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« La culture devenue intégralement marchandise doit aussi devenir la marchandise vedette de la société spectaculaire. »

Debord, 1992, p. 187

Traduction : Jean-François Morissette

Si, à la fin du xxe siècle, les villes ont reconnu en leurs produits culturels de la marchandise-spectacle, cela tient peut-être à la valeur inhérente de ces produits au succès d’une ville au sein du marché global où le tourisme est devenu une force significative des économies locale, régionale et nationale. La promotion et la commercialisation des attraits culturels jouent donc un rôle vital dans la stratégie d’ensemble d’une ville qui cherche à se donner une image de marque et qui rivalise pour une part du marché de l’industrie touristique. Comme l’ont décrit Nigel Morgan et Annette Pritchard, l’image de marque « est peut-être l’arme commerciale la plus puissante dont disposent les promoteurs des destinations touristiques contemporaines confrontés à la compétition, la parité et la substantialité croissantes des produits disponibles » (Morgan et Pritchard, 2002, p. 11). Une ville doit faire image et montrer la grandeur de sa singularité par une série de critères culturels que toute ville touristique d’importance se doit d’entretenir et, en tant qu’élément de l’image de marque des destinations touristiques, le théâtre a joué un rôle fondateur. Bien que l’on puisse discuter du fait que dans la culture contemporaine, la scène théâtrale traditionnelle (c’est-à-dire la production d’oeuvres classiques et nouvelles) ait à lutter pour attirer le ou les publics, les spectacles à grand déploiement qui caractérisent le théâtre commercial (généralement, mais pas exclusivement, des comédies musicales) prospèrent précisément à cause de leur capacité à attirer autant les touristes que le public théâtral local. Cet article s’intéresse à la relation cruciale du spectacle à grand déploiement et de la mise en scène de la ville à travers le rôle joué par le théâtre commercial dans la création de l’image de marque de Toronto comme destination touristique.

Dans la seconde édition de son oeuvre phare The Tourist, Dean McCannell remarque un changement particulièrement significatif de l’environnement touristique entre la première publication de son livre en 1975 et la version révisée qui parut en 1999, à savoir « une invasion agressive du champ touristique par les compagnies de divertissement » (McCannell, 1999, p. 184). C’est dans ce contexte de production et de réception – où les intérêts des compagnies de divertissement priment sur les valeurs du grand art –, que les spectacles à grand déploiement ont prospéré. En d’autres termes, « les compagnies de divertissement » n’ont pas pris en charge le type de représentations que nous considérons comme du « théâtre sérieux », elles se sont plutôt tournées vers des représentations manifestement plus spectaculaires aux coûts de production élevés et qui s’adressent à un public populaire. Le théâtre commercial investit des sommes considérables dans la production et compte donc sur des taux élevés d’assistance et sur des présentations à long terme dans de grandes salles de théâtre. Le spectacle à grand déploiement fait en ce sens fonction de point d’ancrage à l’image de marque de la ville. McCannell a brillamment illustré comment le succès d’une destination touristique, l’efficacité de l’image de marque d’une ville dépendent du bon développement de ses services d’hébergement et de voyages. Mais de tels services, bien que nécessaires (et même si leurs chiffres d’affaires sont les plus élevés), ne génèrent pas en eux-mêmes et par aux-mêmes le tourisme. Donc, comme le souligne Can-Seng Ooi, « les produits culturels sont conçus en tant que leurre qui sert à attirer les touristes [et] ces produits contribuent indirectement à la croissance économique de l’industrie touristique » (Ooi, 2002, p. 101). Plus précisément, un rapport produit par le Département de la culture du conseil de ville de Toronto note que « les institutions culturelles attirent des millions de touristes [et] rapportent de 450 à 600 millions de dollars en bénéfices annuels aux seuls secteurs d’hébergement et de restauration » (Culture Division of Toronto City Council, 2001, p. 3[1]).

La ville de Toronto a compris depuis longtemps que le tourisme culturel peut servir d’outil puissant (en particulier pour les produits culturels mais aussi pour la ville en général) pour convaincre le consommateur que l’expérience qu’il y vivra est la même – ou du moins qu’elle est aussi bonne – que celle qu’il aurait pu vivre dans une destination de premier choix. En ce sens, donc, la ville doit être spectaculaire – offrant à ses visiteurs ce que Susan Fainstein et Dennis Judd décrivent comme « un système écologique complexe » (1999, p. 5). Fainstein et Judd montrent comment s’imbriquent touristes, industrie touristique et villes :

Pour séduire les touristes, les villes doivent consciemment se façonner de manière à créer un paysage que les touristes souhaitent habiter. Aucune ville ne peut se permettre de faire un instant du surplace, peu importe tout ce qu’elle a fait ou tout l’argent qu’elle a dépensé pour y parvenir. La transformation constante du paysage urbain pour accommoder les touristes est devenue une caractéristique permanente de l’économie politique des villes.

ibid.

