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Ma maîtrise[1] a été marquée par la grève étudiante de 2012 et je ne ressens aucune fierté devant le mémoire que j’ai déposé en août 2013, en partie parce qu’il ne s’est pas laissé traverser par les enjeux qui sont devenus, dans la foulée de la grève, non pas centraux, parce que s’ils avaient été au centre, j’aurais pu les prendre en compte, les mettre en scène, mais bien vitaux, essentiels, moteurs ; et c’est parce que je n’ai pas su ou pas voulu les laisser parler qu’ils ont agi autrement, qu’ils ont fait du texte que j’ai déposé un symptôme bien plus qu’une œuvre, un essai ou une pièce de théâtre. Pendant des mois, j’ai réfléchi en m’en voulant de réfléchir, transi par le sentiment qu’une efficacité de la rhétorique marchande puisse emporter avec elle la réalité de ma vie, et je prenais une avance de peine sur ma condamnation à venir. Je réfléchissais mal, ne prenant pas l’urgence pour une opportunité, mais l’imprévisibilité pour un obstacle infranchissable. De ce temps ouvert, je n’ai pas su profiter : je lisais en ne voyant des phrases que les articles (de loi), les déterminants (économiques) et les formes passives. Je vibrais sous les coups de l’argumentaire qui divise radicalement politique et poétique alors même que trois ans de cours de lettres m’avaient préparé à faire jouer, à me jouer de toute radicalité discursive. On nous avait dit : étudiants, vous nous dépouillez pour penser. Du même coup, j’étais dépouillé et endetté.
Quand Ginette Michaud[2], il y a quelques mois, m’a fait l’offre généreuse de venir vous parler de mon expérience de rédaction, je lui ai donc tout de suite demandé de renchérir, de me faire, comme par-dessus le marché, la promesse qu’il y aurait quelque chose à recevoir de mon expérience qu’elle et moi savions avoir été difficile, piégée, torturée, malsaine ; et c’est donc muni non seulement de son offre, mais de son pardon anticipé que j’en suis arrivé à devoir, enfin, affronter cette nécessité de me présenter devant vous, aujourd’hui, dans la position rhétorique du contre-exemple. Je me suis demandé ce que vous pourriez en tirer, ce qu’on pouvait tirer d’un contre-exemple, et je me suis retrouvé en quelque sorte à nouveau devant les événements du printemps 2012, qui sont en fait, dans le cadre de ce que je peux vous raconter aujourd’hui, au moins doubles : mes événements du printemps 2012, en ce qu’ils n’ont pas été vécus ainsi par tous, mais aussi les événements du printemps 2012 dans leur matérialité discursive, dans ce qu’ils ont inscrit dans l’histoire de la perception de la mission de l’université au Québec. Voici une découverte, parmi d’autres, et je vous laisse décider si c’est la mienne ou la vôtre, tout comme je vous invite à douter que ma découverte n’ait fait autre chose que de faire glisser une couverte : La majorité peut interdire démocratiquement tout travail sur son vocabulaire. Notamment : majorité, interdiction, démocratie, travail, vocabulaire.
Comme étudiants en lettres, comment s’inscrire - et je nous y invite, pour nous donner le droit d’écrire, par exemple un mémoire – comment s’inscrire dans cette longue procession de la démocratie contre l’universel ? Tout de suite, je dois dire qu’il ne s’agit pas de ce processus qui fait, qui a fait exemplairement en 2012 des mots brandis dans l’espace médiatique le champ stratégique du combat, la chose d’importance (austérité, responsabilité, réalisme), pour mieux faire des mots dont les départements de sciences humaines, d’arts et de lettres s’occupent, l’objet raillé, exproprié, dévalué, la chose sans importance. (En guise de parenthèse : dans l’espace public, soudainement, en 2012, s’investissait une certaine virtualité démocratique de juger collectivement de l’utilité des universités, dans le vocabulaire chaque jour plus pauvre de l’enrichissement, en même temps que s’amassait, se ramassait, se condensait une haine toujours plus vive de la possibilité qu’il puisse exister des départements où la valeur des mots, chaque jour, fructifie. Premier fantasme du néo-libéralisme, qui pourrait être, par contre-exemple, le premier fantasme de l’étudiant qui ne remet pas son mémoire : que l’utilité se passe de mots. Deuxième fantasme du néo-libéralisme, qui pourrait être, par contre-exemple, le deuxième fantasme de l’étudiant qui ne remet pas son mémoire : qu’il ne faille pas compter avec l’histoire des mots.)
