Abstracts
Résumé
L’auteure du présent article propose aux lecteurs une partie de sa recherche consacrée aux chansons franco-flamandes connues au xvie siècle sous le nom de fricassée. Parmi les oeuvres polyphoniques a cappella interprétées durant la Renaissance, ce genre, créé afin de faire rire le public, joue un rôle particulier. Composée de plusieurs mélodies et textes poétiques empruntés à d’autres chansons, la fricassée se distingue par son caractère érotique et parfois absolument obscène. Pour quelle raison cette jolie miniature vocale, apparue au premier tiers du xvie siècle, reste-t-elle populaire jusqu’à la fin de la Renaissance ? Le but de cet article est d’expliquer certains traits caractéristiques de ce genre en lien avec le concept Homo ludens de Johan Huizinga ainsi que la philosophie du rire carnavalesque de Mikhail Bakhtin. L’existence de ces liens se démontre notamment par des exemples tirés d’une fricassée, qui a longtemps échappé à l’attention des chercheurs jusqu’à ce qu’elle soit découverte en 2013 dans la Bibliothèque nationale de Bavière. L’étude de cette oeuvre se penche surtout sur l’analyse de ses textes qui, d’après l’auteure, non seulement constituent l’un des plus intéressants aspects de ce genre, mais aussi confirment que son caractère ludique a pour origine les concepts mentionnés.
Abstract
The author of this article presents readers with a part of their research devoted to the Franco-Flemish songs known in the sixteenth century by the name fricassée. Among the polyphonic a cappella works performed during the Renaissance, this genre, created to make audiences laugh, plays a specific role. Composed of several melodies and poetic texts borrowed from other songs, the fricassée is recognizable for its erotic and sometimes completely obscene character. Why did this lovely vocal miniature that appeared in the first third of the sixteenth century remain popular until the end of the Renaissance? The aim of this article is to explain certain characteristic traits of this genre in connection to Johan Huizinga’s Homo ludens concept as well as Mikhail Bakhtin’s philosophy of carnivalesque laughter. The existence of these connections is especially demonstrated in examples drawn from a fricassée that had long escaped the attention of researchers, until its 2013 discovery in the Bavarian State Library. The study of this piece focusses mainly on the analysis of its texts that, in the opinion of this author, not only constitute one of the most interesting aspects of the genre, but also confirm that its playful character originates in the aforementioned concepts.
Article body
Dans le répertoire de musique du xvie siècle, on trouve quelques pièces vocales connues sous le nom de fricassées. Les études menées sur la fricassée la rapprochent généralement du quolibet (ou quodlibet), terme provenant du latin quodlibet (ce qui plaît) et d’abord associé aux jeux polyphoniques médiévaux. Dans l’Encyclopaedia Universalis, ce genre est défini comme
une composition musicale dans laquelle plusieurs mélodies connues se mêlent, soit simultanément, soit, plus rarement, successivement, en vue de créer un effet humoristique. Le quolibet peut également désigner un mélange de textes provenant de différentes sources et réunis dans une même composition vocale
Encyclopaedia Universalis s.d.
Bien que l’on voie évoqué le terme du quolibet dans des ouvrages théoriques à partir du xve siècle[1] (Freedman et Maniates 2001b, 687), surtout pour ce qui touche à la mensuration, au traitement des modes et au cantus firmus, les premières recherches sur le quolibet n’apparaissent qu’à partir du xviie siècle[2] (Maniates 1966, 172). Cependant, il est curieux de noter que l’intérêt pour l’étude de ce genre réapparaît dans la seconde moitié du xxe siècle, surtout au cours des années soixante. Ainsi, divers aspects du quolibet, notamment la définition, la classification et la genèse du genre, sont abordés dans les travaux de W. Apel (1944), W. Rogge (1960), K. Gudewill (1962), M. R. Maniates (1966) et I. Cazeaux (2002). Nous devons aux musicologues E. Kovarik (1978), M. R. Maniates (2001), R. Freedman (2001), J.P. Ouvrard (1982) et H. Vanhulst (1993, 2010) une série de travaux consacrés à la variété de ce genre connu comme la fricassée sur le territoire franco-flamand du xvie siècle. Dans le cadre de cet article, nous voudrions considérer les liens entre le caractère ludique de la fricassée et le concept du jeu proposé par Johan Huizinga. Suite à quoi, nous proposons une analyse de la fricassée anonyme Aupres de vous[3], dont la partition se trouve dans la Bayerische Staatsbibliothek de Munich[4]. Par ailleurs, après avoir sélectionné huit fricassées éditées durant le xvie siècle selon l’étape suivante de notre recherche, nous avons effectué l’identification de la plupart des incipits[5] utilisés par les compositeurs de ces oeuvres. Le fait que certaines chansons soient citées à plusieurs reprises dans les fricassées étudiées nous permet d’estimer le répertoire qui était en vogue à l’époque et, probablement, mieux comprendre le goût du public du temps. Les résultats, qui témoignent sans doute de la popularité de certaines chansons à la Renaissance, sont présentés sous forme de tableau dans l’Annexe 2.
La fricassée comme fruit des idées humanistes de la Renaissance
Dans un article intitulé « QuodlibetRevisum », M. R. Maniates met en évidence les liens entre le principe de jeu, qui détermine l’apparence de la fricassée, et le concept philosophique de Johan Huizinga énoncé dans Homo Ludens[6] : Essai sur la fonction sociale du jeu (Maniates 1966, 170). Néanmoins, à notre avis, la musicologue ne fait que formuler son hypothèse sans entrer dans les détails. À la suite de M. R. Maniates, nous voudrions en quelque sorte développer cette idée, en nous référant aux citations de l’ouvrage de Huizinga. D’après cet auteur, le jeu constitue une partie indissociable de la culture humaine. Par conséquent, l’individu qui vit en société doit être considéré comme un Homo Ludens (un homme qui joue) (Huizinga 1988). De notre point de vue, une meilleure appréhension, de l’importance du jeu, dont le rôle s’est accru durant la Renaissance, nous conduit à mieux comprendre les motifs qui poussent les compositeurs à utiliser dans leurs fricassées une technique particulière.