Cette collusion de la culture et du capital demande toute une gamme d’attraits afin d’être à jour et de se renouveler fréquemment et, pour Toronto comme pour les autres grandes villes, la scène théâtrale participe efficacement à cette formule. Rapportons-nous à nouveau au rapport du Département de la culture du conseil de ville de Toronto : « Pour les touristes, Toronto a traditionnellement eu trois principaux attraits : son théâtre, ses quartiers distinctifs et ses festivals » (Culture Division of Toronto City Council, 2001, p. 16). Ceci est particulièrement important pour Toronto et lui confère une identité civique qu’elle ne revêt peut-être pas au premier coup d’oeil. Dennis Judd souligne que « les villes qui manquent de symboles forts ou de signifiants historiques ou architecturaux doivent se les inventer » (1999, p. 38). Pour ajouter à la reconnaissance qu’un symbole aussi singulier que la tour du CN procure à l’image de marque de Toronto, il importe de concentrer certaines manifestations culturelles (théâtre, festivals) de la ville dans des zones urbaines particulières (quartiers), créant ainsi un complexe de signifiants pour le marché touristique. Le tourisme culturel, que le théâtre et les festivals attirent, autorise « l’usage instrumental des lieux, des personnes et des activités » (Meethan, 2001, p. 130) et, comme le remarquent avec tranchant Bernard J. Frieden et Lynne B. Sagalyn, la renaissance de la ville « requiert la restauration d’au moins un quartier victorien » (Frieden et Sagalyn, 1989, p. 287). Ce qui est populaire, c’est le regroupement d’attraits qui procure aux touristes le sentiment qu’ils font l’expérience de l’essentiel de Toronto.

Théâtre et quartier distinct se rencontrent en une seule région du centre-ville de Toronto, un des plus anciens quartiers de la ville (c’est donc dire qu’il est victorien), le « quartier du divertissement ». Les panneaux indicateurs des rues portent des sous-titres identifiant ces rues comme faisant partie du quartier théâtral et ce, afin que le touriste flâneur s’aperçoive qu’il entre dans un lieu où l’activité culturelle est considérable. De façon similaire, les cartes et la littérature touristiques dirigent le visiteur vers cette région principale de manière à ce qu’il puisse faire l’expérience des arts de la scène de Toronto. (D’autres quartiers mis en valeur s’articulent également autour de pratiques artistiques comme par exemple le quartier des galeries d’art situé immédiatement à l’ouest du quartier du divertissement ; d’autres encore se distinguent par leur caractère culturel, comme la petite Italie ou le quartier chinois.) Pour les Torontois comme pour les visiteurs, la promotion du caractère distinct du « quartier du divertissement » s’appuie sur, ce qu’Alan Blum nomme « la promesse scénique de son espace » (2003, p. 175), un paysage urbain qui est plus qu’une remarquable façade. L’architecture locale, qui a son propre charme, contribue, par voie d’intérêts historiques, artistiques et commerciaux, à créer un esprit de quartier. Mais encore, l’édifice d’un théâtre n’est pas qu’une architecture extérieure, son visage dans la rue, il se promeut lui-même en tant que support de son propre spectacle. Et cela est important, car la seule communauté locale n’est pas en mesure d’assurer le maintien économique du quartier du divertissement. Pour être rentable, les théâtres de Toronto doivent prendre en considération les touristes et leurs désirs de s’adonner aux activités typiques du tourisme culturel afin de s’assurer des recettes suffisantes au maintien de la production de si grands et de si ambitieux spectacles. Le spectacle théâtral aussi contribue symboliquement à donner à la ville une image de marque, puisqu’un quartier du divertissement prospère est signe d’urbanité – l’important capital culturel d’une ville, une vie publique où l’art et le plaisir ont leur place, une économie qui s’étend bien au-delà du strict box-office et qui englobe et supporte d’autres activités urbaines (les sorties dans les bars et les restaurants avant et après les spectacles, les librairies et autres commerces au détail, les taxis et bien plus encore). Des chercheurs de Singapour révèlent que pour « chaque dollar dépensé par un touriste pour un billet de spectacle, un autre 2,80$ est dépensé en services auxiliaires » (Ooi, op. cit., p. 97). Une étude du Conference Board du Canada (2000) portant sur le Festival de Stratford en Ontario indique que le budget annuel de 35 millions de dollars qui lui est alloué génère 346 millions de dollars en activités économiques dans la région[2]. Le cachet des quartiers qui plaisent aux touristes est, par nécessité, souvent statique (le paysage urbain fait corps avec sa propre histoire, suscitant ainsi une nostalgie pour le passé de la ville et sa configuration antérieure). Néanmoins, les nouvelles productions théâtrales amènent une « constante transformation du paysage urbain », ce qui, comme l’indiquent à juste titre Fainstein et Judd, constitue une règle fondamentale de l’économie touristique.

