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À travers des exemples historiques, ce texte explore les limites de l’hypothèse suivante : les architectes ont produit des formes de livres – impression, mise en page, commercialisation, etc. – qui découlent directement de la pensée architecturale et non d’une pensée exclusivement éditoriale. Le rapport entre l’architecture et le livre n’est pas à sens unique : les livres, voire la forme des livres (et pas exclusivement leur textualité ou contenu iconographique), ont contribué à la reconfiguration des conceptions architecturales[1].

Dans « l’industrie des contenus », bien que l’on dise souvent que the medium is the message (McLuhan et Fiore 2001), on est souvent tenté d’oublier les qualités matérielles spécifiques des livres[2]. Ces qualités, telles que la texture ou le poids, sont des ressources trop proches de celles de l’architecture pour ne pas les mettre en parallèle. S’il faudra sans doute plusieurs inventions magiques avant de pouvoir dématérialiser nos maisons, les pratiques éditoriales semblent, elles, plus habiles pour migrer vers l’espace numérique[3]. Explorer les rapports historiques entre l’architecture et l’édition des livres n’a pas pour but de démontrer la supériorité de la matérialité du livre imprimé ; il s’agit surtout de repérer les formes de contact entre deux cultures matérielles – celle du livre et celle de l’architecture – pour essayer de comprendre la capacité d’interpénétration de ces deux pratiques[4].

Le Crystal Palace, construit à Londres en 1851, est peut-être l’exemple le plus flagrant pour illustrer cette théorie. Si la photographie en noir et blanc a bien immortalisé son ossature métallique, l’album de chromolithographies publié par Dickinson[5], au moment de la reconstruction de ce bâtiment géant à Sydenham, fait plein usage de la couleur (Haghe, Nash, et Roberts 1854). On apprend ainsi que ce sont les tissus exposés et les vêtements éclatants des Victoriens qui ont transformé l’espace de l’exposition en une vibrante célébration de la couleur. La structure en fer, après un long et attentif débat public, a bénéficié d’un investissement conséquent pour pouvoir être peinte en couleur. Le fait que cet incroyable espace architectural puisse être transposé sous forme de livre grâce à la technique de la chromolithographie peut cacher l’importance du transfert dans l’autre sens. Les livres faisant usage de la chromolithographie ont été, eux-mêmes, un véhicule de transmission de savoir permettant à Owen Jones, l’architecte responsable de la coloration du Crystal Palace, d’approfondir ses connaissances aussi bien en matière de couleur en architecture que dans le domaine de l’application de cette couleur à l’intérieur même du livre (Brino 1995).

Le débat imprimé sur la polychromie dans l’architecture grecque nous présente des pistes importantes (Van Zanten 1977). Les exemples classiques de l’architecture redécouverts au cours du XVIIIe siècle – transférant les modèles de la Rome antique vers la Grèce – étaient-ils à l’origine colorés ? Peut-on considérer que l’architecture grecque reflétait la blancheur des reproductions gravées à travers lesquelles elle est d’abord parvenue en Europe centrale ? La surface blanche du papier convenait à la texture du marbre des ruines, mais la réalité des découvertes archéologiques contredisait cette blancheur : l’architecture grecque n’était pas monochrome, mais polychrome. Cette question a occupé les architectes au début du XIXe siècle. Depuis Antoine Chrysostome Quatremère de Quincy à Jacques Ignace Hittorff, ce débat a surtout eu lieu dans les livres tirant parti de la chromolithographie (Hittorff 1851). Ayant accès à la nouvelle technique d’impression, la façon de produire des livres a pu apporter des arguments spécifiques au débat architectural.

