Abstracts
Résumé
Longtemps considéré comme un genre intrinsèquement fonctionnel, le design sonore, discipline parente du design, lequel relève de la même logique, intègre depuis peu des artéfacts sonores de plus en plus sophistiqués et intentionnellement musicaux. Ce sont jingles et sonotypes (sonals), mais aussi son d’alerte, de validation ou de confort, etc., parfois visés pour eux-mêmes dans un processus dès lors plus créatif qu’étroitement fonctionnel. Cette dimension d’ordre plutôt artistique caractérise depuis la reconnaissance avérée de la discipline en tant que telle (Schäfer 1977), ce que l’on désigne encore souvent comme le design musical. Dans son dernier ouvrage, Michael Boumendil (2017) a recours à ce terme jusque-là non encore consacré, pour signifier la part musicale dans cette « créativité planifiée » (Archer, 1974). Ce nouveau modèle est aujourd’hui « bousculé » dans le cas du projet de James Murphy pour le métro new-yorkais, projet commencé il y a plusieurs années (2014). Cette mutation est d’autant plus intéressante qu’elle conduit à dépasser la logique de frontières entre ces univers et leur hiérarchisation « naturelle » dans l’esthétique dominante dont ce modèle est porteur. Elle inspire largement la réflexion de ce texte qui cherche à souligner plusieurs faits : le retour au son musical contre ou avec le son machine dans le design sonore longtemps limité à ce son-machine (sonorisation des portillons automatiques ou des machines à affranchir, par exemple), le tout dans une logique de bien-être ou d’ergonomie avancée, notamment en écologie sonore urbaine ou autre, telle que la sonorisation en milieu de soins, mais en tenant compte des apports actuels des nouvelles technologies du signal et de l’information. Cet article introduit des notions telles que celles d’écoson ou de nouvel ordre sonore.
Abstract
In recent years, sound design, a design discipline long considered an intrinsically functional genre, has increasingly integrated sophisticated and intentionally musical sound artifacts. Jingles, “sonotypes”, but also sounds for warnings, confirmations, and even ambient sounds are sometimes chosen for their musical quality, as a part of a more creative process rather than serving a strictly functional objective. Sound design has developed into a recognized and distinguishable artistic form and a generally accepted discipline (Schafer, 1977), and given this increasingly rich acoustic dimension, has evolved into what is known today as “musical design”. In his most recent work, Michael Boumendil (2017) uses this term to express the musical aspect in what he refers to as “planned creativity” (Archer, 1974). This new model has now been turned on its head, in the case of James Murphy’s project with the New York subway, which began in 2014. This change is even more interesting since it exceeds the defined limits of these fields and their “natural” hierarchy within the dominant aesthetic from which this model arises. It greatly inspires the content of this text insofar as it seeks to highlight the following observations about sound design today: musical sounds, with or without machine sounds (sound system of automatic turnstiles or ticketing machines, etc.), with a complementary objective of well-being or advanced ergonomics. This trend can be identified notably, but not exclusively, in urban sound ecology, such as sound systems in the healthcare field, which improve and enhance the original purpose of “signalization” and the transfer of information, by means of new technologies. This article introduces notions such as ecosound, musical design, and the new sound order.
Article body
James Murphy, leader de LCD Sound System, groupe de musique au croisement de la dance music et du post-punk, travaille depuis plusieurs années sur le projet Subway Symphony. À la rencontre du design et de la musique, le projet Subway Symphony peut être considéré comme un archétype de design sonore urbain dont l’objet est ici l’amélioration des sons du métro — plus spécialement les sons émis par les composteurs numériques en guise de validation de passage des usagers (Rhodes 2015[1]). Ce que nous avons l’habitude de considérer comme une cacophonie — le pénible brouhaha d’une station de métro — peut être promu au rang de symphonie ! Tel serait l’objectif de ce projet-type de design sonore. Le son, élément central de la présente réflexion, débouche sur une référence musicale et non des moindres : la symphonie. Précisons d’emblée que nous qualifions ici comme design toute intervention, réalisée par un artiste ou non, en vue de l’optimisation perceptive formelle d’un bien ou service dont le designer ou l’équipe de design ne sont pas, généralement, les décideurs, le choix final parmi les propositions ou solutions n’étant donc pas réalisé par lui ou elle (logique extrinsèque). Le design se présente alors comme une prestation plus ou moins créative et non comme la réalisation d’une oeuvre artistique autonome et ayant sa logique en elle-même (logique intrinsèque). Dans certains cas d’objets ou de services utilitaires, la logique concurrentielle peut conduire à mettre très fortement en avant l’intervention et la personnalité du designer ou de l’équipe, lorsqu’il s’agit d’une agence à forte notoriété, qui reste toutefois au service d’un projet technique ou simplement marketing. Dans tous les cas, le design peut aboutir à une innovation de rupture[2] que l’on pourra légitimement qualifier de création, les artistes ne pouvant plus, comme à l’époque romantique, revendiquer pour eux seuls ce terme et la posture qu’il implique. C’est typiquement le cas de cette intervention de James Murphy, par ailleurs artiste reconnu[3], mais qui met ici son art au service d’un projet, en l’occurrence urbain et non directement commercial, le métro new-yorkais étant géré par une autorité publique.