Nous pouvons alors considérer les dispositions particulières du théâtre commercial de manière à comprendre sa contribution au secteur touristique de Toronto, et quel meilleur exemple ici que la production théâtrale du Roi lion de Disney. Événement théâtral remarquable, Le roi lion prit l’affiche en mai 2000 au Princess of Wales Theatre situé au coeur du quartier théâtral de Toronto. L’envergure et le charme extraordinaires de ce spectacle en ont fait le succès global de l’histoire des productions théâtrales contemporaines. Son ouverture à New York en novembre 1997 a été suivie de productions dans sept autres villes, incluant Toronto, et d’une tournée américaine entamée en 2003, qui, en 2005, visite neuf villes[3]. Comme l’indique Alan Filewood, « les superproductions comme Le roi lion ont, depuis deux décennies, restructuré la culture théâtrale dans les métropoles internationales » (Filewood, 2002, p. 221), ce qui, entre autres choses, a donné lieu au développement d’un lien inextricable entre l’économie du divertissement et les commerces au détail qui tirent profit de cette industrie touristique tentaculaire.

La revitalisation de l’intersection de la 42e Avenue et de Times Square à New York en un complexe de divertissement fut entreprise à l’initiative de la Société Disney lors de la rénovation du New Amsterdam Theatre, pour la première production du Roi lion[4]. Le succès de cette entreprise, pour New York comme pour Disney, a incité d’autres villes majeures, plus précisément les endroits là où Le roi lion était une attraction centrale, à faire de même. La ville hôte apporte sa signature locale, mais la présence du Roi lion lui assure un statut global – cette ville étant « suffisamment bonne » pour qu’un des spectacles les plus demandés de Disney y joue. La scène d’ouverture du Roi lion est sur le plan « spectaculaire » plus ou moins décisive en ce qu’elle révèle les extraordinaires marionnettes animales convoquées sur scène par un magnifique appel mélodique, dans la meilleure tradition de la World Music, lancé par le sage leader spirituel du spectacle, le personnage du singe Rafiki. Toutes les critiques du spectacle ont, à juste titre, abondamment commenté le travail fait sur les masques et marionnettes splendides qu’a utilisés la metteure en scène Julie Taymor pour donner une vie tridimensionnelle à ce qui, originairement, n’était que des personnages de dessins animés[5]. Le fait de voir des girafes de trente pieds de haut (acteurs sur échasses) ou des oiseaux descendre en piqué (marionnettes manipulées par de longs câbles) vers la scène lors de l’ouverture du spectacle a pour effet d’enthousiasmer le public par l’étendue de la créativité de Taymor. Les marionnettes et leurs manipulations, la musique et la conception scénique en général établissent un niveau de plaisir du spectateur [spectatorial pleasure] qui séduit un public de tout âge et de toute origine, et oeuvre à créer un univers scénique qui englobe une multitude de pratiques culturelles. Cette recette a remporté d’énormes succès financiers. Dans ce contexte, Filewood indique que les spectacles à grand déploiement comme Le roi lion occupent

une place ambivalente. Comme ils sont à la fois des produits d’industries théâtrales locales sophistiquées et des textes importés valorisants, ces spectacles ne sont perçus ni comme étrangers, ni comme locaux, ce sont, semble-t-il, des entreprises déracinées et déboîtées qui n’« appartiennent » à aucun lieu.

Les spectacles transnationaux profitent de cette indétermination culturelle. Leur emplacement est un Broadway imaginaire qui circule dans la culture populaire.

Filewood, op. cit., p. 224-225

En tant que point d’ancrage de l’image de marque de la ville, le théâtre commercial de Toronto doit constamment rappeler son ascendance au public local et touristique. Les effets du théâtre sur la promotion de Toronto sont obtenus par l’impact immédiat de la représentation en direct – le public fait l’expérience de quelque chose d’unique – de même qu’en référence aux endroits où ces productions théâtrales ont joué ainsi qu’à leurs destinations à venir. Le roi lion débarqua au Princess of Wales Theatre près de trois années après ses débuts new-yorkais, mais seulement six mois après sa présentation à Londres, et, comme le proclama un article d’avant-première du Toronto Sun : « Il se peut bien qu’un lion soit destiné à régner en monarque sur la jungle du box-office mondial – à New York, à Londres, au Japon et maintenant ici à Toronto » (Toronto Sun, 26 avril 2000, p. 74). Le spectacle fonctionne donc comme une sorte de support culturel qui renforce la réputation d’ensemble de la ville, un signe de son envergure et de son ambiance globales. Pour ces raisons, Toronto a, ces dernières années, importé des productions de plusieurs spectacles ayant connu un succès récent – une présentation à long terme du Roi lion bien sûr, ainsi que d’autres géants du box-office, Mamma Mia !, The Producers, et Hairspray – de même que la présentation à plus court terme et à échéance fixe de productions importées comme The Graduate, Contact et The Rat Pack. Comme l’indique Filewood, ces spectacles font appel à « un marché qui couvre l’ensemble de la région des Grands Lacs » (Filewood, op. cit., p. 20).

