Article body

Dans le prolongement de la Charte d’Ottawa (OMS, 1986) et de la Commission d’enquête sur les services de santé et les services sociaux (Québec, 1988), depuis les années 1990, la promotion de la santé, le développement des interventions en santé publique et l’action sur les déterminants de la santé occupent une place croissante dans les centres locaux de services communautaires (CLSC), maintenant intégrés dans les centres de santé et de services sociaux (CSSS). C’est principalement par l’entremise des programmes normés, accompagnés de ressources documentaires et financières, que les directions de santé publique s’emploient à implanter ces approches. Les programmes et approches de santé publique (PSP[1]) tels qu’ils sont proposés aux établissements présentent les caractéristiques suivantes :

  • Ils sont généralement basés sur les meilleures pratiques et ont recours aux données probantes;

  • Ils arrivent de ce fait assortis le plus souvent de modalités normatives de mise en oeuvre, laissant peu de place aux initiatives des acteurs et populations concernés;

  • Ils sont souvent encadrés par une entente de gestion, qui établit aussi bien les objectifs et les résultats attendus qu’une reddition de comptes serrée.

Les organisateurs communautaires (OC) en CLSC se préoccupent depuis plusieurs années de l’importance croissante de ces programmes dans leurs pratiques :

  • La plupart des nouveaux postes en organisation communautaire créés au cours de la dernière décennie sont financés par ces programmes implantés par les directions régionales de santé publique;

  • Le caractère normatif des programmes, y compris sur le plan des modalités d’intervention, est perçu par les OC comme une contradiction avec leur expertise professionnelle telle que définie dans le Cadre de référence adopté par le RQIIAC en 2002 (Lachapelle, 2003);

  • Les programmes de santé publique sont, du point de vue de plusieurs, un « mal qui vient d’en haut », expression qui fait référence à l’approche top down du planning social (Séguin, 2003 : 47).

En même temps, il est généralement reconnu que plusieurs OC d’expérience savent utiliser les programmes de santé publique comme leviers de développement des initiatives issues du milieu (bottom up). La marge d’autonomie professionnelle reconnue par l’établissement à l’OC chargé d’un programme de santé publique est déterminante à cet égard, et elle est évidemment mieux établie pour les OC qui sont depuis plus longtemps dans le réseau. En contrepartie, les OC engagés spécifiquement pour la livraison d’un programme de santé publique sont généralement moins expérimentés et parfois moins critiques sur le caractère d’action communautaire d’un programme. C’est dans ce contexte que notre étude se propose d’explorer à quelles conditions les programmes de santé publique peuvent être ouverts à la participation citoyenne, de sorte que les professionnels de l’organisation communautaire y exercent leur expertise spécifique de soutien à l’action communautaire. Cela permettrait à la fois aux directions de santé publique de tirer le meilleur parti possible de l’expertise acquise en organisation communautaire dans les CLSC, et aux organisateurs communautaires d’être à l’aise de contribuer, par cette voie parmi d’autres, à la mise en oeuvre de la responsabilité populationnelle dévolue à l’établissement qui les emploie. Nous avons donc mené en 2007 une recherche (Lachapelle, 2007), grâce à une subvention obtenue à cette fin par le Regroupement québécois des intervenants et intervenantes en action communautaire (RQIIAC) de la direction de la santé publique du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Le RQIIAC a souhaité cette première étude exploratoire sur les programmes de santé publique et les pratiques d’organisation communautaire, pour identifier les repères permettant de faire évoluer les pratiques, sans compromettre les caractéristiques essentielles de l’organisation communautaire.

Nous avons réalisé des entrevues auprès d’une douzaine d’OC afin de déterminer, à partir de leur expérience dans trois programmes et une approche, à quelles conditions la démarche d’organisation communautaire dans les programmes de santé publique pouvait contribuer à la participation des personnes et des communautés.

Cadre conceptuel

La Loi sur la santé publique (Québec, 2001) établit clairement la liaison entre la responsabilité ministérielle exprimée dans le plan national de santé publique, et celle des centres de santé et de services sociaux se chargeant des plans locaux tout en respectant les objectifs inscrits dans le plan régional. Pour les CSSS, les PSP ont donc un caractère impératif, le cadre juridique établissant une démarche centralisée définie du haut vers le bas. D’autre part, le MSSS définit les services d’intervention communautaire au chapitre des « Activités de santé publique » autour des responsabilités de « Mise en évidence des besoins de la population, conception, mise en oeuvre et soutien d’actions communautaires, concertation et mobilisation des acteurs, contribution au développement des communautés locales » (Québec, 2004b : 84).