L’étude des textes, qui sont assez crus, pleins des sous-entendus sexuels, nous amène à supposer que l’interprétation des fricassées produisait à l’époque un effet frappant. La singularité de ces oeuvres rend logique la question suivante : pour quelles raisons ce nouveau genre vocal, apparu après 1520, a-t-il attiré et retenu l’attention des compositeurs franco-flamands jusqu’à la fin du xvie siècle ? Ou encore : comment le jeu joue-t-il un rôle organisateur dans une oeuvre destinée à faire rire ? À la Renaissance, un élément de réponse réside déjà dans son nom. Le mot « fricassée », associé sûrement à un plat gastronomique, désigne également au Moyen Âge un mélange d’éléments disparates (Furetière 1690). Il est aussi fort possible que l’idée de combiner des extraits provenant de diverses sources afin de faire rire le public soit liée aux idéaux humanistes. La redécouverte de la culture grecque ancienne entraîne une conception nouvelle de l’homme. Maintenant, il est placé au centre de l’univers avec ses désirs et préoccupations personnels. Selon de nouveaux idéaux, la tâche d’une élite instruite à la Renaissance est de perfectionner ses qualités morales et intellectuelles ainsi que de développer ses compétences créatives quant aux sciences et aux arts.
L’humanisme, lié à la découverte des Anciens, va fortement remodeler les esprits durant le xvie siècle : goût de l’expérimentation, confiance en soi, décloisonnement des disciplines, tels seront les grands apports de la pensée antique
Beltrando-Patier, 224
La conscience de cet homme nouveau, plus flexible et ouverte qu’auparavant, met en valeur un nouvel aspect sociologique : le jeu et sa signification dans la vie humaine. Cette idée du jeu est à replacer dans le contexte de ce qu’on désigne, à propos de la Renaissance, comme l’humanisme. Selon le point de vue du philosophe et historien Huizinga, le désir de jouer est une qualité intrinsèque de la nature humaine.
L’existence du jeu n’est liée à aucun degré de civilisation, à aucune forme de conception de l’univers. Tout être pensant pourrait se représenter cette réalité du jeu, de jouer, immédiatement comme quelque chose d’indépendant en soi, même si la langue ne possédait pas de terme général pour la définir. L’existence du jeu est indéniable. On peut nier presque toutes les entités abstraites : justice, beauté, vérité, esprit, Dieu. On peut nier le sérieux. Le jeu point
Huizinga 1988, 18
Huizinga remarque aussi que le plaisir de jouer constitue l’essence du jeu (Huizinga 1988, 18). Dans l’art de la Renaissance, avec ses idéaux humanistes, on voit apparaître un intérêt pour les plaisirs de la vie humaine et la joie de vivre, ainsi que pour les valeurs primaires comme le jeu. À cet égard, on peut se référer à la manière dont Giovanni Bardi décrit les règles du Calcio fiorentino énoncées dans son ouvrage Discorso sopra il guiocodel calcio fiorentino del puro (1580). Outre les règles elles-mêmes, il établit aussi l’âge et les vêtements des participants autant que les meilleurs lieux et les saisons qui, selon l’auteur, sont plus avantageux pour ce jeu (Bardi 1580, 8-9).
En France, l’envie de jouer dans la haute société pendant la Renaissance a pour résultat la réglementation des jeux. Ainsi, grâce au Traité de la police de Nicolas Delamare (1719), nous découvrons quelles sont les mesures prises par les autorités temporelles au xvie siècle. Selon ce traité, une attention particulière doit être accordée aux jeux d’actions.
La catégorie des jeux d’actions est très vaste et comporte elle-même des subdivisions : ainsi sont permis en principe les exercices du corps et de l’esprit, mettant en l’oeuvre l’intelligence : parmi eux citons la paume, le mail, l’arc, l’arbalète, l’arquebuse de même que le billard, les échecs, les joutes, tournois, carrousels. Les réglementations sont d’ailleurs mouvantes selon les circonstances : il est recommandé d’éviter les jeux qui fatiguent le corps et l’esprit : ainsi dès 1543 le Parlement interdit d’établir de nouveaux jeux de paume[7] à Paris et spécialement dans les faubourgs de la ville en faisant valoir notamment que ce jeu est préjudiciable pour l’étude des écoliers, étudiants en l’université de Paris et renouvelle cette défense en 1551
Reulos 1980, 635-636
La Fricassée en tant qu’expression de l’esprit ludique : Homo ludens et de la philosophie du rire carnavalesque
De nouvelles conditions socioculturelles rendent à cette époque le phénomène du jeu d’actualité. Le jeu existe au-delà de l’antithèse médiévale « sagesse-sottie ». « Le jeu en soi, s’il constitue une activité de l’esprit, ne comporte pas de fonction morale, ni vertu ni péché » (Huizinga 1988, 22). De plus, le principe du jeu s’apparente à la philosophie du rire carnavalesque (Bakhtine 1970) qui prend son essor durant la Renaissance.
Entre la fête et le jeu, il y a naturellement les relations les plus étroites. L’élimination de la vie courante, le ton joyeux dominant, sinon nécessaire, de l’action (la fête aussi peut être sérieuse), les frontières locales et temporelles, la coïncidence d’une exactitude rigoureuse et d’une vraie liberté, tels sont les principaux communs du jeu et de la fête
Huizinga 1988, 43
En dépit du fait que le jeu est irrationnel, il est soumis à des règles strictes qui « sont absolument impérieuses et indiscutables » (Huizinga 1988, 29). Il en ressort que l’esprit ludique de l’Homo Ludens trouve son expression dans certains genres du xvie siècle, notamment dans la fricassée.
D’après M. R. Maniates, le langage du jeu, exprimé dans le quolibet, prend la forme d’un symbolisme masqué (Maniates 1966, 170). Cette idée est soutenue par Huizinga dans son livre Homo Ludens.
