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Alors que les formations politiques se préparent à entrer en compétition à l’occasion des élections présidentielles, les observateurs peuvent raisonnablement s’attendre à voir fleurir les comparaisons internationales. En effet, l’exercice de la comparaison est un élément essentiel dans la construction puis l’introduction dans l’agenda politique de problèmes sociaux. L’État lui-même ne procède pas autrement lorsqu’il confie au conseil d’analyse économique la tâche de s’essayer à l’art délicat de la prospective ou de l’évaluation.
Interroger les institutions sociales permet de remettre en question les prénotions et les préjugés. Il est ainsi indispensable de faire ressortir les spécificités de certaines institutions sociales françaises en les confrontant à des institutions étrangères. A titre d’exemple, la faiblesse du taux d’emploi français – qui se situe à 62 % alors qu’il est de 67 % en Allemagne, de 74 % au Royaume-Uni et de 75 % en Suède – est autant la résultante de la spécificité des institutions sociales françaises qu’un effet de la mondialisation de l’économie. En effet, les réorganisations des entreprises imposées par la concurrence internationale évoluent selon les pays[1]. La société française a ainsi fait le choix de privilégier l’allongement des études ainsi que le recours aux dispositifs de préretraite ou de sortie d’activité avec dispense de recherche d’emploi pour ajuster la main d’œuvre aux besoins. Toutefois ce choix a pour corollaire la réduction de l’assiette de perception des cotisations sociales des salariés qui accentue la pression sur les finances publiques.
Il est tout autant légitime – bien que la pratique soit moins courante – de relativiser la singularité de certains phénomènes sociaux qui se déploient dans notre pays. Ainsi, la France ne détient pas le monopole des problématiques liées à la présence de populations d’origine étrangère sur son territoire. La société française n’est pas non plus la seule à ressentir une forme d’impatience à l’égard de phénomènes d’intégration qui se déploient sur des temporalités plus longues que celles des consultations électorales. La montée des forces politiques xénophobes dans des sociétés traditionnellement libérales comme les Pays-Bas, la Norvège ou la Suède témoigne d’une appréhension commune à l’égard de la dynamique d’intégration. Cette mise en perspective permet de bousculer certaines prénotions que les entrepreneurs politiques essaient de promouvoir dans l’espace public français. Les interrogations continues sur l’identité nationale ou la laïcité nourrissent ainsi la crainte d’une altérité radicale des populations de confession musulmanes. Cette dernière proviendrait notamment de l’incompatibilité postulée des valeurs prônées par les musulmans avec celles de leur espace d’inclusion social. Aussi, 80 citoyens français de confession musulmane ont souhaité lancer un appel intitulé « Musulmans citoyens pour les droits des femmes[2] » à l’occasion de la journée de la femme afin de contester l’équivalence posée entre confession musulmane et négation de l’égalité des sexes.
Il serait en revanche téméraire de s’essayer à la transposition directe de modèles étrangers dont les normes sociales ne sont pas maîtrisées. La recherche de la solution universelle dans un modèle étranger est une quête illusoire quelle que soit l’aire géographique considérée. L’échec des politiques clé en main promues par le FMI ou la Banque mondiale et dénoncées notamment par Joseph Stiglitz constitue à cet égard une excellente illustration des limites de cette approche[3]. La volonté d’importer directement un modèle socio-économique qu’il soit anglo-saxon, rhénan ou nordique se heurte toujours aux normes juridiques, usages et aux autres institutions qui singularisent chaque société. Il convient de se garder de penser que la comparaison vaut raison et que la solution viendra de la mise en abîme. En effet, la vertu de la comparaison réside dans sa capacité à révéler les problèmes plus qu’à y répondre. En ce sens, la comparaison n’est pas déraison…
Appendices
Notes
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[1]
Cf. notamment Bernard Gazier, « Le rôle des politiques actives de l’emploi dans les restructurations », in Peter Auer, Geneviève Besse, Dominique Meda (sous la dir. de), Délocalisations, normes du travail et politique d’emploi. Vers une mondialisation plus juste ?, La Découverte, Paris, 2005.
- [2]
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[3]
Cf. Joseph Stiglitz, La grande désillusion, Fayard, Paris, 2002, p. 64. Il est à noter que l’auteur concentre ses critiques sur le FMI en sa qualité d’ancien premier vice-président et économiste en chef de la Banque mondiale.