La mise en oeuvre et soutien d’actions communautaires déborde la simple livraison des programmes nationaux, puisqu’elle suit l’évaluation des besoins locaux et passe par un travail de concertation des acteurs locaux dans une perspective de développement des communautés. Mais elle vaut aussi pour les programmes prescrits par le Ministère aux CSSS : la tâche normale des OC inclut donc le soutien aux actions communautaires issues des programmes et approches préparées par les instances nationales et régionales de santé publique.

Par ailleurs, l’approche de la santé publique se campe sur des données probantes, validées par des recherches scientifiques, alors que l’organisation communautaire mise sur les ressources - c’est-à-dire les savoirs-faire et les forces - des communautés. C’est toute la différence entre un « problème » affectant des personnes « vulnérables » et un besoin identifié par une population. L’extériorité de l’approche experte risque d’entraîner une réduction de la communauté au statut d’environnement d’une clientèle vulnérable, alors que l’organisation communautaire mise sur son caractère citoyen et veut soutenir l’action d’une population. C’est dans le cadre d’un tel choc de culture que s’inscrit la question de base de la recherche, quant aux conditions permettant de respecter à la fois la nature de l’intervention professionnelle en organisation communautaire et les préoccupations normatives de la santé publique.

Il est vrai que certaines critiques mettent en évidence l’impact réducteur du positivisme en analyse sociale et les risques de marginaliser le caractère innovant de l’action communautaire (Parazelli et all., 2003). Cependant, nous ne considérons pas que la définition des programmes détermine à ce point les interventions qu’elle entraîne nécessairement la perte de leur caractère communautaire. Les OC ont développé une autonomie professionnelle qui leur permet de soutenir efficacement l’action communautaire[2]. Les actions sur les déterminants de la santé réalisées par les établissements, souvent en collaboration avec des organismes communautaires, ne se réduisent pas à une application de programmes établis de façon bureaucratique. Elles peuvent aussi comporter une part de définition locale, ce que notre recherche tente, au moins en partie, d’identifier.

Nous considérons pour notre part que les programmes de santé publique sont une forme d’approche socio-institutionnelle dans la mesure où ils constituent des initiatives en provenance des institutions qui, en fonction de leur mission, décident d’agir sur une problématique ou une réalité collective au moyen de réponses (programmes, services, coordination et concertation de ressources, etc.) s’appuyant, en tout ou en partie, sur l’action communautaire (Bourque et Lachapelle, 2007 : 101).

La problématique précise bien ce qui soulève les inquiétudes des intervenantes et intervenants dans cette approche : l’organisation communautaire se préoccupant d’abord de la prise en charge d’un milieu par lui-même, les initiatives qui viennent de l’extérieur sont remises en question quant à leur effet sur ce processus. Nous estimons qu’il convient de différencier les approches socio-institutionnelles selon qu’elles favorisent ou non cette prise en charge. Nous distinguons donc deux types : l’un, technocratique, et l’autre, participatif. L’approche socio-institutionnelle technocratique renvoie au planning social qui se définit par le recours aux experts qui possèdent des compétences scientifiques pour identifier les problèmes et recommander l’action la plus appropriée pour résoudre des problèmes ciblés. Il met l’accent sur un processus technique de résolution de problèmes collectifs (ibid. : 104).

L’approche socio-institutionnelle participative, en revanche, part du principe selon lequel les personnes concernées par un problème social ont la capacité d’y apporter une contribution significative. L’intervenant cherche alors à avoir des contacts directs avec les gens affectés par les programmes non pas au moyen de sondages ou autres techniques d’analyse de besoins, mais à travers un dialogue et un processus d’apprentissage mutuel qui aide les personnes et les acteurs concernés à augmenter leur pouvoir (ibid. : 109).

La connaissance des dynamiques d’un milieu incite les organisatrices et organisateurs communautaires à élargir les sources d’information pour définir leurs interventions, et à métisser les stratégies dans la mise en oeuvre des programmes. Sans nier la valeur des données provenant des experts, ces derniers reconnaissent aux citoyennes et citoyens une légitimité et une compétence de premier plan, c’est-à-dire aussi déterminante que celle des divers experts de la santé publique. La question centrale demeure donc : Dans quelle mesure l’organisation communautaire peut-elle amener les approches et programmes de santé publique à intégrer dans leur élaboration et leur mise en oeuvre, la participation des personnes et des communautés qui vivent les situations ciblées ?

