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Apprécié depuis sa 1re édition en 1980, le manuel Psychiatrie clinique est un ouvrage de référence qui, au fil des années, s’est bonifié des connaissances les plus contemporaines de la discipline. Unique en son genre en français, l’ouvrage s’adresse en particulier aux médecins de famille et aux étudiants en sciences de la santé. Du fait de sa visée pédagogique, nombre d’étudiants et stagiaires s’en sont servi pour la préparation de leurs examens. Les psychiatres et les autres professionnels de la santé y trouveront aussi une information accessible et pratique. En plus du lectorat québécois initial, l’ouvrage vise aussi l’Europe francophone, ainsi que le Maghreb et le reste de l’Afrique francophone (Aubut et Lalonde, 1992). Facile à lire, ce livre rend enfin la psychiatrie compréhensible et intéressante, même pour le public général, sans pour autant faire de concessions à la rigueur scientifique.

Il y a certainement une originalité de la psychiatrie québécoise qui intègre les courants de pensée américaine pragmatique et scientifique avec les observations nuancées de la réflexion psychiatrique française au cours des 50 dernières années. Nous sommes à un carrefour scientifique très privilégié pour notre spécialité, permettant un maillage (réseautage) étendu et un rayonnement d’une façon québécoise de conceptualiser et de faire. À chaque édition, ce manuel faisait le point sur les connaissances actuelles – bien que toujours à enrichir – de la psychiatrie contemporaine. La psychiatrie est sans doute un domaine où les connaissances vont faire des bons impressionnants au cours des prochaines années, à mesure que nous découvrons les arcanes du fonctionnement du cerveau humain. Peut-être qu’on peut même dire que la psychiatrie a plus d’avenir que de passé. Mais il y aura toujours place pour l’humanisme et la compassion.

Le modèle bio-psycho-social

Le modèle bio-psycho-social s’est imposé d’emblée, aussi bien pour expliquer les étiologies, la physiopathologie des différents syndromes cliniques que pour structurer leur approche thérapeutique. Avec un éclectisme pragmatique, il sert de trait d’union dans cette diversité et permet de concilier dans une synthèse harmonieuse des données scientifiques complémentaires pour une meilleure compréhension du comportement humain normal et pathologique. Même en médecine physique, ce modèle est de plus en plus considéré pour aider à comprendre les facteurs prédisposants, précipitants et perpétuants d’une maladie, notamment pour les maladies physiques chroniques comme le diabète, les dyslipidémies, etc. qui altèrent gravement la qualité de vie et ont un impact sur la longévité des individus.

Dans le Tableau 1, on peut observer l’évolution des 4 éditions :

  • L’adoption des nomenclatures évolutives des DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) américains ;

  • Le nombre d’auteurs, dont la proportion de femmes, a connu une hausse croissante, ce qui est advenu spontanément sans viser intentionnellement une parité, tout simplement parce que les femmes ont occupé une place de plus en plus importante en psychiatrie ;

  • Le nombre de pages a augmenté de 925 à 1348 ; puis est resté stable aux environs de 2000 pages pour les deux dernières éditions de 2001 et 2016. C’est qu’une série de chapitres rédigés par des auteurs européens dans la 3e édition ont finalement été supprimés, pour être remplacés par d’autres chapitres tenant compte des nouveaux développements scientifiques (Tableau 2) ;

  • Et les variations du nombre de chapitres pour chaque édition.

Tableau 1

Comparaison des 4 éditions du manuel Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale

Comparaison des 4 éditions du manuel Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale

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Les préfaciers des 4 éditions soulignent, chacun à leur façon, l’évolution de ce manuel. Et les premiers chapitres situent bien le contexte de la psychiatrie à chacune de ces époques.

