p. ex. : Rieger et Savin-Williams, 2012) suggèrent que la non-conformité aux genres binaires chez les enfants et adolescents serait associée négativement à leur bien-être et affecterait plus directement leur santé psychologique qu’une orientation homosexuelle.

Au sein d’une société dans laquelle seulement deux genres (homme et femme) sont admis, la soumission à certains stéréotypes genrés binaires est requise pour que l’identité individuelle soit comprise par les autres (Serano, 2007). Or les personnes non binaires ne se reconnaissent pas dans ces stéréotypes qui leur sont imposés. La théorie de l’intelligibilité de Butler permet de comprendre comment, par un ensemble de dispositifs tant politiques qu’institutionnels et discursifs, le genre est produit et régulé en fonction d’une logique binaire (homme/femme) (Butler, 2007). Certaines identités qui ne cadrent pas avec les normes hégémoniques binaires du féminin et du masculin peuvent ainsi être incomprises dans une telle culture. Conséquemment, les personnes non binaires peuvent faire l’expérience d’un stresseur distal que Testa et al. (2015) ont nommé la non-affirmation. La non-affirmation fait référence au fait que le genre d’un individu n’est pas reconnu par les autres. Les personnes non binaires font l’expérience de cette non-affirmation lorsque des personnes, dans leur entourage, se réfèrent à elles en utilisant des termes genrés. Elles en font aussi l’expérience lorsque leur entourage se base sur des stéréotypes de genre liés à l’apparence ou à l’expression de genre pour déterminer comment se référer à elles, par exemple en choisissant de s’adresser à une personne non binaire au masculin si cette personne présente des traits jugés socialement comme étant masculins.

Or, l’exclusion sociale est un déterminant majeur de la santé globale (Fish, 2010), alors que les soutiens reçus de la part de la famille, des ami·e·s et de la communauté sont de bons prédicteurs de résultats positifs sur le plan du bien-être pour les jeunes adultes LGBTQ (Snapp et al., 2015). Parmi les situations qui peuvent contribuer à la solitude, on retrouve la déconnexion de la famille et le peu d’accès à du soutien social. Pour les personnes trans, la solitude peut résulter du rejet par des membres de la famille, des ami·e·s ou des collègues qui ne veulent pas accepter leur parcours trans (Hendricks et Testa, 2012). L’isolement peut être aggravé par le fait de ne pas avoir accès à beaucoup de sources de soutien dans une société qui n’accepte généralement pas la non-conformité aux normes sociales liées au genre (Hendricks et Testa, 2012).

Cette étude cherche donc à explorer les formes et les sources de soutien rapportées par les jeunes adultes non binaires ainsi que l’influence de celles-ci sur leur bien-être. Dans le cadre de cette étude, nous nous intéressons tant au bien-être social (p. ex. : sentiment d’appartenance à la société ou à un groupe) que psychologique (p. ex. : estime de soi, confiance en soi, confiance en la vie) (Kertzner et al., 2009). Nous présentons d’abord notre cadre conceptuel, qui puise à la fois dans le modèle du stress minoritaire et dans la perspective du parcours de vie, puis notre méthode de recherche. Ensuite, nous décrivons nos résultats et les discutons à la lumière d’autres études avant de conclure. Nous abordons, entre autres, la question de l’impact de la présence d’autres personnes trans et non binaires sur le bien-être des jeunes adultes non binaires.

Cadre conceptuel

Stress minoritaire

Cette étude se base sur le modèle du stress minoritaire de Meyer qui conceptualise la façon dont le stress social spécifique aux personnes LGB peut avoir un impact négatif sur leur santé mentale (Frost, Meyer et Schwartz, 2016 ; Meyer, 2003 ; Testa et al., 2015). Ce stress spécifique aux personnes LGB est généré à la fois par des stresseurs distaux (p. ex. : discrimination, rejet, violence) et proximaux (p. ex. : croyances intériorisées, crainte du rejet, dissimulation de son orientation sexuelle). Le modèle de stress minoritaire pose aussi que les expériences de discrimination, la stigmatisation sociétale et le stress résultant de l’appartenance réelle ou supposée à un groupe minoritaire causent des perturbations psychologiques dans la vie quotidienne et peuvent donc conduire à la dépression, l’anxiété, la toxicomanie et même des niveaux accrus de risque suicidaire (Hendricks et Testa, 2012 ; Rieger et Savin-Williams, 2012).