Mamma Mia !, la comédie musicale basée sur le groupe Abba, prit d’abord l’affiche à Londres en 1999. Ses débuts couronnés de succès furent suivis par la production torontoise qui ouvrit en mai 2000. Et ceci plusieurs mois avant la première production américaine, à San Francisco, où on exploita à coup sûr l’attrait bien connu qu’exerce Abba sur le public gai local et touristique où l’industrie touristique homosexuelle est bien établi dans cette ville. Depuis lors, huit autres productions permanentes ont pris l’affiche, dont une à New York en 2001 et une autre à Las Vegas en 2002[6] . On peut mesurer l’impact du succès de Mamma Mia ! sur l’économie théâtrale de Toronto, en considérant les huit millions de dollars que le spectacle a récoltés lors de la prévente de billets, ce qui en a fait le spectacle le mieux vendu des 93 ans d’histoire du Royal Alexandra Theatre, et cela avant même que la première ait eu lieu[7]. Comme Le roi lion, Mamma Mia ! constitue un divertissement facile qui attire un public populaire, ce dont témoigne cette critique londonienne :

Mamma Mia ! … est un succès garanti. La succession d’un grand nombre de chansons d’Abba aurait peut-être pu lui assurer du succès, mais Catherine Johnson, qui a écrit le livre, a fait mieux. Elle n’a pas voulu faire sombre, svelte ou artistique : aucune entrave à l’ethos d’Abba. Elle a produit une pièce légère et festive, à la fois ironique et sentimentale, ringarde et grandiose, et dans laquelle 22 numéros d’Abba sont lancés… auprès du public.

Clapp, 1999

Ce spectacle a sûrement toutes ces caractéristiques, mais il est peut-être trop simple de limiter son succès au seul compte de ces qualités internes. Pour attirer un si grand public sur une si longue durée, comme Mamma Mia ! l’a fait, cela demande une stratégie commerciale complexe qui ne se contente pas d’insister sur le plaisir du spectateur, mais qui, de manière sophistiquée, construit une image de marque aux allures internationales et largement reconnaissable.

Un article du magazine Performance (le programme distribué au public du Mirvish Season du Canon Theatre de Toronto de la saison 2002-2003) montre dans quelle mesure les stratégies commerciales incitent, de manière superficielle et avec amusement, le public du Canon Theatre à amener Mamma Mia ! au Royal Alex. Écrit par la regrettée et respectée critique de théâtre canadienne Mira Friedlander, cet article s’ouvre sur une perspective personnelle :

Je dois l’admettre, j’étais d’une humeur maussade. Alors que je prenais place au Edward Theatre, situé dans le West End de Londres, j’éprouvais du ressentiment à m’y trouver. J’avais renoncé à une vraie soirée de vrai théâtre au profit d’une comédie musicale sur ABBA !

Ce n’est pas que je n’aime pas ABBA ; je les apprécie mais dans le contexte approprié. Là c’était Londres, la capitale théâtrale du monde anglophone ! L’exquis Marchand de Venise présenté par Le Royal National Theatre y jouait. Pour un critique théâtral respecté, Mamma Mia ! – une comédie musicale basée sur les chansons d’un groupe populaire suédois des années 1970 – avait quelque chose de désolant.

Friedlander, 2002, p. 25

La dernière phrase de cet article essentiellement descriptif se lit comme suit : « En fin de compte, j’ai aimé Mamma Mia ! et je l’ai vu à deux reprises » (ibid., p. 30). Ce qui est particulièrement intéressant dans le passage entre la remarque d’initiale de Friedlander et sa concession finale, c’est l’uniformité supposée des membres du public du Canon Theatre – bien qu’on y retrouve des abonnés, des spectateurs occasionnels de la région de Toronto ou des touristes venus de la région du centre des Grands Lacs. Comme Friedlander, le lecteur supposé de cet article est un habitué du théâtre qui choisirait Shakespeare (ou qui sait qu’il devrait choisir Shakespeare), mais qui apprécie le côté spectaculaire de Mamma Mia ! Non seulement le compte rendu de Friedlander affirme implicitement que Londres et Toronto ainsi que leurs scènes théâtrales forment un tout, mais il sanctionne (à deux reprises) le caractère louable pour un consommateur cultivé (qui apprécie Shakespeare) d’assister à ce spectacle. En un sens, cet article illustre sous forme de capsule les macro-tactiques employées par Toronto pour se donner une image de marque à travers une de ses images de marque : le théâtre commercial et son caractère spectaculaire. Bien que vous soyez à Toronto, vous pouvez voir le même théâtre qu’à Londres, ce qui vous garantit un accès culturel et confirme votre raffinement (selon un continuum Shakespeare-Mamma Mia !). Mamma Mia ! assume également son statut de marchandise identifiable à un « quartier de divertissement », une production logée dans un édifice historique directement situé en face du très moderne Roy Thomson Hall, un emblème de la haute culture, où réside l’Orchestre symphonique de Toronto.

