Abstracts
Résumé
Dans Queer Psychanalyse : Clinique mineure et déconstruction du genre, Fabrice Bourlez propose une réconciliation des théories queers et de la psychanalyse par l’intermédiaire d’une clinique qui a pour but d’ouvrir notre compréhension des sexualités au-delà de la norme hétérosexuelle. En faisant dialoguer les pères de la psychanalyse avec des théories clés de la pensée queer, Bourlez entrevoit dans cet ouvrage des façons de penser le pulsionnel, l’excès et la jouissance des corps, non plus comme des obstacles au « vrai » Moi, mais comme les berceaux même de l’agency du patient.
Mots-clés :
- Psychanalyse,
- Théories queer,
- Genre,
- Féminisme
Abstract
In Queer Psychanalyse : Clinique mineure et déconstruction du genre, Fabrice Bourlez proposes a reconciliation of queer theory and psychoanalysis. Through the creation of a minor clinic, his objective is to open up our understanding of sexuality beyond the heterosexual norm. By bringing the fathers of psychoanalysis into dialogue with key texts of queer theory, Bourlez allows for thinking about drive, excess and the enjoyment of bodies, not as obstacles to one’s “true” self, but as the very source of the patient’s agency.
Keywords:
- Psychoanalysis,
- Queer theory,
- Gender,
- Feminism
Article body
L’attirance des corps est au cœur des fondements de la psychanalyse. Toutefois, plusieurs l’ont déjà constaté, pour Freud le désir ne peut s’articuler qu’en termes hétéronormatifs, en ce sens qu’il implique toujours un manque de ce que nous ne possédons pas et qu’il ne peut être compris que dans la différence des sexes. Avec son ouvrage Queer Psychanalyse : Clinique mineure et déconstruction du genre, Fabrice Bourlez souhaite réconcilier les queers et les psychanalystes par l’intermédiaire de la clinique mineure, une pratique de la psychanalyse qui a pour but d’ouvrir notre compréhension des sexualités au-delà de la différence homme-femme. Dès l’introduction, intitulée « Dé-faire l’analyse », Bourlez propose de poursuivre la réflexion entamée par les études féministes et queer en les faisant dialoguer avec les pères de la psychanalyse, Freud et Lacan. L’épistémologie du placard d’Eve K. Sedgwick, Les Technologies du genre de Teresa de Lauretis et Pathologisation de l’homosexualité de Monique Wittig sont des ouvrages fondamentaux sur lesquels l’auteur revient à plusieurs reprises. Toutefois, c’est la pensée de Judith Butler, développée dans Trouble dans le genre, qui agit à titre de fil conducteur entre les chapitres. Marqué par ces écrits, mais aussi sa propre expérience en tant que psychanalyste homosexuel, Bourlez veut dépathologiser l’homosexualité, et toutes les « manières de vivre, de souffrir et de nous aimer » (Bourlez 2018, 11) auxquelles la psychanalyse tarde encore à s’adapter. Il insiste d’ailleurs sur la dimension située de sa pensée, soit sa propre orientation[1] sociale, culturelle, économique et politique relativement à son étude, ainsi que la nécessité de « voir tourner autrement le monde » (2018, 16), en saisissant les théories et les identités dans leur pluralité. Changer notre position par rapport aux corps et aux idées permettrait de nous ouvrir à d’autres points de vue, à d’autres possibilités, et à d’autres voix. À travers cet ouvrage, Bourlez souhaite également nuancer la lecture de la théorie queer, qui tend à être perçue comme une opposition ferme à la psychanalyse. Pour l’auteur, le problème que font ressortir les queers en déconstruisant les textes fondateurs de la psychanalyse met plutôt en lumière l’écart entre les deux versions de la psychanalyse qui l’intéressent, soit l’herméneutique et le thérapeutique. Bourlez considère que les queers font bien plus que rejeter la psychanalyse, ils en parlent et lui parlent : « ils lui disent qu’elle n’a pas vu assez loin les conséquences de sa découverte de la vie libidinale » (2018, 54). Pour le psychanalyste, la mise en commun du queer et de la psychanalyse relève de l’enlacement bien plus que de l’opposition. Queer, avant d’être récupéré par la communauté LGBTQ+ afin de définir ceux dont l’orientation sexuelle et le genre sont fluides, voulait dire « étrange ». Or, Bourlez nous le rappelle, le bizarre a toujours intéressé la pratique freudienne. Il insiste donc à ce sujet : « Il y a du queer dans la libre association, dans les rêves, dans chacune des manières dont nos corps se jouissent [sic]. » (2018, 20)