Bien que le modèle de Meyer n’intègre pas comme telles d’autres identités de genre que celles des hommes et des femmes cisgenres, selon Hendricks et Testa (2012), il est possible de faire des transpositions entre ce modèle et la situation des individus trans (y compris les personnes non binaires). En effet, les personnes trans et non binaires sont elles aussi soumises au stress minoritaire de diverses façons. En plus des stresseurs de la vie en général, les personnes trans et non binaires sont soumises à des stresseurs spécifiques à leur identité de genre, comme des taux alarmants de discrimination, de violence et de rejet liés à leur identité ou expression de genre, ce à quoi s’ajoute le stresseur distal de la non-affirmation, dans la plupart des environnements fréquentés au quotidien. La prévalence plus élevée des troubles mentaux chez les personnes trans serait liée à ces expériences (Hendricks et Testa, 2012). Cela concorde avec le modèle de Meyer (2003) suivant lequel l’incidence plus élevée de troubles mentaux chez les personnes LGB serait essentiellement le résultat d’un environnement social hostile et stressant auquel celles-ci sont exposées en raison de leur statut de minorités sexuelles.

Le modèle de Meyer (2003) intègre également l’existence de facteurs de protection qui ont comme effet d’atténuer les expériences de stress minoritaire. En effet, les personnes appartenant à une minorité sexuelle engagée dans la communauté LGB peuvent accéder à des facteurs de résilience comme le soutien social et émotionnel des autres personnes présentant une identité et des expériences partagées, la fierté identitaire et l’appartenance à la communauté (Testa et al., 2015 ; Weinhardt et al., 2019). Le soutien de la part de la famille, des ami·e·s et de la communauté a aussi été identifié comme faisant partie des facteurs de protection pour les jeunes adultes LGBTQ (Snapp et al., 2015). En ce qui concerne spécifiquement les individus s’identifiant au moyen d’un genre non conforme aux catégories de genre binaires, il a été démontré que la fréquentation d’autres personnes s’identifiant elles aussi en dehors des modèles binaires diminuerait leur anxiété et leur procurerait un sentiment de confort (Testa, Jimenez et Rankin, 2014).

Parcours de vie

La perspective du parcours de vie est appropriée pour étudier les impacts du soutien social perçu par les jeunes adultes non binaires sur leur bien-être, puisqu’elle cherche à expliquer les liens entre le changement social, la structure sociale et l’action individuelle (Saint-Jacques et al., 2009) et s’articule autour de cinq principes. Le premier veut que le développement humain soit un processus continu et multidimensionnel. Ainsi, il est possible qu’il y ait des changements continus dans les relations que l’on entretient de même que dans la formation de notre identité, vu sa fluidité. Le second principe postule que la position dans le temps et l’espace a une influence sur la vie des individus. Ainsi, les normes d’une société à un moment donné, notamment en lien avec l’orientation sexuelle et l’identité de genre, auront un impact sur le parcours des individus. Le troisième stipule que l’intégration sociale et les interrelations des vies des individus comprennent de multiples relations (familiales et amicales par exemple). Le quatrième souligne la participation active des personnes à la construction de leur trajectoire à travers leurs choix et leurs actions. Le cinquième principe pose que les transitions et les événements vécus, leur succession et l’âge auquel ils sont vécus dans le parcours de vie ont une influence sur le développement individuel.