Un autre spectacle torontois récent, The Graduate, a eu une réception critique beaucoup moins enthousiaste que Le Roi lion ou Mamma Mia ! Malgré cela, il fonctionne pour le tourisme urbain, et connaît, sur le plan des ventes, un succès d’une similitude remarquable au succès du Roi lion et à Mamma Mia ! The Graduate a été joué pendant presque deux ans à Londres avec des vedettes comme Kathleen Turner ou Jerry Hall dans le rôle de Mme Robinson. Il a fait salle comble à chaque soir, malgré les critiques unanimement mauvaises. Comme l’énonce la critique de John Peter du Sunday Times de Londres : « C’est une affaire décevante. C’est comme si ce spectacle représentait le pire de Broadway, futile et fondé sur le vedettariat, et entièrement assorti de marchandises atroces[8] en vente au vestibule. Est-ce vers cela que nous allons ? Mon Dieu, j’espère que non » (Peter, 2000). The Graduate eut du succès non seulement à Londres, il fit aussi salle comble à Toronto durant un mois entier au Canon Theatre (avec Kathleen Turner reprenant sa performance du West End), avant de partir pour Broadway. Il est tentant d’affirmer que l’énergie consacrée au vedettariat dans la culture contemporaine outrepasse l’influence des critiques théâtrales dans le processus de sélection et d’adhésion du public, mais j’avancerais ici que le circuit triangulaire Londres, Toronto, New York dans lequel circule le spectacle est tout aussi important pour le public torontois. The Graduate étant dépourvu des qualités propres aux arts et métiers de la scène, son attrait, en ce qui concerne la production torontoise, tient à une surdétermination de l’image de marque de villes théâtrales prestigieuses comme Londres et New York, le West End et Broadway, avec lesquelles Toronto entretient des liens.

Récipiendaire de quatre Tony Awards (incluant celui de meilleure comédie musicale), Contact de Susan Stroman et John Weidman met en oeuvre la même formule urbaine, mais dans l’ordre inverse. Présenté à l’origine au Lincoln Center Theater de New York, ce spectacle joua au Canon Theatre de Toronto en novembre et décembre 2002, avant d’être produit à Londres, dans le West End. Dans la publicité pour la présentation torontoise, les Productions Mirvish ont fait en sorte de rappeler au public que Storman était la metteure en scène et la chorégraphe de The Producers, le mégasuccès de Broadway qui doit prendre l’affiche au même théâtre torontois au cours d’une saison à venir. L’usage de cette chaîne de références rend presque interchangeables les individus et les lieux, et ce, en vue de faire du Canon Theatre et de Toronto – et bien sûr de leurs publics – des signes de prestige et de qualité.

Au cours de chacun de ces événements théâtraux transnationaux, Toronto a exploité son apparente équivalence aux deux villes de référence en matière de théâtre au sein du marché global anglophone. Dans deux des cas retenus ici (Mamma Mia ! et The Graduate), on a vendu au public le luxe et le cachet de voir ces spectacles célèbres avant même qu’ils ne soient présentés à Broadway, et pour Contact, avant la première londonienne. Ceci a un poids considérable dans ce que Fainstein et Judd considèrent essentiel à l’expérience touristique, c’est-à-dire que « le touriste est un consommateur loin de chez lui » (Fainstein et Judd, op. cit., p. 14). Ils affirment ainsi qu’« [u]ne vue sur un port ou une marche à travers un centre-ville ne sont pas des expériences touristiques suffisantes. Il importe plutôt, afin de satisfaire le visiteur et de générer des profits pour les investisseurs, que le lieu se transforme en objet » (ibid.). Donc, non seulement Toronto, ou du moins l’expérience de Toronto, s’est transformé en l’objet-spectacle Mamma Mia ! (comme le montre explicitement l’article de Friedlandel, cet objet-spectacle est toujours d’emblée Londres, ou du moins l’expérience de Londres), mais le spectacle lui-même s’est transformé en un autre objet : les t-shirts souvenirs et les autres produits dérivés qui rappellent la présence des membres du public à la représentation. En un sens, les produits dérivés que les touristes ramènent chez eux indiquent non seulement qu’ils ont visité Toronto et ont vu le spectacle, mais aussi qu’ils ont fait l’expérience que les New-Yorkais et les visiteurs de New York attendent toujours. Ceci a pour effet de spectaculariser l’économie touristique de Toronto ; à travers les produits dérivés, la ville fait valoir ce qui la distingue dans sa singularité. Les t-shirts du Roi lion portent le nom de la ville où ils furent achetés ; peut-on imaginer le capital culturel que le port d’un t-shirt sur lequel on peut lire « The Lion King New York City » procure lors de la première torontoise ? De façon similaire, The Graduate offrait au public le plaisir par procuration de posséder la serviette de Mme Robinson, de même que le programme de Contact invitait le public à « danser sur la musique de Contact, offerte disponible en disque compact et en cassette sur l’étiquette RCA Victor ». Et ce, sans compter tous les autres produits dérivés vendus dans le vestibule, cet espace liminal dans lequel le spectateur se meut entre la scène et la ville. Mais la transformation de la ville-en-spectacle-en-souvenir ne se résume pas à ces déplacements particuliers. De façon plus significative, cela rend possible la durée, alors qu’au coeur de l’expérience spectaculaire du tourisme et du spectacle théâtral ne se trouve que l’éphémère.