Ainsi, l’objectif de Bourlez n’est pas tant de rendre queer la psychanalyse que de « rendre compte de la manière dont une clinique mineure est en mesure d’accueillir et de tirer parti des différentes déconstructions et des reformulations à l’œuvre dans ces débats » (2018, 237). La tâche première de la clinique mineure est de trouver de nouveaux moyens d’entendre, d’analyser, de comprendre le sujet de la psychanalyse. Bourlez définit cette nouvelle clinique par l’intermédiaire des écrits de Gilles Deleuze et de Félix Guattari sur les usages de la langue en littérature. Selon le fameux duo, l’usage majeur de la littérature est celui de la logique, de la langue qu’on comprend et à travers laquelle on sait s’orienter. Son opposé est l’usage mineur, soit le rapport révolutionnaire à la langue : « il lui donne de nouvelles intensités, la fait vibrer autrement, parvient à la déterritorialiser » (2018, 27). Puisque la grammaire sert avant tout à marquer le pouvoir selon Deleuze et Guattari, un usage mineur de la langue est ce qui libère l’individu des carcans de la langue majeure. Elle déstabilise le langage pour dévoiler le politique qui s’y exerce. Une clinique mineure se questionne donc sur les conséquences politiques du dispositif de la psychanalyse. Elle considère le corps non plus comme une simple surface sur laquelle se projette l’inconscient, mais comme « un site fait de tensions, de nouages qui se forment à travers des normes où le désir surgit non seulement en fonction d’une vérité pulsionnelle, mais aussi d’une plasticité historique » (2018, 32). En pensant cette négociation du pouvoir qui se fait par le corps, la clinique mineure s’engage à « refuser le management de nos âmes et de nos corps pour s’interroger sur la prise en compte de la singularité de nos ombres » (2018, 35).
Dans le chapitre suivant intitulé « Les Ruines de l’Œdipe » , Bourlez illustre les fondations de la clinique mineure, qui se dessinent sur les ruines de l’Œdipe. Afin de mieux situer son propos, Bourlez effectue un retour sur les premiers cris du cœur contre l’Œdipe afin de laisser entrevoir « la dimension micropolitique des puissances contenues dans l’inconscient » (2018, 85). C’est également dans ce chapitre qu’il met de l’avant les limites des pensées anti-œdipiennes et anœdipiennes. Passant par le rejet de l’Œdipe effectué par les féministes et l’éclatement du Moi de Deleuze et de Guattari, Bourlez soutient que rejeter l’Œdipe n’est pas une solution concrète. Les féministes nous rappellent qu’il existe un lien indéniable entre psychanalyse, hétéronormativité et domination masculine. Si l’on suit les écrits de Freud et de Lacan, alors l’inconscient est uniquement pensable de façon straight. Par ailleurs, ce qu’on peut retenir de Deleuze et de Guattari pour la clinique mineure, c’est l’éclatement du Moi et la complexification du champ du sexuel. Toutefois, si Bourlez reproche aux féministes de ne pas offrir de solution à l’hétéronormativité de la psychanalyse, il reproche à Deleuze et à Guattari de demeurer dans l’évidence hétérosexuelle et de penser que la solution demeure dans un rejet complet de l’Œdipe. Bien que leur travail nous éclaire sur les manières de repenser l’Œdipe en tant que micropolitique, Bourlez affirme qu’on ne peut s’y arrêter. Si l’on ne prend pas en compte ce qui se forme au niveau du symbolique, alors comment pourrons-nous saisir les liens entre psychanalyse et pouvoir ? Selon Gayle Rubin, anthropologue queer citée par Bourlez, le complexe d’Œdipe est une machine qui sert à identifier et à organiser les individus sexuels selon s’ils font partie de la norme ou non. Afin de dépasser cette condition, il est donc important de comprendre de quelle manière le symbolique sert à produire les corps, à les ordonner, à les organiser, à les signifier. Le passage au registre du symbolique, principalement effectué par Lacan, permet de penser la clinique non plus comme un moyen de guérir, par l’atteinte de la complétude du Moi, mais comme un instrument de compréhension du Moi. Toutefois, les queers reprochent à Lacan de considérer le phallus comme site originaire du sens de la vie. Ainsi, Bourlez nous rappelle que le passage au symbolique est important, mais qu’il demeure fragile. C’est également dans ce chapitre qu’il introduit la pensée de Judith Butler. Il voit chez cette dernière des outils théoriques et pratiques afin d’« étendre le spectre des possibilités » (2018, 103) de la psychanalyse mineure. Butler ouvre sur d’autres manières de faire sens du monde par l’intermédiaire de questionnements ontologiques et épistémologiques. Toutefois, Bourlez souligne que les psychanalystes reprochent à Butler de ne pas considérer les derniers enseignements de Lacan sur le réel. Ici, il fait ressortir l’opposition entre la philosophie et la pratique psychanalytique. En refusant de voir chez Butler une pensée du pulsionnel, de la jouissance des corps, de l’excès, la clinique psychanalytique refuse de voir autrement l’invisible de l’inconscient.