Méthode

Participant·e·s

L’étude comprend neuf jeunes adultes francophones ayant entre 20 et 29 ans et s’auto-identifiant comme non binaires (excluant donc les personnes s’identifiant exclusivement comme « femme » ou « homme »), et habitant dans la région de Montréal. Notons cependant que les pronoms ainsi que les pseudonymes choisis par les participant·e·s afin de préserver leur anonymat sont un instantané dans le temps et ne reflètent pas nécessairement l’orientation sexuelle ou le genre actuel de la personne, vu leur nature dynamique. Les participant·e·s ont un âge moyen de 24,8 ans. Deux des participant·e·s ne sont pas né·e·s au Canada (Israël et France) et deux participant·e·s se disent racisé·e·s. Bien qu’elle se limite à neuf personnes, cette enquête permet de s’intéresser à une population jusqu’à maintenant encore trop peu prise en considération dans les études.

Recrutement

Deux vagues de recrutement ont eu lieu. Un premier recrutement a été réalisé à l’été 2018 dans le cadre du programme de recherche Savoirs sur l’inclusion et l’exclusion des personnes LGBTQ (SAVIE-LGBTQ)[1]. Ce projet vise l’analyse des formes d’inclusion et d’exclusion vécues par les personnes LGBTQ au Québec dans divers domaines (p. ex. : famille, travail). Pour sa première vague d’entrevues, le projet SAVIE-LGBTQ a recruté 31 participant·e·s à l’aide de l’infolettre et du compte Facebook de la Chaire de recherche sur la diversité sexuelle et la pluralité des genres[2] de l’UQAM. Pour participer à l’étude, les participant·e·s devaient s’identifier comme faisant partie de la communauté LGBTQ, être âgé·e·s de 18 ans ou plus et résider au Québec depuis au moins cinq ans. Parmi cet échantillon, on retrouvait six jeunes adultes non binaires. Trois participant·e·s supplémentaires ont été recrutés à travers la page Facebook de la Chaire.

Instruments de mesure et procédure

Deux outils ont été employés pour la collecte de données : le calendrier de vie et les entrevues semi-dirigées. Le calendrier de vie est un outil de collecte de données comprenant une évaluation visuelle, basée sur un calendrier, des événements de la vie d’un individu ancrés par des indices contextuels (événements importants comme les relations de couple, les études, etc.) pour améliorer le rappel rétrospectif (Fisher, 2013). Le calendrier de vie utilisé pour cette étude se centre sur trois domaines du projet SAVIE-LGBTQ (famille, réseaux sociaux et identité) et permet de reconstituer le parcours de vie des participant·e·s dans ces trois domaines. Par réseaux sociaux, nous entendons les relations sociales qui font partie de la vie des individus. L’identité se réfère à l’orientation sexuelle et l’identité de genre des participant·e·s. Ces trois domaines étaient ceux autour desquels les entrevues semi-dirigées étaient elles-mêmes organisées. Deux rencontres individuelles ont eu lieu avec chaque participant.e. Deux participant·e·s ont préféré participer à une seule entrevue d’une durée de trois heures. Lors de la première rencontre, le.la participant.e répondait à des questions permettant de retracer son parcours de vie dans les domaines de la famille et des réseaux sociaux, mais aussi en lien avec son orientation sexuelle ou son identité de genre (p. ex. : « Pouvez-vous nous parler de vos relations amicales ? » ; « Quand vous avez divulgué votre orientation sexuelle ou votre identité de genre ? » ; « Avez-vous constaté des transformations de votre réseau d’ami·e·s par la suite ? »). Cette rencontre durait environ une heure. Lors de la seconde entrevue d’une durée de deux heures, le.la participant.e devait identifier, à partir de son calendrier de vie, de trois à cinq points tournants (dont un d’inclusion et un d’exclusion) de son parcours. Le contexte, les significations et les conséquences de ces points tournants étaient abordés. Entre les deux entrevues, la personne intervieweuse remplissait le calendrier de vie des participant·e·s en y inscrivant tous les moments marquants mentionnés lors de la première entrevue. Ainsi, le calendrier pouvait être mobilisé au moment de la seconde entrevue pour faciliter la remémoration des participant·e·s, mais aussi pour guider les questions qui leur étaient alors posées. Le calendrier de vie a donc été particulièrement utile puisque les informations qu’il contenait ont servi à établir le contexte du récit narratif et son évolution afin de situer correctement les propos des participant·e·s. Il nous a donc permis de remettre les extraits codifiés en contexte lors de l’analyse. Les résultats de cette étude découlent des deux entrevues ayant été réalisées auprès des participant·e·s.