Ce projet de design sonore s’inscrit dans la révolution digitale actuelle qui touche plus largement la production audionumérique avec des innovations technologiques pensées comme cas de « design sonore » au quotidien. Sur le plan anthropologique, les relations sonores de l’homme avec son milieu évoluent et l’usage des sons dans l’environnement contemporain se développe très sensiblement : les espaces sont sonorisés[4], les machines chantent et conversent. Autant de manifestations sonores que l’on peut expérimenter en design et qui nécessitent réflexion. Dans cette « écosonorisation du quotidien », le son nous raconte tout autant qu’il se raconte.
Conjointement aux innovations technologiques qu’elle implique, Subway Symphony a donné lieu à des recherches en psychoacoustique sur l’écoute en milieu sonore urbain pour la production de sons conformes aux normes de santé publique et qui ont des implications esthétiques[5]. Ce projet de sonorisation de l’espace public a également une dimension sociale issue de la dynamique participative des utilisateurs à la production sonore.
Au sein de cette bi-(multi)-polarité perceptive, il y a débat sur la perception des sons de validation du signal (généré par le composteur numérique) et ceux que l’interprétation musicale en fait ou peut en faire. Comment s’articule l’information entre son-signal et musique dans le système perceptif des auditeurs ou usagers ?
Pour tirer parti des relations acoustiques dans l’espace social, le design sonore doit savoir intégrer la réalité psychoacoustique des individus et susciter chez eux des effets positifs. Des questions se posent quant à l’attention portée sur la multiplicité des sons et la pertinence des informations émises en relation à l’écoute. Comment gérer, classer, ordonner ces sons qui balisent notre quotidien (taxonomie sonore) ? Comment optimiser les relations entre les informations sonores (écologie sonore) ?
Le projet de James Murphy
Dans l’exemple de Subway Symphony, le son est conçu comme un service d’identification et, en tant que fonction sonore du design, est qualifié ici d’« écoson », — un son fonctionnel pensé pour satisfaire un besoin perçu ou non[6] —, l’objectif de cette intervention sur les tourniquets étant d’augmenter l’efficacité du rapport signal-son dans une logique plus ouvertement artistique. Ce que l’on pourrait qualifier de technique artistique concerne tout aussi bien les moyens pour y parvenir (réalisation) que la capacité imaginative à créer une oeuvre qui soit le reflet de son auteur (conception).
Rappelons que le signal sonore est la variation d’une grandeur physique de nature quelconque porteuse d’information et, qu’à ce titre, il informe, information que nous pouvons ensuite déformer, voire transformer. Le son, qui est physique — sensoriel, physico-biologique —, avant d’être psychique, exerce un pouvoir à tous les niveaux de la communication acoustique. Considérons ici que l’information constitue la matière sonore (consistance et/ou substance du message) avant son interprétation et, dans ce cas, qu’elle est exogène à toute autre forme de perception. La révolution technologique actuelle (intelligence artificielle, big data, Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives [NBIC]) enrichit la production sonore au-delà de sa dimension strictement signalétique, lui apportant des propriétés nouvelles, potentiellement de toutes natures, y compris sur le plan des perceptions de type esthétique. Le son artificiel est un son de plus en plus « intelligent ». Il peut être programmé pour générer la participation auditive du sujet qui en déclenche l’action.
Ce modèle d’automates « esthètes » (ici les tourniquets du métro) existe non seulement au niveau de nombreux services de signalisation — qu’un inventaire quantitatif permettrait de mieux évaluer (voir plus loin) —, mais également au niveau des objets qui produisent des sons recherchés (matériel médical, commandes avioniques, téléphonie, appareil informatique ou toutes autres machines équipées — « augmentées » — d’un cerveau algorithmique, soit, potentiellement, toute interface personne-machine), ou des environnements réceptifs (ajustement sonore d’espace, diffusion contrôlée, voire élimination totale ou partielle de sons ambiants). Il répond le plus souvent à une motivation extra informative. En dépassant le signal élémentaire générant l’information, son objet serait d’aller au-delà de sa seule manifestation utilitaire et pratique, en agrégeant à son déclenchement une forme plus élaborée de communication, fût-elle plus ou moins artistique, ce que le titre Subway Symphony laisse penser. S’il ne s’agit pas de limiter la présente réflexion à une problématique musicale (et musicologique) — l’expérimentation de Murphy y fait référence :
Je veux que chaque station du métro new-yorkais ait sa propre musique, sa propre tonalité, si bien que les gens qui grandiront avec ça, quand ils entendront plus tard un son ou un morceau pourront dire « Oh ! Ça sonne comme Union Square »
Murphy cité dans Martin 2014[7]
Si l’évocation de la tonalité est explicite, elle fait référence au ton parmi d’autres au sein d’une échelle (tonale ou modale) qui en constitue la règle, conformément au principe de résonance naturelle des corps sonores.
Si l’on accepte que le phénomène sonore soit un fait complexe, en l’occurrence la rencontre d’une capacité perceptive et d’un évènement sonore, il constitue un laboratoire scientifique de notre écoute. Au sein de la multiplicité des pratiques sociales, notre angle d’analyse de la discipline met l’accent sur la relation de l’utilisateur avec son milieu sonore et le possible élargissement de ce dernier à la musique, celle-ci étant considérée comme un « plus » esthétique, un stade supérieur du son, voire du bruit[8].
