Abstracts
Résumé
Nous sommes en période électorale en Colombie et le candidat du parti qui détient actuellement le pouvoir est donné gagnant. Jaime Wilches analyse dans son article le débat politique qui a eu lieu avant le premier tour du 30 mai, en montrant du doigt les manipulations qu’il a subi. Au centre du non-dit, le problème du phénomène paramilitaire et le processus de démobilisation des AUC affiché comme un succès par le président sortant Alvaro Uribe. L’auteur appelle alors de ses vœux un débat approfondi sur les politiques qui seraient mises en place à ce sujet par le nouveau président. Pour ce faire il essaye de donner les clés d’analyse aux candidats du second tour en décortiquant les discours des partis qui se disputaient sur l’arène politique avant le 30 mai. Le deuxième tour aura lieu le 20 juin…
Zusammenfassung
Estamos en época electoral en Colombia y el candidato del partido oficialista es dado como ganador. Jaime Wilches analiza en su articulo el debate politico que se produjo antes de la primera vuelta del 30 de mayo mostrando las manipulaciones de las cuales fue objeto. El gran ausente en los debates es el tema del fenomeno paramilitar y el proceso de desmobilizacion de las AUC que Alvaro Uribe, el presidente actual, se esmera por hacer ver como exitoso. El autor hace un llamado para que en el debate hacia la segunda vuelta emerja la problematica paramilitar y asi poder excuchar a los candidatos sobre las soluciones que darian a dicho fénomeno durante su gobierno. Para incitar al debate, Wilches analiza los discursos de los diferentes partidos politicos que se disputaron la primera vuelta. La segunda vuelta es el 20 de junio…
Article body
Au moment de la clôture de la campagne électorale le gouvernement sortant est donné gagnant. Les candidats craignent de contredire les thèses qui recueillent 70% d’adhésion et passent sous silence des problèmes de taille lors des débats. Le paramilitarisme est l’un des sujets qui n’est pas sorti dans la tombola des questions.
L’usage rhétorique du mot « expression »
Le débat du 18 avril dernier étant achevé, les candidats qui aspiraient à la Présidence de la Colombie regrettaient que le matraquage des sondages l’emporte sur le débat d’idées. Mais après une heure de questions-réponses, ils ont consacré leurs temps de parole à rabâcher leurs consignes de campagne et à suivre le livret de leurs assistants... « tu dois sourire plus, ne mêle pas la philosophie à tes réponses, ne regarde pas autant les caméras, ne cries pas, si on s’en prend à toi ne réponds pas... ».
Même si cela n’implique pas qu’il y ait plus de démocratie ou de pluralité, ces élections ont bénéficié d’une large couverture, jusqu’à l’écœurement. Des centaines de moyens de communication, blogs, réseaux sociaux (même au niveau international) publient au quotidien les activités des candidats : ce qu’ils pensent de l’économie, de la politique, de l’écologie, de la religion, des sports, et tout ceci s’ajoute aux « touches de couleur » où l’on donne à voir l’enfant qu’ils ont serré dans leurs bras, le groupe artistique avec lequel ils ont dansé ou le Sancocho[1] qu’ils ont dégusté dans un village.
Le problème réside dans le côté ingénu (apparent ou réel, je ne sais pas) des candidats, qui considèrent que le débat d’idées doit se produire à travers les moyens de communication, lorsque ni aux États-Unis, ni en France, ni au Chili (qui se vantent d’être des démocraties solides) les idées ne réussissent à l’emporter sur la guerre au « coup » et à la séduction produits par un geste opportun ou une parole chargée d’émotion.
Impossible de nier les vertus politiques d’Obama, qui auraient été insuffisantes si la campagne d’Internet n’avait pas joué sur le sentimentalisme des citoyens du monde sans droit de vote, mais qui se sont ralliés à la cause de l’espoir (Hope for a change). Le président français, Nicolas Sarkozy, a négocié les hauts et les bas de son gouvernement avec des interventions médiatiques qui allient la main de fer clientéliste de ses politiques gouvernementales à la fascination que suscite dans la société française une première dame artiste, audacieuse et rebelle. Et au Chili, le récemment élu Sebastian Pinera remporte son élection parce que les gens lui sont reconnaissants de sa sincérité lorsqu’il a déclaré publiquement l’étendue de son immense fortune, même s’il n’a pas démontré clairement l’influence de son nouveau poste dans le développement de ses affaires.