S’inscrivant dans le projet de recherche SAVIE-LGBTQ, cette étude est couverte par le certificat éthique du projet accordé par le Comité institutionnel d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’UQAM en janvier 2018 (numéro du certificat : 2104_e_2017).

Analyses

Les données recueillies ont servi à réaliser, à l’aide du logiciel NVivo 12, une analyse thématique touchant de façon globale le thème des réseaux sociaux des participant·e·s, afin de laisser émerger les éléments importants de la parole et du parcours de vie des participant·e·s (Katambwe, Genest et Porco, 2014 ; Paillé et Mucchielli, 2016). Il s’agissait donc de déterminer les sources et types de soutien perçus par les participant·e·s. Pour ce faire, nous avons thématisé le contenu des verbatims sous forme de thèmes représentatifs du contenu analysés en lien avec les objectifs de la recherche (Katambwe et al., 2014). À l’aide d’une théorisation en continu se basant sur une approche inductive, nous avons identifié les thèmes au fur et à mesure de la lecture des verbatims puis les avons regroupés au besoin sous forme de thèmes centraux et de thèmes associés ou complémentaires (Paillé et Mucchielli, 2016). L’arbre thématique ainsi construit a permis de schématiser l’essentiel du propos tenus par les participant·e·s. À partir de celui-ci, il a été possible de dégager les thèmes et de cerner les ressemblances ou les oppositions entre les expériences des participant·e·s.

Résultats

Les jeunes adultes non binaires reçoivent principalement trois types de soutien de la part de leurs ami·e·s et d’un cercle social composé de personnes trans et non binaires

Bien que les participant·e·s mentionnent avoir reçu du soutien de professionnel·le·s de la santé, notamment lors de moments dépressifs, de leurs partenaires amoureux ou de collègues de travail ou de classe, deux sources de soutien provenant de leurs réseaux sociaux sont ressorties comme étant les principales : les ami·e·s de façon générale et la création d’un cercle social composé de personnes trans et non binaires.

Les participant·e·s relatent recevoir trois types de soutien différents de la part de leurs ami·e·s et de leur cercle social trans et non binaire. Un premier type de soutien que les jeunes adultes non binaires reçoivent de la part de leurs réseaux sociaux est l’accompagnement social. En effet, les participant·e·s vont mentionner qu’iels peuvent sortir avec leurs ami·e·s et faire des activités diverses. Notamment, Charly (23 ans), personne non binaire et queer, nous explique qu’elle cuisine avec ses colocs qui sont aussi queer et que cela contribue à créer une atmosphère de famille entre elleux. Deuxièmement, les participant·e·s vont aussi relater recevoir du soutien matériel, bien qu’iels dénombrent peu d’exemples. Iels vont indiquer par exemple le prêt de matériel scolaire et d’outils au besoin. Finalement, le principal type de soutien que les jeunes adultes non binaires vont recevoir de la part de leurs réseaux sociaux est le soutien émotionnel. En effet, tous.tes les participant·e·s rapportent recevoir ce type de soutien. Une forme que peut prendre ce soutien est l’accompagnement dans les moments difficiles. Les participant·e·s peuvent compter sur les membres de leurs réseaux sociaux pour leur fournir du soutien, notamment lors de difficultés avec la famille. Sébastien (25 ans), un homme queer, affirme que lorsque sa mère a pris du temps pour accepter son identité de genre, deux de ses amies qu’il a rencontrées à l’université l’ont énormément soutenu. Dédé (29 ans), personne lesbienne qui ne se considère ni homme ni femme mais qui ne souhaite pas se définir de façon précise, affirme aussi pouvoir parler avec ses ami·e·s des situations d’exclusion qu’elle vit avec ses parents en raison de son orientation sexuelle.