Alors que le design musical émerge du design sonore, il répond aux trois critères du principe d’émergence tels qu’ils sont définis en systémologie générale[9] : la nouveauté (ou l’innovation) qui représente le facteur dynamique industriel de la culture ; l’irréductibilité selon laquelle les propriétés du design attestent d’une augmentation de son sens (« la plus-value sonore ») ; enfin, la non-prédictibilité selon laquelle l’information ne provient ou ne relève pas du canal ou des formes habituelles de transmission. Dans le passage du design sonore au design musical, ce sont des éléments musicaux, le style, la forme, qui structurent la perception auditive avant toute autre fonction.
James Murphy invoque la valeur apaisante et adoucissante de la musique et sa dynamique de confort. Il est également motivé par la nécessité de prouver scientifiquement qu’il y a préjudice à subir des sons stridents et sans originalité au sein de l’environnement sonore pollué du métro new-yorkais. Il souhaite remédier aux bips actuels qualifiés selon les mots de Murphy de « plats et désagréables » en leur substituant des sons plus « doux » tels ceux de carillons jugés et prouvés moins stressants (Rhodes 2015). Le carillon est, en effet, un instrument de musique à part entière qui peut (doit) répondre par conséquent à une organisation plus élaborée que les deux signaux élémentaires (on/off, in/out) de la machine. Il a été reconnu expérimentalement que le son aléatoire des carillons calme et réduit le stress des usagers, qui plus est, s’il est perçu dans la continuité[10]. Murphy a d’ailleurs dû défendre longtemps son approche auprès de la Metropole Transportation Authority (MTA), entre autres par rapport à l’American Disability Act (ADA), jusqu’à ce que des neuroscientifiques de la vision et de l’audition reconnaissent que ce type de projet pourrait avoir des effets positifs sur les usagers du métro (Rhodes 2015).
D’autres exemples peuvent être invoqués. Dans le droit fil de ces recherches en signalétique sonore appliquées au transport, Louis Dandrel[11] avait aussi fait référence aux « modes doux » comme d’une perception tangible des sons à l’occasion de son projet d’accompagnement sonore du nouveau tunnel de la Croix Rousse à Lyon (2013), mais également à propos des parcours signalétiques, notamment pour la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) de 1994 à 2004 et l’environnement sonore du tramway de Tours. L’objectif est toujours d’améliorer les espaces sonores de ces environnements, impliquant un confort accru pour les usagers. En France, ces orientations diffèrent de celles proposées par Pierre Mariétan (2005). À travers ses projets de recherche qui reposent sur une approche esthétique de l’acoustique, celui-ci veut redonner à l’écoute une place dans notre rapport au monde. Dans le même ordre d’idée, à Grenoble, l’école du Centre de recherche sur l’espace sonore et l’environnement urbain (CRESSON) s’intéresse à l’environnement sonore urbain et son évolution (Augoyard et Torgue 1995 ; Marry 2013). On observe que les nouvelles générations sont plus réceptives au problème d’écoute en société, qu’il s’agisse de santé, de diversité biologique ou de patrimoine sensoriel (écologie sonore).
Instrument pour métamusique
Pour revenir au projet de James Murphy au coeur de cet article, une esquisse de structure musicale se substitue ainsi aux deux bips précédemment évoqués ne ciblant que les fonctions cérébrales réactives primaires. Investir musicalement le son des services de signalisation revient ainsi à solliciter une implication accrue des utilisateurs par un appel sensoriel plus élaboré pour finalement, comme on l’a indiqué plus haut, humaniser la rigidité mécanique et strictement fonctionnelle de la machine. Le tourniquet, banal dispositif de contrôle, se mue en source musicale, même limitée, et passe de l’état de machine sonore à celui de machine musicale, l’usager devenant acteur impliqué dans le processus musical par le seul fait d’emprunter ce tourniquet et d’y introduire son ticket. Le résultat sonore, quoique pensé pour générer de la musique au niveau individuel, ne s’établit, de fait, que par l’entremise d’un flux (la « symphonie » du titre), lui-même dépendant du nombre d’usagers, lesquels en deviennent les performers, des musiciens sans règle du jeu, mais tout de même acteurs. Le statut initial du son change et passe (ou peut passer) de l’état d’information à celui de communication, fût-ce de la métacommunication. Les participants deviennent les « co-designers » d’une musique aléatoire rythmée par l’affluence, musique dont ils n’ont jamais le contrôle total, mais à laquelle ils participent. De plus, Murphy envisage de recourir à une organisation des tons distincte selon les stations, et interpeller ainsi la mémoire de l’usager selon son itinéraire[12]. Des études en psychoacoustique nous diront éventuellement quels effets authentiques ces musiques peuvent avoir sur les utilisateurs, conjointement à leur fonction initiale, et si elles améliorent réellement l’environnement sonore du métro au niveau individuel, même si l’idée de générer une mémoire sonore par station reste une authentique innovation et présage de l’évolution du design entre signal acoustique, écologie sonore et musique.