Nous pouvons continuer à invoquer la lutte d’idées, mais à vrai dire très peu d’élections sont remportées en y ayant recours, d’où le mécontentement des candidats lorsque les médias ne tiennent pas compte d’eux, car ils savent que la tombola de l’émotion peut jouer en leur faveur à tout moment. Bien sûr les perdants se plaignent, non pas tant des sondages, mais de ce que leur message n’a pas eu la seconde de gloire nécessaire à leur donner un bon pourcentage.
À partir de 1990, les élections présidentielles en Colombie ont été marquées par le spectacle de dernière minute qui relègue les débat d’idées à l’état d’archive bonne à répertorier ceux qui auraient pu être et n’ont pas été. C’est pourquoi les drapeaux du libéralisme repris en main par Gaviria, le surdimensionnement de Samper victime de la violence, la rencontre entre Pastrana et Tirofijo, et l’antifarc de Uribe I et II ont fait partie de la collection des instants clés pour atteindre la Casa de Narinho[2].
Aujourd’hui le candidat révélation de ces élections est en bonne position parce qu’il a compris les erreurs commises il y a quatre ans et qu’il s’est préparé pour provoquer l’émotion au bon moment. Nombreux sont les secteurs sociaux et politiques qui lui reprochent la simplicité de ses idées (et ils n’ont pas tort, car ce qu’il proposait quatre ans en arrière était plus consistant), mais aucun de ses concurrents n’ose dire qu’ils auraient aimé avoir cette même opportunité, et d’autres, plus réfléchis, doivent se demander comment provoquer ce même coup en 2014. L’histoire de l’émotivité continuera à s’écrire, même si trente débats télévisés par jour sont diffusés car, comme l’affirme Lipovetsky :
« ... chacun veut dire quelque chose à partir de son expérience intime, nous pouvons tous être locuteurs et être entendus... plus grands sont les moyens d’expression, moins on a de choses à dire, plus on fait appel à la subjectivité, plus anonyme et vide est l’effet. Paradoxe encore renforcé du fait que personne au fond n’est intéressée par cette profusion d’expression, à une exception importante près : l’émetteur ou le créateur lui-même. C’est ça précisément le narcissisme, l’expression gratuite, la primauté de l’acte de communication sur la nature de ce qui est communiqué...[3] »
La cohérence et la rhétorique
Même si ma thèse, en rien novatrice, invite à sortir de l’ingénuité et à penser que sans émotion on ne gagne pas des élections, le propos de cet article vise la préoccupation que fait naître en moi (comme sans doute dans beaucoup de secteurs sociaux) la façon dont des sujets de taille passent inaperçus. Et l’on revient à l’idée communément partagée que c’est un gouvernant (différent) qui apportera des solutions aux problèmes que nous avons nous-mêmes légitimés ou critiqués des années durant.
La semaine dernière déjà, dans Razon Publica, Dario Fajardo, Rocio Londono et Medofilo Medina attiraient l’attention sur un problème qui est peut-être l’un des plus complexes du pays : le problème du pays rural et du pays urbain, que les candidats ont abordé avec des propositions peu novatrices, si l’on s’en tient aux réponses... Nous avons besoin d’une politique intégrale ; Nous avons besoin de reformuler la politique ; Nous allons y travailler d’arrache pied (bis). Réponses vides qui n’ont pas l’excuse de ne pas avoir été entendues car les débats télévisés ont permis aux candidats des facilités de temps qu’ils ont gaspillées à affiner des discours qui confondent le plus souvent cohérence avec rhétorique. Ainsi, le grand gagnant est le gouvernement sortant qui a fourni les thèmes, les scandales et les disputes internationales pour placer les candidats dans une marge d’erreur étroite, car celui qui voudrait sortir de la continuité est condamné à faire moins de dix points dans les sondages. Les candidats, imprudents ont succombé aux questions habilement formulées pas les journalistes aboutissant à une spirale de soutien aux politiques gouvernementales et aux appuis diplomatiques.