Tout en jouant, l’esprit créateur de langage saute sans cesse de la matière à la chose pensée. Chaque expression de l’abstrait recouvre une figure, et chaque figure un jeu de mots. Ainsi l’humanité recrée toujours son expression de l’existence, second univers imaginé à côté de celui de la nature
Huizinga 1988, 20
La spécificité qui différencie la fricassée d’autres compositions combinatoires se trouve dans la dimension ludique. Il s’agit d’un ordre occasionnel d’éléments incongrus[8] (Maniates 1966, 175). En associant des extraits disparates, les compositeurs de fricassées s’appuient sur le concept du jeu. L’idée de mélanger des éléments hétérogènes au niveau de la musique et du texte implique l’utilisation de techniques particulières[9]. Grâce à cette singularité de la fricassée, le compositeur se présente dans une certaine mesure comme le créateur d’un jouet destiné au public. Comme nous l’avons précisé plus haut, le concept essentiel du jeu est étroitement lié à l’esprit ludique humain[10]. Toutefois, il nous paraît nécessaire de mettre en relief la nature ambivalente du jeu : le jeu auquel « l’homme joue comme l’enfant, pour son plaisir et son délassement » (Huizinga 1988, 29), exige néanmoins « un ordre absolu » (Huizinga 1988, 27). D’un côté, le jeu « se refuse à toute analyse ou interprétation logique » (Huizinga 1988, 18) ; de l’autre, il demande une obéissance totale à des règles rigoureuses. La tension entre ces deux tendances se retrouve dans la fricassée. En effet, malgré son caractère visiblement spontané et léger, la fricassée est une oeuvre soigneusement conçue et organisée en fonction d’un ordre contrapuntique. Tous les éléments constituant le tissu de la pièce sont sélectionnés, modifiés au besoin et raccordés selon une idée principale (Kim 2014, 41).
Malgré l’écriture polyphonique assez complexe et qui exige, de la part de tous les interprètes, une formation musicale solide, la fricassée est un genre « démocratique » quant à son lexique. L’examen des textes des fricassées met en évidence leur parenté avec des oeuvres médiévales créées sous le signe du rire carnavalesque. La langue de la fricassée, pleine d’expressions de rue, révèle des liens avec le théâtre comique populaire dont les représentations improvisées ont surtout lieu pendant les fêtes populaires. Selon J. Huizinga, depuis le Moyen Âge les fêtes jouent un rôle extrêmement important dans la vie du peuple.
L’homme moderne est libre de chercher individuellement, quand il lui plaît, des distractions de son choix. Mais dans un temps où les plaisirs de l’esprit ne sont ni nombreux ni accessibles à tous, on a besoin de ces réjouissances collectives que sont les fêtes. Plus la misère quotidienne est accablante, plus les fêtes sont indispensables et plus leurs moyens devront être forts pour procurer l’enivrement de la jouissance et l’oubli de réalités
Huizinga 1988, 312
D’après le philosophe Mikhaïl Bakhtine, la notion du rire, dans le contexte de fêtes populaires, acquiert une signification particulière. On le perçoit « en tant que forme universelle de la conception du monde » (Bakhtine 1970, 76). Cette conception est conditionnée par la perception du monde que peut avoir l’homme médiéval, dont la vie quotidienne n’était pas du tout facile. Grâce aux carnavals, où tout semble être autorisé, il oublie ses peines et inquiétudes. On voit donc se libérer la conscience de l’homme ordinaire pendant les fêtes (Bakhtine 1970, 104). À la Renaissance, la culture du rire carnavalesque atteint son sommet[11]. Issu du milieu populaire et en s’élevant au-dessus de celui-ci, il pénètre dans la grande littérature et trouve son expression suprême dans les oeuvres de William Shakespeare, Miguel de Cervantes Saavedra et François Rabelais (Bakhtine 1970, 84).
L’attitude de la Renaissance à l’égard du rire peut être caractérisée, à titre préliminaire et en gros de la façon suivante. Le rire a une profonde valeur de conception du monde, c’est une des formes capitales par lesquelles s’exprime la vérité sur le monde dans son ensemble, sur l’histoire, sur l’homme ; c’est un point de vue particulier et universel sur le monde, qui perçoit ce dernier différemment, mais de manière non moins importante (sinon plus) que le sérieux
Bakhtine 1970, 75
Cette nouvelle conception conduit à l’apparition de nouveaux genres aux xiiie-xve siècle : moralités, sotties, farces. Tous les aspects de la vie quotidienne — naissance, mort, maladie, amour — sont présentés sous forme de blasons, grossièretés, imprécations et jurons. Parodies de la vie des classes privilégiées, descriptions d’aventures sexuelles ainsi que des moqueries anticléricales font l’objet de mises en scène théâtrales. Comme le précise M. Bakhtine, « c’est un jeu avec les choses “élevées” et “sacrées” qui s’associent ici aux figures du bas matériel et corporel (urine, travestis érotiques, parodies des banquets) » (Bakhtine 1970, 194).
Cette idée de matérialité et de corporalité, présentée comme universelle dans les conditions de carnaval, détermine alors les traits du langage verbal. La particularité du lexique bouffon, très informel, voire choquant, est conditionnée par les traditions du théâtre comique populaire[12]. L’expression d’émotions burlesques exige des locutions vraiment crues, formées au sein du langage familier. Par exemple, dans une fricassée anonyme de 1536, on trouve la phrase suivante, constituée de deux incipits placés bout à bout : « Prends ton con[13] / Et vire vire Jean[14] ». Le caractère humoristique des sujets abordés entraîne un style verbal spécifique, exagéré et rempli de métaphores. Ce style, désigné par Bakhtine comme du « réalisme grotesque », se manifeste dans les fricassées du xvie siècle et permet d’inscrire ces pièces dans la dimension du rire carnavalesque.
Comme nous l’avons mentionné précédemment, les oeuvres de caractère cocasse abondent dans le répertoire vocal médiéval. En ce qui concerne la fricassée, bien qu’elle soit fondée sur les traditions remontant au Moyen Âge, elle possède une qualité qui la distingue d’autres pièces comiques. Il s’agit de son caractère incongru. Une pièce conçue pour faire rire demande une atmosphère festive particulière. Afin de produire un effet humoristique, les compositeurs de fricassées rassemblent des incipits empruntés à diverses chansons[15]. Le mélange et le traitement de différents textes, souvent incompatibles, aboutissent à des volte-face inattendues. Ainsi, dans la fricassée de Henri Fresneau (1538[17]), remarque-t-on le Gaudeamus de l’Introït de la Messe de la Toussaint (T, mes. 27-29) voisiner avec une chanson salace de Clément Janequin, Au joly joly jeu du pousse avant[16] (S[17], mes. 29-31).