Tableau 2

Liste des chapitres des 4 éditions du manuel Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale

Liste des chapitres des 4 éditions du manuel Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale

Tableau 2  (continuation)

Liste des chapitres des 4 éditions du manuel Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale

Tableau 2  (continuation)

Liste des chapitres des 4 éditions du manuel Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale

Tableau 2  (continuation)

Liste des chapitres des 4 éditions du manuel Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale

Tableau 2  (continuation)

Liste des chapitres des 4 éditions du manuel Psychiatrie clinique : approche bio-psycho-sociale

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La première édition (1980) codirigée par Pierre Lalonde et Frédéric Grunberg

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Frédéric Grunberg, un monument de la psychiatrie québécoise, est décédé en octobre 2003. En 1976, il était arrivé à l’Hôpital Louis-H. Lafontaine pour occuper le poste de coordonnateur de l’enseignement. Il a été l’instigateur de la 1re édition (1980). Passionné par l’éthique et la probité, il conciliait les fonctions de maître à penser et de « maître à panser ». En souvenir de son impact, ses collègues et disciples ont publié un Festschrift dans la tradition européenne, un recueil de textes La psychiatrie en question (Lalonde, Lesage et Nicole, 2009), témoignant de la portée de son oeuvre.

La préface de la 1re édition (1980) est rédigée par le Dr Yvon Gauthier, directeur du Département de psychiatrie de l’Université de Montréal. Il est aussi pédopsychiatre et psychanalyste, courant qui prévaut alors largement dans cette discipline. Il présente l’ouvrage comme le premier manuel de psychiatrie à voir le jour en français au Québec et il identifie 3 grands courants de pensée qui ont animé cette psychiatrie québécoise : la psychopharmacologie, la théorie psychanalytique et la psychiatrie communautaire. À l’époque, il était attendu des résidents en psychiatrie qu’ils fassent une psychanalyse personnelle et une année complète de pédopsychiatrie durant leur résidence de 4 ans.

La 1re édition (1980) adopte la nouvelle nosologie diagnostique critériée du DSM-III (1980) et inaugure la classification multiaxiale en 5 axes qui persistera jusqu’au DSM-5 (2013). Il s’agit là d’un changement majeur dans la catégorisation diagnostique qui « était presque considérée comme gênante… et avait très peu d’intérêt ». Malgré le désir d’utiliser une approche athéorique, la notion de névrose, chère à la doctrine psychanalytique, persistait pour englober plusieurs troubles anxieux, dépressifs, somatoformes et dissociatifs (Tableau 2). On tentait quand même de s’éloigner de la psychobiologie d’Adolph Meyer, faisant appel au terme de « réaction », tel que réaction schizophrénique, réaction psychonévrotique, etc. Cette 1re édition contenait un chapitre sur « L’homosexualité », un diagnostic qui a disparu à la suite d’un vote à l’American Psychiatric Association en 1974, quoique la controverse ait persisté jusqu’en 1984. Et un court chapitre (4 pages) sur l’état limite (borderline), un concept alors en émergence, qui est maintenant intégré aux 37 pages des troubles de la personnalité de la 4e édition (2016). Malgré les progrès de la génétique, de l’épidémiologie et de la biologie des maladies mentales, on n’avait (et on n’a toujours) que peu d’indices biologiques pour objectiver les troubles mentaux. Le DSM-III espérait néanmoins proposer un modèle qui permettrait d’arriver à un meilleur consensus diagnostique.

Le premier chapitre de la 1re édition (1980) souligne que la psychiatrie de ces années-là se cherchait « une identité et un modèle au sein des sciences médicales et des sciences humaines ». On se querellait sur le modèle bio-médical opposé au modèle psycho-social, pour expliquer la maladie mentale. Pourtant, la dichotomie traditionnelle maladie physique/maladie mentale s’estompait de plus en plus et la relation entre elles est clairement devenue bidirectionnelle. Ainsi, dans ce premier chapitre, on dénonçait le mythe d’une causalité linéaire, unidimensionnelle, dans la schizophrénie, tout en reconnaissant la faiblesse de la validité et de la fidélité de ce diagnostic. On commençait donc à s’éloigner de la période de l’antipsychiatrie (T. Szasz, R. Laing) qui en arrivait même à considérer que la maladie mentale n’était qu’un mythe. De toutes les spécialités médicales, c’est la psychiatrie qui donne le plus de pouvoir au médecin sur l’individu et c’est ce pouvoir qui, depuis le début des années 60, était contesté par le mouvement de l’antipsychiatrie. De fait, il y avait eu des dérives telles qu’on peut lire dans le livre de J.-C. Pagé (1961) Les fous crient au secours : témoignage d’un ex-patient de Saint-Jean-de-Dieu. Admis pour alcoolisme, il dénonce les traitements et les conditions de vie dans l’asile de l’époque, qu’il compare à la prison.