Paramilitarisme, celui qui ne dit mot consent
Une des questions que le gouvernement a réussi à neutraliser dans le débat est celui du paramilitarisme, en présentant comme un succès la démobilisation de 31 000 combattants et l’extradition des chefs des autodéfenses[4].
La réaction opportune des secteurs académiques et sociaux face à ce « succès » a maintenu la question dans une certaine actualité au long des deux dernières années, avec la publication de rapports et d’investigations qui dénoncent la poursuite des actions armées de la part des groupes paramilitaires, la poursuite de la main mise du narcotrafic dans les affaires, et l’absence de la vérité dans le procès d’extradition.
Cependant, le gouvernement a su neutraliser ces critiques en usant d’une stratégie sémantique dans laquelle il réussit à dire qu’aujourd’hui il n’y a plus de paramilitarisme mais des bandes délinquantes, émergentes ou réarmées, que le narco trafic est un problème de mafias et que la vérité peut être compensée par la réparation aux victimes par voie administrative. La Commission Nationale de Réparation et de Réconciliation (CNRR) a publié un document qui essaye de différencier les objectifs du paramilitarisme d’autres manifestations délinquantes. Car, selon elle, si avant on disait que les « paras » avaient une connivence avec l’État, actuellement il est clair que l’appareil étatique désavoue les expressions criminelles qui ont surgi à travers l’activité de membres des autodéfenses, hostiles ou réticents face au processus de démobilisation[5]. Dans cette optique, la Commission présente un tableau comparatif entre les groupes illégaux qui ont surgi après la démobilisation :
Dissidents
Réarmés
Émergents
1. Groupes qui ont appartenu aux AUC et qui ne se sont pas démobilisés pour ne pas entrer dans le processus de négociation.
2. Groupes qui ont fait partie du processus et qui finalement ne se sont pas démobilisés.
3. Fractions de régiments démobilisés qui ne se sont pas démobilisés.
Personnes et groupes de personnes démobilisés qui récidivent dans des activités en relation avec le crime organisé, narco trafic et délinquance commune, soit à travers de groupes déjà existants ou par la conformation de nouveaux groupes.
1. Groupes qui ont existé et dont la visibilité était minimisée par l’existence des AUC.
2. Groupes qui se sont constitués après la démobilisation des AUC.
Ces noyaux ont profité des divers vides du pouvoir territorial laissés pas les AUC après leur démobilisation.
Source : Groupe de Travail de DDR-CNRR[6]
La CNRR peut jouer un tour à la sémantique avec des tableaux comparatifs qui rendent compte des différences entre un paramilitaire, un démobilisé, un émergent, un dissident et un réarmé et justifier ainsi l’idée qu’un paramilitaire n’est plus paramilitaire mais un délinquant de droit commun. La vision unilatérale et capricieuse de cette perspective conduit non seulement à neutraliser toute question ou proposition dans le débat électoral, mais aussi à paraphraser la réflexion qui suit :
« S’agit-il de réussir à dépasser le paramilitarisme comme phénomène historique et structurel ou, plutôt, de réussir seulement la démobilisation et la réinsertion des AUC, une de ses expressions militaires spécifiques ? Sans doute, réussir le désarmement de tout groupe est positif. Mais comme on l’a dit au début, la question fondamentale n’est pas la démobilisation des AUC, mais le démantèlement du paramilitarisme comme phénomène récurrent lié à notre système politique. »[7]
En passant le profil bas
Les candidats ne parlent pas de la question et la confondent avec d’autres problématiques liées, certes, mais qui ôtent du poids et de la complexité aux implications d’une politique qu’on admet communément comme ayant du succès. Cependant, comme le démontrent les faits, elle va devenir un casse-tête dans les années à venir.