Afin d’assigner aux portillons de chaque station des valeurs musicales — mélodie, harmonie et rythme —, la nouvelle équation du design sonore, dans le projet de Murphy, vise à attribuer aux sons des machines (automates) des qualités musicales nettement identifiables puis mises en oeuvre comme telles. Après diverses expériences et analyses de l’audibilité environnementale au sein d’espaces urbains saturés (souterrains ou non), Murphy suggère la substitution aux deux bips actuellement produits d’autres sons — de trois à cinq tons — plus humains et sans aucun doute plus « malléables » (Sterne 2015, 227, 260-261). Sur un plan sociologique, on peut se demander comment fonctionnent les technologies audionumériques qui arbitrent des échanges sonores au sein du milieu social au quotidien. Cette interrogation s’inscrit dans le nouveau courant épistémologique revendiqué par les sound studies (Sterne 2015). À ce titre, elle déborde du cadre, plus étroit, du design sonore conventionnel pour inclure une réflexion sur les usages du son à l’ère de sa reproduction post-électronique[13] et inciter à une réflexion philosophique et esthétique sur l’écoute au sein de la postmodernité sonore (Lyotard 1979[14]).
Le travail du designer sonore opère alors à plusieurs niveaux d’intention : validation du passage, puis musicalisation-humanisation de l’espace. Par ailleurs, le designer intègre des critères extramusicaux de concomitance, le son des tourniquets étant inéluctablement parasité par le bruit de la rame qui arrive ou celui, notamment, généré par les usagers. Il doit également choisir des sons dont l’identité est reconnaissable par ces derniers quels que soient leur âge et leur culture sonore, et, au sein de fluctuations perceptives, distinguer des zones de fréquences spécifiques qui déterminent l’identité sonore propre du tourniquet. Murphy utilise l’expression de « piano mode » pour qualifier la structure tonale des sons. Commandé par un algorithme de traitement, le timbre du carillon est arpégé comme une suite de notes dont on peut varier les différents paramètres : nombre de notes, hauteur, durée et intensité. L’identité sonore (ce que Murphy nomme « tonality ») émane du dosage de ces paramètres et caractérise le son de chaque station de métro.
Si le design sonore répond nécessairement à une fonction extérieure à son objet, par conséquent extramusicale, il répond ainsi souvent à des préoccupations écologiques, et, en ce sens, rejoint l’idée d’un « écoson » (Pecquet 2016), terme qui désigne ici tout son artificiel et fonctionnel conçu en vue de s’insérer harmonieusement dans son environnement ou de rendre ce dernier plus harmonieux, ceci pouvant aller, éventuellement, jusqu’à la conception d’un design sonore ayant pour objectif l’atténuation du son.
Mon intention ici n’est pas de recenser l’état de l’art des différents projets urbains de désenclavement du son à l’échelle de la planète[15]. Toute époque a connu ses types d’évaluations du bruit, de l’efficacité d’un signal sonore donné, de l’ambiance recherchée, et ce, dans des domaines aussi différents que l’action politique, militaire ou culturelle. Les réflexions actuelles visant à repenser l’espace sonore en vue de son amélioration pour l’équilibre et le bien-être durable des usagers en sont un exemple (Candau et Le Gonidec 2013[16]). Ce sont des organisations non gouvernementales qui prennent en main cet aspect du design sonore[17]. On veut passer d’un environnement sonore brut et inesthétique, purement signalétique, en tout cas « a-esthétique », à une réalité musicale et émotionnellement chargée, à une conscience auditive. Dans une plus large mesure, cela reviendrait aujourd’hui, à l’heure du réveil écologique, sursaut vital du nouvel ordre sonore, à « sonifier » par un glissement sémantique la célèbre formule : « Think global, sound (act) local ».
On pourrait graduer cette pratique des designers qui travaillent sur l’« écoson », et qui vise l’enrichissement du son initial fonctionnel — signal de contrôle du « titre de transport » —, selon qu’elle révèle ou non une recherche esthétique pouvant aller jusqu’à une réappropriation. Cette dernière pourrait elle-même devenir rapidement la nouvelle norme environnementale, nonobstant les problèmes de recevabilité qu’elle risque de susciter, notamment quant à l’exigence de musiques adaptées à la culture dominante du site. Le phénomène a, ainsi, une dimension sociale collective.
Il y a fondamentalement une distinction esthétique, dans la fonction du design sonore, entre, d’une part, ce qui se maintient au titre d’information sonore, d’alerte, et, d’autre part, sa mise en musique qui en constitue la valeur ajoutée : tout autant la dimension émotionnelle de type biochimique d’ordre neurobiologique, que le principe d’augmentation appliqué au signal acoustique d’information d’ordre technologique.
Rappelons que le design sonore a longtemps été assimilé spontanément, c’est-à-dire hors de toute base théorique, dans le milieu professionnel des designers, à un design essentiellement signalétique recourant à des sons d’origine technique, notamment électronique. Ce type de design a pu perdurer au fil du temps et de pratiques diversifiées sans véritable recherche d’intérêt esthétique, ceci souvent pour ne pas gêner l’identification du message. Il s’opposait ainsi au design dit musical (habillage ou accompagnement sonore), comportant une dimension esthétique recherchée, voire revendiquée. Il pouvait aussi le compléter. On reconnait d’ailleurs ici la dichotomie assez classique entre design de type industriel et design de type esthétique. La France, en promouvant longtemps la notion d’esthétique industrielle, a contribué à faire perdurer cette dichotomie. Celle-ci doit sans doute aujourd’hui être dépassée dans la mesure où, en ce qui concerne le design sonore, les frontières entre son technique et musique sont de plus en plus poreuses.