Longue procession, donc, de la démocratie contre l’universel. Je tiens à préciser que je n’articule pas cette démocratie, qui comme la poupée ne sait dire que oui et non, que oui ou non, contre l’universel, dans un schéma oppositionnel, mais tout contre, comme lorsqu’on dit : nous dansions collés l’un contre l’autre... Leur procès est sans cesse ajourné, mais-or-donc-cependant, son calendrier nous organise. Et nous n’aurions, ici, dans un département de lettres, rien à voir avec ce procès ? La démocratie est toujours à l’épreuve du temps, au cœur duquel sa possibilité de se sauver dépend entièrement de sa capacité à dire oui ou non au moment stratégique. Et à quoi doit-elle répondre, sinon à l’universel, à ce qui, du monde, la traverse, lui arrive, se présente à elle ?
Nous travaillons dans les textes de littérature, et nous y cherchons l’universel non pas parce qu’il s’y rencontre exclusivement, mais parce qu’il y a un privilège accordé par la littérature à l’ouvert, à l’événement. Croyez-moi, c’est promis.
Le piège que je pense avec vous aujourd’hui[3], c’est de ne pas répondre à l’universel, mais au maître. L’un des obstacles que j’ai rencontrés dans la rédaction de mon mémoire, encore secoué par les événements du printemps 2012, a été, pour employer un moment le vocabulaire lacanien, d’occuper la position de l’hystérique[4]. L’hystérique demande s’il a le droit de penser à un maître à qui il donne le droit de statuer. J’étais statufié. C’est-à-dire que, ne posant la question : « qui suis-je » qu’à ceux qui parlaient uniquement la langue de l’argent, je n’avais d’autre ressource qu’une opposition servile. J’offrais le spectacle de la puissance que cette langue avait de me torturer. J’accumulais les petites morts. J’imitais en cela les professeurs de lettres, de philosophie, d’histoire, d’anthropologie, etc., qui ont difficilement mais continument permis une évaluation de leurs projets de recherche en termes quantitatifs : j’acceptais de répondre à la question « que vaut ce que tu étudies », posée à l’intérieur d’une grille où la valeur se pense sur le mode de l’unité et de la propriété, et donc de la présence et de la prévisibilité ; alors que tout en littérature nous appelle à penser le don, le partage, la métamorphose, le contretemps, la mort : l’autre de la valeur, ou encore la valeur chaque fois refondée de l’événement de la parole.
Je dois d’ailleurs m’évader de ce pas du vocabulaire lacanien, pour ce qu’il permet de penser, afin de montrer ce qu’il enferme : parmi les quatre discours que Lacan identifie, à côté de celui du maître et de l’hystérique, il y a celui de l’université, que je voudrais vous inviter à remettre sur le métier. On pourrait en comprendre que le discours de l’université ou de l’universitaire déploie le savoir en refoulant le signifiant, et en laissant agir en secret un sujet conçu comme une volonté de puissance. Il dit le savoir. Je traduis : vous, jeunes universitaires assoiffés de savoir, cherchez à comprendre, en oubliant ce que c’est que comprendre « comprendre », comme si en fait ce n’était pas un mot ; et pour en jouir comme d’un bien que l’on pourrait thésauriser.
D’une part, fertilité de cette idée d’enfin laisser derrière la poursuite du sujet, de s’accorder la joie foucaldienne d’oublier l’homme. Mais d’autre part et en même temps, en cette simultanéité divisée : boue, marécage, empêchement de cette pensée d’un discours où le savoir creuse ses douves... Je vous en prie, soyez plus futés : n’oubliez jamais que le corps écrit. Ne classez pas définitivement vos livres entre la catégorie des sujets et la catégorie des outils[5]. Ne croyez pas tout à fait que votre table divise les matières. Songez que le seul lieu où votre mémoire se verra accorder un savoir « déposé », ce sera Atrium[6]. Dès qu’il en sortira, dès qu’il sera lu, il se remettra au travail. Ne croyez pas ceux qui vous disent, ou ne vous croyez pas lorsque vous vous direz : « Vous écrivez pour rien. » Essayez par exemple de courir « pour rien ». Courez pour rien, pour voir ce que c’est que ce « rien ». Courez en vous répétant qu’il n’y a pas de raison de courir, et écoutez-vous en rire, des muscles jusqu’au cœur. Le corps n’oublie jamais que le jeu est vivant[7]. L’universitaire, peut-être, s’il veut bien chercher, pense l’universel sans le poser comme le dehors du singulier, ou le garde-manger du savoir[8], mais comme sa trame, ou son texte ; il ne le pense qu’à le traverser. Sa vérité est besogneuse.
