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Si l’imbrication des rapports sociaux constitue un enjeu empirique et analytique que les sciences sociales reconnaissent comme majeur (Kergoat, 2012), celle qui lie spécifiquement nation, classe et race représente un défi particulier pour l’analyse des migrations ainsi que de l’articulation entre inégalités globales et inégalités locales. Dans la lignée de la pensée des « systèmes-monde » (Wallerstein, 1975), la théorisation de la « colonialité » (Quijano, 2000 ; Quijano, 2007) tisse des liens étroits entre ces trois rapports sociaux et conceptualise la race comme rouage de la division du monde et des échanges. Cette théorisation place la race au fondement des inégalités entre nations, mais aussi de la division mondiale du travail. Théorisée à l’échelon global, cette triade entre classe, race et nation est redéployée dans les contextes locaux et modulée par les migrations internationales. Abu Dhabi, émirat du Golfe à la démographie remarquablement façonnée par les migrations de main-d’oeuvre (Kapiszewski, 2001), constitue un espace d’observation privilégié de cette articulation.

Dans ce contexte migratoire, la nationalité détermine en grande partie la facilité d’accès aux visas et les conditions de séjour. Les catégories nationales sont centrales dans le fonctionnement d’une société marquée par une « division migratoire du travail » (Ewers et Dicce, 2016 ; Wills et al., 2009), qui restreint de façon rigoureuse l’accès à la citoyenneté émirienne et qui repose sur l’importation massive d’une force de travail étrangère pensée comme temporaire, selon le modèle du travailleur invité ou guest worker. Cette division du travail repose sur des réputations nationales parfois très spécifiques, appuyées par un management différencié des nationalités dans les mondes professionnels. Toutefois, certaines catégories nationales, notamment « indien » ou « pakistanais », peuvent également être utilisées de façon générique pour désigner des migrant·e·s dont il n’est pas certain que la nationalité administrative corresponde à celle que la perception des résident·e·s français·es leur assigne. Si cet amalgame rappelle la distance qui sépare les résident·e·s français·es des résident·e·s des Suds, il signale aussi que les termes « indien » et « pakistanais », dans le langage courant, se transforment fréquemment en synonymes d’« ouvrier ».

La nationalité occupe donc une position ambivalente dans les hiérarchies sociales, à la fois centrale et métonymique. Les catégories nationales peuvent dès lors être déconstruites en analysant les réseaux de significations, les systèmes de connotations et de synonymies dans lesquels elles s’inscrivent. Cet article explore la racialisation des groupes nationaux et des positions de classe dans la hiérarchie migratoire, en appréhendant celle-ci à la fois comme un cadre géopolitique informant les discours et pratiques de distinction et comme système local de division du travail. Il s’agit en d’autres termes d’interroger l’imbrication de rapports sociaux multiples dans la hiérarchie migratoire, en examinant notamment la façon dont l’appartenance aux classes supérieures interagit avec les frontières symboliques de l’occidentalité et de la blanchité. La littérature a décrit ces « avantages structurels » sur le marché du travail dubaïote (Le Renard, 2019) et a montré, dans le contexte de Hong Kong, comment les discours de légitimation des positions professionnelles participaient à racialiser les classes supérieures comme blanches (Leonard, 2010). Ces mondes professionnels, cependant, ont été analysés de façon relativement cloisonnée vis-à-vis des discours et pratiques de distinction extra-professionnels. Par ailleurs, peu d’études ont interrogé les rapports entre la racialisation des mondes professionnels locaux et la circulation transnationale des stéréotypes nationaux. En tenant ces deux fils, l’article explore tout d’abord les significations raciales attachées aux inégalités entre nations, traduites globalement dans les hiérarchies et les routes migratoires, répercutées localement dans la société abudhabienne. Dans une deuxième section, l’article explore les divisions nationales du travail et analyse les significations raciales attachées aux positions de classe et au management des nationalités dans les mondes professionnels.

Cet article se fonde sur une enquête ethnographique menée entre octobre 2015 et mai 2016 dans le cadre de ma recherche doctorale, laquelle portait plus généralement sur la construction du groupe national dans les migrations françaises à Abu Dhabi, capitale des Émirats arabes unis à la démographie notoirement migratoire (près de 90 % de la population des Émirats[1], 80 % de celle d’Abu Dhabi[2], n’a pas la nationalité émirienne). Elle a été menée par observation participante et par entretiens semi-directifs (n = 70) conduits avec des migrant·e·s français·es. L’accès au terrain a été facilité par ma propre position — moi-même française, blanche et résidente, de fait, à Abu Dhabi. Celle-ci m’a ouvert les portes des associations communautaires officielles puis, petit à petit, celles de groupes affinitaires. Les entretiens ont souvent eu lieu au domicile des enquêté·e·s, parfois dans le bureau dont je disposais sur le campus de l’Université Paris-Sorbonne à Abu Dhabi, parfois dans des cafés où les enquêté·e·s avaient leurs habitudes. Les femmes étaient surreprésentées parmi la population enquêtée, tant dans les entretiens (44 femmes, 26 hommes) que dans les observations, du fait de l’observation d’espaces majoritairement féminins (association de femmes et sociabilités féminines, dans les Ladies’ Nights et Coffee Mornings). Cette population d’enquête est marquée par une forte monoactivité des ménages[3] et par l’appartenance des hommes à des catégories socioprofessionnelles supérieures (à l’exception des militaires du rang)[4] : cadres supérieurs dans les secteurs des hydrocarbures, de la défense, de la construction, de la finance, plus rarement membres des professions intellectuelles, notamment universitaires et enseignants du secondaire. De façon remarquable, la population enquêtée compte beaucoup d’anciens militaires reconvertis dans le secteur civil de la défense, pôle d’emploi majeur aux côtés du secteur pétrolier et de celui de la construction.

la perception racialisée du développement et des inégalités globales entre nations

Abu Dhabi, contexte migratoire entre ségrégation et « zone de contact »

« Tout ce qui compte à Abu Dhabi, c’est l’argent », me confie Sophie. Installée dans l’émirat depuis environ cinq ans lorsque je la rencontre, elle est employée par une institution française et travaille comme coordinatrice dans le domaine culturel. Passée par une grande école parisienne et diplômée en sciences sociales, Sophie a aussi une expérience migratoire fournie : lors de son enfance, sa famille suit son père, coopérant, dans plusieurs pays d’Afrique. Adulte, elle vit successivement au Canada, en Égypte et à Madagascar. Sophie peut ainsi comparer Abu Dhabi aux autres étapes de sa carrière migratoire et singulariser la capitale émirienne comme exceptionnellement structurée par le pouvoir de l’argent. Parmi les « expatrié·e·s » français·es, il est courant de présenter ainsi les Émirats comme un lieu où seul l’argent régnerait : quiconque, à condition d’être suffisamment fortuné, se verrait ouvrir les portes des espaces les plus fermés, sans distinction de nationalité, de confession ou d’assignation raciale. Suivant cette logique, les nationalités constitueraient des groupes relativement horizontaux ou dont la corrélation avec une division socioprofessionnelle ne serait qu’accidentelle. Les hiérarchies de l’argent sont en revanche volontiers perçues et verbalisées, qu’elles soient par la suite dénoncées comme inégalités de classe ou intégrées au tableau néolibéral d’une société où « tout » serait possible pour qui s’en donnerait les moyens. L’accès à la richesse même de la population émirienne pourrait attester de cet écrasement des autres dynamiques inégalitaires, notamment raciale, au profit de la classe : le pays, dont le PIB par habitant·e est aujourd’hui l’un des plus élevés au monde (près de 38 000 $ en 2016), ne s’est défait du contrôle colonial britannique qu’en 1971 et a, depuis, construit un récit national largement fondé sur la fierté arabe (Khalaf, 2002 ; Khalaf, 2005).