On s’aperçoit donc que l’ensemble des procédés qui constituent la manière du compositeur relèvent de la philosophie du rire carnavalesque. Du point de vue éthique, tout est permis pendant le carnaval. N’importe quel sujet peut être bafoué dans le monde où tout est « à l’envers[18] ». Dans la fricassée, divers fragments, qui passent devant l’auditeur comme des personnages déguisés, créent l’ambiance d’une mascarade. À titre d’exemple, on peut évoquer la fricassée de Denis Caignet où l’alternance d’incipits et de questions aboutit à un effet cocasse : « Quand la bergere va au champs a son ami luy va disant / Et quoy ? / Baisez moi Jhan je vous tueray des poux si vous my baisez bien je vous les tueray tous » (Caignet 1597, mes. 27-38).
Notons aussi une autre qualité qui distingue la fricassée des autres chansons franco-flamandes de caractère comique. Très emblématique de son époque, cette pièce vocale s’avère donc exprimer les idéaux humanistes mieux qu’aucun autre genre. Son succès peut être probablement expliqué non seulement par son esprit particulier, mais aussi par ses exigences en matière de composition. De prime abord, jolie miniature destinée à faire rire, elle demande au compositeur une solide maîtrise de l’écriture polyphonique et de l’art de la compilation. Au sein de la fricassée, les techniques empruntées au centon[19], au quolibet médiéval et à la chanson combinatoire[20] sont synthétisées et menées jusqu’à un haut degré de complexité. On peut donc supposer que pour les compositeurs de la grande époque contrapuntique, la fricassée s’impose comme une sorte de défi à relever. De plus, la tâche du compositeur est complexifiée par la nécessité de sélectionner des incipits d’un répertoire bien connu. Le raccord de fragments disparates en fonction d’exigences du style imitatif syntaxique[21] demande aussi une approche créatrice et un travail extrêmement soigneux.
Analyse de la fricassée anonyme Aupres de vous (15311)
L’art des maîtres français consistant à harmoniser de multiples incipits au sein d’une même oeuvre peut être illustré par l’une des premières fricassées, Aupres de vous, d’un compositeur anonyme, publiée en 1531 par Pierre Attaingnant[22]. En suivant l’exemple de H. Vanhulst, qui présente l’analyse d’une oeuvre dans un article intitulé « La fricassée de Jean Crespel (1552), une oeuvre pour rire ? », nous avons entrepris d’identifier les sources utilisées par le compositeur anonyme pour sa fricassée Aupres de vous. Il est à noter que cette pièce correspond à toutes les exigences du genre. En effet, des fragments tirés de diverses chansons sont réunis de façon virtuose. La structure de la fricassée est déterminée par la chanson Aupres de vous, dont on attribue la composition à Sermisy ou à Jacotin[23]. Dans la chanson originale, il est question d’un amoureux souffrant de ses sentiments non réciproques. Le caractère de cette pièce lente et triste vient du texte poétique écrit sous forme de quatrain par un auteur anonyme. Le thème musical (A), suivi d’un développement (B et C), est repris au début du quatrième vers (A1).
Dans la fricassée anonyme, alors que la mélodie de la chanson de Sermisy Aupres de vous secretement demeure se déroule dans le superius, divers incipits se succèdent dans les autres voix. À notre avis, cette mélodie, exécutée par le superius, comme chez Sermisy, contribue à la consolidation de la forme. À l’exception de quelques détails, le compositeur copie intégralement le superius de la chanson de Sermisy Aupres de vous, tandis que les trois autres voix présentent un mélange d’incipits empruntés. Nous ne constatons qu’un seul changement par rapport à la source initiale : à la fin de la fricassée, l’auteur ajoute un couplet supplémentaire. Tandis qu’au niveau formel la chanson de Sermisy suit la structure ABCA, en raison de cette addition, la forme de la fricassée devient plus importante : ABCA1+A2. Sur fond de chanson courtoise, parlant d’amours malheureuses aux intonations plaintives, les citations d’origines différentes s’enchaînent. Au niveau musical, le compositeur traite les incipits de façon personnelle. Il s’agit de citations tantôt exactes[24], tantôt modifiées[25]. Parfois le compositeur cite des chansons bien connues[26]. On y entend également une paraphrase de la chanson anonyme Confortés moy ma tres leale dame (Manuscrit MunBS 1508) qui, dans la fricassée, se transforme en « Confortes moy damoiselle ».
Alors que la plupart des incipits sont tirés du superius des chansons concernées, d’autres emprunts se font aussi aux parties de tenor[27], de contratenor[28] et de bassus[29]. À ce propos, il est intéressant de noter que pour construire le bassus de la fricassée, le compositeur utilise cinq extraits empruntés à diverses chansons populaires à la voix du même registre. En plus du procédé de citation, on voit aussi poindre dans la fricassée le procédé de figuralisme. Par exemple, le thème de la chanson anonyme De retourner illustre les paroles à l’aide d’une mélodie, dont le contour transmet l’idée du retour en retournant sur un do (voir l’Exemple 2).
Puisqu’il est question des voix qui sont réunies dans le tissu polyphonique, il est nécessaire d’évoquer les traits caractéristiques du contrepoint utilisé. Composée dans la tradition du xvie siècle, la partition de la fricassée ne semble ni trop complexe ni difficile à interpréter. L’écriture polyphonique, qui est traditionnelle pour les chansons franco-flamandes à la Renaissance, dans la fricassée tend vers un contrepoint compréhensible et assez simple. Selon notre analyse, la partie la plus développée, au sens thématique, est confiée au superius. Les incipits des autres voix sont sélectionnés de façon à former des accords verticaux avec le thème Aupres de vous ; c’est donc dire que malgré l’écriture contrapuntique, les fragments empruntés, cités dans les voix de tenor,contratenor et bassus, y jouent un rôle moins important (voir l’Exemple 3).