Échantillon et méthodologie de recherche

L’échantillon de recherche est un échantillon non probabiliste raisonné. À l’aide de la liste d’envoi électronique du RQIIAC[3] un appel à participer à la recherche a été lancé aux OC intervenant dans l’un des PSP retenus : École en santé, Services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance (SIPPE), Programme intégré d’équilibre dynamique (PIÉD) et 0-5-30 Combinaison/Prévention. Ces programmes existent dans toutes les régions du Québec, parfois avec quelques variantes régionales. Dix-huit (18) personnes - cinq (5) hommes et treize (13) femmes - ont signifié leur intérêt à participer à la recherche pour au moins l’un des PSP retenus. Toutes détenaient un titre d’OC dans un CSSS et travaillaient dans quinze (15) établissements différents, répartis dans dix (10) régions administratives du Québec.

Nous sommes conscients que la méthode retenue pour constituer l’échantillon, par appel à des personnes intéressées à partager leur expérience dans un PSP, a pu constituer un biais favorable à ces programmes. C’est l’une des raisons qui nous incitent à souligner que notre étude ne prétend pas donner un portrait complet des pratiques des OC dans les PSP. Elle demeure une démarche exploratoire pour identifier les facteurs facilitant ou nuisant à une redéfinition locale participative des PSP. D’ailleurs, la taille de notre échantillon ne nous permet pas non plus de rendre compte de la réalité québécoise.

La sélection finale des personnes retenues a été faite selon les critères suivants : rejoindre le plus grand nombre d’établissements et de régions, de façon à éviter un biais relié au fonctionnement particulier d’un établissement ou encore de l’une ou l’autre direction régionale de santé publique, équilibrer la représentation selon les années d’expérience en organisation communautaire, rencontrer au moins trois personnes par programme ou approche. Cela nous a amenés à établir notre échantillon à douze (12) des dix-huit (18) OC ayant répondu.

Les contraintes de temps et les limites dans la collecte des données ne permettent pas à cette recherche de montrer si et comment, dans la mise en oeuvre des PSP, les OC réussissent à en faire des démarches socio-institutionnelles participatives, « à travers un dialogue et un processus d’apprentissage mutuel qui aide les personnes et les acteurs concernés à augmenter leur pouvoir ». (Bourque et Lachapelle, 2007 : 109) Pour aller plus en avant dans cette direction, il faudrait étudier des pratiques que des OC considèrent réussies, pour mettre en évidence la manière dont se concrétise la participation des populations dites à risque de vulnérabilité. Or, nous avons rencontré suffisamment d’OC expérimentés qui estimaient que leurs pratiques avaient réussi à transformer en action partenariale, dans le milieu, une commande de création d’environnement favorable au changement des habitudes de vie. Cela nous permet donc de tenter d’établir les conditions d’une telle inscription des PSP dans les réalités locales.

Compte tenu des caractéristiques de notre échantillon et des buts de l’étude, nous avons retenu la formule d’entrevue à questions ouvertes, qui permet d’atteindre des « objectifs principalement qualitatifs visant à découvrir des facteurs de comportement, des types d’attitude » (Mayer et Ouellet, 1991 : 309-310). Cette façon de faire nous semblait convenir particulièrement bien à des entrevues réalisées auprès de personnes habituées de raisonner leurs choix professionnels. Les entrevues semi-directives ont été menées sur la base d’une grille visant à identifier, selon l’évaluation personnelle de la personne répondante, la marge de manoeuvre de l’OC dans la mise en oeuvre d’un programme de santé publique, de même que les facteurs favorables et les facteurs défavorables à une appropriation par le milieu. Les transcriptions verbatim ont fait l’objet d’une analyse de contenu de type catégoriel selon les méthodes usuelles en recherche qualitative (L’Écuyer, 1987; 1990). Les catégories ont été ordonnées autour de trois dimensions de l’objet d’étude : les rapports de l’organisation communautaire avec les PSP, la mise en oeuvre communautaire des PSP et la gestion de ces interventions. La présentation des résultats est précédée d’une rapide présentation des quatre programmes et approche de santé publique retenus pour les fins de notre recherche, à partir des documents officiels qui en établissent le cadre normatif.

