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Les luttes pour la reconnaissance des familles homoparentales[2] au Québec s’inscrivent dans un parcours militant et législatif singulier, au carrefour des stratégies de mobilisation des communautés et des actions publiques de l’État (Côté et Lavoie, 2018). L’adoption en 2002 de la Loi instituant l’union civile et les nouvelles règles de filiation marque un point tournant, puisqu’elle a modifié le Code civil du Québec afin de permettre la reconnaissance juridique des familles homoparentales (Bureau, 2009). Depuis, deux hommes ou deux femmes peuvent être identifié·e·s légalement comme parents d’un enfant, l’État québécois leur accordant les mêmes droits et les mêmes responsabilités que les couples parentaux formés d’un homme et d’une femme. Cette innovation législative est venue ainsi créer une brèche dans le modèle familial hétéronormatif dominant dans notre société. Bien entendu, les familles homoparentales existaient bien avant l’adoption de ce projet de loi, mais un seul parent pouvait jusqu’alors être reconnu comme tel (Leckey, 2014), ce qui fragilisait au quotidien la position du parent n’ayant pas de statut parental sur le plan légal, en plus de provoquer des situations périlleuses en cas de séparation ou du décès de l’un des parents.

Les réalités des familles homoparentales sont relativement bien documentées en Occident, particulièrement celles des mères lesbiennes. Grâce aux travaux pionniers de chercheures ayant développé ce champ de recherche en sciences sociales – Danielle Julien et Nathalie Ricard au Canada, Susan Golombok et Fiona Tasker en Grande-Bretagne, Nanette Gartrell et Abbie Goldberg aux États-Unis, Henny Bos aux Pays-Bas, Martine Gross et Anne Cadoret en France, notamment – nous bénéficions de quatre décennies de recherches sur le sujet, lesquelles peuvent être regroupées sur le plan historique en trois générations (Gross et Bureau, 2015). La première concerne les recherches menées auprès de familles d’enfants nés en contexte hétéroparental, puis élevés dans des familles lesboparentales après la séparation des parents et la recomposition de la famille. La deuxième génération est composée d’études (dont certaines longitudinales) réalisées auprès de familles homoparentales formées à partir du projet parental du couple parental de même sexe. Dans la troisième génération de recherches, on assiste désormais au déploiement d’enquêtes nationales basées sur des échantillons aléatoires.

Un pan important des recherches sur l’homoparentalité a porté sur le développement social, affectif, cognitif et psychosexuel des enfants (Vyncke, Julien, Ryan, Jodoin et Jouvin, 2008). Les connaissances scientifiques actuelles montrent que ces enfants ont un développement typique et similaire à celui d’enfants grandissant au sein de familles hétéroparentales (Crouch, McNair et Waters, 2016 ; van Gelderen, Gartrell, Bos et Hermanns, 2013), hormis des patrons comportementaux moins stéréotypés quant aux normes de genre (Goldberg, Kashy et Smith, 2012), puisque leurs parents tendent vers une éducation qui ne les réitère pas (Averett, 2016 ; Flanders, Legge, Plante, Goldberg et Ross, 2018). Par ailleurs, si des études conduites dans plusieurs pays démontrent que les enfants de familles homoparentales ne sont pas plus nombreux que leurs pairs à subir de l’intimidation, le statut de minorité sexuelle de leurs parents vient tout de même teinter leur expérience sur le plan social. L’homophobie et l’hétérosexisme ne seraient pas sans conséquence sur leur bien-être et leur estime de soi ou encore, sur leurs comportements externalisés (Bos et Gartrell, 2011 ; Robitaille et Saint-Jacques, 2009 ; Vyncke, Julien, Ryan, Jodoin et Jouvin, 2014). En l’absence de reconnaissance et de soutien dans leur milieu scolaire, certains jeunes préfèrent alors rester discrets quant à la composition de leur système familial (Gartrell, Deck, Rodas, Peyser et Bank, 2005).