Il est certain que pour les villes, le théâtre constitue un créneau spécial dans ce qui se présente comme une stratégie de commercialisation standardisée s’adressant aux touristes potentiels. Bernard Frieden et Lynn Sagalyn indiquent que

L’ensemble approprié des installations physiques d’une ville [est] comme une accumulation de trophées d’un maire : typiquement, […] l’ensemble comporte un hôtel Atrium, une avenue festivalière, un centre des congrès, des quartiers historiques restaurés, un stade en forme de dôme, un aquarium, de nouvelles tours à bureaux, et un accès à l’eau revitalisé.

Cité dans Judd, op. cit., p. 39

Toronto participe grandement à l’accumulation de tels trophées, il ne lui manque qu’un aquarium. Et son quartier du divertissement – qui concentre dans la région du centre-ville des sites avenants pour les touristes – fait sciemment partie de ce plan. Ce qui a pour effet, comme l’ont souligné Saskia Sassen et Frank Roost, de « transformer, par le rôle médian de plus en plus important de l’industrie du divertissement, la culture urbaine en objet touristique exotique. Ce débouché amoindrit les distinctions traditionnelles entre les sites de production et les sites de consommation » (Sassen et Roots, 1999, p. 154). Et, en effet, l’interdépendance du théâtre commercial et du tourisme urbain s’est manifestée de manière spectaculaire en 2003 à Toronto.

L’épidémie du Syndrome respiratoire aigu sévère (sras) qui frappa Toronto au début de l’année 2003 eut un impact rapide et dévastateur sur l’industrie touristique de la ville, particulièrement lorsque l’Organisation mondiale de la santé a émis un avis suggérant d’éviter de séjourner dans la région de Toronto. Avec des taux élevés d’inoccupation dans les hôtels, des restaurants vides (spécialement dans le quartier chinois) et peu de réservations prévues pour des séjours de loisirs ou pour des congrès, on s’est vite rendu compte des conséquences économiques immédiates et prochaines du sras. Le gouvernement et le monde des affaires ont pris conscience que les touristes auraient besoin d’encouragements significatifs pour penser à nouveau Toronto comme une destination urbaine attirante et sécuritaire. Et c’est sans doute sans surprise que les Productions Mirvish[9] lancèrent la campagne « It’s Time for a Little T.O. », au lendemain de la levée de l’avis de l’Organisation mondiale de la santé. Lors de cette première journée, les Productions Mirvish ont traité plus de 4000 appels à la minute et ont vendu 12 000 forfaits « qui incluaient des bons pour un souper dans un grand restaurant, pour une joute des Blues Jays de Toronto [baseball] et la chance de voir… Le roi lion ou Mamma Mia ! pour 85 $ – 125 $ avec nuit à l’hôtel » (McGran et Perry, 2003). La moitié du million de dollars que la campagne promotionnelle de l’événement « It’s Time for a Little T.O. » coûta fut assumée par le Partenariat commercial du tourisme de l’Ontario[10]. Dans cet effort pour revigorer l’image de marque de Toronto, on a offert trois types d’activités aux touristes – un repas de haute qualité, un événement sportif professionnel, un spectacle à grand déploiement – aux coûts les plus bas. Et, dans un premier temps, alors que la campagne s’efforçait d’attirer des touristes d’autres régions de l’Ontario, la stratégie semble avoir été un succès avec plus de 100 000 forfaits vendus.

Une seconde campagne promotionnelle visant les touristes potentiels du Michigan, de l’Ohio et de l’État de New York fut lancée lorsque la seconde épidémie de sras fut rapportée. Cette campagne ne s’est pas poursuivie étant donné le peu d’intérêt à acheter du temps d’antenne publicitaire auprès des chaînes de télévision américaines, alors que les informations révélaient en détail le nombre important de nouveaux cas (ou de cas suspects) de sras à Toronto. Comme le rapporte Martin Knelman dans le Toronto Star,

David Mirvish a bénéficié d’un énorme succès dans la vente de billets de théâtre, pour les mois de mai et juin, par la promotion de forfaits, qui incluaient chambre d’hôtel et repas au restaurant, pour l’événement « Time for a Little T.O. ». Il allait entreprendre aux mois de juillet et août une opération similaire visant le marché américain, mais des études indiquèrent que la résistance à l’égard de Toronto était à ce point élevée que les forfaits à bas prix ne feraient pas l’affaire. Il annonça plutôt que la présentation du Roi lion se terminerait le 28 septembre.

Knelman, The Toronto Star, 4 juin 2003, p. F02

Cet article parut le 4 juin. Le 6 juin, David Mirvish annonça « une mise en quarantaine volontaire de trois mois » (Knelman, The Toronto Star, 6 juin 2003, p. C12) pour Mamma Mia !, mettant un terme, après la représentation du congé du 1er juillet, à ce spectacle qui jusque-là s’était vendu à guichet fermé, pour le rouvrir 13 semaines plus tard, le 30 septembre, soit deux jours après la dernière du Roi lion. Tout compte fait, Mamma Mia ! ne dépendait pas autant de la vente de billets auprès des touristes que la production de Disney, à l’exception des mois estivaux où 65 % des ventes furent générées par les touristes, généralement des Américains[11]. Si la promotion de l’événement « It’s Time for a Little T.O. » illustre dramatiquement la contribution cruciale du théâtre à la commercialisation de Toronto, alors la seconde épidémie de sras illustre de façon encore plus dramatique la contribution du secteur touristique au succès de ces deux mêmes spectacles. En fin de compte, le sras a donné à Toronto une image de marque du pire genre, et aucune stratégie commerciale n’aurait pu contrecarrer cette dissuasion au voyage.