L’implantation de la psychiatrie communautaire commençait à offrir une alternative à la désinstitutionalisation à la suite de la régression des services axés sur l’hôpital psychiatrique ou asilaire, organisé sur un mode totalitaire. Déjà, on percevait les difficultés d’insertion sociale du malade mental chronique dans une société industrielle. Un réseau de services de santé mentale se développait (cliniques externes communautaires, centres de jour, foyers de transition, etc.), ainsi que toute une gamme de nouveaux professionnels oeuvrant au sein de l’équipe multidisciplinaire, remettant en question le leadership du psychiatre.

Même si le modèle psychanalytique qui a dominé la psychiatrie demeurait prévalent, on réalisait qu’il était très mal adapté à la vérification scientifique. On comprenait déjà l’importance d’appliquer un modèle bio-psycho-social non seulement à la psychiatrie, mais à toute la pratique médicale, modèle qui sera défini et amélioré à chacune des éditions suivantes du manuel Psychiatrie clinique. On constate déjà que le trouble génétique ou biochimique n’explique pas tous les aspects de la maladie. « Toute maladie mentale se manifeste sur le plan comportemental qui a une composante psychologique dans le vécu du malade et une composante sociale dans ses interactions avec son milieu. » On voit aujourd’hui les précisions et les grands progrès qui ont été faits en ce domaine en constatant le foisonnement des études sur ces divers aspects.

Cette 1re édition avait été favorisée par le Dr Camille Laurin, psychiatre, alors ministre d’État au Développement culturel dans le gouvernement péquiste de René Lévesque. Avec bienveillance, le Dr Laurin nous a mis en contact avec l’éditeur Gaëtan Morin qui en était alors à ses débuts dans l’édition universitaire.

Le Dr Postel J. (1981) de la revue Évolution psychiatrique qualifie ainsi ce manuel : « Un souffle d’air frais venu de grands espaces nord-américains nous arrive avec ce livre qui va bousculer nos conceptions psychiatriques européennes un peu poussiéreuses. Cette vision s’accompagne d’une absence totale de dogmatisme, notamment freudien, qui avait imposé sa notion de conflit intrapsychique. Il mérite une place de choix dans nos bibliothèques. »

La deuxième édition (1988) codirigée par Pierre Lalonde et Frédéric Grunberg

Le Dr Yvon Gauthier, devenu doyen de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, signe aussi la préface de la 2e édition (1988). En plus des 3 grands courants de pensée qu’il a préalablement identifiés, il mentionne l’épidémiologie, les droits de la personne et la pédopsychiatrie (qui passe de 2 à 4 chapitres). Parmi ses nombreux accomplissements, il faut noter que le Dr Gauthier a été l’un des pères du Département de psychiatrie de l’Hôpital Sainte-Justine avec les Drs Denis Lazure et Laurent Houde. Il fut également cofondateur de l’Académie canadienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Il a aussi fondé la Clinique d’attachement de l’Hôpital Sainte-Justine avec les Drs Gloria Jeliu et Gilles Fortin. 

Le Dr Cyrille Koupernik, professeur associé au Collège de médecine des Hôpitaux de Paris, rédige aussi une préface à cette 2e édition. Pour lui, cet ouvrage est le plus important depuis la dernière édition du Manuel de psychiatrie de Ey, Bernard et Brisset, comparaison assez élogieuse, puisqu’il a été un incontournable de la psychiatrie française depuis sa 1re édition (1960). Le Tableau 3 offre des éléments comparatifs de 3 manuels de psychiatrie bien connus.