Owen Jones était l’un des principaux acteurs de ce débat sur la polychromie. Entre 1842 et 1845, il a publié Plans, Elevations, Sections and Details of the Alhambra (1845), projet auquel il a participé à partir de 1834 après avoir effectué un relevé du palais de Grenade (Ferry 2003, pp. 175-188). L’Espagne n’était certes pas la Grèce, mais l’Alhambra l’a obligé à développer des essais et à réaliser de forts investissements pour garantir la qualité de la reproduction des couleurs du palais. Jones a poursuivi ses progrès en matière d’impression couleur dans le livre La grammaire de l’ornement (1856), postérieur au Crystal Palace, où l’usage de la couleur imprimée a été poussé à l’extrême. Bien que son premier livre l’ait ruiné, il lui a permis d’acquérir une réputation d’expert au point d’être invité à rejoindre la commission de construction du Crystal Palace. Très tôt, le problème de la couleur à apliquer dans la structure du bâtiment en fonte de fer s’est posé : encore trop associée à l’architecture industrielle ou aux infrastructures du chemin de fer, la construction en fonte rendait le rapport entre la dignité du matériau et l’ambition du bâtiment difficile. Owen Jones a utilisé ses connaissances techniques en matière d’impression et de relevés architecturaux qu’il pratiquait dans le domaine éditorial du livre pour réaliser la conception chromatique du plus grand bâtiment du monde. La couleur du Crystal Palace est donc le résultat d’une pratique éditoriale (Tavares 2016, chapitre « Colourful Crossroads »), de la même façon que la chromolithographie dans les livres d’architecture s’est développée grâce au débat sur la polychromie de l’architecture grecque.

Le Crystal Palace a ainsi permis de vérifier notre hypothèse de départ. Existe-t-il d’autres moments où l’histoire du livre rencontre l’histoire de l’architecture de façon aussi intense ? Les découvrir et les étudier pose un problème méthodologique : comment y accéder dans les couloirs infinis des bibliothèques ? Il faut procéder à des choix, et devant une bibliographie interminable nous avons opté pour une action plus proche de la géométrie que de l’histoire : la section transversale. Si l’on regarde tous les livres et les constructions de référence pour une année précise, que peut-on découvrir ? Prenons la période de 1851 à 1925. Pour l’histoire du livre, il faudrait remonter aux années 1830 pour voir les professions d’imprimeur et d’éditeur en plein essor, mais grâce à l’Exposition Universelle londonienne, 1851 est le symbole et la synthèse des effets de l’industrialisation. L’année 1851 est en effet devenue une référence pour comprendre le démarrage de ce que l’on pourrait appeler le « livre industriel », alors que 1925 marque l’avènement du « livre dessiné ». L’Exposition des Arts décoratifs à Paris, le triomphe du goût et de la mode, voire le triomphe du luxe, pourrait bien aider à caractériser ce nouveau paysage éditorial comme elle a caractérisé un nouveau paysage architectural.

Les années de 1920 peuvent être une autre de référence pour lire les rapports entre l’architecture et l’édition. L’année 1923, avec la publication de Vers une architecture par Le Corbusier (1923) et Dlia Golosa (Pour la voix), le poème de Maïakovski dans un livre signé par El Lissitzky, « constructeur du livre » (1923), pourrait servir de référence. Mais les réussites architecturales de l’époque 1925 clarifient cette double alliance entre les pratiques du livre et celles de l’architecture. Si, dans un premier moment de l’industrialisation du livre, l’auteur s’est éloigné du producteur, voire de l’imprimeur, grâce à l’économie d’échelle et l’importance des systèmes de commercialisation et de distribution, dans un deuxième temps, cette distance s’est accrue grâce aux systèmes de concurrence – et aux possibilités de l’impression offset –, et la figure du designer a fait son apparition. Il ne s’agissait pas que de maîtriser la mise en commerce de gros tirages, mais aussi de produire un langage capable de porter en soi une valeur sociale. On trouve ce problème d’émancipation artistique vers la technique dans les avant-gardes du débat architectural[6].

En 1925, à l’intérieur du pavillon primé de l’URSS, dessiné par Konstantin Melnikov, on trouvait des exemples éclatants de livres du constructivisme soviétique. La chromolithographie et les enjeux industriels du design du livre présentent deux sections transversales. Ces rendues offrent un portrait des formes et des problèmes qui opèrent aux jonctions entre les deux pratiques et démontrent des points de rencontre entre la culture architecturale et la pratique éditoriale. Sauf que, pour présenter d’une façon plus précise ces points de rencontre révélés par les sections transversales, il faut remonter dans le temps et prendre des exemples plus assertifs dès 1486, l’année de la première édition imprimée de Vitruve, voire le début de l’édition en architecture. Cinq thèmes se dégagent ainsi pour démontrer que les architectes pensent l’espace du livre – soit-il son propre imaginaire culturel partagé ou le support pour l’emplacement de contenus spécifiques – selon des problèmes et des matières relatives à l’architecture : texture, surface, rythme, structure et échelle deviennent des points de repère pour vérifier l’hypothèse.