Sur le plan textuel, il est nécessaire de rappeler que le travail du compositeur, fondé sur l’assemblage de divers extraits, vise à créer un effet comique. Ainsi, les cris des marchands — « Pastez tres tous chaulx » et « Oubly, oubly[30] » — alternent-ils avec des fragments provenant de chansons érotiques : « Secourez moy », « Fringuez moy tant tant[31] », « A la mort m’avez mis ». La chanson bachique « Vignon, vignon » est cité à côté des chansons d’amour courtois : « Le cueur est bon », « Qui la dira la douleur », « Changeons propos ». Dans certains cas, le compositeur modifie le texte poétique de la chanson citée, bien que la citation s’appuie sur la musique de l’original. Par exemple, l’incipit « N’est ce pas grant domage » fait certainement référence à la chanson de Josquin N’esse pas un grand desplaisir[32]. La juxtaposition de textes qui semblent se succéder sans cohérence donne l’impression d’un désordre cocasse et conduit souvent à un détournement du sens initial[33]. Une telle « incongruité » textuelle peut être illustrée par un exemple mettant en évidence le procédé de superposition (voir l’Exemple 4).
Afin de produire un effet comique, le compositeur de la fricassée recourt aussi au procédé de juxtaposition. Par exemple, il est à noter la succession d’incipits « Petite camusette / Je my levay par ung matin / Secourez moy / Et ne me plains » au tenor de la fricassée. L’analyse montre que l’auteur de cette pièce se réfère à plusieurs reprises aux oeuvres de Sermisy. Les nombreuses citations de Sermisy dans les fricassées s’expliquent probablement par la grande popularité de ce compositeur. À ce propos, nous pouvons donc supposer qu’il était l’un des compositeurs les plus interprétés et sollicités de son époque. D’ailleurs, son style transparaît aussi dans des chansons anonymes comme la fricassée Aupres de vous. En effet, au début de cette fricassée, nous trouvons à la fois trois incipits superposés qui sont tirés des chansons de Sermisy. L’opposition entre les chansons joyeuses (Le content est riche en ce monde et Dont vient cela[34]) et celle de souffrances d’un amant malheureux aboutit à la création d’une ambiance carnavalesque.
Conclusion
L’étude de la fricassée anonyme Aupres de vous, présentée dans ce texte, nous amène à conclure que l’intérêt des compositeurs français pour ce genre durant le xvie siècle n’était pas un hasard. En s’inscrivant dans la tradition du motet de l’Ars nova[35], dont la technique prédomine dans la majorité des quolibets européens, ce genre a beaucoup en commun avec des formes équivalentes en usage dans d’autres pays. Les oeuvres vocales de caractère comique, composées de matériaux empruntés sont évoquées dans diverses sources européennes sous différents noms : quodlibet en Allemagne ; misticanza, messanza, en Italie ; ensalada, en Espagne ; medley, en Angleterre. Tout en tenant compte de cette parenté incontestable, notons que le quolibet français a suivi une évolution singulière. Très emblématique de son époque, la fricassée possède un caractère incongru et bouffon. Ce caractère est conditionné par l’esprit ludique qui devient d’actualité à la Renaissance, particulièrement durant le règne de François Ier (1515-1547). Néanmoins, malgré un grand succès auprès du public, ce genre n’est pas très présent dans l’oeuvre des compositeurs franco-flamands au xvie siècle. Évidemment, comme nous l’avons évoqué plus haut, la composition d’une telle pièce nécessite des compétences particulières et donc ne peut faire l’objet de l’attention d’un grand nombre de compositeurs. Grâce à notre recherche, dont l’objectif est d’étudier les fricassées parues durant la Renaissance, nous pouvons confirmer cette idée : on ne connaît actuellement que huit fricassées[36]. Dans le cadre de cet article nous présentons aussi la notation moderne de la fricassée d’un compositeur anonyme, Aupres de vous, faite par nos soins[37]. Ce travail est effectué afin de rendre la musique de cette oeuvre plus disponible pour les musiciens. Dans la version originale, qui se trouve à la Bayerische Staatsbibliothek de Munich, on ne rencontre pas de partition qui réunit superius, contratenor, tenor et bassus ensemble. En conformité avec la pratique du temps, l’éditeur de cette chanson polyphonique n’a fait paraître que quatre partitions dont chacune correspond à l’une des quatre parties vocales. En ce qui concerne le tableau des chansons du xvie siècle citées dans les fricassées (Annexe 2), il est le résultat de l’indentification de chaque incipit utilisé dans les fricassées étudiées. Ce travail nous a permis d’établir une série de chansons qui étaient sans doute populaires à la Renaissance.
En conclusion, nous voudrions souligner l’importance d’une question liée au rattachement du genre à un tel ou tel groupe des chansons. En dépit du fait que les avis des chercheurs concernant la classification de la fricassée sont divergents[38], nous avons tendance, tout comme la musicologue M. R. Maniates, à rattacher ce genre au groupe des chansons parisiennes, où l’esprit de jeu était exprimé de façon plus évidente que dans les franco-flamandes. Les traditions, inspirées par l’oeuvre verbale populaire, notamment par la farce médiévale, cumulées avec des idées humanistes et fondées sur la conception du rire carnavalesque ont trouvé leur expression dans la fricassée. Le mariage des prémisses historiques, géographiques et socioculturelles a engendré les particularités musicales de ce genre. Il importe de noter que la combinaison de l’écriture polyphonique issue du motet médiéval avec l’art de la citation, fondé sur le procédé de centonisation, a suscité la diversité voire la complexité des techniques musicales mises en cause. Ces dernières, menées jusqu’à un niveau extraordinaire, distinguent les fricassées de tous les autres quolibets européens et les placent à un rang particulier.
Appendices
Annexes
Annexe 1. Tableau des fricassées parues au xvie siècle
Annexe 2. Tableau des chansons du xvie siècle citées dans les fricassées[39]
Note biographique
Vita Kim, chercheuse d’origine coréenne, a étudié le piano en Russie et a travaillé en tant que bibliothécaire dans le département des partitions rares de la Bibliothèque nationale à Saint-Pétersbourg. Elle poursuit ensuite ses études en France, à l’université Lumière Lyon ii. Après avoir écrit en 2014 un mémoire de Master sur la fricassée, elle a fait son doctorat. Le sujet de sa thèse, rédigée sous la direction de Pierre Saby, est lié à l’influence française sur la naissance de l’opéra national russe à la fin du xviiie siècle. Actuellement, ses recherches portent sur l’opéra-comique français et sa diffusion dans les pays européens dans la seconde moitié du xviiie siècle.
Notes
-
[1]
Par exemple, Johannes Tinctoris, Proportionale musices, vers 1473-1474 ; Heinrich Glarean, Dodecachordron, 1547 ; Gioseffo Zarlino, Le Istitutioni harmoniche, 1558.