Tableau 3

Comparaison de trois manuels de psychiatrie bien connus

Comparaison de trois manuels de psychiatrie bien connus

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Dans cette 2e édition, on continue de préciser les concepts de maladie mentale et de santé mentale en considérant les modèles explicatifs bio-médical, psychanalytiques et bio-psycho-social. Le sous-titre du livre « approche contemporaine » devient « approche bio-psycho-sociale » qui rend davantage compte de la réalité complexe de chaque patient. Les modifications de la liste des chapitres se retrouvent dans le Tableau 2. On s’appuie maintenant sur le DSM-III-R (revised) de 1987 qui, selon l’American Psychiatric Association, vise à améliorer la nomenclature et la précision diagnostique. Mais, plusieurs psychiatres étaient plutôt mécontents de devoir s’ajuster à ces changements de définitions qui n’apportaient pas, en fait, de progrès majeurs. Le Dr Robert Spitzer, président du groupe de travail, promet alors que « la prochaine édition du DSM sera étiologique ». Mais, nous avions déjà compris, depuis la 1re édition du Psychiatrie clinique, qu’il s’agissait là d’une utopie et que les maladies mentales ne peuvent être comprises et traitées que par une approche bio-psycho-sociale, plurifactorielle.

Pour faire face à de nouveaux problèmes liés à l’insertion des malades mentaux dans la communauté, on constate l’émergence de structures alternatives et de groupes d’entraide déprofessionnalisés qui prendront de plus en plus de place dans les années suivantes malgré qu’ils soient souvent sous-financés. L’éthique est toujours bien présente en psychiatrie pour assurer la sauvegarde des intérêts du malade, le respect de son autonomie, tout en veillant à la sécurité de la collectivité. Le 1er chapitre se termine par une perspective de la psychiatrie des années 2000 avec « l’explosion du savoir dans les sciences neurobiologiques et l’envahissement du champ psychosocial de la psychiatrie par des disciplines non médicales ». La recherche en neurobiologie « continuera à nous livrer les secrets du fonctionnement du cerveau » en espérant des retombées pratiques en psychiatrie, sans tomber dans un réductionnisme primaire menant à une « chimiatrie », selon l’expression de Deniker. La recherche évaluative va aussi s’intensifier à cause, en grande partie, du climat de rigueur économique, demandant de plus en plus de preuves d’efficacité objectives et scientifiques. Cette 2e édition est particulièrement dédiée aux omnipraticiens qui sont de plus en plus impliqués dans l’organisation des soins psychiatriques. Elle a remporté le prix Réalisation de l’année, décerné par l’Association des médecins-psychiatres du Québec.

La troisième édition (1999-2001) codirigée par Pierre Lalonde, Jocelyn Aubut, Frédéric Grunberg et Gérard Massé

Le Dr Yves Lamontagne, professeur titulaire du Département de psychiatrie de l’Université de Montréal et président du Collège des médecins du Québec, signe la préface de la 3e édition (1999). Il souligne la collaboration avec la France et la francophonie européenne où nous souhaitions une diffusion plus large. Parmi ses nombreux accomplissements, il faut souligner que le Dr Lamontagne a fondé le Centre de recherche Fernand-Séguin de l’Hôpital Louis-H. Lafontaine. Il a aussi créé la Fondation des maladies mentales en recrutant de généreux donateurs qui ont accepté de s’associer à une cause longtemps honnie. Et il a agi comme président de l’Association des médecins-psychiatres du Québec (AMPQ).

Dans cette 3e édition, le premier chapitre continue de définir le concept de psychiatrie bio-psycho-sociale. Ce modèle avait évolué au cours de la décennie précédente appelée, la « décennie du cerveau » (Decade of the brain) dans le cadre d’un effort du National Institute of Mental Heath (NIMH) pour sensibiliser davantage le public américain aux bénéfices découlant de la recherche sur le cerveau. La 3e édition précise encore que le modèle bio-psycho-social rejette la dichotomie entre les approches organicistes et les approches psychogénétiques, fondées sur le dualisme cartésien. Il est basé sur une causalité circulaire (vs linéaire), qui mène à une meilleure perception de la complexité du fonctionnement humain par l’interaction de facteurs comme la biologie, le comportement, la cognition et les émotions. On peut ainsi saisir aisément l’interdépendance des processus biologiques avec les fonctions affectives et cognitives. Un diagramme de Venn à 3 cercles où s’entrecroisent les facteurs biologiques, psychiques et socioculturels, avec au centre de l’intersection, le système bio-psycho-social, constitue sa représentation visuelle la plus simple et la mieux réussie (Tome 1, figure 1.1 page 5).