- Le candidat issu du gouvernement actuel propose la Prospérité Démocratique[8] comme une façon de consolider la sécurité militaire mais avec une omission criante des formes de violence différentes de celles combattues dans la Politique de sécurité démocratique[9].
- De son côté le candidat du Parti Vert va plus loin dans l’identification du problème comme une absence de la culture du respect des normes. Mais sa proposition demeure limitée en ne comprenant pas que ce que le paramilitarisme a fait (comme le trafic de drogues) c’est précisément de s’articuler au monde légal, comme l’a démontré Convergence Citoyenne[10], aujourd’hui transformé en Parti d’Intégration National (PIN).
- Le candidat du Pôle Démocratique fait aussi un effort qualitatif d’analyse lorsqu’il reconnaît que le problème de la terre monopolisée par les mafias (et soutenues par les paras) s’est traduit par l’iniquité et l’injustice sociale. Mais sa proposition ignore ou fait de la société une victime, sans tenir compte des secteurs sociaux (sans distinction de classe) qui ont accepté et légitimé le paramilitarisme comme forme de construction et/ou d’imposition de l’ordre social.
- Le candidat du Libéralisme propose réparation pour les victimes, mais oublie le pouvoir social et militaire qu’exercent encore les forces paramilitaires dans plusieurs régions du pays.
- La candidate du Parti Conservateur et le candidat de Changement Radical en harmonie (logique) avec le candidat de la continuité, réduisent le problème à une augmentation de la capacité de guerre et à l’identification de la subversion comme la seule expression de la violence en Colombie.
En somme, aucun des candidats n’a proposé, même de façon rhétorique, un changement de cap de la politique de démobilisation paramilitaire, ce qui conduit à un une vision pessimiste du traitement de cette question durant les quatre ans - voir huit - à venir. Cet écrit prétend être un appel pour que soit que cette question soit débattue, dans l’espoir de la voir abordée lors du second tour de l’élection présidentielle.
Propositions pour la réflexion
Sans solution miracle pour le règlement du problème paramilitaire en Colombie, cette réflexion invite à questionner leurs actes violents, mais aussi à reconnaître leurs pratiques de communication, lesquelles sont encore en vigueur dans une grande partie des dynamiques culturelles de la société colombienne. L’argument central que je veux soumettre à la discussion des lecteurs est le suivant :
Le gouvernement sortant a insisté sur la démobilisation des combattants. Ceci n’a pas signifié la démobilisation des pratiques sociales et politiques qui ont alimenté le phénomène paramilitaire en Colombie, et, au contraire, ont immobilisé des processus de vérité, justice et réparation, et des débats de fond dans les campagnes des candidats à la présidence. C’est pourquoi il est nécessaire de proposer une politique à laquelle participent les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires, et ce que les chercheurs en sciences sociales appellent la société civile.
Même si cela semble évident, il est pertinent de souligner que le paramilitarisme ne commence pas avec la visibilité de ses structures organisatrices, et ne finira pas avec leur processus de démobilisation et de réinsertion dans la société civile[11]. Au début des négociations, le phénomène paramilitaire était déjà trop développé. Ses dynamiques étaient enracinées dans les fonctionnements locaux de plusieurs régions du pays, dans les conceptions idéologiques et dans les comportements quotidiens. Elles avaient des trajectoires historiques complexes qui ont souvent défié la causalité des faits et ont durci le conflit armé dont les origines ne sont pas assez mises en lumière.
Certains analystes (prenant souvent appui sur les justifications des leaders paramilitaires) ont signalé l’absence totale ou partielle de l’appareil étatique, ou de la pression des groupes de guérilla comme acteurs du problème et cause de l’apparition de groupes de civils qui ont pris les armes pour faire justice par leurs propres moyens.
D’autres, (prenant appui sur les moralisations venues de et adressées aux leaders paramilitaires) ont parlé de la « Paramilitarisation de la société » ou de l’instauration d’une « Culture Mafieuse » comme faisant partie du processus de décomposition sociale et d’altération sur l’échelle de valeurs du citoyen moyen.