Mutation des comportements sonores
Les sons électroniques, concrets, enregistrés ou traités, ont certes tous un sens, en référence aux trois champs du design qui classent séparément identité, message et environnement[18]. La production sonore se métamorphose à l’infini au sein des différents dispositifs : banques de sons, systèmes audio intelligents, performance ingénierie audio, robotique et intelligence artificielle dotées d’interfaces de design plus ou moins sophistiquées. Éric Sadin évoque ainsi un « redoublement de la couche mathématique du monde comme la création sensible d’une couche chiffrée artificielle médiatisant notre relation aux faits et aux choses » (Sadin 2013, 44). Dans ce registre, les « descripteurs audio » (Peeters 2013) en seraient l’ultime développement, en ce qu’ils permettent de cibler des sons dans des morceaux donnés à partir d’une analyse du signal audio et d’évaluer des paramètres structurels harmoniques, mélodiques, rythmiques et métriques. Ils permettent également de mesurer l’audience d’un son, sa popularité, sa facture, son prix, finalement son histoire, mais également (et inversement), celle de la ou des communautés liées à ce son. « L’effet de sens », pour reprendre la terminologie de Stéphane Vial[19], ne concerne donc plus seulement les propriétés internes de l’objet et celles qui permettent de le reconnaître acoustiquement et d’identifier sa fonction. Il optimise interactivement son utilisation en fonction de l’usager. En d’autres termes, ces enrichissements technologiques décuplent la potentialité d’adaptation du bien ou du service aux usages, fonction fondamentale du design.
Du point de vue acoustique, l’utilisateur ne limite par conséquent plus son interaction avec l’objet sonore au simple geste sonore d’identification (fermer une porte, actionner un bouton, etc.), mais l’étend à son style telle une réappropriation esthétique (mentionnée plus haut) en extrapolant les usages possibles de cet objet. Les nouvelles technologies permettent ainsi à l’utilisateur de devenir un acteur du fait sonore « designé » et non plus seulement un utilisateur (on parle alors d’interactivité). L’instrumentation du design sonore permet ainsi d’affranchir le son de sa valeur d’usage, valeur par défaut et invariable, au profit de son audition augmentée qui, à travers son usage, permet d’en jouer, donc de composer, peu importe la richesse esthétique, du moment qu’elle est perçue ou reconsidérée comme telle par l’usager (ou sa « tribu »). Combinés à la technologie de l’indexation audio des descripteurs du même nom et appliqués à la musique, ces systèmes permettront finalement de façonner une « image » audio selon différents critères de filtrage, musicaux bien entendu, mais également extramusicaux, s’enrichissant d’effets de style, voire les générant.
Je rappelle que le projet de James Murphy a pour objectif de remplacer les signalétiques sonores traditionnelles des portillons du métro (validation ou non des tickets) par des séquences de sons générées par un algorithme réagissant à l’action des usagers. La séquence sonore, perçue comme musicale, assiste leur navigation au sein du réseau, mais aussi cible leur écoute. Les frontières du matériel à l’immatériel, du sensoriel à l’émotionnel en sont modifiées. Plus généralement, l’audition de sons composés, et à laquelle l’usager doit, tout autant qu’il le peut, prêter une attention singulière, devient l’opportunité pour les designers d’introduire au sein du complexe sonore une dimension esthétique interactive. Mais outre leur finalité directement opérationnelle (la validité des billets déjà évoquée), ces sons ont aussi des fonctions d’expression et de communication intelligente, voire humaine. Bien que collective, lorsqu’il s’agit d’en expérimenter les propriétés, l’écoute, faut-il le rappeler, est aussi personnelle puisqu’elle provoque émotions et sentiments. Une telle approche du design peut être considérée comme musicale en ce qu’elle intègre des éléments acoustiques conçus au sein de structures temporelles, certes très courtes, mais porteuses d’une dimension nouvelle, qui sortent de la logique étroitement fonctionnelle du design sonore conventionnel. Si tous les univers sont sonorisés et/ou « sonifiables », si la perception est auditive, de tels enjeux ne sont évidemment pas sans importance (Marche 2014).
Le nouvel ordre sonore
Plus globalement, il faut encore souligner que toute société produit son propre ordre sonore. Ce dernier est largement spontané et résulte de la superposition de tous les sons naturels et sociaux. Il peut aussi être géré institutionnellement en vue de contrôler, organiser et maîtriser ce flux permanent, « la redoutable matérialité » (Foucault 1970, 55). Avec l’intervention du design, l’écologie, notamment urbaine, s’intéresse donc directement à l’émergence de ce nouvel ordre sonore.
Sur un plan différent, il convient également de souligner que le design sonore ou musical s’enrichit actuellement de sa rencontre avec les recherches scientifiques et technologiques récentes (sciences cognitives, informatique, intelligence artificielle, etc.). Plusieurs travaux portent sur la dimension sonore des biens et services par le biais des paramètres classiques du design, mais avec l’apport décisif des fonctionnalités algorithmiques qui en constituent souvent l’instrument central, apport lui-même enrichi des ressources du big data, lequel permet notamment le ciblage ultra personnalisé de ces biens et services[20]. Ce sont aujourd’hui les données sonores, par le croisement des informations stockées dans des bases du même nom, qui permettent ce dépassement, jusqu’à pouvoir « nous réinventer à nos dépens », comme si elles avaient une existence autonome (Bennett 2015, 230).
