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Les 19e et 20e siècles furent déterminants pour l’intervention psychosociale. Ces années ont été marquées par le développement de disciplines académiques dans le champ de l’intervention psychosociale (p. ex. la sociologie et la psychologie ; Hayward, 2012), le développement de modèles et de théories fondamentales, dont le modèle biopsychosocial de Bronfenbrenner (1976) ou la théorie de l’apprentissage social de Bandura (1971), et par la reconnaissance de divers troubles de santé mentale (p. ex. l’anxiété ; Kierkegaard, 1844). Ces efforts, de pair avec plusieurs mouvements d’activistes pour la reconnaissance des droits des personnes marginalisées et la qualité des soins qui leur sont offerts, ont mené au développement de politiques entourant les soins pour les personnes aux prises avec des difficultés d’adaptation (Dicks, 1950), dont des politiques de désinstitutionnalisation des personnes ayant une déficience intellectuelle ou des troubles de santé mentale (Chowdhury et Benson, 2011 ; Fakhoury et Priebe, 2002).

Au cours des dernières années, les champs d’intervention psychosociale se sont multipliés et plusieurs disciplines ont désormais une reconnaissance légale via la professionnalisation au Québec, dont le travail social, la psychologie et la psychoéducation (Office des professions, 2021). Ces professions ont comme dénominateur commun d’offrir des services fondés sur les données empiriques qui visent à améliorer le fonctionnement, la participation sociale et la qualité de vie des individus aux prises avec des difficultés d’adaptation ou des problèmes de santé mentale. Une intervention qui a de plus en plus de soutien empirique comme outil d’intervention psychosociale est l’activité physique[1] (AP).

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (2022), l’activité physique se définit comme « tout mouvement corporel produit par les muscles squelettiques qui requiert une dépense d’énergie. […] La marche, le vélo, le cabre (wheeling), le sport en général, la détente active et le jeu sont autant de façons courantes de pratiquer une activité physique pouvant être appréciée de tous, quel que soit le niveau de chacun ». Bien que plusieurs bienfaits de l’AP sur la santé physique étaient déjà connus au moment de la professionnalisation de la psychologie, du travail social et de la psychoéducation, la place de celle-ci dans l’intervention psychosociale restait limitée (International Platform on Sport & Development, n. d.). Sur le plan de la recherche, peu d’études s’intéressaient à l’AP et à ses bienfaits psychosociaux.

Activité physique et bienfaits psychosociaux

L’AP est maintenant considérée comme un contexte d’apprentissage unique pouvant mener à des bienfaits sur la santé physique et mentale et pouvant servir de moyens de mise en relation pour l’enseignement, le développement et la généralisation de multiples aptitudes et compétences intra et interpersonnelles (Bruner et coll. 2021 ; World Health Organization, 2021). Les résultats de nombreuses études menées au cours des 50 dernières années ont permis d’observer les bienfaits psychosociaux pouvant découler de l’AP, autant chez la population générale (p. ex. Cunningham et coll., 2020 ; Guddal et coll., 2019 ; Murphy et coll., 2018 ; Rodriguez-Ayllon et coll., 2019) que chez de multiples clientèles auprès desquelles interviennent les professionnels dans le champ de l’intervention psychosociale (p. ex. personnes vivant avec un trouble du spectre de l’autisme [Wong et coll., 2015], personnes avec une déficience intellectuelle [Kapsal et coll., 2019], adolescents [Guddal et coll., 2019], individus avec un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité [Vysniauske et coll., 2020], personnes vieillissantes [Netz et al, 2005]).