Cependant, jusqu’à présent, ni les causes ni les conséquences n’ont été suffisantes pour expliquer et comprendre la continuité dans le temps et dans l’espace de ce phénomène armé car :
1. Les justifications ne sont pas solides puisque la structure étatique n’a pas été absente dans toutes les régions du pays, du moins physiquement. En effet, des postes de police, des mairies et autres institutions n’étaient pas invisibles dans l’ensemble social et on a prouvé, à plusieurs reprises, la complicité entre agents de l’État et forces d’autodéfense.
2. L’apparition de la guérilla n’est pas une raison suffisante, car de nombreuses victimes font partie de la société civile et les affrontements directs entre Farc et Auc n’ont pas désigné un gagnant. Elles ont plutôt abouti à une répartition du pays, dans le nord les paramilitaires et dans le sud la guérilla.
3. De la même façon, parler de « Paramilitarisation de la société ou de la culture mafieuse » implique d’affirmer que le paramilitarisme est un virus qui provient d’un acteur exceptionnel qui a contaminé la société et de pratiques illégales préexistantes (drogues, accumulation des terres, répression armée).
Difficile de ne pas être interpellé par la lettre de remerciement d’un groupe d’autodéfense[12] :
LE MOUVEMENT NATIONAL DE PRISONNIERS POLITIQUES ET DE DEMOBILISES DES AUTODEFENSES PAYSANNES, face à la grande enquête publiée par la revue Semana, se permet de formuler quelques réflexions concernant ce sondage national d’opinion :
- Les critiques incisives de certains secteurs d’opinion contre le processus de paix avec l’organisation des Autodéfenses Paysannes, ont été mises à l’écart face à l’écrasante acceptation et à l’appui du peuple colombien, qui nous exprime son soutien dans la recherche de la vérité, la rectification du chemin et la réconciliation nationale.
- Les résultats du sondage révèlent la réaction répandue du peuple colombien, qui garde bonne mémoire et estime à sa juste valeur notre rôle tant dans la guerre que dans les processus de désarmement et de démobilisation dont l’ampleur et la transcendance n’ont pas d’antécédents dans les fastes de l’Histoire.
Dans ce cadre, qui est à la fois très et peu conjoncturel, les candidats omettent de se référer aux simplifications qui visent ce qu’on appelle fin du paramilitarisme en Colombie et se contentent de proposer :
- La démobilisation des paramilitaires, ce qui a l’avantage d’en finir avec les bras armés. Ce pas est nécessaire mais précaire, car on démobilise les corps mais non pas les esprits.
- La criminalisation des opposants des paramilitaires, avec un discours qui vise à signaler les personnes et non pas à analyser les possibilités d’ouvrir des espaces à d’autres façons de concevoir l’ordre social.
- Le jugement des leaders paramilitaires - une solution logique du point de vue juridique, mais insuffisante pour une transformation sociale, car elle se limite à condamner quelques individus qui seront rapidement remplacés par d’autres qui continueront à capter les dynamiques acceptées omises ou passées sous silence à partir du système social.
- La préférence du moindre mal, ce qui constitue la coresponsabilité d’une société qui, avec ou sans volonté, a choisi un ennemi comme la cause des maux du pays, mais qui en même temps n’a pas été gênée de cohabiter avec les actions légales ou illégales, répressives ou violentes qui s’accommodent le mieux à leur façon d’être et de penser.
- Les manifestations publiques contre les expressions des autodéfenses ou de la subversion, ce qui aide les revendications de la protestation sociale mais n’a pas évolué vers une réflexion sociale. Celle-ci pourrait cependant transformer les pratiques de communication, valables dans une niche sociale qui supporte l’action armée, mais qui cohabite aussi avec la violence symbolique et structurelle d’un pays qui traite superficiellement les points les plus lourds de sa problématique.
Et le discours Para ?