Ainsi, dans le but de modéliser l’audition elle-même modélisée sur l’usage des consommateurs utilisateurs, la musique n’est plus visée pour elle-même, mais comme paramètre du design sonore[21]. À ce titre, elle répond à une logique opérationnelle, elle contribue à un service, elle relève de fonctions, mais ces dernières dépassent le simple niveau d’alerte, de contrôle, de validation. Ces processus premiers dans le rapport aux technologies numériques sont ainsi dépassés par cette nouvelle couche de processus d’information évoquée plus haut et constituée de données dynamiques, destinées à optimiser nos échanges électroniques.
Fonction de la musique en design
Outre les progrès accomplis dans le domaine du traitement du signal, les nouveaux algorithmes introduisent un enrichissement décisif des possibilités d’échange : après la validation opérationnelle immédiate (autorisation de passage, dans l’exemple qui nous intéresse ici), de nombreux autres niveaux sont désormais envisageables. Dans ce cas du projet de James Murphy, chaque station du réseau métropolitain bénéficierait du son spécifique de ses portillons en vue d’une appropriation plus intime de la situation dans chaque lieu. L’écoute fonctionnelle de premier niveau s’enrichirait ainsi du rapport plus personnel, mais sans doute plus développé, d’une émotion qui dérive de ce processus sonore. Cette marge d’écoute élargie, du simple signal à une séquence sonore développée, jaillit de l’interconnexion de sources potentiellement plus nombreuses. S’il n’y a aucune urgence sonore dans notre monde bien réel, on l’entendra !
Ici comme ailleurs, les limites d’un tel modèle sont encore inconnues. Professionnels et chercheurs sont en veille permanente. Il convient de rappeler la notion de comportement sonore, à savoir comment les individus, mais aussi le système nerveux lui-même réagissent à des stimuli sonores, les traitent et les intègrent dans les conduites ultérieures. Par extension et en formalisant des comportements sonores à partir des données du big data — éventuellement à partir d’identités virtuelles connectées et, par conséquent, avec lesquelles on peut innover des stratégies de communication —, le son « augmenté » permet ou permettra assurément de créer et de gérer des profils sonores dynamiques. Et les comportements qui leur sont associés. À ce titre, il serait possible de dessiner le parcours émotionnel des usagers et donc de le déterminer dans les différents sens de ce terme.
Dépassant l’émission élémentaire du signal acoustique, le son augmenté s’alignera sur les comportements d’écoute des clients, des prospects et des utilisateurs. On se situe ici bien au-delà d’une problématique du « bon » design, comme celle proposée par Dieter Rams : innovant, utile, beau, évident, discret, honnête, résistant, précis, écologique, économique[22]. Ce que Vial résume comme « un design pur et simple » (2015, 105).
Conclusion
J’ai discuté ici du processus perceptif de l’usager auditeur en distinguant écoute signalétique (sonore) et écoute esthétique (musicale). La perception signalétique est tendanciellement instantanée. La perception esthétique, plus construite ou interprétative, s’inscrit dans une durée supérieure. En stimulant l’auditeur, l’écoute musicale, de nature immersive, cherche à établir une relation plus intime, mais aussi de réciprocité, entre d’une part l’émetteur ou le bien ou service concerné, et, d’autre part, l’usager. Entre écoute sonore et écoute musicale, la distinction, déjà fragile, s’avère pourtant utile, même si un dépassement de ce paradigme de commodité me semble s’imposer.
Dès lors que l’on distingue la perception du son de celle de la musique, le design sonore intègre cette nuance du sens technique au sens social, de sa compréhension opératoire à une interprétation intersubjective. L’originalité de la démarche de James Murphy se situe au coeur de cette distinction. Elle suscite la dynamique psychoacoustique et décrit la conception globale d’un écosystème sonore. Sont visés des effets d’un niveau supérieur : aisance ou bien-être tout d’abord (limitation du stress), capacité à discriminer les sons secondaires ou parasites et possibilité d’une interaction entre l’utilisateur et l’émetteur, nonobstant les actuelles recherches ou orientations vers le zéro-bruit assurément décisives dans le contexte de la signalétique urbaine (Guiu et collab. 2015). Dans le cas particulier du domaine de la santé, c’est tout un univers de potentialités qu’on voit s’ouvrir maintenant que s’achève la période des sons techniques de première génération (Sinclair 2015). L’évolution extrêmement rapide des différentes techniques actuellement ou bientôt mise en oeuvre dans le design rend très incertain tout pronostic et toute conceptualisation. La définition même des champs de recherche en devient peut-être temporaire. Des notions nouvelles comme celles que j’ai introduites dans le présent article ont donc a fortiori une valeur d’instrumentation intellectuelle provisoire. Apparaît toutefois devoir être durable l’émergence d’une préoccupation d’écologie sonore revisitant le design sonore traditionnel dans le sens d’une humanisation et d’une interaction accrues. Des notions comme celles d’écoson et de design musical y ont sans doute bien leur place.