Les Émirats constituent certes un pôle migratoire « super-divers » (Vertovec, 2007) : la part de résident·e·s étrangères et étrangers est estimée à 89 % sur le plan fédéral, environ 80 % pour l’émirat d’Abu Dhabi[5]. On peut estimer par ailleurs que les ressortissant·e·s d’Asie du Sud et du Sud-Est représentent à elles et eux seul·e·s plus de 60 % de la population des Émirats (Snoj, 2015). Or, dans cette démographie migratoire, les nationalités dessinent précisément des hiérarchies importantes, qui se révèlent tout d’abord étroitement associées aux hiérarchies de l’argent et aux rapports de classe. Elles distinguent entre autres, dans une binarité évidemment imparfaite, les migrant·e·s des Suds, c’est-à-dire originaires des pays anciennement colonisés ou pris dans une sphère d’influence impériale, et les migrant·e·s des Nords, c’est-à-dire originaires des anciennes puissances impériales, de leurs voisins européens ayant bénéficié indirectement des échanges coloniaux, et de certaines anciennes colonies de peuplement ayant obtenu leur indépendance. La Wage Protection System and Administrative Database, constituée par le ministère du Travail en 2010, exploitée par Qong (2010) pour le compte de l’Université Zayed, permet de donner une idée de cette superposition entre classe et nationalité. Quoique fragiles et excluant le secteur public, où est employée une grande part de la population active émirienne, ces données montrent que les migrant·e·s originaires de pays de l’OCDE perçoivent un salaire mensuel supérieur de 9500 AED (2 588 $) en moyenne aux salarié·e·s émirien·ne·s, et d’environ 16 500 AED (4 496 $) aux salarié·e·s sud-asiatiques, le groupe le moins bien payé (Qong, 2010 : 29).

Les migrant·e·s des « Suds » ne forment cependant pas un groupe cohérent, et ce, même si l’on exclut de cet ensemble les ressortissant·e·s d’autres pays du Golfe, dont les positions sociales peuvent être relativement proches de celles des nationales et nationaux (Assaf, 2017). Leur hétérogénéité provient d’abord des différences nationales subsumées sous les « Suds ». Les résident·e·s originaires du Liban, de Syrie, d’Irak, d’Égypte ou encore d’Iran, occupent généralement des positions socioéconomiques plus avantageuses que les résident·e·s originaires d’Asie du Sud et du Sud-Est (Gruntz, 2013 ; Moghadam, 2013 ; Pagès-El Karoui, 2016). Cette diversité provient aussi de l’importante variabilité infranationale, du moins pour certains des groupes les plus nombreux. Neha Vora (2013) montre par exemple comment les entrepreneur·e·s indien·ne·s de Dubaï deviennent des sponsors par procuration pour les compatriotes qu’elles et ils emploient, alors que leurs partenaires d’affaires émirien·ne·s semblent n’avoir qu’une existence formelle (voir aussi Thiollet, 2016)[6]. Cette relation de sponsorship traduit certes une forme de cohésion nationale, mais concrétise aussi des rapports d’exploitation infranationaux.

Tout laisse à penser que cette hétérogénéité est bien moindre chez celles et ceux auxquel·le·s est souvent réservé le qualificatif d’« expatrié·e » (Kunz, 2016) et que la littérature a parfois analysé comme des « migrant·e·s blanc·he·s » (Lundström, 2014). Les citoyen·ne·s émirien·ne·s leur réservent en pratique le terme ajanib (« étranger », qui désigne en principe toute personne non nationale), mais aussi l’expression plus péjorative awlad al hamrah (littéralement « les fils de la rouge ») qui moque la pâleur de leur peau et sa tendance à rougir au soleil. Aux Émirats, ce groupe aussi désigné comme « occidental » (Le Renard, 2019) représente 3 à 4 % de la population totale. À certains égards, les rapports entre migrant·e·s des Suds — qui sont préférentiellement qualifié·e·s d’« immigré·e·s » ou de workers — et « expatrié·e·s » sont caractérisés par un remarquable éloignement : les espaces résidentiels, mais aussi les espaces professionnels, les espaces de consommation et les espaces de loisir, sont structurés par une importante ségrégation (Cosquer, 2020a ; Gardner, 2010 ; Gardner, 2013 ; Nagy, 2006). Cet éloignement ménage pour autant des « zones de contact » (Lundström, 2013 ; Pratt, 1992) dans les mondes professionnels ségrégés eux-mêmes, dans certains espaces de consommation comme les supermarchés, mais aussi dans les intimités par le recours à l’emploi domestique à demeure (Le Renard, 2017). En cela, le contexte migratoire d’Abu Dhabi concentre localement des inégalités globales entre nations, en rapprochant dans le même espace urbain des inégalités à l’ampleur remarquable.

vignette : un déjeuner au restaurant indien

Si les hiérarchies entre nationalités sont typiquement minimisées au profit des hiérarchies de l’argent, elles infusent pourtant les interactions entre groupes nationaux, indiquant une conscience aiguë des frontières qui les séparent et une attention constante à leurs marqueurs. Éléonore et Guillaume sont trentenaires, détiennent un diplôme en sciences sociales et travaillent dans une institution culturelle française. Il s’agit de la première expérience migratoire de Guillaume, de la seconde pour Éléonore, qui a passé une année au Royaume-Uni lors de ses études. Leur arrivée à Abu Dhabi précède la mienne de trois semaines, aussi nous développons une relation en partie fondée sur l’exploration commune de notre nouvel environnement : chaque week-end est l’occasion d’essayer un nouveau restaurant, un nouveau bar, un nouveau centre commercial. Un vendredi, nous nous rendons dans un restaurant indien de milieu de gamme, fréquenté par les classes supérieures indiennes, mais aussi les migrant·e·s des Nords et les citoyen·ne·s émirien·ne·s : le prix moyen des plats y est de 40 dirhams (environ 10 €), certains plats allant jusqu’à 120 dirhams (environ 30 €). Si Abu Dhabi regorge de restaurants bien plus onéreux, notamment ceux qu’abritent les complexes hôteliers de luxe, la ville est aussi parsemée de restaurants indiens très bon marché, où il est possible de manger pour moins de 10 dirhams (environ 2 €). Pendant le repas, Éléonore nous demande si nous sommes déjà allé·e·s en Inde. Guillaume, rieur, répond par la négative. « Je crois que l’Inde, c’est vraiment pas pour moi, ou que je suis pas fait pour l’Inde. Je suis trop attaché à la politesse. Et puis, le bruit et la proximité, non, non, non ! Je pourrais pas. » Éléonore, sourire aux lèvres, fait mine de s’en étonner : « Mais t’aimes pas ça, à Lulu[7], jouer un peu des coudes pour être servi ? » Guillaume frémit : « Ah non, je ne supporte pas ! Non, un pays comme ça, sans la moindre notion de politesse élémentaire… Mais j’adore les paysages, par contre. Et puis l’architecture, waouh ! » Éléonore le taquine : « Moi je te vois bien dans un wagon troisième classe au milieu de cinquante Indiens… » Guillaume l’interrompt : « Cinquante Indiens suant et rotant ! C’est un pays où il n’y a aucun autocontrôle… » L’Inde étant écartée des destinations envisageables, Éléonore conseille à Guillaume de s’installer en Angleterre ou en Allemagne, dont les normes culturelles sont décrites comme diamétralement opposées : « En Angleterre, les gens font la queue pour monter dans le bus, c’est formidable ! »