De plus, la chute de l’image de marque des théâtres et de la ville fut d’une grande portée et l’impact sur les autres secteurs commerciaux s’est rapidement manifesté. Par exemple, en juillet et août, le taux d’occupation des hôtels tournait autour de 40 % (alors que le pourcentage normal pour la région est de 90 %) ; et le Conference Board du Canada estima à plus de 570 millions de dollars les pertes subies par l’économie de Toronto à cause du sras, et le pib de Toronto connut une réduction d’un milliard de dollars pour l’année 2003[12] . Lorsque le sras disparut enfin des actualités, des représentants du gouvernement et du monde des affaires ont fait preuve d’un optimisme courageux, à savoir qu’il n’y aurait plus d’épidémie de sras dans les mois à venir (Dieu merci, cette prédiction s’est révélée, jusqu’à présent, juste) et que la ville s’en remettrait entièrement en 2004, grâce notamment à la présentation de The Producers (au Canon Theatre) et de Hairspray (au Princess of Wales Theatre). Le tourisme à Toronto s’est bien sûr redressé, mais pas au niveau d’avant le sras, dont les répercussion se sont cruellement fait sentir sur l’économie locale – ; ce qui pèse grandement sur le sort du théâtre commercial. Le roi lion prit fin au début de 2004, et Mamma Mia ! en mai 2005. Les productions très attendues de Hairspray et de The Producers n’ont pas amené le public et les profits anticipés. Malgré que Hairspray se soit maintenu à l’affiche pour une durée de onze mois, et The Producers, un peu moins de 7 mois, les deux productions ont tout de même fait perdre de l’argent aux investisseurs de New York, et, comme l’indique Martin Knelman, cela « donne un oeil-au-beurre-noir à Toronto » (The Toronto Star, 9 octobre 2004, A26). Ce que Knelman suggère ici c’est que l’image de marque de la ville fut entachée – non seulement à la suite du sras, mais aussi par l’incapacité de la ville à redresser son niveau de rentabilité pour les investisseurs qui comptent sur le charme de son marché distinctif. Avec des frais de lancement atteignant entre huit et dix millions de dollars le spectacle, Hairspray et The Producers doivent être vus comme des échecs.

Dans l’ensemble, les conséquences de l’épidémie de sras servent d’avertissement aux pratiques commerciales des destinations touristiques. Comme l’exprime Bud Purves, le président et directeur général du principal monument de Toronto, la tour du CN, « le tourisme sert à entretenir l’image de marque d’une ville. Les “produits-étincelles” [en référence au concert “SAR-stock” de 2003 qui mettait en vedette les Rolling Stones] sont intéressants, mais ils ne rétablissent pas une image solide » (cité par Lu, op. cit.). Toronto a cependant commencé à repositionner son identité touristique en multipliant les attractions de la ville qui charment la clientèle touristique traditionnelle, essentiellement des visiteurs américains, mais aussi, je crois, à renforcer et à encourager davantage le tourisme local, incluant la population de la grande région de Toronto et du sud de l’Ontario. De toute évidence, cela exige une augmentation des « leurres » culturels afin de revitaliser, au-delà des transformations usuelles et quotidiennes de ses attraits, l’image de marque de Toronto. Cela ressortit grandement, en premier lieu, par le développement d’une nouvelle architecture qui renforce les piliers de l’image de marque de la ville. Des plans ambitieux pour de nouvelles infrastructures urbaines proclamèrent un niveau d’engagement jamais vu au rétablissement du prestige local, national et international de la ville. Ces projets incluent l’agrandissement du Royal Ontario Museum (aidé par une donation de 200 millions de dollars de la famille Weston) et du Four Seasons Centre for the Performing Arts, une résidence pour le Canadian Opera Company, dont l’ouverture est prévue pour l’été 2006. D’autres projets de développement prévoient des rénovations de 195 millions de dollars pour l’Art Gallery of Ontario, le Centre Celia Franca (pour l’École nationale de ballet), et le centre d’apprentissage et de performance du Royal Conservatory of Music[13]. Un nouveau quartier – The Distillery Historic District – fut également promu de manière prédominante par la stratégie commerciale de la ville (décrit par la publicité comme « l’adresse la plus branchée en ville » ; d’ailleurs, son site Internet le présente comme « le nouveau centre torontois pour les arts, la culture et le divertissement[14] »). Les attraits de ce quartier incluent des galeries d’art, des ateliers d’artisanat, des commerces et des restaurants, de même que des salles de spectacle. En harmonie avec la délimitation de ce nouveau quartier se trouve un autre point d’appui à l’image de marque de Toronto : le festival. Un festival de jazz annuel aujourd’hui fortement estimé (il en est à sa troisième année en 2005) s’est intégré au Distillery Historic District. Comme bien des festivals, il s’articule, entre autres, autour de la musique jazz et blues, de la danse, et de brasseries artisanales. La reconfiguration d’un quartier victorien en un site de la quintessence du divertissement au détail témoigne de l’attention qu’accorde Toronto à la diversification de ses débouchés touristiques. Comme le prévoit le calendrier du festival, le Distillery Historic District présente, en 2005 et pour une durée de deux mois, Cavalia, spectacle joué sous le plus grand chapiteau en tournée en Amérique du Nord. Ce spectacle combine artistes et chevaux (vingt et un cavaliers et acrobates, trente-trois chevaux) dans une performance spectaculaire créée par Normand Latourelle, un des membres fondateurs du Cirque du Soleil. Nous pouvons conclure que les ambitieux projets de rénovation et de construction, comme dans le cas du Distillery Historic District, témoignent de l’engagement de Toronto dans ce que Derek Wynne et Justin O’Connor nomment « une stratégie de régénération urbaine basée sur la culture » (Wynne et O’Connor, 1998, p. 845).