-
[2]
Par exemple, Michael Praetorius, Syntagma musicum, 1618.
-
[3]
Bien que le complexe travail contrapuntique d’assemblage mélodique de la fricassée Aupres de vous mérite certainement d’être étudié, nous allons nous pencher surtout sur les textes qui, d’après l’auteure du présent article non seulement constituent l’un des plus intéressants aspects de ce genre, mais aussi démontrent que son caractère ludique est né dans le sillage du concept d’Homo ludens de Johan Huizinga ainsi que de la philosophie du rire carnavalesque de Mikhail Bakhtin, évoqués ci-dessous.
-
[4]
Cette oeuvre est éditée à Paris en 1530 dans le recueil Vingt et huit chansons nouvelles (RISM 15311). Il est à noter que pour les partitions du xvie siècle, l’usage veut que l’on indique les informations dans l’ordre suivant : le nom du compositeur, le nom de l’éditeur et le numéro du RISM (Répertoire international des sources musicales).
-
[5]
En parlant des extraits empruntés par les compositeurs des fricassées à d’autres sources, nous utilisons le terme « incipit » qui désigne entre autres les « premiers mots ou premières notes d’un ouvrage vocal ou instrumental » (Larousse en ligne, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/incipit/42249, consulté le 28 juin 2019).
-
[6]
Du latin ludus, « jeu ».
-
[7]
C’est un sport qui, ayant beaucoup en commun avec celui qu’on connaît aujourd’hui sous le nom de tennis, supposait l’utilisation de raquettes et de balles. Il était l’un des jeux préférés de l’aristocratie française, surtout aux xvie-xviie siècles (Belmas 2009, 59-71).
-
[8]
L’assemblage d’éléments disparates et comiques fait penser à d’autres pièces musicales, notamment à la Selva di varia ricreatione d’Orazio Vecchi (voir la dernière pièce, « Diversi linguaggi ») (1590). Comme le note W. Kirkendale dans « Franceschina, Girometta, and Their Companions in a Madrigal “a diversi linguaggi” by Luca Marenzio and Orazio Vecchi », une telle technique est liée aux traditions de la commedia dell’arte (Kirkendale 1972, 227).
-
[9]
Voir aussi « Inventaire des techniques musicales et linguistiques destinées à faire rire » (Dobbins 2010, 39).
-
[10]
Cette idée a été notamment développée dans les ouvrages Les jeux et les hommes : Le masque et le vertige de Roger Caillois (1967) et Jouer et philosopher de Colas Duflo (1997).
-
[11]
« “Rire”, comme le latin ridere, désigne, donc à la Renaissance toute la gamme des rires, depuis le sourire esquissé jusqu’au fou-rire éclatant. C’est un […] travail de l’imagination sur le réel, devant l’évidence de vérité ; c’est un constat de vérité qui ne peut s’instituer que dans l’échange partagé au sein d’une société pour laquelle l’échange reste moralement nécessaire ; le rire révèle de l’éthique au sens aristotélicien, parce qu’il concerne l’homme en société et ses moeurs » (Fontaine 2010, 456).
-
[12]
« Jusqu’à présent, ce vocabulaire embarrasse tous les lecteurs de Rabelais qui ont du mal à intégrer ces éléments, organiquement et entièrement, dans la trame littéraire. Ce vocabulaire […] avait un sens universel très éloigné de la pornographie moderne » (Bakhtine 1970, 194).
-
[13]
Tirée de Mouton, Antico 15361, (T, mes. 47-48). T signifie tenor. Dans l’édition Anthologie de la chanson parisienne au xvie siècle, on lit « Prends ton ton » (Lesure 1953, 19-22). Cependant, dans l’édition de Moderne de la chanson de Mouton c’est bien « Prends ton con » (Moderne 153818).
-
[14]
Courtois, Attaingnant, 15293, (T, mes. 47-48).
-
[15]
Dans les fricassées franco-flamandes les incipits non seulement se juxtaposent, mais aussi, placés dans différentes voix, se superposent.
-
[17]
S. signifie superius.
-
[16]
Janequin, Attaingnant, 15292.
-
[17]
S. signifie superius.
-
[18]
« Monde à l’envers », c’est le terme de Bakhtine qui désigne une ambiance carnavalesque où les participants font ce qu’ils ne se permettent normalement pas dans la vie quotidienne (Bakhtine 1970, 422). D’après R. Lachmann, ce terme doit être compris comme signifiant également un monde où règne « une anarchie joyeuse » (Lachmann 1988-1989, 118).
-
[19]
D’après Geoffrey Chew et James W. McKinnon, le centon (qui signifie en anglais patchwork) est une composition littéraire ou musicale constituée de différents fragments empruntés (Chew et McKinnon 2001, 356-357). Issu du chant grégorien, le centon peut être considéré comme un ancêtre du quolibet. Du point de vue technique, le centon traduit un mode de pensée horizontal car il présente une alternance d’incipits enchainés (Kim 2014, 36).
-
[20]
À la fin du xve siècle on note l’apparition d’un nouveau type de chanson : la chanson combinatoire, cumulant deux thèmes d’origine différente, l’un provenant de la chanson courtoise et l’autre appartenant au répertoire populaire (Atlas 2011, 245).
-
[21]
Le style imitatif syntaxique est « une succession de phrases mélodiques dont chacune génère un point d’imitation aux autres voix, en harmonie avec un découpage possible du texte littéraire » (Tacaille 2004, 22).
-
[22]
Transcription en notation moderne est faite par Vita Kim. Voir l’Annexe 3.
-
[23]
Catalogue de la chanson française à la Renaissance,http://ricercar-old.cesr.univ-tours.fr/3-programmes/basechanson/index.htm, consulté le 28 mai 2019. Selon les différentes sources, la chanson existe en versions à 2, 3 et 4 voix.
-
[24]
Notamment Amy souffres d’un anonyme (Attaingnant [c.1528]4) et Le cueur est bon de Sermisy (Attaingnant 15283).
-
[25]
La rosee du mois de may de Richafort (Roy et Ballard 155322).
-
[26]
Vignon, vignette de Sermisy (Attaingnant 1535, Heartz 65), Vous ne laurez pas de Josquin (Susato 154515) et Puisqu’amours de Du Tertre (Attaingnant 15479). Alors que les autres incipits ne sont utilisés qu’une seule fois dans la fricassée Aupres de vous, « Puisqu’amours » est le seul incipit qui y apparaît deux fois.