École en santé

École en santé est une approche qui s’inscrit dans l’Entente de complémentarité des services entre le réseau de la santé et des services sociaux et le réseau de l’éducation (Québec, 2005) ainsi que dans le Programme national de santé publique (MSSS, 2003). Dans ces deux documents, École en santé est désignée comme une « intervention globale et concertée en promotion et en prévention à partir de l’école » (Québec, 2005 : 2). Il s’agit de développer, en partenariat avec la commission scolaire, l’école, les institutions publiques locales et les organismes de la communauté, un plan d’action pour la prévention et la promotion de la santé des jeunes dans les écoles. Ce qui est proposé à ces acteurs, c’est une démarche intersectorielle mettant en oeuvre toutes les étapes du processus d’organisation communautaire : l’identification de la situation, l’établissement, puis la mise en oeuvre, d’un plan d’action qui répond à la situation (Québec, 2005 : 7).

Les Services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance (SIPPE)

Les SIPPE sont destinés aux jeunes mères de moins de 20 ans et aux familles qui vivent dans l’extrême pauvreté. Ils comprennent deux composantes : l’accompagnement des familles et le soutien à la création d’environnements favorables à la santé et au bien-être. Cette seconde composante consiste à élaborer et mettre en oeuvre, avec l’ensemble des partenaires concernés, un plan d’action intersectoriel local permettant d’agir sur les déterminants sociaux de la santé des familles (Québec, 2004a). Elle mise aussi sur l’action intersectorielle, non pour « harmoniser l’ensemble des actions à l’intention d’une population », mais pour « mettre en oeuvre des projets intersectoriels novateurs » favorisant la création d’environnements favorables (Québec, 2004a : 40). En dépit du vocabulaire très orienté sur le processus d’intervention communautaire, on ne trouve nulle part une préoccupation pour amener les familles que le programme demande de rejoindre à participer.

Le Programme intégré d’équilibre dynamique (PIÉD)

Ce programme « vise à prévenir les chutes et les fractures chez les aînés autonomes qui vivent dans la communauté » (DSP de Montréal-Centre, 2007). Il cherche à constituer des groupes de dix à quinze personnes qui ne présentent pas de troubles graves de l’équilibre. Ces personnes vont participer à des activités d’apprentissage dispensées par des spécialistes pendant douze semaines, à raison de deux rencontres par semaine, renforcées par des activités à faire à la maison. Les rencontres sont aussi l’occasion de proposer des capsules de prévention d’une trentaine de minutes. La dimension communautaire se résume à rendre le programme « accessible au plus grand nombre de personnes susceptibles d’en bénéficier » et au fait que celui-ci « a été développé en étroite collaboration avec les partenaires oeuvrant en milieu communautaire » (DSP de Montréal-Centre, 2007).

0-5-30 Combinaison/Prévention

Ce programme se présente comme « un programme intégré de prévention des maladies chroniques » (DSP de Montréal-Centre, 2007 : 11). Il vise à faire auprès des adultes, « dans leurs milieux de vie, notamment en milieu de travail et dans les municipalités », la promotion de trois habitudes de vie quotidiennes : le non-tabagisme, la consommation d’au moins 5 portions de fruits et de légumes et la pratique d’au moins 30 minutes d’activités physiques d’intensité modérée.

Pistes pour un meilleur arrimage entre la santé publique et l’organisation communautaire

Notre question principale concerne la recherche des conditions requises pour que la démarche d’organisation communautaire soit compatible avec des programmes de santé publique. Notre cadre conceptuel propose de chercher la réponse du côté des ouvertures à la participation citoyenne. Nous avons regroupé nos constatations autour de trois thématiques. D’abord nous voulons préciser la part faite à l’organisation communautaire dans les PSP. Les attentes de la santé publique vont-elles dans le sens d’accompagner des citoyens en action ou bien de desservir des clients ? La réponse à cette question devrait nous permettre de préciser ce que signifie pour la profession la création de postes sur la base des budgets alloués à ces programmes. Ensuite nous tentons d’identifier les conditions de succès d’une approche socio-institutionnelle dans la mise en oeuvre des PSP : quelle place y est faite aux valeurs de participation démocratique, d’empowerment communautaire et de transformation sociale ? Enfin nous abordons l’encadrement des interventions d’organisation communautaire comme facteur d’une contribution réussie.

