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L’objet du livre consiste à rendre compte d’une démarche récente de développement social à Trois-Rivières. Bien que la structure du livre n’en prenne pas la forme, il s’agit d’un rapport de recherche dont les données proviennent de 25 entrevues qualitatives impliquant des acteurs variés.
L’expérience de Trois-Rivières mérite que des chercheurs s’y arrêtent pour plusieurs raisons, peut-on apprendre dans l’ouvrage. En premier lieu, il s’agit d’une région où la revitalisation économique et sociale pose un défi de taille, en raison d’une déstructuration économique qui a fait des ravages pendant une trentaine d’années, et qui a placé la ville au sommet du palmarès canadien du chômage à plusieurs reprises. En deuxième lieu, un des traits caractéristiques de cette expérience est qu’elle a pris racine dans la mouvance de l’éducation populaire pratiquée au Centre d’organisation mauricien de services et d’éducation populaire (COMSEP), qui a été légalement constitué en 1986. Ce volet de l’éducation populaire a persisté dans le processus de développement social et dans la mise sur pied des programmes d’insertion sociale et professionnelle ainsi que dans la création d’activités d’économie sociale. En troisième lieu, comme l’illustrent fort bien les auteurs, les protagonistes de la démarche trifluvienne ont entrepris des activités spécifiquement destinées aux personnes exclues du marché du travail, souvent peu scolarisées, et ayant travaillé dans des secteurs d’activités qui n’existent plus à Trois-Rivières. En quatrième lieu, il s’agit d’une des rares démarches où une protagoniste du développement social a porté la voix des exclus sur la scène politique municipale, en étant élue conseillère à la mairie de la ville. Cette action a favorisé, par la suite, une plus grande réceptivité politique aux initiatives de développement social.
Outre le fait de s’arrêter à une expérience respectueuse des principes du développement social, l’intérêt du livre réside dans la description de la démarche. Il s’agit d’une description plutôt programmatique, dans la mesure où elle porte davantage sur des projets d’insertion et de création de micro-entreprises, et sur les activités d’organisations, que sur la pratique d’intervention des organisateurs communautaires, par exemple. Les projets décrits concernent l’action des élites locales et régionales (le Technopole), les activités de la corporation de développement économique communautaire (Économie communautaire de Francheville – ÉCO - créée en 1996) et de COMSEP, la contribution de l’économie sociale et l’implication des services publics gouvernementaux dédiés à l’intégration en emploi (notamment Emploi-Québec).
L’ouvrage comporte un certain nombre de faiblesses sur les plans de la méthodologie de la recherche et de l’analyse. Sur le plan méthodologique, les auteurs auraient avantage à distinguer les deux volets de la démarche que sont le processus et le résultat. Si l’illustration qu’il s’agit d’un processus prometteur de développement social est convaincante, il en est autrement de la démonstration de sa contribution effective à la lutte contre la pauvreté. Une première observation à ce propos est qu’en lisant la présentation de l’ouvrage, le lecteur a l’impression que « la revitalisation de cette ville » est un fait accompli. Cette impression est confirmée à la page 103, lorsque les auteurs rappellent que la question « initiale » de la recherche était : « Quels sont les facteurs qui font de l’expérience de Trois-Rivières une réussite ? ». La preuve du succès de la démarche sur le plan des résultats n’apparaît pas clairement. Le problème doit être élucidé, car les statistiques du chômage et de la pauvreté ne semblent guère avoir bougé à Trois-Rivières jusqu’en 2005, comme les auteurs le soulignent dans le premier chapitre, malgré le contexte économique apparemment favorable du début des années 2000. Bien sûr, les chercheurs présentent quelques données sur les résultats de COMSEP et ÉCOF en matière de création d’emplois (pages 46, 48 et 50), de certains changements d’habitudes de vie chez les participants et de traits nouveaux de citoyenneté, mais on le fait de manière tantôt succincte, tantôt théorique, de sorte qu’il est difficile d’apprécier pleinement la contribution réelle des organismes en faveur de ces changements. Un problème analogue se pose lorsqu’il est question de l’apport de l’économie sociale régionale à la lutte contre la pauvreté. Les emplois créés dans les secteurs de l’aide à domicile, des garderies et des ressourceries, que les chercheurs dénombrent à la page 88, seraient davantage à porter au crédit d’initiatives québécoises que régionales.