En s’inspirant de l’Épistémologie du placard de Sedgwick, Bourlez interroge, dans la troisième section de l’ouvrage intitulée « Performer l’homo-analyste », la position de l’analyste qui est souvent ignorée par les postœdipiens. En cachant leur homosexualité, selon Sedgwick, les personnes homosexuelles ou queer permettent aux dominants de continuer d’exercer leur pouvoir hétéronormatif. Ainsi, le silence de l’analyste quant à son orientation sexuelle impliquerait un positionnement implicitement hétéronormatif, et Bourlez se demande si l’intimité du sujet pourrait se dévoiler autrement selon l’orientation de l’analyste. Pour Sedgwick, sortir du placard (ou ici du cabinet) suggère une déstabilisation de l’ordre perpétuelle par la performance langagière, soit l’énonciation de son orientation sexuelle. En étant ouvert au sujet de son orientation, l’homoanalyste perturberait l’ordre de la psychanalyse majeure, qui implique traditionnellement une patiente femme, souvent en quête d’un père, et donc du phallus, et un analyste homme, blanc et hétérosexuel. Selon l’auteur, il est donc nécessaire de penser ces questions si on veut en finir avec la psychanalyse telle qu’on la connaît. Bourlez propose alors de diviser la réflexion métapsychologique en trois temps. Après les temps de Freud et Lacan, le troisième temps est queer et c’est celui-ci que Bourlez s’efforce à définir. Il ne s’agit pas ici d’ignorer Freud et Lacan, mais de minoriser leur approche notamment par l’utilisation des théories de Butler sur la performativité du genre afin de déstabiliser le langage parlé pour et par les hommes. Ainsi, Bourlez propose que l’homoanalyste opère d’une façon performative propre au queer. Il doit troubler les normes en se réappropriant la position d’analyste, en déjouant le rôle du père normalement incarné par l’analyste. C’est par cette première déclaration que l’homoanalyste « module le discours autrement que selon la transcendance de l’ordre phallique » (2018, 156). Plus encore, il s’agit de dépasser la sphère de l’intimité sexuelle pour penser les implications politiques et subjectives d’une vie hors-norme, d’une politique de l’intime. Dans ce chapitre, Bourlez démontre que la clinique mineure doit être un espace autre, une hétérotopie au sens foucaldien, où peuvent s’exprimer ces voix longtemps ignorées et « où chacun vient trouver l’intelligibilité de son existence » (2018, 167). Le cabinet de la clinique mineure est un lieu tourné vers les devenirs.