La présence des personnes sud-asiatiques, parfois également sud-est-asiatiques, est souvent considérée comme physiquement dérangeante. L’évocation courante par les « expat’ » de bousculades attribuées aux « Indiens » dans les supermarchés et les centres commerciaux, telle l’allusion à la chaîne de grande distribution Lulu, construit ces espaces comme des zones de contact, au sens physique du terme. Le désagrément attribué à ces zones de contact émane tant de la sensation d’une différence culturelle indépassable que de la proximité physique imposée et la conscience de la « foule », qui brisent l’espace « à soi » auquel sont accoutumées les classes supérieures (Pinçon et Pinçon-Charlot, 2007). Cet espace « à soi » est aussi un espace occidental et blanc, dont le paroxysme serait incarné par les moeurs allemandes ou anglaises, et qui serait dérangé par les façons d’être des migrant·e·s sud-asiatiques.

L’ensemble de ce passage au restaurant illustre les ambivalences d’une perception de l’Inde scindée entre appréciation romantique (Korpela, 2010) et stigmatisation du niveau de développement : tout comme Guillaume vante l’architecture et les paysages de l’Inde et en évince virtuellement les Indien·ne·s, nous dégustons des plats dans un restaurant hors de prix pour l’immense majorité des personnes de nationalité indienne vivant à Abu Dhabi. Celles-ci seraient d’ailleurs probablement considérées comme gênantes, tant pour la visite touristique de l’Inde que pour l’appréciation de sa gastronomie : leur supposée absence « d’auto-contrôle », ce par quoi est désigné un déficit de conformation aux normes de politesse et de contrôle du corps, les rend embarrassantes, indésirables. Leur hexis corporelle, rendue homogène et collective, est interprétée comme un retard sur les signes d’auto-contrainte distinctifs de la « civilisation » (Elias, 1973). Les rares convives indien·ne·s dans le restaurant sont quant à elles et eux moqué·e·s pour un décalage plus subtil avec les codes intériorisés par Éléonore et Guillaume : l’un d’elles et eux porte une oreillette bluetooth pendant son déjeuner, ce qui lui attire des moqueries à peine dissimulées. Même modulée selon la classe, la stigmatisation de l’Inde comme arriérée emprunte un registre classique de l’altérisation, celui du renvoi à un autre temps (Fabian, 1983), conséquence implicite du discours sur le « développement ». La démographie migratoire d’Abu Dhabi façonne ces zones de contact où les inégalités globales entre nations sont rendues plus visibles et sont par la suite investies comme des marqueurs distinctifs. La racialisation des nationalités opère alors par le positionnement de chacune sur une échelle de développement, ou encore d’avancement culturel, la distinction blanche reposant sur la revendication plus ou moins explicite de cet avancement.

de l’hexis corporelle à la différence des corps

Dans ce processus de catégorisation, la limite entre l’attribution d’hexis corporelles différenciées et de différences directement corporelles est fragile : si le « développement » détermine la façon dont sont habités les corps, il est parfois associé à la forme des corps elle-même. Jeanne a 60 ans, elle s’est installée à Abu Dhabi en 2013 lorsque son conjoint, professeur du secondaire, y a obtenu un contrat d’expatrié. Jeanne n’y exerce pas d’activité professionnelle — elle n’en exerçait pas au moment de leur départ de France — et consacre une partie de son temps à explorer la ville. Elle construit à partir de ses explorations une véritable nomenclature pour deviner la nationalité des résident·e·s sud-asiatiques, notamment celle des chauffeurs de taxi :

J’aime bien aussi leur demander d’où ils viennent, mais avant j’imagine, en fonction de leur faciès, en fait, je dis : « Toi t’es pakistanais, toi t’es afghan… » Et en général, je me trompe pas beaucoup. […] Alors, Pakistanais, Afghans, ils se ressemblent beaucoup, mais y a un faciès un peu plus dur. Le visage plus dur. Plus soucieux aussi. On sent que dans leur pays, voilà, y a des conflits. Ils sont plus intériorisés. Un peu plus durs, moins souriants. Et puis les Sri Lankais, par exemple, très avenants, très souriants. Les Indiens aussi, on les reconnaît plus parce qu’ils ont souvent une petite moustache. Très bruns, très foncés de peau. Et puis leur dialogue, leur parole, un moulin à paroles ! Je reconnais un peu leur façon de parler, aux Indiens. Les Philippins aussi, assez petits, plus ronds de visage. Un peu plus asiatiques. J’aime bien m’amuser à ça quand je prends un taxi.

Jeanne, 60 ans, sans activité salariée, conjoint professeur du secondaire

Aux nationalités asiatiques sont prêtées des caractéristiques physiques et culturelles parfois étonnamment précises. La nomenclature que dresse Jeanne sous-entend par exemple que les histoires nationales — les conflits — se cristallisent dans les expressions faciales, déterminant le caractère dur ou avenant des visages et associant à l’appartenance nationale des caractéristiques phénotypiques autant que comportementales. Les catégories ainsi produites entremêlent alors de façon inextricable des stéréotypes sur les conduites, des marqueurs phénotypiques et des frontières nationales. Ce syncrétisme fait de la nationalité un proxy racial : les catégories nationales opèrent comme des termes « adhérents » (sticky) (Ahmed, 2004), qui construisent des systèmes de connotations et de synonymies, aux implications parfois pseudobiologiques.