À la défense des auteurs, on peut considérer qu’il s’agit d’une jeune expérience n’ayant véritablement démarré qu’au milieu des années 1990 et que bien des effets se feront sentir ultérieurement. On peut toutefois s’interroger sur le choix d’avoir limité les sources d’information aux entrevues. En revanche, les auteurs recourent à des données secondaires, mais ils courent le risque qu’elles ne soient pas pleinement utiles à leurs intentions. C’est effectivement le cas lorsqu’ils réfèrent à l’enquête menée en 2002 par le Comité régional d’économie sociale (CRÉS) de la Mauricie, afin de circonscrire la réalité de l’économie sociale dans la région. Cette enquête exclut d’emblée les coopératives d’usagers, les caisses populaires et les coopératives de logement. Par ailleurs, le texte ne donne pas de détails sur la période pendant laquelle se sont déroulées les entrevues, ni s’il existe un commanditaire pour cette recherche.
Sur le plan de l’analyse, l’identification et la désignation des processus manquent, à l’occasion, de précision. Ainsi, dans le premier chapitre, les auteurs identifient six obstacles structurels au développement de Trois-Rivières. Trois obstacles sont ainsi libellés : « la dynamique régionale », « les dynamiques à l’oeuvre dans le marché du travail trifluvien et régional » et « la dynamique de la politique régionale ». Le libellé « dynamique régionale » est en soi trop général; surutilisé, le terme « dynamique » vient à manquer de précision.
L’analyse pourrait être plus resserrée dans le cinquième chapitre, lorsqu’il est question des facteurs explicatifs de la qualité du processus de développement social. Le territoire de Trois-Rivières en tant que source d’identité est présenté comme un moteur de l’action. Or, le lectorat peut en douter et se demander si l’exode actuel de la population mauricienne ne résulterait pas d’une forme de déni de l’appartenance territoriale, en plus des raisons économiques. L’extrait d’une entrevue rapporté par les auteurs ne réussit pas à convaincre que l’identité territoriale est à ce point forte et généralisée chez les participants au développement social, qu’elle puisse être située en tête de liste des facteurs explicatifs de la qualité du processus.
Par ailleurs, la relation de confiance entre les acteurs n’est peut-être pas aussi répandue qu’on le laisse supposer, dans la mesure où les syndicats semblent manifester de la résistance en particulier à l’égard de l’économie sociale qui est un des volets de la démarche de développement social. En outre, il ressort que des acteurs que l’on retrouve dans le développement social pratiqué dans d’autres localités, tels que les CLSC (maintenant intégrés au Centres de santé et de services sociaux - CSSS), les Centres locaux de développement (CLD) et les regroupements de coopératives sont plutôt discrets dans la description qui est faite de la démarche.
Sur l’économie sociale, les auteurs en ont une conception qui paraîtra, à plusieurs lecteurs, trop limitée. En effet, au début du quatrième chapitre, après avoir posé la question à savoir si Trois-Rivières est la « Mecque » de l’économie sociale, les auteurs situent ses débuts en 1995. Présenter les choses de cette manière entraîne plusieurs conséquences peu souhaitables. L’idée que l’économie sociale réfère uniquement aux initiatives soutenues par l’État à partir du Sommet sur l’économie et l’emploi de 1996 se trouve renforcée. Les coopératives peuvent difficilement développer une identité à l’égard de l’économie sociale, alors qu’elles représentent une organisation typique de ce secteur. Les syndiqués et les syndicalistes ratent une occasion de se rappeler que le syndicalisme et la coopération représentent deux instruments privilégiés pour combattre les effets néfastes du capitalisme sur leurs conditions de vie, et ce, depuis le 19e siècle.
Le dernier commentaire a trait à la « nouvelle gouvernance » qui caractériserait l’État et qui favoriserait « un processus participatif habilitant l’individu à prendre le contrôle des espaces démocratiques » (p. 138). On ne sait pas comment se situent aujourd’hui les auteurs à ce propos, mais le moins qu’on puisse dire, c’est que dans le contexte où les gouvernements de droite sont au pouvoir, rien n’est acquis de ce côté.
En somme, malgré quelques faiblesses, il s’agit d’un ouvrage intéressant, puisqu’il rend compte d’une importante expérience de développement social qui se déroule actuellement au Québec.