La part faite à l’organisation communautaire dans les PSP

Les SIPPE et l’approche École en santé prévoient dans leur cadre de référence la contribution de l’organisation communautaire. La mise en place de tels programmes permet le maintien, voire une légère croissance, des postes en organisation communautaire, du fait des budgets dédiés à cette fin dans les PSP. Le cadre de référence du RQIIAC reconnaît un modèle de pratique basé sur plusieurs approches, qui « permet d’englober un large spectre de pratiques d’organisation communautaire » (Lachapelle, 2003 : 20). L’approche socio-institutionnelle participative que nous avons retenue dans le cadre conceptuel de cette recherche, relève donc d’emblée de l’organisation communautaire. Reste à voir comment et à quelles conditions elle est mise en oeuvre dans les PSP.

La fraction du temps de travail réservée à l’intervention communautaire dans un programme indique que la contribution des OC aux PSP constitue le plus souvent une partie seulement de leurs tâches. Cette mixité de pratiques est considérée comme saine dans la mesure où elle permet d’inclure dans la charge de travail des dossiers qui proviennent des besoins exprimés par le milieu, et de ne pas camper l’intervenante ou l’intervenant dans un rôle de dispensateur de priorités établies de l’extérieur. Cela permet aussi aux OC d’avoir un meilleur enracinement dans la dynamique locale et de développer des liens dans la communauté, qui sont en retour utiles pour la mise en oeuvre des PSP. Il nous semble avoir rencontré un consensus sur le fait que les OC doivent avoir d’autres dossiers que les PSP dans leur charge de travail. Il faut donc souhaiter que perdure la situation actuelle, où les OC n’assument pas seulement des PSP, mais sont aussi affectés à d’autres interventions territorialisées qui relèvent davantage du développement de la communauté.

Dans la même foulée, plusieurs ont exprimé leur conviction que l’expérience professionnelle et le soutien, voire le mentorat, des collègues expérimentés, sont des facteurs importants, qui permettent à une intervenante ou un intervenant de passer d’une commande à une action de développement de la communauté. Pour les uns, cela vient de la reconnaissance acquise dans l’établissement et le milieu, laquelle fournit les moyens d’un rapport critique et créatif aux PSP. Pour les autres, l’expérience permet de passer d’une approche de groupe visant le changement des habitudes de vie individuelles à une approche communautaire visant le changement social et l’action sur les déterminants socio-économiques de la santé. De ce fait, les pratiques ne sont plus déterminées par les directions de santé publique, mais réalisées en alliance avec elles.

Malgré tout, la santé publique ne jouit pas toujours d’une bonne réputation dans les rangs des OC. Plusieurs estiment que les PSP ne permettent pas de faire vraiment de l’organisation communautaire; et certaines attentes qui sont davantage d’ordre instrumental et technique, dans le programme PIÉD par exemple, leur donnent raison. Est-ce que ce serait lié à la perspective d’intervenir strictement sur les habitudes de vie sans toucher aux déterminants de la santé qui concernent les conditions de vie des populations ? En portant toute l’attention sur les individus que l’on souhaite responsabiliser au regard de leur santé, on néglige, ou plutôt, on ne met pas en oeuvre les puissants leviers éducatifs (empowerment individuel) que permettent l’action collective et l’action sur les déterminants sociaux de la santé. Dans leur définition même, certains programmes - notamment, pour ce qui est de notre recherche, les programmes PIÉD et 0-5-30 Combinaison/Prévention - ne font pas de place à l’organisation communautaire, sinon de façon instrumentale, pour mettre à profit les contacts des OC dans leur milieu. Il y aurait facilement dans certains programmes l’espace requis pour développer une véritable intervention communautaire. Mais il faut nous demander s’il est opportun d’y prévoir une contribution en organisation communautaire, à moins qu’il ne s’agisse d’une priorité que se donne le milieu. Dans ce cas, il faudrait obtenir un engagement à élargir la dimension communautaire et la contribution du milieu à la définition même du programme. En cas contraire, il faudrait que certains programmes confiés à des OC soient dévolus à d’autres intervenantes et intervenants sensibilisés à l’approche communautaire.