Les couples de même sexe peuvent néanmoins compter sur plusieurs forces qui agissent comme des facteurs de protection pour surmonter les difficultés. Par exemple, la résilience développée tout au long de leur parcours de vie en tant que minorité sexuelle peut leur procurer des leviers émotionnels et psychologiques pour affronter l’adversité et relever des défis liés à la parentalité. De même, les stratégies de gestion de l’hétérosexisme développées par les parents et les beaux-parents peuvent être transmises aux enfants afin de les outiller pour faire face aux discriminations, demander de l’aide et se protéger (McDonald et Morgan, 2019 ; Vyncke et al., 2014). Les recherches montrent aussi que les couples de même sexe tendent vers une plus grande égalité au sein de leur couple que les couples hétérosexuels (Bauer, 2016 ; Farr et Patterson, 2013 ; Johnston, Moore et Judd, 2010), comme l’illustrent par exemple la répartition plus équitable des tâches et le partage des responsabilités domestiques entre les partenaires (Goldberg, 2013 ; Kelly et Hauck, 2015 ; Vecho, Gross et Poteat, 2011), de même que l’implication des deux parents en ce qui a trait aux soins donnés aux enfants (Bos, van Balen et van den Boom, 2007 ; Feugé, Cossette, Cyr et Julien, 2019). Enfin, l’appartenance à la communauté LGBT peut représenter une source de soutien (Titlestad et Robinson, 2019 ; van Dam, 2004), notamment en permettant aux parents et à leurs enfants d’interagir avec d’autres familles homoparentales et ainsi de briser leur sentiment d’isolement et de marginalisation.

S’inscrivant dans le prolongement de ces travaux précurseurs, nos recherches portent plus particulièrement sur la diversité familiale et les réalités familiales émergentes, notamment les expériences des parents gais et lesbiens, de leurs enfants et des tiers de procréation (donneurs et donneuses de gamètes, femmes porteuses) qui se situent « à la marge » des normes traditionnelles de la parenté, de la parentalité et de la concrétisation du désir d’enfant. Par la mise en commun des expériences recueillies dans le cadre de nos recherches, nous avons été à même de constater la dimension rationnelle que se dégage de la réalisation d’un projet parental impliquant plusieurs personnes et les préjugés tenaces qui leur sont malheureusement encore accolés. En outre, nous observons que les personnes concernées font preuve d’agentivité et déploient différentes stratégies pour naviguer à travers des cadres hétéronormatifs qui hiérarchisent encore de nos jours les identités et les orientations, ou érigent des barrières structurelles qui briment leurs droits. Dans le cadre de cet article, nous situons nos intérêts de recherche portant sur les familles homoparentales conçues par procréation assistée au regard de la littérature scientifique sur le sujet et de notre posture comme chercheur·e·s.

Des points de vue situés

Nos expériences professionnelles comme intervenant·e·s et chercheur·e·s au sein des communautés LGBTQ+ et, plus particulièrement, auprès des familles issues de la diversité sexuelle nous amènent à reconnaître et à valoriser la résilience et les forces des personnes qui dérogent aux normes familiales, de genre et des sexualités. « Faire famille » prend différents visages et se conjugue au pluriel, puisque le désir d’enfant à la base du projet parental s’ancre dans une pluralité de trajectoires, de modèles et de configurations familiales où s’entrecroisent les liens sociaux, biologiques et légaux. À nos yeux, la diversité familiale est une richesse qu’il convient de promouvoir, et non de réprouver.

Pour répondre à nos questions de recherche, nous privilégions une démarche qualitative et interdisciplinaire qui sollicite l’apport de diverses disciplines issues des sciences sociales et du droit. Les réalités familiales contemporaines et les études LGBTQ+ recèlent en effet un potentiel énorme pour conjuguer de manière créative les savoirs savants et les méthodologies. Ce « décloisonnement scientifique » nous amène à réfléchir autrement la science et à consolider la pertinence sociale de la recherche. Cette perspective pose néanmoins son lot de défis, dont la variabilité des concepts et de leurs connotations. Par exemple, la notion de « filiation » est polysémique, c’est-à-dire qu’elle prend différents sens selon le regard disciplinaire auquel nous recourons pour la définir. Un·e anthropologue et un·e juriste ne se réfèrent pas aux mêmes bagages théoriques ni aux mêmes considérations pratiques pour circonscrire la filiation des enfants ayant des parents de même sexe, ce qui teinte évidemment le dialogue interdisciplinaire. Nous devons donc être soucieux de clarifier les termes utilisés avec nos collègues, et de construire des ponts entre nos univers académiques respectifs.