Face au court-circuitage de la campagne présidentielle, les processus sociaux souffrent des dommages irréparables et peu de choses peuvent être faites pour garder les yeux ouverts sur la reproduction des groupes paramilitaires dans les domaines sociaux, politiques et économiques ; puisque tant les acteurs armés que les bases sociales n’ont pas besoin de la sémantique gouvernementale ni de la technique juridique pour construire leur vie quotidienne. Cet article a l’intention de poser les questions sur le besoin de penser les groupes paramilitaires comme des acteurs protagonistes dans l’histoire de la Colombie et comme partie du problème qui doit être assumé par le prochain président avec l’appui des citoyens. Durant les moments d’euphorie on ignorera l’existence de ces acteurs, mais après les ballons et les serpentins, l’équipe gouvernementale devra dépasser les explications qui les présentent comme un problème de légalité, sécurité, mafias, équité sociale ou subversion.
Si on persiste à exclure ou taire cette question par peur des retombées électorales, on contribue à ignorer le caractère caméléonien, persuasif, intimidant et séducteur du discours paramilitaire qui s’est greffé sur les dynamiques d’une société qui nourrit son projet de nation de symboles fragiles et émotifs et de leaders qui profitent de leur quart d’heure selon la suggestion d’Andy Warhol. Une proposition pour trouver d’autres pistes consiste dans le dépassement de l’idée que les paramilitaires sont des monstres ou des figures exceptionnelles du système politique colombien. Au contraire, les paramilitaires sont des Colombiens en chair et en os qui font partie de l’interaction sociale et qui, en relation avec leurs pratiques quotidiennes, ont centré leurs intérêts autour des besoins et des peurs de la société civile, autant pour la protéger que pour lui faire du chantage.
Deux processus, une stratégie
Deux processus sont sous-jacents aux pratiques sociales:
Le premier c’est la capacité d’adaptation des paramilitaires, avec un grand avantage sur les institutions étatiques ou les groupes de guérilla, lorsqu’il s’agit de comprendre les situations conjoncturelles du pays et d’interpréter leurs mécanismes de gestion et d’organisation, ce qui implique un grand pouvoir de coercition à travers la répression et la communication.
Le second est le lien avec les besoins sociaux qui génèrent autorité, réputation et leadership, capacité d’adaptation, protagonisme constant dans la construction de la réalité et la définition des critères pour désigner ce qui est bon et ce qui est mauvais, ce qui selon Jorge Garay, a permis que :
« Lorsque les organisations augmentent l’efficacité de leurs pratiques, à partir de l’accumulation de l’apprentissage, alors elles atteignent un certain niveau de succès dans leurs buts (De Léon-Beltran y Salcedo-Albaràn, 2007) et, semble-t-il, ce fut le cas des organisations délictueuses en Colombie... c’est pourquoi, il est souvent nécessaire de se référer aux pratiques illégitimes qui ne sont pas nécessairement illégales. La participation d’organisations illégitimes ou illégales et le recours a différents procédés pour obtenir le pouvoir de cooptation, comme c’est le cas des accords peu transparents mais légaux, permet de supposer une capacité d’apprentissage chez les capteurs qui peut aboutir à une amélioration des mécanismes pour diminuer l’exposition pénale de façon plus efficace. »[13]
Ce qu’on prétend problématiser - au-delà d’une démonstration - c’est la caractérisation du paramilitarisme comme un acteur social qui construit des stratégies de communication lui permettant de gagner en légitimité sociale, reflétée moins dans une acceptation explicite de son expression armée, que dans le silence et l’approbation tacite de sa manière d’interpréter les conflits sociopolitiques du pays.
Leaders et processus
Les candidats ont la responsabilité politique mais nous autres citoyens devons relever le défi social de bâtir une réflexion sérieuse, critique et constructive qui dépasse la vision du paramilitarisme comme une affaire qu’on règle avec la neutralisation des corps. Malheureusement on ne parle pas de cette question car les médias et les candidats confondent le suivi de l’actualité avec la répétition de points de vue thématiques. Heureusement il existe des groupes sociaux et académiques qui n’ont pas laissé échapper la question sur le navire de l’indolence.
