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Le réveil du pourtour méditerranéen est avant tout politique : les peuples ont osé se rebeller contre leurs gouvernements et ont parfois payé le prix fort pour se libérer de leurs vieux tyrans. Cette libération n’est pas finie, à l’image du régime syrien dont la chute est inéluctable après la perte de crédibilité morale et politique. Certains pays effectuent leur transition non sans difficultés comme l’Égypte où la révolution n’est pas achevée puisque l’armée est en train de s’arroger le monopole politique de la transition avec des anciens fidèles du président Mubarak déchu. Les pays du pourtour méditerranéen sont en train de se réinventer une souveraineté et c’est cela qu’il faut accompagner pour que le printemps arabe ne soit pas qu’un épisode de révoltes. Le 23 novembre, l’Université de Stockholm a accueilli, à l’initiative du parti social-démocrate suédois et du centre international Olof Palme, des représentants des mouvements de libération des pays arabes. Étaient présents Wahid Qarmash (Commission jordanienne pour la culture démocratique), Nabeel Shaath (Commission des affaires étrangères du Fatah), Ayat Mneina (représentante du mouvement de la jeune Lybie), Ghias Aljundi (journaliste et militant des droits de l’homme en Syrie) et Hassan Al Dahhan (militant du mouvement du 6 avril en Égypte). Les échanges, qui ont eu lieu en anglais et en arabe, ont permis de faire sentir l’ampleur des changements traversés par ces différentes sociétés. Ce qui frappe dans l’évocation des événements du printemps arabe, c’est le rythme de la transformation de ces sociétés. Plus fondamentalement, le printemps arabe est habité par une véritable poétique. La poétique est liée à l’éthique (manière de se comporter) et à la politique (manière dont les collectifs reconfigurent leur relation au pouvoir). La poétique est à entendre au sens d’Henri Meschonnic d’activité de création et de transformation du monde[1].
Cette formidable libération de la parole à travers les blogs, les réseaux sociaux et les témoignages, a imprimé un rythme à cette révolution. Oser parler, oser dénoncer sont des actes absolument nécessaires pour affirmer une éthique et déconstruire les fondements des régimes dictatoriaux sans légitimité. En d’autres termes, retrouver le rythme de la parole est essentiel pour faire éclater les « mots gelés »[2] des idéologies, des visions du monde inadaptées et réarrangées en fonction des intérêts de tel ou tel groupe social. La Syrie est entrée dans une phase de transition, le défi étant de contribuer à isoler ce régime inhumain en évitant pour autant des représailles qui seraient terribles pour les populations. Aussi les transformations du pourtour méditerranéen sont-elles à apprécier au regard de la crise des sociétés européennes qui risquent de céder la place à des gouvernements technocratiques de moins en moins légitimes. Ce piège technocratique invite à reconsidérer le printemps arabe non pas comme une libération tardive, mais comme un ensemble d’événements précurseurs pour les sociétés européennes.