Enfin, nous sommes d’avis que les connaissances ne sont pas objectives ni ne peuvent prétendre à la vérité absolue ; elles évoquent les regards subjectifs des actrices et des acteurs dans la relation d’enquête et leur position située dans un contexte social en constante évolution. Notre perspective constructiviste s’enracine dans une approche interprétative, puisque le sens que les membres de la famille attribuent à leur vécu est central pour la compréhension des phénomènes à l’étude. Notre position comme chercheur·e faisant partie de l’environnement social étudié est alors un élément prépondérant dans la construction des savoirs. Cette posture critique et postmoderne implique une réflexion épistémologique sur le type de savoirs produits (Ollivier et Tremblay, 2000), ainsi que sur notre positionnalité respective en tant que chercheur·e engagé·e dans l’action sociale (Anadón, 2013). La « connaissance située » telle que définie par Haraway (1988) souligne l’importance de reconnaître nos propres valeurs et représentations tout au long du processus de recherche, de même que nos privilèges.

Fonder une famille grâce à la procréation assistée par autrui

Au cours des dix dernières années, nous avons travaillé à recueillir des données empiriques sur les expériences des personnes concernées par la procréation assistée à l’aide de tiers reproducteurs, plus particulièrement des hommes qui participent au projet parental de couples lesbiens en tant que donneurs connus (Côté, 2012, 2014 ; Côté, Lavoie et de Montigny, 2015 ; Côté et Lavoie, 2019) et des femmes qui acceptent de porter un enfant ou de donner leurs ovules pour des couples gais (Côté et Sallafranque St-Louis, 2018 ; Lavoie, 2019 ; Lavoie et Côté, 2018). En effet, les scénarios procréatifs et les structures familiales associés à ce phénomène sont peu étudiés. Si quelques reportages ou récits anecdotiques sont parfois diffusés dans les médias, les voix des familles concernées demeurent rarement entendues, a fortiori dans les écrits scientifiques.

La négociation et la mise en relation qui s’opèrent entre les personnes pour aménager la place de chacun·e dans l’univers familial sont deux éléments du processus d’enfantement qui captent particulièrement notre intérêt. Demander à un homme de faire don de son sperme à des lesbiennes ou à une femme de vivre une grossesse pour un couple gai implique d’arrimer les motivations, les besoins et les attentes des membres de la triade, mais aussi de considérer les points de vue d’adultes et d’enfants qui gravitent autour du projet. D’ailleurs, il n’est pas rare que les partenaires de vie des tiers de procréation soient impliqué·e·s dans le processus d’enfantement, en participant aux discussions, voire en endossant le rôle d’entremetteur ou d’entremetteuse. Dans de tels cas, les personnes décrivent souvent leur geste comme étant un « don de couple » à un autre couple, dans un esprit de solidarité. Il en est de même pour les conjoint·e·s des femmes porteuses, qui les accompagnent pendant la grossesse et sont à leurs côtés lors de l’accouchement et de la remise de l’enfant aux pères.

À ces trames conjugales singulières s’ajoutent les liens intergénérationnels que tissent les membres de la génération ascendante. Bien que le projet parental soit formulé au départ par un couple de femmes ou d’hommes et concrétisé par la suite grâce à l’aide d’une tierce personne, l’arrivée d’un nouveau-né provoque aussi des réactions variées chez les parents des membres de cette triade. Par exemple, des rapprochements surviennent parfois au moment de la transition à la parentalité du couple de même sexe, lesquels peuvent être amorcés par des grands-parents dont les paroles et les gestes homophobes avaient jusqu’alors tenu le couple éloigné. Les parents des donneurs ou des femmes porteuses ne sont pas en reste, puisque certains, particulièrement les mères, sont présents dans la vie de la famille homoparentale et, dans certaines circonstances, endossent même un rôle grand-parental auprès de l’enfant que leur fils ou leur fille a aidé à concevoir.

À l’écoute de la parole des enfants

Les arguments défendus par les détracteurs de l’homoparentalité sont généralement de nature théorique ; ils représentent en fait des préoccupations d’adultes, basées sur des injonctions normatives partagées dans la société, mais tout de même empreintes d’idées reçues. Pour éviter le piège de l’adultisme[3], tendre l’oreille et écouter les récits des enfants nous semble une avenue féconde pour mieux comprendre leurs réalités et en saisir les subtilités. De fait, la recherche sur la généalogie des enfants tend à se centrer principalement sur le point de vue des adultes (Mason et Tipper, 2008). Comparativement à l’expérience des parents qui a fait l’objet de la vaste majorité des écrits, celle de leurs enfants demeure peu explorée et constitue un sujet d’investigation en émergence (Tasker et Granville, 2011). En considérant le point de vue des enfants, nous souhaitons ajouter leurs voix trop souvent occultées dans les discussions sociétales, et ainsi favoriser l’appropriation de leur pouvoir d’agir.