Peu importe qui remportera les élections présidentielles, le paramilitarisme restera latent, car il a su déjouer toutes sortes de styles de gouvernement. Le pas fondamental ne sera pas fait le 30 mai ou le 20 juin. Le pas décisif sera franchi lorsque notre société comprendra que les problèmes ne se résolvent pas avec des leaders qui additionnent les résultats, mais avec des processus sociaux qui se multiplient. Rêver de ce moment est difficile, trop. C’est pourquoi je ne voudrais pas découvrir dans quatre ans que le conte de Monterroso disait vrai:
Lorsqu’il s’est réveillé, le dinosaure était toujours là.
Appendices
Notes
-
[1]
Plat typique Colombien - NdT.
-
[2]
Palais présidentiel - NdT
-
[3]
Lipovetsky, Gilles. La Era del Vacio : ensayos sobre el individualismo contemporàneo. Barcelona : Anagrama, 1994. P. 14
-
[4]
La gestion du conflit armé colombien par le gouvernement d’Uribe s’est caractérisée par la reconnaissance des AUC (autodéfenses unis de Colombie) comme un groupe armé politique pouvant faire partie de négociations de paix et réconciliation en vue d’une intégration de ses membres dans la société civile. - NdT
-
[5]
Area de Desmobilizacion, Desarme y Reintegracion Comision Nacional de Reparacion y Reconciliacion. Disidentes, rearmados y emergentes : ?bandas criminales o tercera generacion paramilitar ? Bogotà : CNRR, 2007. P. 9
-
[6]
CNRR, ibid. P. 34
-
[7]
Garcia-Pena, Daniel. La relation de l’État colombien avec le phénomène paramilitaire : pour un éclaircissement historique. En Ravista Anàlisis Politico, N. 53. Bogotà : Institut d’Études Politiques et Relations internationales - IEPRI. P. 59
-
[8]
Slogan de l’actuel candidat à la présidence Santos
-
[9]
Slogan de l’administration d’Uribe - NdT
-
[10]
Parti politique d’appui au président Uribe qui s’est dissout suite au scandale de la parapolitique qui a affecté plusieurs de ses membres - NdT
-
[11]
Au cours des dernières années, le paramilitarisme a acquis une importance inhabituelle, car c’est un fait inédit qu’un groupe de droite intègre un processus de démobilisation et de réinsertion à la vie civile dans un pays qui a mis en place des négociations de paix avec des groupes de gauche. A ce sujet il est utile de lire : OROZCO, Ivàn. Reflexiones impertinentes sobre la memoria y el olvido, sobre el castigo y la violencia. RETTBERG, Angélica (comp.) Entre el Perdôn y el paredon. Preguntas y dilemas de la justicia transicional. Bogotà : Université des Andes, 2005
-
[12]
Grande enquête sur la parapolitique dans la Revista Semana, ed. 1305, 2007. Semana analyse l’enquête « Les résultats sont surprenants. Ni le paramilitarisme, ni la parapolitique n’ont produit une préoccupation de taille parmi les citoyens des villes étudiées. On constate aussi un groupe, proche du 25% qui a une évidente inclination pro-paramilitaire, ou qui, au moins, a une surprenante tolérance pour ce phénomène délictueux, comme si on considérait que face aux atrocités de la guérilla il ne faut pas être trop rigoureux avec les bavures de ceux qui l’ont attaqué en retour, ou comme s’il s’agissait d’éviter à tout prix que les dévoilements de la para-politique jette une ombre sur le redressement du pays ou la popularité du président Alvaro Uribe ». Le communiqué des autodéfenses a été publié par plusieurs médias le 28 mai 2007.
-
[13]
Garay, Luis Jorge (dir. Académique). La reconfiguration cooptée de l’État : Au-delà de l’idée traditionnelle de capture économique de l’État. Fondation Avina - Transparence pour la Colombie, 2008. p.63