Pour un OC, la possibilité pour le milieu de définir lui-même le changement est un critère de base : les expertises qui soutiennent ce processus endogène sont bienvenues; celles qui prétendent avoir les réponses à des questions que le milieu ne se pose pas ne le sont pas. L’ouverture des PSP à une prise en compte des réalités locales suscite les commentaires les plus positifs quant à la collaboration des OC avec la santé publique. À l’inverse, la prescription des modalités inquiète. Par exemple, on considère contestable l’exigence de créer une structure intersectorielle dans un milieu où il y a déjà une instance locale de concertation. De plus, une compréhension microsociale de l’intersectorialité comme le strict arrimage des services autour des individus ne permet pas d’inscrire un programme dans le développement communautaire local. L’intersectorialité souhaitée des instances administratives de l’État n’est pas nécessairement efficace dans un milieu où jouent davantage les appartenances et les complicités déjà établies dans les mécanismes locaux de travail collectif. La réalité d’un milieu local ne se découpe pas pour les gens qui l’habitent en problématiques sectorielles. Les perspectives globales s’imposent d’elles-mêmes.

Conditions de succès de l’approche socio-institutionnelle dans la mise en oeuvre des PSP

La question que nous posons aux données recueillies dans l’enquête c’est de savoir si les PSP sont l’occasion d’un processus dans lequel les personnes concernées par un problème social ont la capacité d’y apporter une contribution significative dans le cadre d’un processus d’apprentissage mutuel des intervenants et des personnes en situation de vulnérabilité. Associer les personnes que les programmes veulent rejoindre n’est pas toujours évident. Par exemple, dans un programme SIPPE contrôlé par une équipe interdisciplinaire et une table intersectorielle, comment associer au départ les jeunes familles que l’on souhaite rejoindre ? Asseoir une personne autour de la table sans que celle-ci ait une légitimité démocratique comme représentante d’un groupe de participants, serait l’utiliser comme participante de service; histoire de se donner bonne conscience, mais un bien mauvais service à lui rendre! Il faut bien comprendre que souvent les familles ciblées ont à leur actif des expériences difficiles avec les intervenants professionnels : il faut d’abord établir des liens de confiance. Il faut du temps et des contacts personnels consistants avant que les interventions permettent l’empowerment requis pour que les familles rejointes se constituent elles-mêmes en instance partenaire de l’équipe interdisciplinaire ou de la table intersectorielle.

Le contenu des entrevues nous porte à croire que ce sont les organismes communautaires invités à la table intersectorielle qui pourraient assumer de fait la liaison, et, éventuellement, l’inclusion des familles en situation de vulnérabilité, soit parce qu’ils sont déjà en lien avec elles, soit parce que le programme leur fournit l’occasion d’inclure ces familles dans les populations qu’ils rejoignent déjà. C’est donc au plan des pratiques communautaires autonomes et dans les contacts directs des OC avec les personnes du milieu qu’il faudrait explorer la participation des personnes concernées par les PSP afin de déterminer si ces personnes peuvent faire valoir leurs besoins et leurs attentes, et surtout si elles peuvent participer à la définition des problèmes et à l’établissement des objectifs du programme. Ce type de participation est au coeur des rapports de pouvoir entre les experts et les personnes auxquelles s’adressent les PSP. Il reste à documenter, à partir des pratiques concrètes, si le cadre des programmes réduit nécessairement les personnes et les communautés au statut d’objets ou s’il permet d’en faire des sujets de l’intervention.

Ce hiatus pour une approche participative tient aux postulats de base de la plupart des PSP : intervenir intensivement auprès des personnes en situation de vulnérabilité plutôt que des milieux en situation problématique pour rejoindre ces mêmes personnes sur des bases collectives. Les PSP inscrivent généralement l’intervention dans une relation d’aide plutôt que de mutualité, ce qui heurte le principe de « participation sociale au moyen de pratiques démocratiques » (Lachapelle, 2003 : 16). Comme dit le proverbe, « la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit »!

Les PSP peuvent être l’occasion d’établir des partenariats réels en respectant les intérêts particuliers des organisations participantes, tout en initiant une action concertée et des collaborations sur le terrain autour des intérêts communs. La situation souhaitée en organisation communautaire est que ces intérêts communs soient définis en fonction de buts et d’objectifs partagés. Une recherche menée en 2005 sur un autre programme de santé publique (le programme de soutien aux jeunes parents ou PSJP) indique que le partenariat demeure toutefois circonscrit à des éléments comme le choix des moyens (projets, activités, thèmes d’atelier, etc.), mais ne touche pas des éléments comme l’identification de l’enveloppe budgétaire destinée au communautaire, les services aux jeunes parents relevant du CLSC, ou encore moins les objectifs et les stratégies du PSJP lui-même (Bourque, 2007).