L’historique des classifications des maladies mentales est abordé jusqu’au Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV, 1994) et la Classification internationale des maladies, 10e révision (CIM-10). Les concepts de prévention (primaire, secondaire et tertiaire) et de promotion en santé mentale se sont développés. La définition de termes, souvent confondus, s’est affinée :

  • le traitement (le savoir) « vise à enrayer les causes » ;

  • la réadaptation (le savoir-faire) « vise à redonner à l’individu les moyens de se prendre en charge d’une façon qui tienne compte de ses déficits et de ses capacités, par l’acquisition de nouvelles habiletés qui favorisent sa réinsertion sociale pour surmonter son invalidité » ;

  • la réhabilitation (le savoir-être) « vise à redonner à la personne sa dignité et le pouvoir d’agir, l’empowerment ».

Des niveaux d’intervention se précisent : interventions précoces, interventions ciblées, information et soutien aux familles et étude des facteurs de risque propres à certaines clientèles.

Le premier chapitre aborde 2 grandes transformations de la pratique psychiatrique survenues au Québec :

  • le virage ambulatoire, qui a pour prétexte une meilleure prise en charge et une plus grande qualité de vie du patient dans son milieu naturel ;

  • l’intervention du judiciaire qui se fait sentir particulièrement en ce qui touche l’hospitalisation (garde en établissement) et le traitement imposé au malade mental qui s’oppose aux interventions indispensables à sa santé (ordonnance de traitement et d’hébergement).

Le psychiatre se trouve de plus en plus partagé entre 2 principes :

  • Le principe de bienfaisance, au nom duquel il doit donner des soins dans le meilleur intérêt du patient ;

  • Le principe du respect de l’autonomie et de l’inviolabilité de la personne où il doit obtenir le consentement éclairé du malade avant de lui prodiguer des soins, sauf en cas d’urgence.

Le premier chapitre se poursuit par des aspects plus spécifiques à la psychiatrie en France : sectorisation, crise de concepts et renouveau des pratiques. Il se termine sur l’éducation et la formation du psychiatre. Dans cette 3e édition, afin d’ouvrir le manuel aux perspectives de la francophonie d’outre-mer, comparée à la psychiatrie québécoise, quelques auteurs européens avaient été invités pour rédiger des aspects spécifiques de leur psychiatrie, comme :

  • Particularités nosographiques en France ;

  • Évolution des services psychiatriques en France ;

  • Évolution des services psychiatriques en Suisse ;

  • Psychiatrie légale en France ;

  • Pédopsychiatrie en France ;

  • Traitements biologiques en France ;

  • Psychothérapie en France ;

  • Réhabilitation psychosociale en France.

Cette série de chapitres n’a pas été maintenue dans la 4e édition, ce qui explique que le nombre de chapitres et de pages soit resté à peu près les mêmes entre la 3e et la 4e édition.

Les deux tomes de la 3e édition paraissent successivement en 1999 et 2001. Les technologies s’étaient beaucoup développées en psychiatrie, ce qui justifiait l’apparition de chapitres portant sur la génétique, la neurobiologie, l’imagerie cérébrale, la neuromodulation. Nous avions aussi inséré un chapitre sur la psychiatrie des autochtones et les manifestations psychiatriques du SIDA à cause de l’actualité de ces thèmes. La pédopsychiatrie et la gérontopsychiatrie se sont développées en augmentant le nombre de chapitres sur des aspects spécifiques de ces 2 surspécialités (Tableau 1).

Cette 3e édition a été honorée de deux prix :

  • 2000 : Prix de l’Innovation, décerné par l’Association des médecins-psychiatres du Québec ;

  • 2003 : Prix spécial du ministre de l’Éducation du Québec pour « reconnaître le travail colossal » de cette publication qui « ne se comparait à aucun des 142 autres ouvrages et documents présentés ». Ce prix souligne les milliers d’heures que les directeurs de publication ont pris sur leur temps libre pour offrir un suivi rigoureux à la centaine d’auteurs quant à la façon d’aborder les sujets, réviser les textes proposés afin d’assurer une uniformité de style et veiller à ce que tous les aspects de la psychiatrie moderne soient bien couverts.