Pessoa écrit : « Je suis naturellement poète parce que je suis la vérité qui parle par erreur[9]. »
Quelques mots, maintenant, sur la peur. Vous pensez peut-être que je vais vous dire quoi en faire, comment la vaincre, ou en quoi elle consiste. Or, je connais si peu ma peur qu’à partir d’elle, je peine à trouver ce qui pourrait vous éclairer ; je vais donc poursuivre encore un instant le spectacle du contre-exemple. J’ai toujours peur d’écrire. Pendant les mois de grève, en 2012, j’ai eu peur d’écrire. Pendant que j’écrivais les quatre textes qui n’allaient pas devenir mon mémoire, j’avais peur d’écrire. Pendant que j’écrivais la pièce de théâtre qui allait devenir une partie de mon mémoire, j’ai eu peur d’écrire. Pendant que j’écrivais mon essai, j’ai eu peur d’écrire. Pendant que j’écrivais ce petit texte pour vous, j’ai eu peur d’écrire. Après-coup, je peux dire les choses un peu différemment, et changer, à chaque fois, l’énoncé « j’ai eu peur d’écrire », pour celui-ci : « j’ai eu peur de ce que j’aurais écrit. » ou même pour le très-français « j’ai eu peur de ce que j’allais avoir écrit », où le futur se présente sous la forme du verbe « aller » qui adoucit l’étrange « avoir », qui le rend même pensable : je ne sais pas pour vous, mais je déteste pour ma part dire ce que j’ai, mais parler de ce que j’aller-avoir, j’y arrive, je respire, j’ai moins peur[10].
Appendices
Notes
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[1]
Texte écrit pour être prononcé le jeudi 4 décembre 2014 devant des étudiants du séminaire collectif de maîtrise de l’Université de Montréal. Plusieurs commentaires sont nécessaires pour marquer le passage du texte vers la forme écrite, passage demandé généreusement par Marcello Vitali Rosati à l’issue de la présentation. 1) Il s’agit du même texte. En même temps il n’en est rien, puisqu’il avait été écrit pour être prononcé et ainsi éviter les ombres grillagées de l’article savant. Il s’agissait, au contraire d’une imposition, de donner le droit aux étudiants de tout réfléchir à travers leur mémoire, ou de réfléchir comme s’il allait être question de tout, et donc d’insuffler un certain goût de l’héroïsme à une aventure que tout réduit à l’avance, dans l’institution du savoir au Québec en 2014, à son inutilité et (ce qui revient au même, c’est-à-dire à l’utilité) à sa simple valeur de donnée à ajouter à son curriculum vitae. « On a fait ou on n’a pas fait un mémoire » où « on » est un futur candidat à l’obtention d’un poste. Rien dans l’expérience d’écriture ne se retrouve dans cette alternative. J’aimerais que ce texte, très général, soit lu comme exposant l’évènement de l’écriture comme ouverture du cercle vicieux de la valeur, et non pas comme exposant mon expérience comme valeur exemplaire, ou comme versant au compte de la littérature toute la mission d’une université où les sciences et d’autres pensées, aussi, veillent et cherchent. 2) J’ajoute ici et là des notes pour préciser des éléments de contexte qui n’avaient pas à être explicités devant les étudiants. 3) S’ajoutent également quelques réflexions déterminées par les questions posées par les étudiants et les professeurs réunis pour la séance, qui participent pleinement à l’évènement de ce texte prononcé le 4 décembre, malgré qu’il n’y ait dans ce nouveau texte rien comme une transcription des échanges, puisque je ne savais pas à ce moment-là qu’il y aurait , ici, un compte-rendu possible. 4) Le présent titre n’est pas le titre de la présentation, je me suis permis de le changer parce que je ne me souviens pas si j’ai bel et bien prononcé le premier titre le 4 décembre, « Écrire, penser rendre – un mémoire », qui était resté sur mon document comme la question que je m’étais adressée pour écrire le texte, et non pas comme son titre. Maintenant que cette question du titre survient, après coup, je témoigne qu’il y a eu un moment comique tout de suite après la fin de cette présentation, quand on m’a demandé de glisser un mot sur ce dont je devais parler et qu’au final j’avais esquivé : mon mémoire. Je n’arrivais pas à me souvenir du titre. Petite réflexion, alors, en guise de conclusion de cette introduction, sur le titre que je n’avais pas davantage pour mon mémoire que je ne l’ai pour être autorisé à discourir : le titre a plus d’importance quand on ne connaît pas ce dont il est le titre, ou celui qui l’emprunte… Comme mes collègues étudiants jaugeant leur corpus, je cherchais à quel titre parler.