Changer la position de l’analyste est une première étape, toutefois la mise en place d’une clinique mineure doit aussi impliquer des changements épistémologiques. Performer son identité homosexuelle, queer ou trans n’implique pas pour autant de se défaire d’une pratique hétéronormative. Dans le quatrième chapitre, sur « L’hétérosexisme inversé », Bourlez tente de repenser la manière dont s’illustre la pensée sur le sexe. La psychanalyse a contribué à l’établissement des normes hétérosexuelles de l’époque moderne dès la fin du XIXe siècle. Or, en s’inspirant des travaux de Butler, Bourlez rappelle que l’hétérosexualité est historique et contingente, et qu’il faut questionner son autorité épistémologique. En faisant se rencontrer Freud et Foucault, Butler conteste les soubassements de la psychanalyse et démontre que l’inconscient est un site micropolitique. Le langage usuel entrave notre pensée. De fait, si l’inconscient fonctionne comme un langage, alors il faut trouver une nouvelle grammaire pour le comprendre. Ainsi, Bourlez voit chez Butler des outils pour « ouvrir le champ des possibles » (2018, 181) de la psychanalyse. Il faut renouveler l’efficacité des concepts clés de l’inconscient freudien en partant de la marge, et non plus du centre. Plus encore, par l’intermédiaire d’une relecture des écrits de Butler, Bourlez insiste particulièrement sur l’importance de développer une capacité d’agir. Suivant une lecture foucaldienne du pouvoir, Butler avance que tout est déjà à l’intérieur du social, de l’histoire et du temps. Il n’existe donc pas de « vérité » ontologique, et la nature est toujours déjà prise dans la toile du pouvoir. Chez Foucault, le langage (et le pouvoir) est le lieu de notre assujettissement. Le langage est productif des normes, mais il détient aussi notre capacité d’agir, de résister, de ce que Butler nomme l’agency. Bourlez se demande ici si ce concept peut être utilisé pour remettre en question la pratique de la cure et le dispositif de la psychanalyse. Le pouvoir d’agir, présenté à travers le concept d’agency, est ce qui permet la reprise du corpus psychanalytique par le truchement de la clinique mineure. Il s’agit de prendre conscience et de faire « bon usage de l’itérabilité des normes productives et y compris donc de leur fragilité et de leur caractère transformable » (2018, 194). Butler, puis maintenant Bourlez proposent de voir dans l’incomplétude du sujet une puissante volonté d’agir, un désir qui n’est plus synonyme de manque mais bien d’agency. L’importance de la parole, telle qu’illustrée par Butler, peut avoir une incidence importante sur la cure. La performativité du genre, qu’il ne faut pas confondre avec la performance, est la remise en question du sujet par sa puissance d’agir, et de fait même un questionnement du statut du corps. La performativité illustre ici la possibilité de résister, de s’opposer, de rompre, de modifier[2]. Troubler le genre, c’est montrer que le désordre et l’insaisissable sont ce qui fait la vie, et non plus ce qui l’annule. Pour Bourlez il ne s’agit plus de tenter de « soigner » le pathologique en comblant le manque, mais bien de saisir ce qui est considéré comme hors-norme, bizarre, effrayant comme source de resignification, tant dans la pratique que dans la modification du dispositif analytique lui-même.
Dans « Au-delà de la différence des sexes », le dernier chapitre de l’ouvrage, Bourlez cherche à penser la psychanalyse au-delà de l’hétéronormatif. Pour réaliser cela, Bourlez effectue un retour sur Lacan et sa conception du désir et du réel. Chez Lacan, il existe un point de jouissance qui se situe hors du symbolique, un élément de notre subjectivité qui se refuse à être représenté. C’est ce point précis qui lui permet d’avancer qu’il n’y a pas de rapport sexuel puisque nous ne pouvons saisir l’ampleur de la jouissance humaine par le langage. Pour Lacan, la jouissance de la femme et celle de l’homme ne sont pas complémentaires. Elles sont radicalement différentes. Toutefois, Bourlez y voit la possibilité de repenser l’opposition des sexes au profit d’une articulation de la différence, de la multitude et de la singularité des identités non normées. Il revient alors sur l’argument selon lequel Butler aurait ignoré ces dernières leçons de Lacan. Il avance que Butler a au contraire entamé, dans Trouble dans le genre, une discussion approfondie sur le réel qui va au-delà de celle entamée par Lacan, mais qui ne l’ignore pas pour autant. La relecture du réel lacanien que fait Butler possède un double avantage pour la psychanalyse : elle se dégage de la réification du désir et du réel en mettant l’accent sur les complexités et les contingences des relations sociales. Les corps font déjà toujours partie du social et sont toujours déjà impliqués dans des relations de pouvoir. Ainsi, le Moi fait toujours déjà partie d’un contexte social et d’une temporalité historique. En se faisant sociologue, le Moi a toujours la possibilité de remettre en question sa situation. Parler de soi, dans le contexte de la psychanalyse, devient une façon de faire sens de ses désirs, mais aussi des contingences historiques, du social, du politique, du langage et de l’intime dans lesquels Je prends forme. Butler propose de repolitiser le langage, et c’est dans ce contexte que Bourlez souhaite inscrire sa clinique mineure. Dans un mouvement d’aller-retour entre le soi et le dehors, le dehors et le soi, la psychanalyse mineure s’inscrirait dans une politisation du désir permettant de remettre toujours en question les possibilités de transformation de la société. Selon Bourlez, ici s’instaurerait un rapport éthique « à soi, à l’autre, au monde » (2018, 250). Ainsi, Bourlez propose de voir dans la clinique mineure la possibilité, à long terme, de transformer les normes qui passeraient avant tout par le Moi. Finalement, c’est ainsi que la pratique de la psychanalyse peut se défaire du mythe du Moi pleinement constitué, et s’ouvrir à une multitude de façons de voir, de comprendre et de ressentir le monde qui ne réside plus dans la différence, mais dans un continuum des sexes.