Texture

L’édition imprimée inaugurale de l’histoire de l’architecture est une transcription du traité de Vitruve par l’érudit Giovanni Sulpizio da Veroli (1486). Pour le lecteur contemporain qui ne connaît pas le latin, une telle page présente une belle grisaille ; pour l’architecte, l’absence d’image est presque inconcevable. À la Renaissance, le problème de l’image s’est aussi posé aux lecteurs et éditeurs de Vitruve et la solution trouvée par Veroli a été son absence volontaire. Veroli a prévu un espace blanc, un vide, pour permettre à ses lecteurs de faire usage du livre. La surface blanche ouvre la texture du texte en attendant la texture des dessins des architectes. Une copie du livre utilisé par Giovanni Battista da Sangallo illustre ce genre d’usage, les marges et les vides remplis de croquis et d’annotations témoignent du passage d’un savoir disciplinaire vers la texture des pages (Vitruvius et Sangallo 2003).

On trouve le dispositif manuscrit de Sangallo imprimé dans l’édition de Vitruve promue par Cesare Cesariano à Côme (1521), où les commentaires du texte et les images produisent une riche surface imprimée, l’estampe laissant des traces de relief qui garantissent la matérialité du texte et la dynamique des contenus. À la fin du XIXe siècle, ce genre de matérialité et de dialogue entre la texture du texte et l’épaisseur de la page a été recherché par William Morris dans sa Kelmscott Press (Peterson 1982). À côté de la réimpression de grands succès littéraires tels que les Canterbury Tales de Chaucer (1896), Morris a aussi repris des textes fondamentaux de la pensée architecturale, tels que le chapitre The Nature of Gothic (1892), publié à l’origine par John Ruskin dans les pages de The Stones of Venice (1851). Pour Morris, la mauvaise qualité physique du livre était capable de gâcher les meilleures pensées :

Even the books of our best authors are spoiled by the type. Look at Mr. Ruskin’s works. They are about the worst printed and ugliest looking books in the language .

(Peterson 1982, 90)

Si on regarde le travail d’El Lissitzky dans les petites revues d’architecture publiées en 1925, on retrouve cette dimension de la texture de la page. La revue suisse ABC (« ABC : Beiträge zum Bauen » 1924) en est un exemple. Elle témoigne des intérêts communs entre les pratiques graphiques et les recherches architecturales soviétiques au moment de la construction. Pour les architectes constructivistes, le langage architectural recherchait la subversion de préjugés formels à travers l’usage de dynamiques de composition parallèles à celles des recherches graphiques de Lissitzky. Cette proximité s’estompe sur le travail du futuriste Fortunato Depero : dans un petit pavillon pour l’exposition de Monza en 1927, il a trouvé dans l’architecture typographique – un bâtiment modelé d’après l’image volumétrique des lettres – de nouvelles possibilités pour le langage de l’architecture.

Surface

La surface d’un livre se déploie en double page, la tranche faisant un axe de symétrie en accord avec l’axialité de l’architecture classique. Andrea Palladio, l’architecte des architectes, a fait l’usage le plus radical de cette proximité dans I Quattro libri dell’ architettura (1570). Prenons une double page dédiée à la présentation du Panthéon, à Rome : sur la page de gauche se présente l’élévation, sur la page droite la coupe. La double page offre la possibilité de synthèse, les qualités constructives cachées dans l’élévation par les formes du langage architectural deviennent évidentes. Une trentaine d’années auparavant, Sebastiano Serlio a présenté le même bâtiment et un rapport intérieur-extérieur équivalent sans pour autant recourir à la même stratégie (1540). Chez Serlio, la coupe et l’élévation sont autonomes, chacune dans sa page, chacune dans un monde indépendant. Quand Palladio a développé le modèle de Serlio, il a préparé les dessins selon une stratégie précise : l’espace imprimé a été conçu par rapport aux instruments de représentation de l’architecture pour en profiter au maximum. Il n’était pas en train de trouver l’espace pour publier une coupe et une élévation, il a intégré la conception du dessin architectural à la forme de la double page du livre.