Plusieurs études se sont intéressées, entre autres, aux effets de l’AP sur l’anxiété, la dépression et la détresse psychologique (voir Cunningham et coll., 2020 ; Eime et coll., 2013 ; Guddal et coll., 2019 ; Merkel, 2013 ; Rodriguez-Ayllon et coll., 2019). Notamment, l’accumulation de preuves a conduit l’Organisation mondiale de la Santé à reconnaître ses bienfaits sur la santé mentale ainsi qu’à mettre en place un plan d’action international visant à augmenter le niveau d’AP à travers le monde d’ici 2030 pour contribuer à la santé physique, la santé mentale et la qualité de vie des individus (World Health Organization, 2018). En plus des effets sur la santé mentale, certains chercheurs se sont intéressés aux bienfaits de l’AP sur le développement et la généralisation d’habiletés de vie. Les habiletés de vie comprennent « un large éventail d’aptitudes qui aident les (personnes) à efficacement faire face aux défis de la vie quotidienne et qui leur permettent de devenir compétents sur le plan social et psychologique (UNICEF, 2012, traduction libre). Une aptitude doit être généralisable à l’extérieur du contexte de l’AP dans laquelle elle a été acquise pour être considérée comme une habileté de vie (Gould et Carson, 2008). Les principales habiletés de vie étudiées dans les contextes de l’AP (plus particulièrement du sport) sont les habiletés émotionnelles, la résolution de problèmes, l’établissement d’objectifs, la gestion du temps, la communication interpersonnelle, les habiletés sociales, le travail d’équipe et le leadership (Johnston et coll., 2013). Aujourd’hui, le développement d’habiletés de vie et les bienfaits sur la santé mentale sont au coeur de la mission ou des priorités de plusieurs organisations sportives (p. ex. National Collegiate Athletic Association [2022] ; Olympiques spéciaux [Sethunya, n. d.], School Sport Canada [2019], Sport Skills For Life Skills. [2021], TrueSport, [n. d.]) et programmes d’AP communautaires visant diverses populations (p. ex. Pour3points [2021] ; Girls on the Run [Weiss et coll., 2020]).

De nombreuses recherches ont permis de démontrer les bienfaits de l’AP auprès de populations desservies par les professionnels de l’intervention psychosociale. En plus d’être considérée comme une pratique probante auprès de plusieurs clientèles auprès desquelles ces professionnels interviennent, l’intervention par l’AP fait partie des lignes directrices d’organisations reconnues, dont le National Institute for Health & Clinical Excellence (NICE ; 2016) et l’American Psychiatric Association (APA ; 2010). Dans une revue de méta-analyses, Spruit et coll. (2016) ont conclu que l’AP exerce une influence positive sur le concept de soi et la réussite académique des adolescents, en plus de réduire les problèmes extériorisés (p. ex. agression, la délinquance, ou autres problèmes de conduites) et intériorisés (p. ex. anxiété ou dépression). D’autre part, les résultats d’une méta-analyse incluant 29 études ayant mesuré des indicateurs psychosociaux portant sur les personnes ayant une déficience intellectuelle suggèrent que l’AP a une taille d’effet moyenne à élevée (g = 0,754, p < 0,001) sur différents indicateurs de la santé psychologique dont la santé mentale, le bien-être des personnes, ainsi que leur sentiment d’efficacité (Kapsal et coll., 2019). Les auteurs ont également rapporté une taille d’effet élevée pour la diminution des comportements problématiques et une taille d’effet modérée sur le développement des relations et de la maturité sociales. Chez les personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme, des bienfaits similaires ont été recensés dans la littérature (p. ex. Healy et coll., 2018 ; Huang et coll., 2020). Une AP qui est planifiée, structurée et répétée est notamment reconnue comme une pratique probante pour l’intervention auprès des personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme (Wong et coll., 2015). Chez des adultes vieillissants (c.-à-d. des adultes âgés entre 54-74 ans), la méta-analyse de Netz et coll. (2005) a révélé des effets positifs de l’AP sur différentes mesures psychologiques (p. ex. anxiété, dépression, confusion, bien-être, sentiment d’autoefficacité) et comportementales (p. ex. comportements agressifs), bien que ces effets étaient de petites tailles. Chez des populations de personnes ayant un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, les résultats de méta-analyses récentes indiquent des tailles d’effet modérées sur les fonctions exécutives (Cornelius et coll., 2017 ; Vysniauske et coll., 2020) et le fonctionnement cognitif (Lambez et coll. 2020), les problèmes émotionnels ou de l’humeur et les troubles internalisés (Cornelius et coll., 2017).

En somme, les résultats d’un nombre croissant d’études révèlent que l’AP permet de réduire les difficultés d’adaptation, de contribuer à la santé mentale positive, de mener à l’acquisition d’habiletés de vie et d’augmenter la qualité de vie des individus. L’AP peut donc être un outil d’intervention intéressant pour les intervenants psychosociaux dont le mandat implique d’accroître le fonctionnement adaptatif, la participation sociale et la qualité de vie des personnes. Les psychoéducateurs ont notamment le mandat d’accroître le potentiel adaptatif des personnes présentant des difficultés d’adaptation (Ordre des psychoéducateur et psychoéducatrices du Québec [OPPQ], 2021). Il faut toutefois se questionner à savoir si ces connaissances se sont transposées dans leur formation et leur pratique professionnelle. Ainsi, cette étude porte sur la place qu’occupe l’AP dans l’intervention psychoéducative.