Les participant·e·s rapportent aussi pouvoir se confier et partager des secrets avec les membres de leurs cercles sociaux. Iels racontent pouvoir parler de ce qui se passe dans leur vie et sentir que leurs ami·e·s et les membres de leur cercle social trans et non binaire vont les écouter et les soutenir. Par exemple, Charly (23 ans), personne non binaire et queer, raconte avoir pu partager le fait qu’elle est travailleuse du sexe seulement avec ses ami·e·s qui sont aussi queer : « Ouais, mes ami·e·s en général sont au courant. Mon coloc, mes partenaires aussi. C’est pas quelque chose – mettons dans ma famille ou dans mon lieu de travail – que je dis sur tous les toits. […] J’ai quand même une petite bulle un peu. »

Sébastien (25 ans), un homme queer, explique lui aussi pouvoir parler de son identité de genre exclusivement avec ses ami·e·s proches :

J’ai tendance à croire que personnellement, il faut que tu saches que je suis une personne trans pour être considéré quelqu’un qui est proche de moi. La plupart de mes ami·e·s le savent, juste parce que… ma compréhension du monde est tellement liée au fait d’être trans et au féminisme et au problème du genre… que c’est sûr que je vais finir par en parler à un moment ou à un autre… mais ça s’arrête aux sphères amicales… ce n’est pas mes collègues d’école.

Bref, bien que les participant·e·s mentionnent trois différents types de soutien reçus de la part de leurs réseaux sociaux, le soutien émotionnel semble être celui qui est le plus présent et le plus important à leurs yeux, puisqu’il s’agit du type de soutien le plus souvent mentionné.

Il existe un quatrième type de soutien, principalement offert par le cercle social trans et non binaire, qui touche le parcours identitaire

Les jeunes adultes non binaires reçoivent du soutien spécifiquement en lien avec leur identité de genre de la part d’autres personnes LGBTQ avec qui iels entretiennent des relations d’amitié. La création d’un cercle social composé de personnes LGBTQ permet aux jeunes adultes non binaires d’explorer leur identité de genre et d’obtenir de l’information concernant les parcours et identités trans.

Wolfgang (27 ans), personne genderfluid ou genderflux (il est encore en questionnement) et pansexuelle, nous explique trouver de l’information sur les identités de genre non binaires de cette façon : « Là, vu que je commence à avoir des ami·e·s, des fois, non binaires, c’est pour ça que je dis… J’ai une amie non binaire… On a parlé d’identité de genre non binaire, mais je me souviens plus si je l’ai dit [qu’il est aussi non binaire]. Mais on en a parlé. »

Le fait d’avoir des personnes trans autour de lui a permis à Alex (27 ans), personne non binaire et queer, de mieux comprendre sa propre identité :

J’ai vraiment fait mon coming-out d’identité de genre à 24-25 ans. C’est quand même assez récent. Puis ça, c’était vraiment quand là, j’ai commencé à avoir beaucoup plus de gens trans autour de moi, vraiment comprendre un peu plus qu’est-ce que c’était. […] Je commençais à parler un peu avec mes amis qui étaient non binaires aussi ou qui étaient dans le même parcours de se demander ils étaient où. Alors j’ai commencé à me présenter physiquement un peu différemment.