Raphaël, dans une fameuse lettre au pape Léon X, a plaidé en faveur d’une méthode de dessin capable de produire le relevé architectural des antiquités romaines d’une façon similaire à la conception de nouvelles structures (Di Teodoro 2003). Il s’agissait de dessiner le plan, de le couper en deux moitiés présentant, à la même échelle et en synchronie, la coupe et l’élévation du bâtiment en question. Cette procédure permettait d’échapper aux contraintes de la perspective pour mesurer directement sur le dessin. Les pages du traité Palladio reprennent la méthode de Raphaël, la faisant coïncider avec les qualités de la surface de la page[7]. Élévation et coupe, profitant de la symétrie des projets classiques, trouvent leur place sur les pages gauches et droites. Cette procédure, évidente devant sa traduction imprimée, n’a pas été si évidente à mettre en place. Avant la publication de son traité, Palladio a produit des illustrations pour l’édition de Vitruve menée par Daniele Barbaro (1556). Ayant comme base de travail ses propres relevés des antiquités de Rome (Cellauro 1998, pp. 55-128), Palladio les a traduits en xylogravures pour le livre, sauf que le rapport entre leur échelle et la taille des pages, de même que le rapport avec la distribution des pages gauches et droites, est resté plutôt maladroit. Ces problèmes sont rendus visibles grâce à plusieurs solutions de mise en page : soit, les dessins surmontent la page en deux directions, soit la coupe et le plan ne sont pas à la même échelle, soit la double page est réussie.

Il s’agit d’une coïncidence précise entre les techniques de représentation architecturale, voire les techniques de conception énoncée par Raphaël, et la conception de la surface du livre, faisant usage des contraintes naturelles de la tranche pour pousser plus en avant les possibilités de communication du dessin.

Cet assemblage est bien le contraire de Contrasts (1836), dans lequel Augustus Pugin a utilisé l’opposition caricaturale entre deux bâtiments pour en faire découler une critique architecturale. Contrasts a eu un écho retentissant avec ce système de double projection de diapositives dans les cours de l’historien Heinrich Wölfflin. Une des plus puissantes doubles pages de l’histoire de l’architecture, celle de Le Corbusier confrontant en synthèse les temples de Paestum et du Parthénon avec les voitures Humbert et Delage, ne serait possible sans ces précédents. La surface de la double page accueille les « never-resolved collisions » (Colomina 1996, pp. 119 et 148) entre les images comme stratégie de construction d’un texte visuel, une méthode concomitante à sa pratique de conception architecturale (Cohen 2007).

Rythme

En 1924, l’architecte allemand Erich Mendelsohn fit un voyage aux États-Unis et publia Amerika, livre d’images d’un architecte (1926). Il y présentait une séquence cinématographique pour illustrer le mouvement de son arrivée à New York : la force horizontale du paysage urbain pénètre la mise en page.

Ce dispositif est encore plus évident dans le passage entre les deux premières pages, où à l’horizontalité du paysage maritime succède la verticalité de la perception urbaine à l’intérieur de la métropole. Une page perd sa signification sans l’autre, seule la séquence est capable de rattraper le rythme perceptif de la ville dans l’espace du livre[8].

La problématique de la séquence des pages aux livres d’architecture se pose aussi par rapport au rythme de la construction des bâtiments. Pour en avoir un exemple flagrant, on peut remonter en 1586, au moment du déplacement de l’obélisque du Vatican par Domenico Fontana. Le problème posé à l’architecte concernait la descente du gigantesque monolithe, son transport et sa remontée, en maintenant la pierre absolument intacte[9]. Deux gravures publiées au moment de la construction (Guerra, Bonifacio, et Fontana 1586a , 1586b) ont été à l’origine du livre qui raconte le processus en détail (Fontana 1590). Le livre, à travers la suite des pages, permet de suivre la séquence des travaux et ses implications techniques. Ici, le rythme de l’architecture n’est pas la promenade architecturale, mais un processus qui garantit une stratégie narrative. Ce n’est pas une narration textuelle, ni seulement une séquence d’images de chantier : le rapport entre texte et image est orchestré dans l’espace du livre selon un raisonnement architectural.