Cette « adhérence » (stickiness) entre nation et race façonne la production de l’identité et de la différence, quoique la définition de l’altérité y soit notablement plus explicite que celle de l’identité. En termes discursifs, celle-ci demeure peu visible, comme « au-delà » de la racialisation (Bonnett, 1996 ; Garner, 2006). À la suite des travaux de Colette Guillaumin (1972) sur le « majoritaire », Horia Kebabza définit ainsi la blanchité prioritairement par « l’avantage de n’être pas nommé·e, catégorisé·e » ou encore comme un « point zéro » (2006 : 152). Dans une certaine mesure, l’expérience « expatriée » comme exposition à la démographie migratoire d’Abu Dhabi consolide l’alignement entre position blanche et « point zéro », en démultipliant les types d’altérités qui sont tout à la fois identifiables et distanciables de soi. Pour autant, de façon plus discrète, la blanchité recouvre aussi un contenu distinctif. L’expérience « expatriée » a pour effet de rendre la position blanche minoritaire, d’un point de vue numérique, et de recomposer la neutralité attachée à la majorité. Implicitement associés à des hexis corporelles contrôlées, les corps blancs sont aussi les marqueurs privilégiés de la santé et de la minceur : les publicités pour des spas ou cours de sport, par exemple, reposent souvent sur leur mise en scène.

l’anglais et ses accents

Si le positionnement des groupes nationaux sur une échelle de développement mobilise l’interprétation des hexis corporelles et des preuves de l’aisance, il se joue aussi en partie sur le terrain linguistique : l’interprétation des accents, dans la pratique de l’anglais, est un autre des vecteurs importants de cette classification. Si certains accents sont jugés plus compréhensibles que d’autres, certains prêtent aussi davantage à rire que d’autres. L’accent français, qui marque de façon souvent assez nette l’anglais que parlent les enquêté·e·s, ne suscite jamais la moquerie et les autres accents européens — espagnol, italien, allemand… — sont à peu près autant épargnés. En revanche, les accents indiens ou pakistanais prêtent souvent à la caricature et à l’exotisation. Lorsque Guillaume ne comprend pas l’anglais d’un interlocuteur indien, il lui attribue ainsi un « accent de Malabar ». Ses imitations de l’accent indien, fréquentes lorsqu’il relate une anecdote faisant intervenir un interlocuteur incompréhensible, visent à conférer aux personnages qu’il joue un air de stupidité ou d’incompétence. Lors d’un autre repas partagé avec Éléonore, il raconte par exemple comment il interrompt un cours pour aller demander que soit installé un bureau dans sa salle de cours :

Puis je suis allé aux services généraux pour le signaler [l’absence d’un bureau dans la salle où il travaillait], en plus c’était une Indienne… [réagissant à la suite de la moue qu’arbore Éléonore, qu’il interprète comme moue de compassion], Ouais, c’était une Indienne, qui m’a dit [il imite exagérément l’accent indien] : “It will be done in fifteen minutes” avec son accent indien inimitable. Alors je suis revenu voir les étudiants et je leur ai dit [il imite à nouveau l’accent indien, en haussant les épaules et en prenant un air à la fois nonchalant et impuissant] : “It will be done in fifteen minutes.

Extrait du journal de terrain, 7 novembre 2015

À la différence des accents européens, les accents sud-asiatiques sont aussi interprétés comme le signe d’un « mauvais » niveau de langue. Dès lors que parler avec un accent indien est interprété comme le signe d’une mauvaise maîtrise de l’anglais, les résident·e·s sud-asiatiques sont toujours soupçonné·e·s de ne pas comprendre ce qui leur est dit en anglais, voire d’en feindre la compréhension. François a 79 ans, il s’est installé à Abu Dhabi en 1980 après une première expérience migratoire en Côte d’Ivoire. Chef d’entreprise, à la tête d’un groupe important dans le secteur pétrolier, il embauche des salarié·e·s de nombreuses nationalités et se pose comme fin connaisseur des différences entre groupes nationaux. À ses yeux, les relations de travail avec les personnes indiennes sont tout particulièrement affectées par le niveau de langue de celles-ci :

L’Indien, lui, quand il vous dit qu’il a compris, c’est qu’il ne sait rien. Il dit : « Yes, ok, understand » et vous êtes sûr qu’il n’a rien compris.

Ah bon ?

Ouais. Parce qu’il ne dira jamais non. Il ne dira jamais qu’il n’a pas compris. Même s’il n’a rien compris de ce que vous avez dit, parce qu’il n’a pas mémorisé, il dira : « Ok, yes, very good. » Il fera quelque chose ou complètement différent, ou des fois rien du tout. Alors faut s’assurer qu’il a bien compris : « Tu as vraiment bien compris ce que je t’ai dit ? Répète-moi. Mais répète ! » Alors il faut tout réexpliquer, répéter, expliquer en détail. Il faut bien se faire comprendre, parce qu’ils disent toujours oui et ils ont rien compris. Parce qu’ils ne veulent pas perdre la face.

François, 79 ans, chef d’entreprise dans le secteur des hydrocarbures

La maîtrise de la langue anglaise faisant l’objet de réputations nationales distinctes, François décrit comment il « s’adapte » aux interlocuteurs indiens en leur faisant répéter ce qu’il vient de leur dire. De la même façon, certain·e·s enquêté·e·s estiment « s’adapter » en imitant systématiquement l’accent « pakistanais », notamment quand il s’agit d’appeler un taxi, se disant convaincu·e·s que leur interlocuteur ne comprendrait pas un anglais « standard ». Le terme « pakish », utilisé par de nombreux et nombreuses enquêté·e·s et de façon courante à Abu Dhabi, désigne d’ailleurs le « petit anglais » qui serait parlé par ces résident·e·s sud-asiatiques, qu’il faudrait singer pour parvenir à se faire comprendre.

Susceptibles d’être reçues comme des micro-agressions ou des insultes par les migrant·e·s sud-asiatiques, les adaptations effectuées par les migrant·e·s français·es consolident, vis-à-vis de leurs interlocuteurs et interlocutrices, une frontière symbolique chargée de connotations racialisées. Le néologisme angliciste « pakish » s’inscrit dans la continuité de catégorisations linguistiques coloniales : Van den Avenne (2017) fait l’histoire du « petit nègre » dans les colonies françaises, du « Kiche Duits » (allemand de cuisine) en Namibie, ou du « pequenho português » (petit portugais), ou encore du « pretoguês » (portugais pour Noir·e·s, terme difficilement traduisible comportant un jeu de mots entre « português » et « preto », noir). L’accent est par ailleurs un élément de catégorisation sociale qui sous-tend par excellence les pratiques contemporaines de discrimination raciale (Garneau, 2017 ; Kayaalp, 2016 ; Souza et al., 2016 ; Subtirelu, 2015). Cette distribution des pratiques linguistiques, de leur catégorisation et de leur réception par l’humour met en évidence le fait que les frontières symboliques, si elles empruntent les mots de la nationalité, traduisent plus avant une hiérarchisation racialisée des appartenances nationales.

division nationale du travail, division raciale du travail

Naturaliser la relation de classe entre dirigeant·e et exécutant·e

La hiérarchisation racialisée des appartenances nationales informe la racialisation des rapports de classe. Pour une part, cette imbrication est de l’ordre de la conséquence, dès lors que les nationalités sont elles-mêmes associées à des positions de classe régulières : proxy de la race, la nationalité est aussi proxy de la classe dans la hiérarchie migratoire locale. Ce redoublement des synonymies et des connotations imprègne les mondes professionnels, dont l’organisation contribue en retour à produire les hiérarchies migratoires.