Appendices
Note biographique
Docteur en musicologie, Frank Pecquet est Maître de conférence (Habilité à diriger la recherche) à l’École des arts de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (EAS) où il assure depuis trente ans un enseignement consacré aux relations entre design et son. Compositeur invité dans de nombreuses manifestations (Festival Darmstadt, Présences, etc.), il est également titulaire d’un Ph. D. de l’Université de San Diego, Californie, en composition musicale et informatique où il a travaillé avec Morton Feldman, Brian Ferneyhough et R.D. Moore. Auteur d’articles dans différentes revues spécialisées, il a été producteur à France Culture et est également consultant auprès d’entreprises publiques ou privées dans le domaine des nouvelles technologies.
Notes
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[1]
Voir Murphy (s. d.). Le projet de James Murphy révèle entre autres que cette dimension artistique de la musique n’est pas seulement celle du « bercement » de l’écoute passive ou « schizophonique » (Schäfer 2010, 141), mais aussi celle du pouvoir émotionnel des sons et de leur diffusion contrôlée. Sa démarche, encore en phase d’expérimentation (le projet définitif devrait être livré en 2021), semble s’appuyer notamment sur le fait, peut-être non encore admis par certains, mais si souvent évoqué, que tous les sons (y compris les bruits) ont un potentiel musical. Il s’agit d’un point de vue « cagien » revisité par le design, John Cage (1912-1992) étant bien l’un des initiateurs de la musique expérimentale (Nyman 2005).
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[2]
Expression qui fait communément référence aux innovations technologiques responsables d’un changement d’usage et de comportement des consommateurs (d’un bien ou d’un service), par exemple la carte à puce.
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[3]
Après des études universitaires en littérature anglaise, James Murphy (né en 1970) opte pour la musique. En tant que musicien et/ou spécialiste du son, il a exercé dans différents domaines — ingénieur du son, DJ, compositeur de musique de film, performer, producteur (DFA records), designer sonore.
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[4]
Ils sont dans l’absolu tendanciellement « sonorisables ».
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[5]
Il n’est pas dans l’intention de l’auteur de ce texte de relier l’aspect créatif choisi par Murphy avec sa production musicale à proprement parler. Si les deux univers, musique et design sonore, se rejoignent, les motivations de Murphy créateur musical ne sont pas celles de Murphy créateur sonore.
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[6]
James J. Gibson utilise le terme d’« affordance » pour désigner la façon dont un objet (un service), grâce à sa forme et à ses caractéristiques, a le pouvoir de mobiliser chez son utilisateur la meilleure façon de l’utiliser (1977, 67).
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[7]
Il convient de rappeler ici que des signaux visuels ne sont pas suffisants dans ce type d’interactions qui doivent également opérer avec les personnes non voyantes. Celles-ci doivent aussi être en mesure de distinguer les sons de la machine pour évaluer la validité de leur ticket, mais ils doivent également être capables d’isoler perceptiblement les sons du tourniquet des autres sons qui en parasitent l’identification.
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[8]
On pense, par exemple, en France, à l’ancienne « Mission Bruit », devenue le Centre d’information et de documentation sur le bruit (CIDB) du ministère de l’Environnement.
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[9]
Je me réfère ici à la définition que Ludwig Von Bertalanffy donne de l’émergence dans son article de synthèse sur la systémologie générale (1973).
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[10]
Si beaucoup d’études ont déjà été menées sur les effets négatifs de la pollution sonore — citons ici celle récente du Monde du 8 février 2019 sur l’impact sanitaire du bruit des transports en région parisienne (Mandard 2019) —, mentionnons à juste titre l’article de 2003 publié dans le British Medical Bulletin sur le stress produit par le bruit (dans les transports précisément) et les désagréments psychologiques, voire somatiques qu’il entraîne (Stansfeld et Matheson 2003). Ces études sont à mettre en parallèle avec les sons analysés et jugés apaisants décrits dans l’ouvrage de Stephen Mc Adams, Perception et cognition de la musique (2015). En référence à ce que pense Murphy (et que semble confirmer la plupart des usagers sondés du métro new-yorkais), « la dissonance sensorielle résulte du battement entre deux partiels proches qui n’ont pas de relations harmoniques » (Mc Adams 2015, 33) et seraient plutôt à rapprocher du bruit que de la musique. Mc Adams indique notamment que la relation entre les principes d’organisation sensorielle, perceptive et cognitive opère au sein de l’esprit humain (53). Aussi, « [à] un niveau supérieur, la dissonance d’un accord dépend des notes groupées ensembles dans celui-ci. Si une note dissonante est captée par un flux mélodique séparé, son départ de l’organisation simultanée pourrait diminuer la dissonance perçue de l’accord » (54).
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[11]
Directeur de Diasonic et ancien responsable du design sonore à l’Institut de recherche et coordination acoustique et musique (Ircam), initiateur de l’équipe actuelle Perception et design sonore avec laquelle je collabore sur le projet « Analyse des pratiques du design sonore » — en partenariat avec le LabExCAP (Laboratoire d’Excellence Création Arts Patrimoines) — Ircam/Université Paris 1).
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[12]
On peut noter ici que le passage du « Pass Navigo » (forfait de transport de la Régie autonome des transports parisiens [RATP]) sur les détecteurs du métro parisien a été manifestement musicalisé puisque ce passage déclenche un son arpégé clairement extratechnique, mais identique, quelle que soit la station.
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[13]
Voir les commutateurs moléculaires dits allostériques en neurobiologie (Boulez, Changeux et Manoury 2014).