Les projets que nous menons en ce moment auprès d’enfants et d’adolescent·e·s issu·e·s de familles homoparentales illustrent la nécessité de s’engager dans de nouvelles avenues sur le plan théorique et méthodologique. Enracinées dans la sociologie de l’enfance, nos recherches misent sur le point de vue des jeunes participant·e·s pour penser les liens familiaux, en recourant entre autres à une cartographie circulaire, au génogramme libre et au récit narratif pour la collecte des données. Plusieurs thèmes sont explorés, dont la proximité relationnelle et affective entre les personnes faisant partie de l’entourage, les représentations associées à la famille et à la parentalité, ainsi que la question des origines.

Nos résultats montrent que les réserves ou les critiques véhiculées dans les débats publics concernant le bien-être des enfants ne correspondent pas aux expériences vécues et relatées par ces derniers. Si la crainte d’une « perte de repères » en l’absence d’un modèle parental traditionnel est souvent évoquée (Gross, 2018), les dizaines d’enfants que nous avons rencontrés au Québec et en France sont pourtant en mesure d’expliquer leur système familial et d’en identifier les composantes et les frontières (Côté, Trottier-Cyr, Lavoie, Pagé et Dubeau, 2019 ; Côté, Gross, Lavoie et Chamberland, 2020). Ils et elles possèdent une créativité et une flexibilité particulières qui leur permettent de réfléchir autrement aux relations familiales (le lien biologique, par exemple), justifiant la pertinence de considérer les enfants comme des acteurs en mesure de participer à la construction des savoirs.

La question des « origines »

La concrétisation d’un projet parental à l’aide d’une tierce personne soulève la question des « origines » génétiques des enfants, laquelle doit se comprendre dans un contexte d’anonymisation de l’identité des donneurs et des donneuses de gamètes. Si quelques pays ont légiféré en faveur de la possibilité pour l’enfant d’avoir accès à des données nominatives concernant la personne à l’origine de sa conception (Allan, 2017), c’est encore l’anonymat qui prévaut au Canada (Giroux et Milne, 2017).

Le débat fait rage à savoir si la levée de l’anonymat et la divulgation aux enfants de données nominatives concernant le donneur ou la donneuse de gamètes sont essentielles pour leur bien-être. Les arguments en faveur d’une certaine divulgation des données relatives au donneur soutiennent que cela permettrait une meilleure intégration psychique. L’enfant pourrait ainsi recréer la genèse de son histoire, étape jugée indispensable à la construction de l’identité (Delaisi de Parseval, 2009 ; Théry, 2013). Précisons toutefois que ce ne sont pas tous les enfants nés par don de gamètes qui manifestent un intérêt face au tiers de procréation. D’autres soutiennent plutôt que la construction identitaire basée sur la connaissance des origines génétiques serait d’abord et avant tout liée à une vision fantasmée des origines, qui pourrait être interprétée comme l’expression d’une survalorisation des liens biogénétiques (Le Lannou, 2010 ; Nordvist et Smart, 2014 ; Turkmendag, 2012).

Les recherches portant sur la divulgation des circonstances de la conception de l’enfant démontrent que les familles présentant les plus faibles taux de divulgation sont les familles hétéroparentales, plus particulièrement celles dont les enfants sont nés d’un don de sperme (Readings, Blake, Casey, Jadva et Golombok, 2011). Les raisons expliquant la réticence à l’égard du dévoilement sont la crainte que cela ne compromette le lien d’attachement entre l’enfant et son père, la peur que l’enfant ressente colère et confusion à l’annonce qu’il n’est pas lié génétiquement à ses deux parents, ou la mise à distance des liens biologiques au profit des liens sociaux (Freeman, Graham, Ebtehaj et Richards, 2014). Nous savons aussi que plus l’enfant est jeune au moment de la divulgation, meilleure est l’intégration de l’information (Jadva, Freeman, Kramer et Golombok, 2009 ; Ilioi, Black, Jadva, Roman et Golombok, 2016). Malgré les injonctions au dévoilement des circonstances de leur conception à leurs enfants, de nombreux parents hétérosexuels disent se sentir démunis quant à la façon de procéder et considèrent la situation comme étant très anxiogène (Indekeu, Dierickx, Schotsmans, Daniels, Rober et D’Hooghe, 2013).