Gérald a 60 ans, il s’est installé à Abu Dhabi en 2012, environ quatre ans avant notre entretien. Il s’agit de sa première expérience à l’étranger : Gérald a quitté la France au moment de l’élection de François Hollande à la présidence de la République, considérant que l’arrivée d’un membre du Parti socialiste au sommet de l’État achevait de faire de la France un pays hostile aux affaires. Il dirige sa propre entreprise à Abu Dhabi, dans le secteur très dynamique de la construction. Comme la plupart des employeurs du marché du travail émirien, Gérald s’est forgé un avis sur l’offre de main-d’oeuvre et les différentes nationalités employables. Il attribue aux ressortissants indiens — cadre dirigeant dans le secteur de la construction, Gérald fait référence ici exclusivement à des ouvriers et techniciens masculins — trois caractéristiques qui dessinent une étroite cohérence : ils constituent une main-d’oeuvre bon marché ; ils font collectivement et individuellement montre d’un « manque total d’initiative, d’imagination » ; ils sont majoritairement destinés aux positions d’exécutants.

Tous les Indiens n’ont qu’un souhait, c’est pouvoir quitter l’Inde pour gagner plus, pouvoir vivre un peu mieux, etc. […] Les techniciens, etc., on en embauche régulièrement, ils veulent quitter l’Inde. Mais bon, ils font une prestation, globalement ils sont sérieux, mais… Ils coûtent pas très, ils coûtent pas cher. Quand je dis pas cher, c’est moitié moins cher, quand c’est pas plus, qu’un Français. Mais le handicap, c’est qu’ils ont un manque total d’initiative, d’imagination. Ces gens ils font le boulot quand… Si tu définis bien toutes les tâches, ils vont bien faire le boulot, faut le suivre quand même. […]

C’est sûr, y a des différences de culture au travail. Parce qu’entre un Indien, un Européen, euh… et un Arabe, c’est pas pareil, c’est sûr.

Comment est-ce que tu les caractériserais ces différences culturelles ?

C’est pas… bon, c’est sûr qu’on pense toujours qu’on est les meilleurs, mais… les Indiens, comme je t’expliquais tout à l’heure, ils sont travailleurs, mais ils ont besoin d’instructions précises, donc s’ils sont cadrés ils avancent quoi.

Gérald, 60 ans, cadre dirigeant dans le secteur de la construction

Tout en reconnaissant des écarts salariaux importants à position professionnelle égale — signalant la prégnance d’un « salaire de la blanchité » (Roediger, 1991) ou encore d’un « salaire de l’occidentalité » (Le Renard, 2019) dans les modes d’organisation professionnelle —, Gérald dessine une cohérence entre positions professionnelles subalternes et les caractéristiques culturelles collectives, jusque dans les conduites au travail. Celle-ci rejoint une géographie imaginaire qui ne se restreint pas à la population indienne, d’autant que la catégorie « indienne » est parfois employée comme synonyme de « sud-asiatique », incluant Pakistanais·es, Népalais·es ou encore Bangladais·es. Les stéréotypes dépeignant ces nationalités sont, quand elles sont spécifiées, souvent remarquablement proches des stéréotypes visant les Indien·ne·s. La suite de l’entretien explicitera par ailleurs que Gérald place les « Arabes » dans une catégorie proche de celle des « Indiens », réservant en d’autres termes les capacités d’« initiative » et d’« imagination » aux « Européens ». L’affirmation qu’il est nécessaire de « cadrer » les travailleurs non européens pour qu’ils « avancent » permet de donner un sens à l’alignement entre hiérarchies nationales et hiérarchies socioprofessionnelles, en rationalisant la hiérarchie entre donneuse ou donneur d’ordre et exécutant·e par le postulat d’une incapacité culturelle à la prise d’initiative.

Tout comme les hexis corporelles forment un registre perméable avec le registre des corps lui-même, cette incapacité culturelle se transforme parfois en discours plus biologisant. Un soir de février, je me rends à une soirée organisée par l’une des associations communautaires françaises. La soirée se tient dans un grand hôtel du centre-ville : dans les étages s’y trouve un bar servant de l’alcool, signe distinctif des espaces identifiés comme occidentaux. J’y rencontre Marc, attablé avec trois autres Français·es, entrepreneur dans le secteur de la construction. Il travaille actuellement sur un chantier pour le compte de deux des autres personnes attablées, Régine et Édouard. Récemment arrivé à Abu Dhabi, ce couple ouvre un restaurant auvergnat dans un mall du centre-ville. Le chantier occupe les conversations de la tablée : le restaurant, qui aurait déjà dû ouvrir, est encore en travaux. Régine et Édouard se plaignent notamment des difficultés rencontrées auprès des administrations émiriennes, qui ont occasionné d’importants retards. Une autre difficulté réside dans l’incompétence attribuée aux ouvriers de construction. Marc raconte à quel point la présence des « expatriés occidentaux » lui paraît nécessaire pour encadrer les autres travailleurs :

Tu pars, dit-il, ils ne savent plus rien faire. Ils ont besoin d’être cadrés. Je dois tout vérifier. L’autre fois, y avait un gars, du Bangladesh, qui s’occupait de l’interrupteur, et il avait bidouillé un truc qui ne marchait qu’à moitié. […] Alors je fais : « Ouais, ouais, je vais regarder quand même », j’ouvre le truc et qu’est-ce que je vois ? C’était un bordel, il avait attaché des fils ensemble, [soupir] enfin bref… […] Si tu pars, pour gérer une autre affaire, tu reviens, tu te rends compte qu’ils ne savent plus monter un mur droit. On va être cru, s’il y a pas un Blanc pour les encadrer, t’arrives à rien.

Extrait du journal de terrain, 3 février 2016

Les stéréotypes mobilisés par Marc, relatifs aux Bangladais, rejoignent assez fidèlement ceux exprimés par Gérald et relatifs aux Indiens. Ils s’accompagnent cependant d’une racialisation plus explicite : Marc revendique d’être « cru » en se désignant comme « blanc », là où Gérald se caractérise comme « européen ». Une part de cet écart renvoie certainement à une différence irréductible entre les dispositions et modes d’expression respectifs de Marc et de Gérald, à des différences dans leur « socialisation à la race » (Brun, 2019), peut-être à leur politisation. Mais cet écart s’inscrit aussi dans une différence ordinaire entre matériau d’observation — où la racialisation est davantage explicite — et matériau d’entretien — où elle emprunte davantage le registre de l’implicite et les systèmes de connotations la combinant avec la nationalité et avec la position de classe. Dans l’entreprise de l’un comme de l’autre, néanmoins, s’opère la même organisation générale du travail dans le partage de la direction et de l’exécution, et la même légitimation des positions socioprofessionnelles dirigeantes réservées à l’occidentalité ou, plus directement, à la blanchité.