Née au Québec au milieu du 20e siècle (années 1940) (Maïano et coll., 2020), la psychoéducation prenait initialement la forme d’une intervention axée sur le vécu éducatif partagé dans le but d’optimiser les capacités adaptatives des adolescents vivant des difficultés d’adaptation. Initialement, 2 principaux outils d’intervention étaient utilisés par les intervenants — le vécu partagé et l’AP par le sport (Bienvenue et Lebrun, 2014 ; Maïano et coll., 2020). Bien qu’au départ, l’AP occupait une place centrale dans la pratique des psychoéducateurs, la profession a désormais évolué et des changements importants ont été apportés dans les outils, les milieux, les clientèles et les modalités d’intervention des psychoéducateurs. À titre d’exemple, le temps de vécu éducatif partagé a nettement diminué, le rôle-conseil fait désormais partie des tâches des psychoéducateurs, les questionnaires standardisés sont davantage utilisés et la clientèle est beaucoup plus diversifiée (Maïano et coll. 2020). Or, aucune étude à ce jour n’a examiné si ces changements ont contribué à augmenter ou à diminuer la place de l’AP dans la pratique psychoéducative. De plus, il importe de savoir si l’utilisation de l’activité physique par les psychoéducateurs est encadrée par de la formation puisque certaines études soutiennent qu’une mise en oeuvre inadéquate (p. ex. un contexte non sécuritaire ou axé uniquement sur la performance) peut engendrer des effets physiques (p. ex. des blessures) ou psychologiques (p. ex. du stress ou une baisse de l’estime de soi) iatrogènes (p. ex. Malm et coll., 2019 ; Turgeon et coll., 2019). Cette étude a ainsi pour objectifs : 1) d’évaluer la place qu’occupe l’AP dans la formation académique et continue des psychoéducateurs ; 2) de dresser un portrait de l’utilisation de l’AP dans la pratique des psychoéducateurs et les facteurs faisant obstacle à son utilisation ; 3) d’explorer si certaines variables influencent l’utilisation de l’AP par les psychoéducateurs. Les résultats de cette étude pourraient susciter une réflexion chez les psychoéducateurs sur l’écart qu’ils observent entre leur formation théorique et leur pratique professionnelle et sur les mesures qui pourraient être mises en place pour réduire cet écart, le cas échéant.

Méthode

Procédure

Le présent projet de recherche a été approuvé par le comité d’éthique à la recherche de l’Université du Québec en Outaouais. Le recrutement a été réalisé de 2 façons. Dans un premier temps, la première auteure a envoyé une invitation par courriel au Réseau psychoéducation incluant une brève description de l’étude et le lien pour accéder au sondage en ligne. Ce réseau auquel les psychoéducateurs peuvent s’inscrire en effectuant une demande aux administrateurs de OPPQ prend la forme d’un groupe privé de discussions via une application de courrier électronique et comprend 747 membres. Dans un deuxième temps, une affiche de recrutement, incluant une brève description de l’étude, le lien vers le sondage et un code Quick Response (QR) menant au sondage en ligne, a été publiée sur divers groupes Facebook de psychoéducateurs (Vivement la psychoéducation !, Psychoéducation en DI TSA et Ressources et outils en psychoéducation). Les participants devaient être membres en règle de l’OPPQ au moment de la collecte de données.

La participation à l’étude impliquait de répondre aux questions du sondage en ligne d’approximativement 10 à 20 minutes. Le sondage en ligne était accessible pendant 12 semaines (voir la section Sondage en ligne de la Méthode pour une description détaillée des sujets traités dans le sondage).