Pour sa part, Frédérique (28 ans), personne non binaire et queer, nous explique pouvoir parler ouvertement de son identité de genre avec un cercle d’ami·e·s de qui elle est très proche : « En fait, ça dépend. Avec certaines personnes, j’arrive à avoir cette discussion-là, c’est facile. C’est quand on parle de la question du genre et là, qu’on commence à faire un tour de table et que tout le monde : “Ah bien, moi, je me sens plutôt ça, plus ça…” Donc là, c’est beaucoup plus simple. » Ainsi, les jeunes adultes non binaires peuvent explorer leur identité et se sentir assez à l’aise pour en parler ouvertement lorsqu’iels sont entouré·e·s d’autres personnes trans et non binaires.

L’entourage des jeunes adultes non binaires peut aussi leur offrir du soutien dans leur parcours médical d’affirmation de genre. Sébastien (25 ans), un homme queer, nous l’explique ainsi : « Je peux dire que c’était pas facile pour moi de naviguer à travers le système administratif. Donc je pense que ça, c’était la… une des lettres [était] manquante [lettres de recommandation de la part d’un professionnel – p. ex. médecin, psychologue, sexologue – afin d’avoir accès à un traitement chirurgical], donc j’ai vraiment pas aimé ça. Puis je suis un peu dur avec moi-même dans la vie… Mais j’étais là avec des ami·e·s, donc c’était correct, j’avais des gens. »

Bref, le fait de s’entourer de personnes LGBTQ permet aux jeunes adultes non binaires de recevoir des informations sur les identités non binaires, de parler ouvertement de leur identité de genre, de mieux comprendre leur propre identité et de se sentir soutenu·e·s au moment d’un parcours médical d’affirmation de genre, s’il y a lieu.

Le soutien spécifique par rapport à leur identité de genre que les jeunes adultes non binaires reçoivent de la part de leur entourage trans et non binaire a un effet sur leur bien-être

Bien que tous les types de soutien aient un effet positif sur leur bien-être, c’est surtout grâce au soutien spécifique par rapport à leur identité de genre que les jeunes adultes non binaires se sentent accepté·e·s et reconnu·e·s. En effet, les participant·e·s affirment que la présence dans leur vie de personnes trans et non binaires desquelles iels se sentent proches leur permet de se sentir écouté·e·s, soutenu·e·s et entouré·e·s. C’est le cas de Charly (23 ans), personne non binaire et queer : « Je suis déménagée avec des personnes queer pis c’était pas longtemps après que j’aie ma première blonde, et je pense que ça m’a permis aussi de me sortir un peu de ma famille qui mettait beaucoup de shaming sur ça. […] Fait que ça fait en sorte que… je me sens plus entourée aussi, plus soutenue. »

Les participant·e·s mentionnent aussi la reconnaissance de leur identité comme étant une conséquence positive de la présence de ce cercle social. Ainsi, Alex (27 ans), personne non binaire et queer, affirme :

C’est ça, c’est mon réseau social aussi. En fait, c’est quelque chose… genre, mes ami·e·s proches dans ces cercles-là me donnent vraiment une bonne voix, une bonne perspective comme étant une personne queer et comme étant une personne trans. Alors c’est quelque chose où j’ai de la place pour le faire. […] Oui, se sentir mieux dans son genre, c’est clair que c’est le fun. Se faire reconnaitre pour la personne que tu es [Rires]. Gros positif, yes !

Nikita (20 ans), une personne non binaire et bisexuelle, mentionne aussi le respect de ses pronoms par son entourage comme un signe de reconnaissance :

Mais disons qu’avec mes amis du cégep, ça a bien été. Mais parfois ça fait du bien d’entendre que… comment dire ? Devant moi, ils utilisent les bons pronoms, mais on ne sait jamais ce qui se passe derrière le dos. Mais quand j’entends d’autres personnes qui me disent comment ces personnes parlent de moi et j’entends qu’ils respectent ce que je leur demande, ça fait toujours du bien.