Or, ces enjeux se posent tout à fait différemment dans les familles homoparentales. Puisque la concrétisation de leur rêve d’enfant à l’aide d’un don constitue souvent la voie privilégiée, cela ne semble pas présenter d’enjeux particuliers chez ces familles (Côté et al., 2020 ; Hayman et Wilkes, 2017). D’ailleurs, elles ont plus fréquemment recours à des donneurs à identité ouverte lorsque l’option est disponible (Golombok, 2015). On assiste alors à un renversement étonnant : le vécu des familles homoparentales n’est plus scruté à l’aune d’un modèle hétérosexuel jugé comme naturel et souhaitable, mais bien accueilli et reconnu désormais comme un modèle familial à émuler en ce qui a trait à la construction et à l’intégration du récit de conception.

Vers de nouvelles avenues de recherche

Malgré cet état de connaissances appréciable, plusieurs thèmes restent à explorer : la pluralité des contextes d’accès à la parentalité (procréation assistée, adoption, coparentalité planifiée, etc.) et leur influence sur les parcours de vie des membres de la famille en sont des exemples. Les travaux actuels visent justement à mieux comprendre les structures familiales de familles jusqu’alors peu étudiées ou sous-représentées dans les études telles que celles des pères gais, des parents bisexuels et trans, ainsi que les parents en relations non monogames consensuelles. D’autres recherches devront être menées pour affiner le recrutement et l’interprétation des données à la lumière du genre et de l’imbrication de différents statuts minoritaires tels l’origine ethnique, la classe sociale et le lieu de résidence (milieu urbain ou milieu rural, par exemple).

Dans la foulée des changements sociaux touchant la famille contemporaine, de nouvelles constellations familiales font également leur apparition au sein de la diversité sexuelle, par exemple la recomposition de familles dont les enfants sont issus d’un projet parental porté par un couple de même sexe. En effet, certains parents gais ou lesbiens ayant fondé leur famille en contexte conjugal et s’étant ensuite séparés forment désormais une famille recomposée avec leur nouveau partenaire (Chamberland, Jouvin et Julien, 2003 ; Lavoie, Bédard et Petit, 2016). Dans ce contexte, un enfant peut donc avoir jusqu’à deux mamans ou deux papas, ainsi que plusieurs beaux-parents qui partagent son quotidien. Cet exemple témoigne du dynamisme que recèlent ce champ d’études et le renouvellement constant des questions de recherche. De même, la pluriparenté reste encore aujourd’hui un impensé du droit de la famille au Québec. Les familles homoparentales, en impliquant souvent une personne extérieure au couple parental pour la conception de leurs enfants, sont celles qui sont le plus susceptibles de tirer profit d’un élargissement de la filiation.

Les familles homoparentales participent à l’éclatement des représentations sociales de la famille dite « traditionnelle » en mettant en avant la réflexivité et l’intention à la base de leur projet parental. Cette réflexivité tient nécessairement compte, non seulement des options disponibles pour concrétiser le projet parental, mais également de la forme de la structure familiale et de l’identité des personnes qui seront reconnues comme les parents. Elles contribuent à la déconstruction du modèle familial hétéronormatif, remettant en question trois postulats : le discours normatif sur la parenté génétique (le lien de sang et la quête du « vrai » parent), l’idée que la reproduction sexuée soit à la base de la création d’une famille, de même que les représentations du développement psychosocial optimal d’un enfant basées sur la complémentarité binaire et genrée des rôles parentaux (dyade père/mère). Ce faisant, ces mêmes familles participent à la construction d’une vision renouvelée du « faire famille », ce qui est bénéfique pour l’ensemble de la société puisque les réalités familiales d’aujourd’hui sont de plus en plus diversifiées.

Bien que l’égalité juridique en ce qui a trait à la diversité des orientations sexuelles semble atteinte, il reste beaucoup de chemin à parcourir pour combattre la discrimination et les violences à caractère LGBTphobes. Néanmoins, la société québécoise chemine favorablement vers l’égalité sociale. Des organismes communautaires, tels la Coalition des familles LGBT et les Groupes régionaux d’intervention sociale (GRIS) du Québec, s’engagent depuis plusieurs années dans des initiatives de sensibilisation en mettant en place des programmes structurés visant à déconstruire les mythes et les préjugés associés à la diversité sexuelle et de genre (Lavoie et Greenbaum, 2012 ; Vallerand, Marcotte, Lavoie, Charbonneau et Houzeau, 2018). Des efforts concertés doivent néanmoins être déployés de manière systémique pour favoriser l’adoption de pratiques inclusives et l’instauration de milieux ouverts et sécuritaires pour les familles. Le développement de réponses sociales adaptées à leurs besoins nous semble une avenue incontournable, de même que la création d’alliances entre les actrices et acteurs sociaux concernés par le bien-être des jeunes et des familles.