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[14]
Dans son « rapport sur le savoir dans les sociétés les plus développées proposé au Conseil des universités auprès du gouvernement du Québec, à la demande de son Président » et publié dès 1979 sous le nom de La condition postmoderne (9), Jean-François Lyotard décrit la nouvelle condition de l’ère post-industrielle au sein des sociétés à l’aune de la transition numérique. Il questionne la nature du savoir scientifique qu’une telle révolution imposerait de facto à notre nouvelle condition en supplantant les grands récits de l’humanité par le discours prescriptif des systèmes informatiques portés aux nues par les sciences. Sa pensée anticipe les récentes mises en garde annoncées sur l’intelligence artificielle et le big data à l’oeuvre dans toutes les instances de pouvoir actuel au moyen des algorithmes. La postmodernité sonore décrit dans le domaine acoustique l’impact des effets de cette révolution sur l’écoute au quotidien.
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[15]
Le projet actuel « Analyse des pratiques du design sonore », mentionné à la note de bas de page 11, a pour but d’analyser précisément les motivations et pratiques des designers sonores. Est envisagé, à plus long terme, le recensement des designers sonores et l’inventaire d’artéfacts de design sonore afin d’étudier, selon les cas, leur conception et le processus de réalisation.
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[16]
Cet ouvrage collaboratif, coécrit par des anthropologues, géographes, ethnomusicologues et architectes-urbanistes, souligne entre autres « le caractère indissociable entre un paysage sonore et un environnement social » (Candau et Le Gonidec 2013, 18).
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[17]
Le projet montréalais « Ville sonore » répond à ce type d’initiative. On peut ainsi lire en première page du site : « L’approche du paysage sonore repose sur l’idée que des sons “appropriés” peuvent être utilisés pour produire des effets positifs : il s’agit d’une déviation de l’approche traditionnelle de l’atténuation du bruit urbain qui vise à rendre la ville moins négative mais pas nécessairement plus positive. Traditionnellement, le domaine de la recherche en paysage sonore s’est concentré sur la perspective des “utilisateurs de la ville”, mais nous allons élargir cette relation pour inclure et comprendre le rôle que jouent les “créateurs de la ville” dans la perception des sons urbains par les utilisateurs » (Ville sonore 2019).
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[18]
Rappelons qu’au sein des principaux genres du design répertoriés sur le site de l’Alliance française des designers (2003), trois catégories se dégagent selon qu’elles s’appliquent aux objets, aux messages et à l’environnement. Appliquées au design sonore ou musical, elles se séparent en design d’identité (identifier, faciliter, fidéliser à une marque, une institution, un service, etc.), de message (informer, communiquer, signaler, etc.), et d’environnement (localiser, aménager, etc.).
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[19]
Stéphane Vial « distingue trois types d’effet en matière de design. Un effet ontophanique visant à augmenter l’expérience vécue ; un effet callimorphique, axé sur la beauté formelle et l’attrait esthétique extérieur du design en termes de forme, volume, activité, graphismes et expressions interactives, et un effet socioplastique portant sur les formes capables de remodeler la société » (Folkmann 2010, 9).
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[20]
Je mentionne ici trois exemples : le projet « Cracking the Emotional Code of Music », sur la voix, le son et les émotions. Dans ce projet « sont étudiées les caractéristiques acoustiques du son et leurs relations avec l’activation de circuits cérébraux spécifiques, émotionnels ou de cognition sociale. [Les algorithmes de transformation visent à faire du son une “technologie” pour la recherche en neurosciences cognitive, et à terme en neurologie.] Le feedback vocal, étudié grâce au logiciel DAVID pour la transformation de la voix en temps réel, est un premier résultat de ce paradigme » (CREAM s. d.) ; les travaux de Jean-Julien Aucouturier, chercheur du Conseil national de recherche scientifique (CNRS) au sein de l’équipe Perception et design sonores, et ses travaux en neurosciences cognitives et sur les thérapies de rééducation orthophonique avec l’intégration de la dimension sociale du langage à la compréhension de l’audition ; les journées d’étude tenues par les chercheurs de la Fondation Internet nouvelle génération (FING), de l’Université de Toulouse et de l’École supérieure d’art et de design (ÉSAD) Pyrénées dans le cadre du projet « HyperVoix », qui s’intéresse aux « enjeux de conception des interfaces conversationnelles » (HyperVoix 2019).
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[21]
Je fais d’ailleurs l’hypothèse que le son musical a été d’abord instrumentalisé dans le cadre de pratiques sociales telles que la chasse, certains gestes agricoles collectifs, les cérémonies rituelles puis festives ou religieuses, la politique ou la guerre, et que c’est de ces instrumentalisations proches du design qu’elle s’est peu à peu autonomisée pour devenir un art à part entière avec des oeuvres créées pour elle-même dans une logique désintéressée, pour reprendre la conception kantienne de l’art. Il est possible que cette phase d’autonomisation arrive à son terme pour céder la place à un nouveau cycle d’utilitarisme de marchandisation et d’euphorisation généralisée du monde, par ailleurs soumis à un contrôle politico-social permanent.
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[22]
Chacun de ces qualificatifs réfère à un des dix principes pour un bon design déterminés par Rams (cité dans Vial 2015, 105).
Bibliographie
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