Prix du ministre de l’Éducation du Québec

Oeuvre de Guy Nadeau

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La quatrième édition (2016) codirigée par Pierre Lalonde et Georges-F. Pinard

Pierre Lalonde – Georges-F. Pinard

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Dans sa préface de la 4e édition (2016), le Dr Emmanuel Stip, alors directeur du Département de psychiatrie de l’Université de Montréal, souligne que la parution de l’ouvrage coïncide avec les 50 ans du Département de psychiatrie universitaire. Pour cette édition, le Dr Stip parle « d’un savoir exponentiel, enrichi des connaissances en neurosciences et ancré dans les humanités ». Pour lui, « la psychiatrie est une science centripète qui s’alimente d’autres disciplines (génétique, philosophie, neurosciences, anthropologie, etc.) » au point où ce serait la médecine qui serait une discipline de la psychiatrie. « La psychiatrie est en effet la discipline qui s’occupe de l’humain, dans sa globalité, dans ses multiples dimensions biologiques, psychiques, sociales et spirituelles ». Les 2 tomes de l’ouvrage paraissent simultanément, contenant encore 85 chapitres, mais passablement enrichis et réorganisés, notamment par surspécialités : pédopsychiatrie, gérontopsychiatrie et psychiatrie légale. Une nouveauté de taille dans cette édition, un cahier couleur de planches neuroanatomiques permet de localiser précisément chaque structure nerveuse dont il est question dans les 2 tomes.

Dans cette 4e édition, le premier chapitre définit les modalités de connaissance (les savoirs) fondamentales, complémentaires en santé mentale :

  • Le savoir empirique (scientifique) dont l’objectif est d’expliquer les causes des maladies et des symptômes ;

  • Le savoir phénoménologique (existentiel) qui vise à favoriser l’expression du vécu subjectif qui se révèle derrière les symptômes ;

  • Le savoir herméneutique dont l’objectif est de comprendre la signification, le sens sous-jacent que les psychiatres sont entraînés à détecter.

Les principales sciences contributives à la psychiatrie (neurosciences, génie biomédical, génétique, pharmacologie, psychologie, philosophie, sociologie, etc.) y sont aussi recensées.

La discussion sur le modèle bio-psycho-social, pierre angulaire des 4 éditions, est reprise. Les concepts de prévention (universelle, sélective et indiquée) et de promotion en santé mentale se sont développés. On voit d’ailleurs de plus en plus l’utilisation du terme « santé mentale » qui a une consonance plus large, bio-psycho-sociale, et qui remplace souvent le terme « psychiatrie » comme spécialité médicale. D’où l’importance accordée à des définitions élaborées du concept de santé mentale.

L’historique des classifications des maladies mentales est abordé jusqu’au Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5, 2013) et la Classification internationale des maladies, 10e révision (CIM-10, 2008).

Le premier chapitre explique une autre grande transformation de la pratique psychiatrique survenue au Québec depuis la dernière édition : en plus du virage ambulatoire et de l’intervention du judiciaire, le Gouvernement du Québec a élaboré les plans d’action en santé mentale afin de faciliter l’accès aux soins et services, devenu de plus en plus nécessaire en raison de l’augmentation de la population.

Concernant l’éducation et la formation du médecin résident, le Collège Royal des médecins et chirurgiens du Canada a développé en 2005 un cadre novateur des rôles, connus sous le nom des rôles CanMEDS, que l’apprenant devrait maîtriser à la fin de sa résidence : les rôles d’expert médical, de communicateur, de collaborateur, de gestionnaire, de promoteur de la santé, d’érudit et de professionnel, au centre desquels se situe le rôle d’expert médical.

Les pratiques médicale et psychiatrique se basent sur les données probantes dont la validité s’étale sur 5 niveaux par ordre décroissant de validité scientifique de la méthodologie utilisée. Plusieurs sources d’information sont recensées pouvant aider les résidents et les médecins : résumés, synopsis (critiques d’articles), synthèses (revues systématiques), essais cliniques et activités de formation médicale continue. Enfin, l’importance est mise sur le transfert des connaissances de la recherche vers la pratique clinique.