Il faut aussi reconnaître que le financement disponible dans les PSP est souvent le premier moteur de ralliement et de collaboration, dans la mesure où la gestion des fonds est transparente et équitable et que la compétition entre les partenaires autour d’une enveloppe restreinte n’est pas trop vive. Sur ce terrain, le financement par projet, qui s’explique bien dans le cadre des programmes poursuivant leurs objectifs propres, est en contradiction avec les besoins en développement local. Sur ce plan, certaines interventions appellent une action transversale capable de prendre en compte plusieurs des déterminants sociaux de la santé qui jouent en même temps : le logement, la sécurité alimentaire, le transport, etc. La création d’environnements favorables ne suffit pas. Ce sont l’expertise et les possibilités d’action sur la base des territoires d’appartenance qui devraient alors prévaloir sur les particularités de programme.

Les OC sont préoccupés d’aider le milieu à aller chercher les ressources disponibles, y compris dans les PSP, mais ils estiment qu’il ne leur revient pas d’en assurer la distribution, compte tenu des liens professionnels de soutien qu’ils doivent maintenir avec les organisations du milieu. Les OC tiennent donc à ne pas être partie prenante des décisions financières et administratives relatives aux programmes. Sur ce terrain, la contribution des cadres est souvent évoquée comme l’avenue privilégiée pour que les OC puissent garder cette nécessaire distance professionnelle.

L’encadrement des interventions en organisation communautaire

Les cadres de référence des PSP placent l’OC en position de liaison avec le milieu, entre les professionnels des CSSS, ceux des directions régionales de santé publique et les groupes communautaires. C’est une position que les OC ont l’habitude d’occuper, mais qui n’est pas toujours confortable. Dans ce contexte, l’appui du supérieur immédiat est déterminant. L’importance que celui-ci accorde au travail avec la communauté, sa compréhension des contraintes de l’action communautaire, l’intérêt manifesté pour les acquis communautaires et la confiance qu’il manifeste à l’OC, sont vécus comme un soutien direct aux PSP. Un cadre qui sait minimiser les contraintes sur le plan administratif pour respecter le rythme des organismes du milieu sans que les ressources ne soient compromises (la collaboration ne s’établit pas en fonction des périodes budgétaires du réseau!), peut faire toute la différence dans l’établissement d’une saine coopération avec le milieu. À l’inverse, le taux de roulement du personnel cadre dans le contexte des fusions d’établissements suscite de grandes inquiétudes. Vu l’instabilité des postes cadres au cours des dernières années, l’arrivée des gestionnaires issus de la culture hospitalière dans les programmes où sont rattachés les OC, et la multiplication des paliers hiérarchiques, rendent incertain l’avenir des actions entreprises en santé publique comme dans les autres interventions.

Du côté des directions régionales de santé publique, exception faite de deux régions où les rapports semblent tendus avec les OC, nos entrevues ont mis en évidence une perception nettement positive qui se démarque des observations fréquentes en sens contraire dans les milieux de l’organisation communautaire. Les agents de santé publique avec lesquels travaillent celles et ceux qui ont répondu à notre enquête, manifestent de l’ouverture et de la souplesse au regard des besoins et réalités particulières des milieux. Dans certains cas, on parle même de complicité. Sont très appréciées les rencontres régionales organisées par la santé publique, car elles sont vécues comme des temps de partage d’expériences et des moments de soutien entre pairs. La seule inquiétude manifestée, et elle est majeure, est que cette souplesse ne disparaisse, advenant que la volonté répétée en santé publique de référer aux meilleures pratiques n’entraîne une standardisation des façons de faire.

Le tableau suivant résume les facteurs favorables et défavorables identifiés dans la recherche.

Tableau

Facteurs favorables et défavorables à la mise en oeuvre d’une approche socio-institutionnelle participative

Facteurs favorables

Facteurs défavorables

Le fait que les PSP constituent une partie seulement des tâches des OC

L’engagement des OC pour les seules fins de livrer un ou des PSP

L’expérience et l’ancienneté dans le milieu de pratique

Les définitions de tâche technique ou de type instrumental

Le mentorat des collègues expérimentés

 

Le fait que les OC partagent les buts des PSP

La réputation des programmes top down

Une démarche patiente

Les échéances fixes et les mesures à court terme

La prise en compte des réalités locales et la réponse aux besoins du milieu

Une définition microsociale de l’intersectorialité

Les territoires de CLSC comme milieux d’appartenance et de mobilisation

La spécialisation par programme aux dépens de la dimension territoriale

La participation des personnes à rejoindre à l’élaboration et la mise en oeuvre des programmes