-
[27]
Ce fut amours de Passereau (Attaingnant [c. 1528]6).
-
[28]
Fors seulement d’un anonyme (Manuscrit SGallS 464/ n°193-4).
-
[29]
Mon cueur est souvent bien marry de Sermisy (Attaingnant 15283).
-
[30]
Une pâtisserie ronde cuite entre deux fers (Furetière 1690).
-
[31]
D’après le Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du ixe au xve siècle, par Frédéric Godefroy (1881), le verbe « fringuer » signifie, entre autres, « caresser une femme ».
-
[32]
N’esse pas un grand desplaisir de Josquin (Kriesstein 15407).
-
[33]
Certains incipits utilisés dans Aupres de vous se rencontrent aussi dans d’autres fricassées. Voir l’Annexe 3.
-
[34]
Dont vient cela de Sermisy (Attaingnant 15283).
-
[35]
Ars nova ou « art nouveau » est un style polyphonique connu à partir du xive siècle et répandu en France et en Italie médiévales. Opposé au style ancien Ars antiqua, le style Ars nova était marqué par certaines innovations techniques. D’après W. Apel, grâce à ce « changement fondamental […] la musique européenne […] cesse pour la première fois d’être un reflet de la loi divine et de la nature, et commence à intégrer l’émotion et le raffinement comme les sources de l’inspiration artistique » (Appel 1998, 297).
-
[36]
Voir l’Annexe 1.
-
[37]
Voir l’Annexe 3.
-
[38]
Selon I. Cazeaux, la diversité des techniques au sein du quolibet a engendré une divergence d’opinions quant à sa classification. Alors que W. Apel classe le quolibet en trois catégories (successif, simultané et quolibet verbal), W. Rogge et K. Gudewill proposent de le diviser en six types (Cazeaux 2002, 676). Malgré les désaccords entre ces chercheurs, toutes leurs classifications coïncident sur des points principaux. Ainsi, chaque musicologue a tendance à mettre en relief les deux types prépondérants : le quolibet simultané (cumulant deux ou plusieurs mélodies superposées) et successif (s’appuyant sur une mélodie, composé à la manière d’un pot-pourri). D’après M. R. Maniates, qui synthétise les idées précédentes, il suffit de se restreindre à trois groupes primordiaux. Si les catégories « simultanée » et « successive » sont attachées aux deux premiers groupes, déjà mentionnées ci-dessus, le troisième groupe suppose la combinaison des deux techniques (Maniates 1966, 173).
-
[39]
Dans la première colonne, nous avons placé l’incipit d’une chanson empruntée avec l’indication des voix (S = superius, Ct = contratenor, T= tenor et B = bassus) et des mesures correspondantes à son apparition dans l’une des huit fricassées analysées. On trouvera dans la seconde colonne le nom du compositeur de la fricassée et, enfin, le nom du compositeur de la chanson originale ainsi que la source où se trouve sa chanson.
Bibliographie
- Anonyme (1530). « Fricassée », Vingt et huit chansons nouvelles, Paris, Pierre Attaingnant. Partition (RISM 15311).
- Caignet, Denis (1597). « N’avons point veu la peronelle », Airs de court mis en musique, Paris, Adrian le Roy et la Vve Robert Ballard. Partition (RISM C33).
- Coeurdevey, Anne (dir.). Catalogue de la Chanson française à la Renaissance, http://ricercar-old.cesr.univ-tours.fr/3-programmes/basechanson/index.htm, consulté le 29 mai 2019.
- Sermisy, Claudin.de ou Jacotin (vers 1528). « Aupres de vous », Trente et quatre chansons musicales, Paris, Pierre Attaingnant. Partition (RISM B/1 [c. 1528] 6).
- Apel, Willi (1970), « Quodlibet », dans Harvard Dictionary of Music, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press.
- Apel, Willi (1998) [1961]. La notation de la musique polyphonique 900-1600, traduit de l’anglais par Jean-Philippe Navarre, Sprimont, Belgique, Mardaga.
- Atlas, Allan W. (2011) [1998]. La Musique de la Renaissance en Europe(1400-1600), Tours/Turnhout, Centre d’études supérieures de la Renaissance/Brepols. Traduit de l’anglais par Christophe Dupraz.
- Bardi, Giovanni (1580). Discorso sopra il givoco del calcio fiorentino del puro, Florence, Nella stamperia de’Giunti.
- Bakhtine, Mikhaïl (1970). L’oeuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Paris, Gallimard. Traduit du russe par Andrée Robel.
- Barbier, Jaques (1990). « Le proverbe : Pré-texte à une interaction entre théâtre et musique au xvie siècle », dans Mot-Images-Sons, Mont-Saint-Aignan, CIREM, p. 39-47. Colloque tenu à Rouen en mars 1989.
- Belmas, Elisabeth (2009). « Grandeur et décadence de la courte paume en France (xvie-xviie siècles) », dans Patrick Clastres et Paul Dietschy (dir.), Paume et tennis en France, xve-xxe siècles, Paris, Nouveau monde, p. 59-71.
- Burkholder, Peter (2001). « Intertextuality », dans Stanley Sadie (dir.), The New Grove Dictionaryof Music and Musicians, New York, Oxford University Press, vol. 13, p. 499-500.
- Caillois, Roger (1967). Les jeux et les hommes : le masque et le vertige, Paris, Gallimard.
- Cazeaux, Isabelle (2002). « Quodlibet », dans Marc Honegger (dir.), Dictionnaire du musicien, Paris, Larousse, p. 676.
- Cecchetto, Céline (dir.) (2011). Chansons et intertextualité, collection « Eidôlon », no 94, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux.
- Chew, Geoffrey, et James W. Mckinnon (2001), « Centonisation », dans Stanley Sadie (dir.), The New Grove Dictionary of Music and Musicians, New York, Oxford University Press, vol. 5, p. 356-357.
- Dobbins, Frank (2010). « Le traitement musical du rire à la Renaissance », dans Marie Madeleine Fontaine (dir.), Rire à la Renaissance, Genève, Droz, p. 23-39. Colloque international tenu à Lille en 2003.