L’association de la blanchité à la compétence, à l’autorité, voire à l’expertise (Le Renard, 2019), a une longue histoire dans la région du Golfe et de la péninsule arabique. Les entreprises d’exploitation du pétrole, alors essentiellement britanniques et états-uniennes, organisent leur main-d’oeuvre selon une stricte ségrégation nationale et raciale : au-delà des positions professionnelles, les logements et l’accès à l’eau sont aussi soigneusement séparés, préservant l’entre-soi des ingénieurs occidentaux et blancs vis-à-vis de la main- d’oeuvre native ou originaire des pays avoisinants, puis sud-asiatique (Seccombe et Lawless, 1986 ; Vitalis, 2007). Au sortir du contrôle colonial britannique, le rapide développement économique de la région repose notamment sur une importation de main- d’oeuvre qui reproduit en partie cette ségrégation raciale. Dans une continuité coloniale remarquable, les « expatrié·e·s » intériorisent et reconduisent ce discours qui fait d’elles et eux un « capital humain » dont le pays serait dépourvu. Emmanuel s’est installé à Abu Dhabi en 2011, après deux expériences migratoires précédentes en Afrique du Nord et en Afrique de l’Est. Militaire, il travaille comme instructeur auprès des forces armées émiriennes. À l’issue de notre entretien, Emmanuel ajoute cet aparté :

Entretien à 14 h avec Emmanuel, 50 ans, pilote de l’air. Il ajoute : « Maintenant que votre truc [l’enregistreur] est éteint, je peux le dire : je crois que ce pays ne va pas du tout dans la bonne direction. » Il développe ce qu’il disait pendant l’enregistrement à propos de l’éducation, d’une génération paresseuse et habituée au luxe : « tout lui tombe tout cru dans la bouche ». Il déplore la politique d’émiratisation[8], disant que dans son domaine, et probablement dans tous les autres, il est simplement inconcevable de fonctionner sans les expatriés occidentaux. Il suppose que « les têtes pensantes ne se rendent pas compte de cette situation, parce que personne ne va faire remonter l’information. Qui va oser dire qu’il ne peut pas faire son travail sans l’expatrié occidental à sa droite ? »

Extrait du journal de terrain, février 2016[9]

La présence « expatriée » sur le territoire émirien est ainsi justifiée par les compétences professionnelles, techniques, intellectuelles, dont les citoyen·ne·s nationales et nationaux manqueraient. Les politiques d’émiratisation mentionnées par Emmanuel incarnent cependant la tentative des institutions émiriennes de réduire la dépendance envers les migrations dites qualifiées. Ces politiques publiques mettent en acte une préférence nationale, avec la réservation de certaines professions pour les nationales et nationaux, l’établissement de quotas dans d’autres professions, ainsi que la mise en place de subventions et d’assurances retraite pour favoriser l’emploi des nationales et nationaux dans le secteur privé. La perception anxiogène de ces migrations, symboles d’une continuité coloniale, se traduit aussi par un débat sur la prédominance de la langue anglaise dans la société émirienne — et les craintes que les nouvelles générations maîtrisent de moins en moins bien l’arabe —, particulièrement virulent aux Émirats depuis que l’année 2008 a été décrétée « année de l’identité nationale » (Belkaïd, 2010).

L’idée que les « expatriés occidentaux » — la figure est remarquablement masculine — seraient indispensables au fonctionnement du pays est souvent justifiée par des spécificités de la région du Golfe, notamment par l’histoire particulièrement rapide de son développement économique et industriel. Pour autant, la géographie imaginaire où se nouent tant les stéréotypes de la blanchité que ceux de l’altérité semble circuler, d’expérience migratoire en expérience migratoire, pour englober avec plus ou moins de modulations l’ensemble des populations anciennement colonisées rencontrées. « Le pire », estime-t-il ainsi dans une tirade teintée d’une nostalgie coloniale explicite, Marc l’a rencontré au cours d’expériences migratoires précédentes : sur ses chantiers « en Afrique[10] ».

« Ils n’ont aucune conscience du temps. Quand on les payait, ben souvent tu voyais plus les mecs pendant deux ou trois jours. Ils étaient en train de tout dépenser de leur salaire. Puis ensuite ils revenaient, puisqu’ils avaient plus rien, donc il fallait qu’ils travaillent. Donc on s’est mis à les payer tous les quinze jours, pour qu’ils passent pas un mois comme ça [porte sa main à sa gorge]. Mais l’Afrique… ils pourraient être encore plus riches qu’ici, ici ce serait rien ! Mais ils en sont incapables. C’est pas tant une question d’intelligence, mais… c’est dans les gènes. Ils avancent pas. » […] Marc explique davantage son analyse : « Ils auraient assez de richesses ! Mais faut le dire, ben voilà, depuis l’indépendance, tout se détériore, ils régressent. Avec la colonisation il y avait des routes, de l’ordre… » Je demande : « C’est depuis que les colons sont partis ? » « C’est ça. L’Algérie, ça aurait pu être bien plus riche qu’ici ! Quand les Français y étaient, c’était le plus riche pays d’Afrique. Et maintenant, il n’y a plus rien. »

Extrait du journal de terrain, 3 février 2016

Entrant en écho avec une histoire coloniale elle aussi multi-située, cette circulation des stéréotypes justifiant la division du travail souligne l’interchangeabilité des réputations nationales en fonction de la nationalité de la main-d’oeuvre disponible. Si les nationalités réputées corvéables sont variables, cette volatilité préserve la naturalisation d’une relation de classe entre « cadres » occidentaux ou blancs et main-d’oeuvre à « cadrer », qui souligne le caractère global de la division racialisée du travail.

management racialisé et réputations nationales distinctes

Si la racialisation des rapports de classe produit ainsi une communauté de stéréotypes —puisqu’elle assigne un ensemble de nationalités à une communauté de positions subalternes —, elle produit aussi des réputations professionnelles propres à chaque nationalité. Là où les stéréotypes les plus amalgamés concernant le groupe sud-asiatique associent celui-ci à la subalternité de façon générale et imprécise, désignant parfois celle-ci comme ouvrière, par synecdoque, les réputations professionnelles positionnent chaque nationalité comme une fraction de classe. Jacques a 68 ans. Il s’est installé à Abu Dhabi pour la première fois en 1975, alors que le pays, fraîchement indépendant, voyait son industrie pétrolière se développer à grande vitesse. Il s’agissait de la deuxième expérience migratoire pour Jacques, qui avait auparavant vécu quelques années en Afrique du Nord, où il travaillait comme coopérant. À la fin des années 1970, Jacques a également vécu dans plusieurs pays d’Europe occidentale, puis s’est réinstallé avec sa conjointe à Abu Dhabi, qu’il n’a pas quitté depuis. En 1975, Jacquesétait ingénieur dans une entreprise du secteur pétrolier. Depuis, il en a gravi les échelons et dirige désormais la filiale émirienne. « Pionnier » du pétrole, Jacques raconte comment les « Indiens » étaient les seuls adaptés aux conditions de travail des premiers temps de l’industrialisation, tout en vantant les mérites propres aux autres nationalités. À ses yeux, à chaque nationalité revient donc une position déterminée dans l’organisation industrielle :

Y a beaucoup de différences en fait. Par exemple je vais prendre un aspect, quand on travaillait à Mussafah[11], j’étais le premier workshop, atelier, à mettre la climatisation. OK ? Y avait du sable de partout, on était au milieu. Aujourd’hui y a des tours [des gratte-ciel], mais là y avait rien, y avait à peine des routes pour y arriver. Et on était obligés de travailler, par exemple, à l’extérieur : des températures, soixante-dix degrés dehors ! Les Indiens, ils arrivaient à travailler, personne d’autre ne pouvait le faire. […] Par des températures à l’extérieur où il fait soixante-dix, c’est pratiquement inhumain, c’est une heure de travail, une heure de repos, changer le bleu trois fois par jour, etc., une heure de travail, une heure de repos, une heure de travail… Donc ça, y a des gens qui ne peuvent pas le faire, physiquement. Je vous prends ça, c’est un exemple. Par exemple sur les échafaudages, faut faire monter des échafaudages, y a des gens qui savent pas faire. Y en a qui savent mieux le faire. Par exemple des Indiens, ils montent au cocotier là, ils montent après un tube, un tube d’échafaudage, pfiou, comme un singe ! [rire] Non, je veux dire, c’est physique. Et puis par exemple, les Philippins, je les trouve très bien organisés. Alors, pas une superbe culture, si vous voulez, mais ils sont super cartésiens, organisés, je sais pas si c’est à la mode américaine ou quoi. Mais pour les papiers, on a toujours les papiers parfaits, quoi ! Donc chacun, chacun un peu… ses critères quoi. Par exemple les Vietnamiens, ils étaient très bons pour faire le sablage, la peinture. Une spécialité de chez eux. Chaque fois on trouve, on trouve un pays qui a sa spécialité. Par exemple le rebobinage, j’avais que des Pakistanais.