Dense et riche théoriquement, cet ouvrage s’adresse à un public averti. L’auteur présume que le lecteur qui s’y plongerait connaît déjà les bases de la psychanalyse. Toutefois, il n’est pas évident de déterminer qui est le public cible de cet essai. S’agit-il des psychanalystes désenchantés ? Ou encore des queers cherchant à renouer avec la psychanalyse ? Néanmoins, en empruntant des chemins théoriques laborieux, cet ouvrage ouvre des pistes de réflexion essentielles pour l’avenir d’une psychanalyse pour tous et par tous, et pose des jalons nécessaires pour la concrétisation d’une clinique mineure. Sur le plan de la pratique, Bourlez propose avant tout un changement d’orientation de l’analyste qui ferait du cabinet un espace ouvert aux voix plurielles et hors-normes. Sur le plan théorique, c’est par l’intermédiaire d’une réconciliation du queer et de la psychanalyse que Bourlez entrevoit de nouvelles façons de penser le manque et l’excès non plus comme des obstacles, mais comme le berceau même de l’agency du patient. Toutefois, il reste à démontrer en quoi cette pratique se différencie d’autres méthodes thérapeutiques en vogue à l’heure actuelle et qui, comme le mentionne l’auteur dans les premières pages du livre, semblent déjà plus adaptées à la diversité des sociétés occidentales contemporaines. Ainsi, une comparaison de la psychanalyse queer avec d’autres pratiques thérapeutiques, comme la sexologie ou la thérapie cognitivocomportementale, semblerait pertinente afin d’illustrer la nécessité de la mise en place d’une clinique mineure. D’ailleurs, l’auteur conclut son ouvrage de façon plutôt abrupte, ce qui nous laisse penser qu’un deuxième tome est peut-être en route. L’auteur nous laisse en suspens quant à la réalisation d’un tel projet. Maintenant que nous avons les bases théoriques, il demeure à édifier les fondations de cette pratique et à penser la manière dont celle-ci s’articulerait avec la psychanalyse majeure, dont l’autorité est déjà bien fondée. Par exemple, où cette clinique mineure serait-elle pratiquée ? Et où les psychanalystes mineurs seraient-ils formés pour cette pratique ? Par ailleurs, l’orientation queer implique de penser les possibilités de certains positionnements, mais aussi leurs limites. Ainsi faudrait-il également remettre en question ce que peut impliquer politiquement, socialement et professionnellement l’acte de sortir du placard lorsqu’on est psychanalyste et le travail émotionnel qu’entraîne un coming out ? Allant dans le même sens, mentionnons que cet ouvrage continue de penser l’inconscient sur le plan des désirs sexuels et du genre. Bien que le désir des corps soit un élément important de nos vies, d’autres balises normalisent les corps et les idées. Pensons par exemple au racisme, qui est aussi fortement présent dans les sociétés occidentales, et dont le fonctionnement réside à la fois dans les corps et les inconscients. Ou encore, au capitalisme, auquel le corps et les esprits peuvent difficilement échapper. S’il existe une queer psychanalyse, alors à quand une psychanalyse antiraciste ou anticapitaliste ?
Appendices
Notes
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[1]
J’emprunte ici le terme orientation à Sara Ahmed (2006). Pour Ahmed, notre orientation par rapport aux objets (que ce soit sur le plan phénoménologique, sexuel ou théorique) met en forme la manière dont nous habitons le monde. Afin d’ouvrir à d’autres façons de vivre et de penser, elle propose de diriger notre attention vers d’autres objets, ceux qui nous semblent plus éloignés, ceux qui sont considérés comme déviants ou hors-normes. Bien que Bourlez ne fasse pas référence à Ahmed dans cet ouvrage, il me semble essentiel de rappeler l’importance de ses écrits pour la pensée queer et particulièrement afin de remettre en question l’incidence de l’orientation sexuelle sur nos manières de penser.
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[2]
L’auteur insiste d’ailleurs que cette puissance d’agir, qui vient de l’individu, ne doit pas être confondue avec l’agir néolibéral et le Moi individualiste. Plutôt que de « partir du même pour faire bloc, il est question dans la performativité queer d’un “devenir ensemble pour affirmer les différences” » (Bourlez 2018, 203).
Bibliographie
- Ahmed, Sara. 2006. Queer Phenomenology: Orientations, Objects, Others. Duke University Press.