En 1925, László Moholy-Nagy a exploité ces démarches dans l’essai visuel Dynamik der Gross-Stadt, publié dans le livre Malerei, Photographie, Film (1925). L’essai est un brouillon pour un film urbain qui n’a jamais dépassé l’état de séquence de pages. Dans ce livre-clé pour l’affirmation internationale du Bauhaus comme lieu d’intersection des pratiques artistiques, Moholy-Nagy théorise l’usage de plusieurs concepts formels dans l’espace du livre, notamment la notion de temps et de rythme comme instruments pour maîtriser l’expérience architecturale du livre (Stetler 2008, pp. 88-113).

Structure

Eugène Viollet-le-Duc est censé être à l’origine du sens du mot « structure » tel qu’il est utilisé aujourd’hui en architecture c’est-à-dire les parties d’un bâtiment qui lui permettent de rester debout (Forty 2004, pp. 276-285). Cette séparation entre forme et structure n’était pas si évidente et elle a en partie découlé de l’analyse biologique de la morphologie des animaux, voire de la séparation analytique entre la chair et le squelette. Les dix volumes du Dictionnaire raisonné de l’architecture française – XIe au XVIe siècle (Viollet-le-Duc 1854) ont été le chef-d’œuvre bibliographique de Viollet-le-Duc (Bressani 2014, pp. 223-266; Bergdoll 1990, pp. 1-30 et pp. 265-270). Dans ce livre, les démarches du processus de conception et d’argumentation théorique du projet d’architecture – comment penser la construction d’après son système structurel – trouvent un parallèle avec l’organisation du texte et des images, leurs rapports entre eux, et les systèmes d’indexation et de croisement de contenus. Hubert Damisch a exposé comment la mise-en-livre d’une conception architecturale a précédé les recherches structuralistes dans le champ de la linguistique :

C’est l’affirmation que la syntaxe architecturale, à l’instar des mécanismes du langage articulé, ne se réduit pas à la combinaison, à la coordination de formes de valeur égale, mais qu’elle enveloppe une organisation hiérarchique des unités constituantes, ces dernières étant agencées suivant un ordre strict, mais variable, de subordination .

(1988, 288)

Le Dictionnaire de Viollet-le-Duc, notamment la façon dont les différents éléments qui y prennent place (concepts, textes, images, etc.) sont structurés, suit une logique de projet qu’on retrouve dans les travaux professionnels de l’architecte.

Une autre perspective sur l’hypothèse structurale est l’usage dans le livre des formes et pratiques de représentation. Le livre Loggie di Rafaele nel Vaticano (Volpato et al. 1772), est une collection de gravures de la fin du XVIIe siècle qui présentent un chef-d’œuvre de Raphaël : les peintures décoratives de la loggia du Cortile San Damaso (Luitpold Frommel 1984, pp. 357-374). Il s’agit d’un souvenir de Rome où l’architecture elle-même guide la forme et la structure de l’ouvrage imprimé. Tout d’abord, en frontispice, on trouve une perspective pour énoncer l’ensemble du projet : l’instrument du peintre, la perspective, sert à présenter l’architecture. On tourne la page et il se passe l’inverse : c’est l’élévation – l’instrument de l’architecte – qui sert à présenter le travail du peintre. Une feuille horizontale d’un mètre vingt offre l’index du contenu. L’horizontalité de ce résumé contraste avec la verticalité des pages suivantes où, une fois la porte passée, les feuilles se suivent au rythme des pilastres dans le bâtiment qu’elles représentent. Les outils de l’architecte, le plan et l’élévation servent de guide et de forme pour le montage du dispositif du livre.