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[2]
Professeure au Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal, responsable avec Karim Larose et Marcello Vitali-Rosati du Séminaire collectif de maîtrise. C’est un séminaire d’une durée d’un an où les étudiants planifient la rédaction de leur mémoire, réfléchissent à leur méthode de travail et présentent tour à tour leur projet de recherche et/ou de création au groupe. Il est de coutume que ce séminaire reçoive, lors de la session d’automne, d’anciens étudiants du département qui viennent témoigner de leur expérience de rédaction. Nous étions quatre cette année, parmi lesquels j’étais le seul à avoir écrit un mémoire en recherche-création, et j’ai été invité à ouvrir la séance.
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[3]
Une question de Karim Larose portait sur cette idée du piège et sur les moyens de l’éviter. J’ai répondu un peu simplement qu’il s’agissait d’abord de prendre conscience du piège, de le désigner ou de le définir pour en être en partie sauvé, ou pour se remettre à avancer. Cette réponse est insuffisante et je n’ai pas trouvé le courage de répondre qu’on ne se débarrasse pas du passé, ni du piège ni du médicament (il y avait déjà assez d’étrange suspens dans la salle où je venais de parler de douleur alors que j’aurais dû parler une langue plus rassurante). C’est une des difficultés majeures d’une pensée de l’expérience que de nous forcer au réel – et le réel ne laisse rien de ce qu’il a trouvé. Ce n’est pas une pensée tragique, ou une pensée du tragique, bien que le tragique puisse s’y penser. Il faut faire avec le piège même si, ou mieux, même après qu’on l’a désamorcé.
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[4]
Peut-être d’ailleurs ce texte en est-il encore un symptôme, par exemple dans cette idée de renvoyer à Lacan plutôt qu’à un texte légitimement littéraire. Par exemple Borges : « Au paradis Aurélien apprit que pour l’insondable divinité lui et Jean de Pannonie étaient une même personne. » (Chute de la nouvelle « Les théologiens », dans l’Aleph, traduction L-F-Durand) Les deux théologiens se donnent au combat contre l’hérésie, jugent jalousement leur orthodoxie respective, et finissent sur le bûcher. Ont-ils choisi leur combat, ou le combat s’est-il emparé d’eux ? Je crains maintenant d’avoir envoyé lire Lacan : tant mieux pour ceux qui iront le lire, et en apprendre quelque chose sur le geste de lecture, tant pis pour ceux qui iront lui demander raison.
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[5]
Ajouté le 4 décembre, en désignant d’un geste des bras des piles de livres concurrentes : « d’un côté et de l’autre de votre ordinateur portable ». Le premier étudiant à intervenir, Jean-François Thériault, a renchéri avec cette idée que les lectures qui sont faites pendant le processus de rédaction doivent être considérées comme des gains, même si elles n’apparaissent pas dans la bibliographie. Pour ce que mon autorité vaut, et justement peut-être parce qu’elle ne vaut rien, je ne saurais approuver avec plus d’empressement. Il faut lire, le plus souvent possible, comme on lit lorsqu’on lit vraiment, lorsqu’on lit en direction de la vérité, même si un éclat seulement en paraîtra dans le mémoire déposé. Il ne s’agit pas de sanctifier chaque texte, ni de refuser la hiérarchie, ni de sublimer son regard critique, mais de se donner le droit de pousser plus loin que son « champ » la question choisie, par exemple de la sacralité, de l’archive, du sublime. Non pas pour faire triompher quelque chose comme la subjectivité, ou pour asseoir enfin la textualité du monde (il se relèvera bien assez tôt), mais parce que potentiel d’invention et potentiel de lecture se présupposent.