Si ces nouveaux développements ajoutent du capital à l’image de marque de Toronto, d’autres indicateurs suggèrent que le tourisme y est encore fragile. We Will Rock You, le spectacle musical de Queen/Ben Elton qui tient l’affiche au Dominion Theatre de Londres depuis quatre ans et qui joue maintenant depuis un an au Paris-Las Vegas Hotel & Casino, devait être présenté à l’été 2005 au Canon Theatre de Toronto, mais on annula sa présentation. À la suite de la clôture récente de Mamma Mia ! (la dernière comédie musicale ayant été présentée à long terme à Toronto), la confiance qu’accordait Toronto au théâtre commercial coûteux semble avoir été remplacée et renouvelée par le développement de ses deux autres traits distinctifs – les quartiers et le festival. Mais l’importance de Toronto dans le circuit transnational du divertissement fut renouvelée de manière spectaculaire par l’annonce de la première mondiale d’une adaptation scénique du Seigneur des anneaux, dont l’ouverture au Princess of Wales Theatre (qui présenta Le roi lion et qui compte près de 2000 sièges) est prévue pour le début de 2006. Avec un budget de 30 millions de dollars, c’est un coup spectaculaire pour Toronto d’avoir battu Londres dans l’obtention de la production de la première de ce spectacle (et, qu’effectivement, il n’y aura pas d’autres productions nord-américaines au moins dix-huit mois avant la première torontoise). De même que ce ne fut pas du tout une surprise, qu’à la conférence de presse du 16 mars 2005 qui annonça l’événement, le maire de Toronto, David Miller, et des représentants officiels du gouvernement et de l’industrie touristique soient présents – puisque le gouvernement de l’Ontario a notamment prêté 3 millions de dollars pour aider à assurer la production, et puisque Tourisme Toronto « s’est engagé à fournir 3 millions de dollars en soutien à l’opération commerciale » (Dixon, The Globe and Mail, 16 mars 2005). Le président de l’Association des hôtels du Grand Toronto, Rod Seiling, « prédit que Le seigneur des anneaux donnera lieu à un essor retentissant du tourisme à Toronto, grâce au pouvoir d’attraction éprouvé de la franchise… ajoutant que le spectacle attirera non seulement des publics canadien et américain, mais aussi un public théâtral mondial ». Seiling poursuivit en disant : « Ils doivent manger ici, magasiner ici, dormir ici… les retombés couvrent l’ensemble de l’industrie touristique » (cité dans Gray, The Globe and Mail, 16 mars 2005). Le lendemain de la conférence de presse, le journal décrivit le spectacle comme « prenant l’affiche en tant que plus grand espoir de la ville pour rétablir son théâtre et son industrie touristique à leurs états financiers d’avant le sras » (Dixon, The Globe and Mail, 17 mars 2005).

Les spectacles à grand déploiement du théâtre commercial sont sans aucun doute au coeur de l’activité touristique de la ville, tout comme les publics touristiques assurent la rentabilité de ces théâtres. C’est comme si culture et performance, et non géographie et architecture, étaient ce qui vend la ville à elle-même et au reste du monde. Mais avec le sras, l’économie touristique a découvert les dangers de cette logique : la ville est spectaculairement vulnérable à l’échec de ses marchandises-vedettes. Cet article aussi devrait rappeler que le sras a coûté très cher à Toronto – les nombreuses morts affreuses et le stress et la douleur vécus par les familles et les communautés furent bien réels et sont encore présents à l’esprit. Au-delà de ces conséquences tragiques du sras pour Toronto, il est également évident que cela a changé substantiellement les réalités et les pratiques quotidiennes qui montrent comment une ville se voit elle-même et comment elle est vue par le reste du monde. En même temps, il importe de comprendre le rapport crucial entre les économies locales et les pratiques culturelles, qui produit non seulement l’identité de la ville nécessaire à la viabilité de l’industrie touristique, mais qui permet également une représentation symbolique plus spectaculaire dans le cadre des exigences du marché global du xxie siècle.