Échelle

La taille est un autre concept clé pour comprendre le rapport entre livre et architecture. On peut se demander comment le plus grand bâtiment du monde est capable d’être comprimé dans l’un des plus petits livres. Little Henry’s Holiday at the Great Exhibition (Prout Newcombe 1851) est un livre pour enfants dans lequel les systèmes techniques de l’architecture et de la mise en œuvre du Crystal Palace ont aisément trouvé leur place dans les 175 grammes de pages. Ce n’est pas impossible, mais les architectes ont toujours eu une nette préférence pour les grands livres, et encore plus grands, et plus grands encore. Du prestige porté par un livre de luxe – capable de séduire futurs clients et de provoquer l’envie des collègues – jusqu’à la possibilité de transférer vers la page le plus grand nombre de données graphiques, telles que celles utilisées sur les calques des tables à dessin, les raisons ne manquent pas pour privilégier le grand format. Mais la problématique de la taille du livre se pose d’une façon plus aigüe au sujet de l’échelle de l’architecture.

Après quelques précurseurs (Middleton 2004), Julien-David Le Roy a publié une table comparative des plans de temples comme planche d’ouverture de la deuxième édition de son livre, Les ruines des plus beaux monuments de la Grèce (Le Roy 1770 ; Middleton et Le Roy 2004). Le livre offrait l’occasion d’une étude historique comparative capable de faire de la taille des bâtiments le sujet principal de l’analyse. Ces planches ont ouvert le chemin aux études typologiques, où l’architecture est analysée pour elle-même : les bâtiments compris en fonction de leurs formes et non plus par rapport aux contextes culturels et sociaux de leur production. Pour atteindre cette autonomie, il a fallu se détacher de la présence physique des bâtiments, la maîtrise de leurs échelles dans les pages des livres permettant de les regrouper et de les intégrer dans un plan autonome.

Très vite, l’échelle est devenue matière à penser et sujet et Jean-Nicolas-Louis Durand en a fait un des points de repère de sa théorie enseignée à l’École Polytechnique dès la fin du XVIIIe siècle (Szambien et Durand 1984 ; Picon 2000, pp. 34-35). Il s’agissait de comprendre la nature des formes indépendamment de leurs qualités et de leurs tailles spécifiques, les schémas de composition étant compris comme structures capables de répondre à plusieurs demandes. La taille de l’ouvrage à construire devient relative, soit par rapport à la fonction soit par rapport à sa mise en œuvre. Bien sûr, ce n’était pas un problème nouveau, la nouveauté étant la possibilité à mettre en place une théorie de l’échelle en parallèle avec la forme du livre.

L’hypothèse devient anecdotique – tout en restant valable – si l’on sait que les deux livres de Durand étaient surnommés le Grand Durand et le Petit Durand. En effet, il a d’abord publié le livre d’images Recueil et Parallèle – une sorte de musée portatif où la stratégie de Le Roy est développée (1799) – puis le recueil de textes Précis des Leçons – le contenu théorique de ses cours (1802). Les surnoms Grand et Petit ont été pris directement des livres académiques de Jacques-François Blondel et, avant lui, des recueils de planches de Jean Marot. Si leur origine dans le cas de Marot n’était pas la séparation image-texte – séparation fondamentale pour comprendre l’histoire du livre d’architecture et qui a été accentuée par l’avantage de la gravure dans la reproduction des images –, mais par l’économie de la production des gravures, chez Durand, le Grand et le Petit se référant à la complémentarité ont nommé la complémentarité entre le volume des images et le volume du texte. L’anecdote vient relier l’acquis conceptuel de l’échelle comme instrument de l’apprentissage de l’architecture avec les contraintes de la séparation technique entre la gravure et la typographie. Autrement dit, l’anecdote offre un portrait immédiat du croisement entre les pratiques du livre et la théorie de l’architecture.

L’hypothèse physique

Texture, Surface, Rythme, Structure et Échelle sont des catégories physiques selon lesquelles on peut trouver des points de contact entre la culture architecturale et la pratique du livre imprimé. Ces rapports se sont développés d’après le goût physique pour la mise en livre, où la pratique de l’architecture croise les pratiques éditoriales et où il existe des transferts entre les deux mondes. Il est certain que des transferts équivalents ont lieu avec le monde numérique, mais ces formes prennent d’autres dimensions et problématiques que le rapport physique que l’on a expérimenté pendant plus de cinq-cents ans d’édition de livres d’architecture.