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[6]
Base de données des bibliothèques de l’Université de Montréal.
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[7]
Cette phrase semble avoir fait plaisir, le 4 décembre, peut-être comme un rayon de soleil perçant le nuage de ce sombre exposé. J’apprécie qu’elle ait été reprise, j’en dois la prégnance pour moi à une lecture récente de Cortázar. Je note cependant que de la formule proposée le 4 décembre, on se souvenait surtout du « jeu vivant », je prends donc le temps d’insister ici sur le corps, indice ici pour autre chose, « ça », ce qui manifeste que les mots et les choses sont indéniablement liées, même et surtout lorsqu’on le (dé)nie. Ce n’est pas un jeu de l’esprit, à moins de penser ce que « l’esprit » veut oublier du corps, et comment il entreprend cet oubli actif ; pourquoi il joue. Entendu souvent, de la bouche d’étudiants en rédaction, mais aussi de celles de tant de travailleurs de notre époque : « mon corps m’a dit que ça n’avait plus aucun sens, que je devais l’écouter », variante : « m’écouter ». Je ne veux pas moquer cette phrase, comme toutes les phrases elle peut décider, être décisive. Je voudrais seulement la donner à lire : le corps parle, il parle d’un sens, et il en parle à nous. Répéter encore que le jeu de la parole n’est pas vivant et que les mots sont absolument extérieurs au corps ? Pourquoi pas. L’étudiant comme la cité, le corps comme le discours social peuvent jouer longtemps à ne pas s’écouter parler.
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[8]
Dernier commentaire après-coup sur l’institution, dont il a été question en réponse à une question pressante de Ginette Michaud : pourquoi, après ce mémoire dont vous insistez sur la difficulté, poursuivre des études doctorales ? J’ai évoqué sur le chemin vers le local de classe, suite à une remarque de Marcello Vitali-Rosati au sujet de la difficulté du premier mot d’un nouveau texte, cette idée de malédiction dont l’étymologie est si apparente. Mal dit, le premier mot est le tranchant de ce qui a été dit - et dont il faut maintenant souffrir à chaque pas ? Oui et non. 1) en ce qui concerne la rédaction : maudit soit le premier mot, ce n’est sans doute pas une chose à dire à des étudiants qui s’apprêtent à écrire un mémoire, à moins de les condamner au silence hébété ; mais dans une autre optique (disons, pour sauver le monde d’une rhétorique usée du Verbe qui l’aurait fait), oui, parce que s’il y a malédiction de l’étymologie, il y a référent, ce qui a été mal dit et qui à travers le mot traître annonce son retour. La difficulté d’être juste à la fois avec le monde, avec le texte lu et avec le texte écrit peut être énergisante et vitale. 2) en ce qui concerne l’institution : il faut répéter qu’il y a dans l’université, dans le terme université, la malédiction d’un retour harassant de l’universel au cœur de notre société du savoir pressurisé. J’ai rappelé à cet effet dans le cours et je rappelle ici, après que d’autres l’ont appelée, la malléabilité relative de toute institution, qui comme le mot ou le jeu peut reprendre vie lorsque son sens est investi.
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[9]
La phrase est attribuée, et je l’ai spécifié le 4 décembre, au Diable, dans le petit morceau qui porte son nom, L’heure du Diable, publié de façon posthume comme l’essentiel de l’œuvre de Pessoa. Traduction Druais-Sesé.
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[10]
J’ai menti car voici encore un commentaire, le dernier et qui aurait dû être le premier, sur la chance que peut représenter la rédaction d’un mémoire en littérature à l’université : rencontrer un vrai lecteur, dans mon cas une lectrice, Catherine Mavrikakis. Robert Lévesque, lors du lancement d’un recueil de textes de Jean-Pierre Issenhuth le jeudi 11 décembre, à la librairie Gallimard, a insisté sur ce secret essentiel de l’écrivain : il s’adresse sciemment à quelqu’un de plus intelligent que lui. Ni l’hystérique, ni le maître, ni l’analyste, ni l’universitaire lacaniens n’ont ce privilège.