Un soutien particulièrement important trouve dans le sentiment de communauté qui se développe chez les jeunes adultes non binaires. Nikita nous explique encore que ça lui fait du bien de ressentir qu’il existe une solidarité entre les personnes trans et non binaires : « Ça aussi, ça m’a aidé à bâtir ma confiance, juste voir qu’il y a d’autres personnes qui existent et pouvoir aider d’autres personnes comme ça. »

Bref, le soutien spécifique par rapport à leur identité de genre que les jeunes adultes non binaires reçoivent de la part de leur entourage trans et non binaire leur permet de se sentir écouté·e·s, soutenu·e·s, accepté·e·s, entouré·e·s et reconnu·e·s entièrement en tant que personnes non binaires.

Discussion 

Comme nous venons de le démontrer, les personnes les plus centrales dans les réseaux sociaux des jeunes adultes non binaires sont leurs ami·e·s et leur cercle social trans et non binaire. La principale forme de soutien obtenu rapportée par les participant·e·s est émotionnelle. Cependant, il existe une forme de soutien spécifique à leur identité de genre qui est fournie principalement par le cercle social trans et non binaire. Ce type de soutien permet aux jeunes adultes non binaires de se sentir accepté·e·s, reconnu·e·s et entouré·e·s. Ces résultats convergent avec ceux d’études antérieures sur l’importance du soutien social dans la vie des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans et queer (LGBTQ) (p. ex. : Johns et al., 2013 ; Snapp et al., 2015). Ces résultats concordent aussi avec le modèle du stress minoritaire en ce qui concerne les facteurs de résilience, puisque les participant·e·s de cette étude nous expliquent que leurs réseaux sociaux leur procurent un sentiment de reconnaissance, de communauté et de solidarité. Ces éléments sont propres au modèle du stress minoritaire. Pour réduire le poids de la stigmatisation afin de briser son isolement, une personne LGBTQ peut recourir au soutien disponible dans son réseau social personnel (ami·e·s), mais aussi à des réseaux alternatifs qui offrent des services d’entraide, du soutien mutuel à partir du partage d’expériences de vie, ou qui soutiennent la construction identitaire grâce à la socialisation avec des pairs (Snapp et al., 2015).

Les résultats de notre étude soulignent l’importance des amitiés pour les personnes non binaires. À ce propos, Kertzner et al. (2009) observent que les personnes de la diversité sexuelle qui sont fortement connectées à la communauté LGBTQ rapportent des niveaux de bien-être social et psychologique plus élevés que celles qui ne le sont pas. Il est possible de croire que c’est aussi le cas pour les personnes trans et non binaires. En effet, le soutien de la part de la famille, des ami·e·s et de la communauté peut avoir des impacts positifs sur la vie de jeunes adultes LGBTQ (Snapp et al., 2015). Les ami·e·s seraient d’ailleurs la source principale de soutien social chez les adolescents et jeunes adultes trans de 16 à 25 ans (Garofalo et al., 2006) et la qualité perçue des relations amicales influencerait le bien-être chez les jeunes trans de 15 à 25 ans (Alanko et Lund, 2020). Les résultats de notre étude peuvent potentiellement s’appliquer à ces mêmes groupes d’âge, puisque l’âge moyen des participant·e·s est de 24,8 ans.

De plus, le constat fait par plusieurs participant·e·s que leurs réseaux sociaux leur permettent de mieux comprendre leur identité fait écho à d’autres études (p. ex. : Alanko et al., 2018). En effet, le degré de connectivité à la communauté trans est un élément clé influençant la santé mentale chez les personnes adultes trans et celles s’identifiant au moyen d’un genre non conforme aux modèles de genre binaires. Celles-ci ont tendance à rechercher du soutien auprès de personnes présentant des identités similaires afin de normaliser et valider leurs propres expériences (Pflum et al., 2015). Les adolescent·e·s et jeunes trans qui se sentent soutenu·e·s dans leur identité auraient un meilleur niveau de bien-être psychologique (Weinhardt et al., 2019). Une étude récente menée au Québec auprès de 24 jeunes trans âgés de 15 à 25 ans montre que des relations intimes avec des ami·e·s ou des partenaires peuvent contribuer au bien-être des jeunes trans en leur fournissant une meilleure compréhension de leur identité, de la confiance et du soutien mutuel (Pullen Sansfaçon et al., 2018).