Jacques, 68 ans, cadre dirigeant dans le secteur des hydrocarbures

Jacques décline une variété de réputations nationales qui appuie l’organisation du recrutement aussi bien que du management dans les mondes professionnels. Cet exposé des réputations distinctes emprunte de façon notable le registre de l’animalisation simiesque — en comparant les ouvriers indiens à des singes —, dont la centralité dans l’histoire du racisme a été rappelée par Rui Diogo (Diogo, 2018), et qui est aujourd’hui caractéristique du racisme le plus brutal (Mills et Hund, 2016). Comme le note Nicolas Jounin, le racisme est un principe organisationnel de gestion de la main-d’oeuvre, qui opère en dévalorisant « matériellement et symboliquement la force de travail (ou une partie de la force de travail), au nom d’une spécificité irréductible imputée à la catégorie de personnes dévalorisée » (Jounin, 2004 : 118‑119). Cette dévalorisation s’opère parfois à couvert, en vantant des « qualités » qui fonctionnent de façon dépréciative : les Indiens résistant à la chaleur sont cantonnés dans les travaux physiques et pénibles, les Philippins « très bien organisés » semblent réduits à une obéissance dénuée de toute initiative et imagination — ils n’ont d’ailleurs pas « une superbe culture », précise Jacques. Dans les mondes professionnels d’Abu Dhabi, dominés par le secteur industriel très masculin — les hommes représentent environ 70 % de la population totale des Émirats[12] —, ces qualités dépréciatives opèrent principalement comme une mise en concurrence des masculinités couramment décrite dans les contextes coloniaux (Connell, 2015) : tout en reconnaissant la virilité ouvrière des migrants indiens, la division du travail leur assigne une masculinité « marginalisée » par rapport à la masculinité « hégémonique » des cadres occidentaux et blancs, alors que la dévirilisation des hommes philippins — décrits supra comme plus « petits » et plus « ronds » et cantonnés dans les tâches de bureau — les place dans une masculinité « subordonnée » (Connell, 2014). La dimension dépréciative de ces « qualités » transparaît donc dans le fait qu’elles sont cantonnées dans la corvéabilité, contrastant par exemple avec l’investissement des efforts d’endurance comme pratique distinctive par les classes supérieures françaises (Duret, 2015) et associés aux corps blancs sportifs, minces et fermes des publicités mentionnées supra, en particulier aux masculinités blanches. Chacun de ces efforts porte un sens distinct et engage un rapport au corps différent. L’effort physique consenti par loisir calibré, mesuré, apprécié et recherché est une oeuvre de développement de soi (Knobé, 2007). L’effort physique inhérent au travail d’extérieur, contraint et rémunéré, est le symptôme de la pénibilité au travail et est davantage corrélé à une réduction de l’espérance de vie qu’à une optimisation de la qualité de vie (Molénat, 2018).

La situation de Jacques, au sommet de l’entreprise dont il est responsable, rappelle que cette catégorisation dépréciative est directement opérante. Loin de dresser une typologie contemplative, il mobilise ces réputations nationales pour recruter des cohortes de travailleurs temporaires par l’intermédiaire d’agences de recrutement locales, à présent situées dans différents pays d’Asie, principalement aux Philippines et « aux Indes[13] ». En d’autres termes, l’identification de réputations nationales est performative : en justifiant l’affectation à un métier, Jacques façonne une organisation industrielle qui confirme le mythe qui lui donne naissance. Si tou·te·s les résident·e·s français·es à Abu Dhabi ne détiennent pas un pouvoir de décision sur le recrutement en entreprise aussi important que celui de Jacques, les managers et cadres dirigeants occidentaux ne font pas que bénéficier des représentations avantageuses associées à la blanchité : ils se saisissent aussi des représentations racialisant les nationalités des Suds pour informer leurs propres pratiques de recrutement, de management et d’organisation du travail. Neha Vora (2013 : 126) souligne d’ailleurs que les migrant·e·s indien·ne·s de classe moyenne considèrent souvent que ce sont ces managers blancs (appelés gora, terme hindi-urdu se traduisant par « à la peau claire », ou encore par « blanc ») qui sont responsables de la majorité des discriminations racistes auxquelles elles et ils font face aux Émirats.

circulation et coproduction des stéréotypes dans la gestion de la main-d’oeuvre

Quoique performatifs, les stéréotypes mobilisés par Jacques dans sa gestion des différentes nationalités ne sont pas créés ex nihilo. Comme l’ensemble des managers se saisissant des stéréotypes racialisant la main-d’oeuvre employée, Jacques s’inscrit à un point particulier d’une circulation discursive qui engage différents acteurs. Cette circulation s’inscrit, premièrement, dans un temps long : les Émirats — alors nommés « États de la Trêve », avant leur indépendance et leur fédéralisation — constituent l’un des endroits du Golfe où les colons britanniques ont le plus limité le recours à une main-d’oeuvre « arabe », pour imposer l’emploi d’une force de travail originaire d’autres colonies de l’Empire britannique, notamment des travailleurs indiens (AlShehabi, 2015). La mise en concurrence des migrant·e·s sud-asiatiques et des migrant·e·s originaires des pays dits arabes s’est intensifiée dans les années 1970, moment où la main-d’oeuvre originaire de ces pays est soupçonnée de se montrer trop sensible aux discours antimonarchistes, socialistes et panarabes (Kapiszewski, 2006). Beaucoup de pays du Golfe remplacent alors cette main-d’oeuvre par des migrant·e·s originaires d’Asie du Sud et de l’Est, dont la réputation est davantage passive et docile. À partir du milieu des années 2000, les angoisses étatiques émiriennes relatives aux revendications ouvrières convergent avec les angoisses relatives à la montée d’un extrémisme religieux : la surveillance des populations ouvrières devient de plus en plus liée au maintien d’une sécurité géopolitique (Buckley, 2015). La passivité supposée des travailleuses et travailleurs asiatiques est alors doublement valorisée par les politiques migratoires émiriennes — et plus largement des États de la péninsule arabique —, qui prennent cependant dès les années 1990 un tournant « anti-intégration » pour empêcher leur installation de long terme (Longva, 2005 ; Thiollet, 2010), procèdent à des expulsions massives de certaines nationalités et déploient d’impressionnants dispositifs de surveillance qui contraignent, de fait, à la docilité (Lori, 2011). Cette mise en concurrence, enfin, implique autant les entreprises privées que les institutions publiques émiriennes, ainsi que des institutions publiques et privées dans les pays d’origine des migrants : ce modèle de gestion migratoire « hybride et transnational » (Thiollet, 2016) se caractérise par un droit de la migration différencié selon les origines nationales et par le poids des agences de recrutement implantées à la fois dans le pays d’installation et les pays d’origine.