Les dimensions sociales prenant de plus en plus d’importance, les chapitres sur la sociologie, la culture et les migrations, se sont développées dans la 4e édition (2016). Ces thèmes demeurent d’actualité, qu’il s’agisse de l’immigration économique, des regroupements familiaux et de l’immigration pour des motifs humanitaires (réfugiés). Il apparaissait important que les cliniciens soient mieux outillés pour comprendre et mieux s’occuper de cette clientèle, de plus en plus représentée dans la pratique psychiatrique actuelle.

Depuis le début, les directeurs de publication (Lalonde, Grunberg, puis Pinard) oeuvrant à l’Hôpital Louis-H. Lafontaine, maintenant l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal ont donné l’occasion à des centaines de psychiatres, cliniciens et chercheurs de s’associer pour publier divers chapitres des 4 éditions de ce manuel. L’Association des médecins psychiatres du Québec a décerné le prix Camille-Laurin à cette 4e édition. L’ouvrage a aussi fait l’objet d’une mention « Excellent » dans la Revue canadienne de psychiatrie (Tempier, 2018). Selon l’avis du réviseur « le Textbook de la psychiatrie québécoise, est un équivalent en français du “Friedman et Kaplan”, voire du traité français de psychiatrie, le “Henry Ey”. (Tableau 3). Mais, il en diffère par une concentration, un focus, sur les problèmes et les solutions psychiatriques retrouvés au Québec, problèmes qui, d’ailleurs, existent partout dans le monde ». Par exemple, les chapitres sur les aspects légaux sont spécifiques au Québec. Il s’agit bien d’une oeuvre originale, qui n’est ni une adaptation et encore moins une traduction. « Les deux directeurs scientifiques qui ont pu assembler cet ouvrage ont fait un travail colossal qui mérite d’être souligné et d’être honoré ».

Dans un souci de transfert des connaissances pérennes en psychiatrie et de façon symbolique, un exemplaire de la 4e édition figure au catalogue de la nouvelle prestigieuse Bibliothèque d’Alexandrie, en Égypte (cote 616.89 L212 2016). L’ancienne bibliothèque, détruite par le feu, était la plus célèbre de l’Antiquité, réunissant les ouvrages et les papyrus les plus importants du monde alors connu. Et plusieurs exemplaires ont aussi été déposés, gracieusement, dans les bibliothèques de la francophonie européenne, maghrébine, dans le reste de l’Afrique et aussi en Haïti, dans le cadre des missions d’enseignement aux étudiants en médecine et aux résidents en psychiatrie, organisées à l’initiative du Département universitaire.

Dans une longue tradition de partage du savoir, la mission des Classiques des sciences sociales de l’Université du Québec à Chicoutimi est de donner accès gratuitement aux oeuvres en sciences sociales et humaines de langue française. Les lecteurs intéressés peuvent ainsi retracer 50 années d’évolution des concepts de la psychiatrie au Québec. Le texte intégral des 3 éditions antérieures (1980, 1988, 2001) de ce manuel Psychiatrie clinique, publiées sous la direction de Pierre Lalonde et Frédéric Grunberg chez Gaëtan Morin éditeur, est disponible sur le site http://go.uqac.ca/psychiatrie_lalonde

Depuis la 1re édition, ce manuel s’est appuyé sur le diagnostic catégoriel préconisé à partir du DSM-III (1980). On constate maintenant que la fiabilité et la validité de ce modèle diagnostique ne sont plus satisfaisantes. Il semble bien que l’avenir nous oriente vers des diagnostics dimensionnels pour améliorer la fiabilité inter juge et la validité prédictive des diagnostics, voire le développement de tests biologiques en soutien de ces diagnostics (p. ex. les biomarqueurs). Qui pourrait prendre en charge la préparation d’une 5e édition du Psychiatrie clinique pour perpétuer cette cohésion bio-psycho-sociale à la base de notre pratique clinique au Québec ?