- Duflo, Colas (1997). Jouer et philosopher, Paris, Presses universitaires de France.
- Elliot, Kenneth et Helena M. Shire (1956). « La fricassée en Écosse et ses rapports avec les Fêtes de la Renaissance », dans Jean Jacquot (dir.), Les Fêtes de la Renaissance, Paris, Éditions du CNRS, p. 335-345.
- Fontaine, Marie Madeleine (2010). « En quête de conclusion », dans Marie Madeleine Fontaine (dir.), Rire à la Renaissance, Genève, Droz, p. 447-514. Colloque international tenu à Lille en 2003.
- Freedman, Richard et Maria Rika Maniates (2001a). « Fricassée », dans Stanley Sadie (dir.), The New Grove Dictionary of Music and Musicians, New York, Oxford University Press, vol. 9, p. 260.
- Freedman, Richard et Maria Rika Maniates (2001b). « Quodlibet », en collaboration avec Peters Branscomber, dans Stanley Sadie (dir.), The New Grove Dictionary of Music and Musicians, New York, Oxford University Press, vol. 20, p. 687-689.
- Freedman, Richard et Maria Rika Maniates (2001c). « Street cries », dans Stanley Sadie (dir.), The New Grove Dictionary of Music and Musicians, New York, Oxford University Press, vol. 24, p. 568-569.
- Furetière, Antoine (1690). Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts, La Haye, Rotterdam, Chez Arnout et Reinier Leers.
- Godefroy, Frédéric (1881), Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du ixe au xve siècle, Paris, F. Vieweg.
- Gudewill, Kurt (1961). « Ursprünge und Nationale Aspekte des Quodlibets », dans J. La Rue (dir.), Internationale Gesellschaft für Musikwissenschaft : Report of the Eighth Congress of the International Musicological Society, Kassel, p. 30-43. Colloque international tenu à New-York en 1961.
- Heartz, Daniel (1969). Pierre Attaingnant Royal Printer of Music : A Historical Study and Bibliographical Catalogue, Berkeley, Los Angeles, University of California Press.
- Beltrando-Patier, Marie-Claire (1998). Histoire de la musique, Paris, Larousse-Bordas.
- Huizinga, Johan (1988) [1939]. Homo Ludens : Essai sur la fonction sociale du jeu, Paris, Gallimard. Traduit du néerlandais par Cécile Seresia.
- Kim, Vita (2014). « La Fricassée : Étude d’un genre », mémoire de Master 2, département Musique et Musicologie, Université Lumière Lyon 2.
- Kirkendale, Warren (1972). « Franceschina, Girometta, and Their Companions in a Madrigal “a diversi linguaggi” by Luca Marenzio and Orazio Vecchi », dans Acta Musicologica, vol. 44, p. 181-235.
- Kovarik, Edward (1978). « A Propos of the Fricassee », dans Studies in Music, no 12, p. 1-24.
- Lachmann, Renate (1988). « Bakhtin and Carnival: Culture as Counter-Culture », Cultural Critique, hiver, no 11, p. 115-152. Traduit par. Raoul Eshelman and Marc Davis.
- Lesure , François (1953). Anthologie de la chanson parisienne au xvie siècle, Monaco, L’oiseau-lyre.
- Lesure, François, et Geneviève Thibault (1955). Bibliographie des éditions d’Adrian Le Roy et Robert Ballard (1551-1598), Paris, Société française de musicologie.
- Lesure, François (1976). Musique et musiciens français duxvie siècle, Genève, Minkoff.
- Lockwood, Lewis (1964), « A View of the Early Sixteenth-Century Parody Mass », dans Albert Mell (dir.), Twenty-Fifth Anniversary Festschrift (1937-1962), New-York, Queen’s College Press, p. 53-77.
- Maniates, Maria Rika (1966). « Quodlibet Revisum », dans Acta Musicologica, vol. 38, fasc. 214, p. 169-178.
- Maniates, Maria Rika (1970). « Combinative Chansons in the Dijon Chansonnier », dans Journal of the American Musicological Society, vol. 23, no 2, p. 228-281.
- Maniates, Maria Rika (1989). The Combinative Chanson: An Anthology, Madison, A-R Editions.
- Ouvrard, Jean-Pierre (1982). « Jeu poétique, jeu musical, la chanson et sa “response” », dans Philippe Ariès et Jean-Claude Margolin (dir.), Les Jeux à la Renaissance : Actes du xxiiie Colloque international d’études humanistes, Paris, J. Vrin, p. 271-309. Colloque tenu à Tours en juillet 1980.
- Encyclopaedia Universalis (s. d.). « Quodlibet », https://www.universalis.fr/encyclopedie/quodlibet/, consulté le 27 janvier 2017.
- Reulos, Michel (1982). « Jeux interdits et réglementés », dans Philippe Ariès et Jean-Claude Margolin (dir.), Les Jeux à la Renaissance : Actes du xxiiie Colloque international d’études humanistes, Paris, J. Vrin, p. 635-644. Colloque tenu à Tours en juillet 1980.
- Tacaille, Alice (2004), « Les Media vita de Nicolas Gombert (ca. 1550-1556) : Motet et messe, monodie grégorienne, une intertextualité féconde », dans Edith Weber (dir.), Itinéraires du Cantus firmus : Exploitation à travers les siècles, Paris, PU Paris-Sorbonne, vol. 6, p. 19-30.
- Vanhulst, Henri (1990). Catalogue des éditions de musique publiées à Louvain par Pierre Phalèse et ses fils 1545-1578, Bruxelles, Académie Royale de Belgique.
- Vanhulst, Henri (1993). « La fricassée de Jean de Latre (1564) », dans Revue belge de musicologie, vol. 157, p. 81-90.
- Vanhulst, Henri (2010). « La fricassée de Jean Crespel (1552), une oeuvre pour rire ? », dans Marie Madeleine Fontaine (dir.), Rire à la Renaissance, Genève, Droz, p. 109-121. Colloque international tenu à Lille en 2003.
- Vissière, Laurent (2013). « Les cris de Paris : Naissance d’un genre littéraire et musical (xiiie-xive siècles) », dans Olivier Halévy, Isabelle His et Jean Vignes (dir.),Clément Janequin un musicien au milieu des poètes, Paris, Société française de musicologie, p. 89-116.