La docilité est un trope couramment relevé par les sociologues s’intéressant à la catégorisation ethnique ou raciale dans les entreprises (Pitti, 2005) et aux stéréotypes dans la division du travail. Margot Delon (2017) relève sa récurrence pour distinguer les Portugais·es des Nord-Africain·e·s, tandis que Karine Meslin (2011) analyse la réputation docile des travailleuses et travailleurs cambodgien·ne·s en France. Ce stéréotype culturaliste masque le fait que ces travailleuses et travailleurs sont souvent condamné·e·s à la docilité par la précarité de leurs formes d’emploi. Karine Meslin note aussi, cependant, que les plus doté·e·s du groupe cambodgien participent à reproduire cette réputation docile, en ce qu’elle permet de protéger leur communauté d’une stigmatisation explicitement péjorative. Étudiant le secteur du bâtiment, Nicolas Jounin (2004) parle quant à lui d’ethnicisation du management des chantiers, tout en montrant que les catégories sur lesquelles s’appuie ce management ne sont pas cohérentes. « Peu recommandables » selon les agences d’intérim à Paris, les hommes nord-africains sont en revanche des travailleurs dociles et serviables selon les agences marseillaises.

À l’image des réfugié·e·s cambodgien·ne·s analysé·e·s par Karine Meslin (2011), les membres les plus doté·e·s de ces groupes nationaux se saisissent de ces réputations dépréciatives pour les reproduire. Le maniement de ces stéréotypes laisse même entrevoir une organisation très institutionnalisée de leur rediffusion par les membres les plus doté·e·s en ressources des communautés concernées : les entretiens menés par Michelle Buckley (2015) avec le personnel consulaire de plusieurs pays pourvoyeurs de main-d’oeuvre montrent à quel point ces diplomates identifient consciemment un enjeu à maintenir une réputation nationale corvéable. La construction par ces diplomates d’une réputation subalterne est ambivalente : tout en s’efforçant de garantir à ses ressortissant·e·s davantage de droits, notamment une meilleure protection au travail, le personnel consulaire s’efforce de les représenter comme des sujets peu politiques. La complexité de cette participation élitaire à la construction d’une réputation nationale peu flatteuse vient aussi du fait que le personnel consulaire, certes très doté en ressources, n’a aucune garantie d’échapper totalement à la stigmatisation de « ses » ouvriers, auxquels il est nationalement amalgamé. Mais cette mise en scène diplomatique de la réputation corvéable s’inscrit dans le contexte concurrentiel du marché migratoire des nationalités, ainsi que de la dépendance de certains pays comme le Pakistan, le Népal ou le Bangladesh aux remises envoyées par leurs migrant·e·s. La concurrence des nationalités sur le marché de l’emploi émirien elle-même n’est pas étrangère à l’étonnante spécificité des stéréotypes nationaux, chaque pays cherchant à mettre en avant une qualité que ne posséderaient pas ses concurrents : le personnel consulaire des pays sud-asiatiques vante parfois, dans un écho fidèle à l’avis de Jacques, la plus grande résistance à la chaleur de ses compatriotes, les opposant à la moindre endurance des Est-Asiatiques (Buckley 2015).

La construction de réputations nationales racialisées fait ainsi intervenir une circulation discursive complexe, qui lie différents acteurs, tout en plaçant certains dans des positions particulièrement ambiguës. Elle passe d’abord par l’essentialisation des caractéristiques physiques et des traits de caractère des groupes nationaux, lesquels sont réinvestis dans leurs dispositions au travail. D’une part, cette hiérarchie racialisée sécurise la position dirigeante des enquêté·e·s qui la relaient, en ce qu’elle redouble le rapport de classe entre dirigeant·e·s et exécutant·e·s. D’autre part, elle étend la racialisation non seulement aux groupes nationaux, mais aux positions de classe elles-mêmes. L’alignement de la classe, de la nationalité et de l’assignation raciale sous-entend ainsi que l’on est « naturellement » dirigeant·e ou exécutant·e, voire que l’on naît dirigeant·e ou exécutant·e, tout en sous-entendant que l’on « mérite » cette position de classe (Lamont, 1992). La racialisation du management naturalise l’absence d’initiative et délimite les incompétences stratégiques des migrant·e·s sud-asiatiques, tout autant qu’elle essentialise l’expertise blanche et légitime le monopole blanc sur les postes de direction. Cette double essentialisation justifie ainsi un ordre postcolonial, qui reproduit les avantages associés à la blanchité et assigne les migrant·e·s sud-asiatiques à la subalternité.

conclusion

Centrales dans une société migratoire ségrégée et dans ses mondes professionnels segmentés, les catégories nationales sont pourtant davantage que ce qu’elles disent, au sens où elles fonctionnent rarement indépendamment des catégories de classe et de race. La hiérarchisation des nationalités traduit un rapport social global de race, entendu au sens de Quijano (2007) comme rouage de la division du monde et des échanges. Ressort de la différenciation postcoloniale des routes et des expériences migratoires, la racialisation des nationalités est tangible tant dans l’organisation urbaine que dans les moqueries visant les signes du « développement » et mobilise les attitudes et conduites du corps, voire forme du corps, comme signe de l’avancement culturel blanc. La revendication de cet avancement culturel blanc est aussi au principe de la racialisation des rapports de classe et des mondes professionnels, qui recoupe en partie la racialisation des nationalités et construit un étroit système de synonymies et d’équivalences. En effet, quoique les groupes nationaux ne soient évidemment pas parfaitement homogènes, ils ne sont pour autant pas dissociés de positions de classe régulières. Transféré dans les mondes professionnels, le registre du développement donne un sens à la division nationale et raciale du travail, en consolidant l’association entre nationalités des Suds et subalternité d’une part, entre blanchité et compétence ou autorité professionnelle d’autre part. Cette division générale entre exécution et direction, dont les « expatrié·e·s » bénéficient dans d’autres contextes migratoires, se ramifie cependant en une multitude de réputations nationales construisant des réputations professionnelles spécialisées, appuyées par des qualités dépréciatives. Celles-ci illustrent par ailleurs la perméabilité entre les mondes professionnels et les politiques migratoires, voire le marché global de la main-d’oeuvre et sa mise en concurrence des nations des Suds. Toutefois, si le contexte abudhabien éclaire l’étroitesse de l’articulation conceptuelle entre race, classe et nation, il en souligne aussi paradoxalement les possibles recompositions. Les politiques d’émiratisation attirent ainsi l’attention sur la contestation du quasi-monopole blanc sur les positions managériales, d’autant que l’accès rapide à la richesse des Émirats a profondément recomposé les hiérarchies postcoloniales entre citoyen·ne·s émirien·ne·s et détenteurs et détentrices de passeports occidentaux.