Une relation « clinique » avec les personnes à rejoindre

L’élaboration des partenariats respectant les intérêts des partenaires

Les incohérences dans l’arrimage des programmes, qui les mettent en compétition

L’appropriation des visées des PSP par les partenaires et l’adhésion volontaire

Le caractère imposé des PSP

La culture locale de concertation et le respect de ses modes d’action

L’imposition des structures superposées aux instances locales et la surcharge des tâches

L’apport des ressources financières pour les organisations du milieu

Le financement par projet

La modification des actions locales pour avoir accès aux ressources financières

La gestion des fonds assumée par les cadres

La participation des OC aux décisions quant à l’usage des fonds

L’approche communautaire pratiquée par le CSSS

La position modeste de la santé publique dans les CSSS

L’appui du supérieur immédiat

Le taux de roulement du personnel cadre et l’arrivée des cadres issus de la culture hospitalière

L’ouverture des agents de la direction régionale de la santé publique

La référence exclusive aux meilleures pratiques

-> See the list of tables

Conclusion

La majorité des OC rencontrés estiment réussir à transformer les PSP en action partenariale dans le milieu. Ces programmes peuvent être l’occasion d’établir des partenariats réels en respectant les intérêts particuliers des organisations participantes, tout en initiant une action concertée et des collaborations sur le terrain autour des intérêts communs. Il convient cependant de s’interroger sur la pertinence d’associer des OC à certains programmes relevant davantage de l’intervention de groupe ou de la simple promotion de saines habitudes de vie, à moins que ces interventions ne soient jugées prioritaires en fonction des besoins et particularités du milieu.

À la lumière de cette recherche, la validation du degré de participation dans la mise en oeuvre des programmes et approches de santé publique demeure partielle. Pour dépasser le caractère exploratoire de notre démarche, de nouvelles recherches s’imposent. Il faut creuser davantage la qualité participative en donnant priorité à l’étude des pratiques bien établies de collaboration, de façon à mesurer des indicateurs de participation des populations concernées par les PSP. Nous identifions cependant quatre pistes d’action qui se dessinent sur le terrain des rapports entre les OC et les programmes et approches de santé publique : établir un dialogue entre l’expertise de la santé publique et celle des OC; maintenir un soutien local et régional aux interventions socio-institutionnelles en santé publique; poursuivre la recherche sur les plans quantitatif et qualitatif; et renforcer la participation dans l’élaboration et la mise en oeuvre des programmes de santé publique.

Ce dernier point est crucial, car, dans leur forme actuelle, les PSP étudiés ne sont pas en eux-mêmes l’occasion d’un processus dans lequel les personnes concernées par un problème social ont la capacité d’apporter une contribution significative, et ce, dans le cadre d’un processus d’apprentissage mutuel des intervenants et des personnes en situation de vulnérabilité. Cette limite est en partie compensée par la reconnaissance des groupes communautaires comme agents de socialisation et d’inclusion des personnes en situation de vulnérabilité, et par les partenariats qui s’établissent dans le cadre des PSP et qui permettent une certaine appropriation locale des objectifs et processus de santé publique. Les recherches de Bilodeau et al. (2002) indiquent qu’il existe des conditions spécifiques de succès des approches participatives que l’on peut mettre en relation avec la qualité des résultats atteints. Parmi ces conditions, notons la mobilisation des acteurs pertinents à la question en jeu. Ces acteurs sont mobilisés sur des choix stratégiques et non seulement techniques ou instrumentaux, ils sont également en position d’influence et de négociation (au delà de la consultation), et enfin le processus participatif permet de réduire l’inégalité de pouvoir entre les acteurs (dont les experts) et favorise la co-conception des actions. Nous pourrions ajouter d’autres facteurs de réussite, comme la pertinence sociale du programme, la flexibilité et l’ouverture du promoteur, l’appropriation créative du programme par les acteurs, et la constance du soutien organisationnel et professionnel.

La contribution des PSP à l’empowerment serait accrue si les méthodes d’apprentissage mutuel qui caractérisent notamment l’éducation populaire étaient mises à profit. On peut en donner pour preuve que bon nombre de personnes militant dans les organisations communautaires sont issues du milieu de celles que la santé publique identifie comme une clientèle à risque de vulnérabilité. L’enjeu n’est pas mince, puisque cela implique de considérer ces gens non plus comme des individus clients (ou usagers, ou bénéficiaires), mais comme des populations et des citoyennes et citoyens.