En outre, la tendance constatée chez nos participant·e·s à développer des cercles sociaux trans et non binaires nous rappelle la théorie du parcours de vie qui se base sur l’idée que la position dans le temps et l’espace a une influence sur la vie des individus. Ainsi, le fait que les identités non binaires soient marginalisées dans notre société et que les personnes non binaires vivent des expériences de discrimination (Richards et al., 2016) peut expliquer l’importance accordée au sentiment de reconnaissance et d’acceptation que procurent ces cercles sociaux. La théorie du parcours de vie avance aussi l’idée que les personnes participent activement à la construction de leur trajectoire. Dans ce sens, le choix des jeunes adultes non binaires de se former des cercles sociaux composés de personnes ayant des vécus similaires semble témoigner de leur agentivité.

Conclusion

Pour conclure, dans cette étude, les jeunes non binaires rapportent recevoir du soutien particulièrement de la part de leurs ami·e·s et de leur cercle social trans et non binaire. La principale forme de soutien obtenu est émotionnelle. Cependant, il existe une forme de soutien spécifique à leur identité de genre qui est fournie principalement par le cercle social trans et non binaire. Ainsi, malgré le fait que les jeunes adultes non binaires soient exposé·e·s de façon différente et parfois disproportionnée à des stresseurs sociaux qui ont un impact sur leur bien-être psychologique, le soutien social que nos participant·e·s disent recevoir permet d’alléger le poids de ces facteurs sociaux. En effet, le soutien social perçu par les jeunes adultes non binaires leur permet de développer le sentiment d’être compris·e·s, accepté·e·s, respecté·e·s et reconnu·e·s. Ces éléments semblent confirmer la pertinence du modèle de stress minoritaire pour comprendre le vécu des jeunes adultes non binaires.

Cette étude comporte des limites. Le fait que l’échantillon ne comprend que neuf participant·e·s ne nous permet pas d’affirmer que nous avons exploré toute la variabilité des expériences des jeunes adultes non binaires de la région de Montréal. De plus, les modalités du recrutement ont contribué à l’obtention d’un échantillon lié au milieu associatif et urbain. Nous n’avons pas non plus été en mesure d’explorer en profondeur la composition des cercles d’ami·e·s et des cercles sociaux composés de personnes trans et non binaires des participant·e·s. Il pourrait être intéressant de se pencher sur l’influence du nombre de personnes dans ces cercles et de la qualité perçue de ces relations sur le bien-être des jeunes adultes non binaires.

Les résultats de cette étude laissent émerger des implications pour l’intervention. En effet, ils mettent en évidence l’importance de la socialisation dans le parcours des jeunes adultes non binaires. Il semble donc important de créer des espaces de socialisation entre pairs afin que les jeunes adultes non binaires puissent former des liens avec des personnes qui partagent des expériences similaires aux leurs. De plus, plusieurs participant·e·s mentionnent que le respect de leurs prénom, nom et pronom choisis a un effet sur leur bien-être. Sensibiliser les intervenant·e·s à l’utilisation de pronoms neutres semble donc essentiel pour s’assurer que les jeunes adultes non binaires se sentent à l’aise et respecté·e·s en leur présence. Former les intervenant·e·s sur les enjeux trans et non binaires permettrait ainsi d’assurer une meilleure qualité de leurs services, puisque ceux-ci seraient plus adaptés aux réalités et aux besoins des jeunes adultes non binaires (Pullen Sansfaçon et Medico, 2021).