Participants

En tout, 253 personnes ont accédé au sondage en ligne, dont 16 ont mis fin au sondage sans répondre aux questions d’inclusion, 26 ont rapporté ne pas répondre aux critères d’inclusion impliquant d’être inscrit à l’OPPQ comme psychoéducateur actif et 51 n’ont pas consentis à participer à l’étude. Ainsi, 160 participants répondaient aux critères d’inclusion et ont consenti à participer au projet de recherche, toutefois, 10 personnes n’ont répondu à aucune des questions du sondage en ligne. L’échantillon final pour la présente étude est donc de 150 participants. Il y a un peu plus de 5 000 personnes qui sont membres de l’OPPQ (2019). Notre échantillon représente ainsi ~ 3 % de l’ensemble des psychoéducateurs inscrits au tableau de l’OPPQ.

Les participants à l’étude ont rapporté avoir entre 26-68 ans (M = 37,9 ans, ÉT = 8,7) et s’identifiaient majoritairement au genre féminin (n = 140 ; 93,33 %). De plus, les participants avaient en moyenne 11,19 années d’expérience comme psychoéducateur (ÉT = 9,1 ; Min = 0,5 ; Max = 50,0). Les psychoéducateurs ont été admis à l’OPPQ par voie d’admission régulière (n = 114 ; 76,00 %), par équivalence (n = 6 ; 4,00 %), et par l’entremise de la clause grand-père (n = 30 ; 20,00 %). Concernant le lieu d’études, plus d’un tiers des participants ont obtenu leur baccalauréat en psychoéducation à l’Université de Montréal (n = 52). En ce qui a trait aux 114 psychoéducateurs ayant obtenu une maîtrise en psychoéducation, l’Université du Québec en Outaouais (n = 35 ; 45,61 %) est l’université ayant été la plus fréquentée pour l’obtention du diplôme de 2e cycle.

L’ensemble des 16 régions administratives étaient représentées dans notre échantillon, dont la majorité provenait de la Montérégie (n = 33 ; 22,00 %), de Montréal (n = 26 ; 17,33 %) et des Laurentides (n = 20 ; 13,33 %). Plusieurs intervenants ont rapporté travailler auprès de divers groupes d’âge et offrir une variété de types de services. Les groupes d’âge et les types de services présentés dans le sondage étaient ceux répertoriés sur le site de l’OPPQ. Les groupes d’âge les plus ciblés par les interventions des psychoéducateurs de la présente étude sont les enfants âgés de 5 à 12 ans (n = 98 ; 65,33 %) et les adolescents de 13 à 18 ans (n = 86 ; 57,33 %). Les services les plus fréquemment offerts entouraient la gestion des troubles de comportements (n = 103 ; 68,67 %) et les enjeux sur le plan de la santé mentale (n = 90 ; 60,00 %). Une présentation détaillée des caractéristiques sociodémographiques et professionnelles de l’échantillon est offerte au Tableau 1.

Tableau 1

Statistiques descriptives de l’échantillon

Statistiques descriptives de l’échantillon

Tableau 1 (continuation)

Statistiques descriptives de l’échantillon

Tableau 1 (continuation)

Statistiques descriptives de l’échantillon

Note. ÉT = écart-type, OPPQ = Ordre des psychoéducateurs et psychoéducatrices du Québec, TDA/H = trouble du déficit d’attention avec ou sans hyperactivité.

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Sondage en ligne

Le sondage en ligne a été préparé à l’aide de l’outil d’enquête Lime Survey en utilisant la licence institutionnelle de la chercheuse principale. Ce questionnaire comprenait d’abord une question portant sur le statut professionnel du participant afin de déterminer son éligibilité pour participer à l’étude, suivi du formulaire de consentement. Si la personne indiquait ne pas être présentement inscrite comme psychoéducateur à l’OPPQ ou que son consentement libre et éclairé n’était pas obtenu, le sondage était interrompu.

Le sondage était composé de 3 sections principales. La première section servait à recueillir des données sociodémographiques et professionnelles de la personne. Aucune information d’identification n’était collectée. La deuxième section comprenait des questions sur la formation académique et continue des participants en lien avec l’AP comme outil d’intervention. La dernière section portait sur les pratiques professionnelles des psychoéducateurs en lien avec l’AP et les barrières à son utilisation.

Analyses

Afin d’évaluer les Objectifs 1 et 2, nous avons réalisé des analyses descriptives (p. ex. fréquence, proportions, moyenne). Ensuite, des probabilités conditionnelles et des chi-carrés ont été effectués pour étudier la relation entre l’utilisation de l’AP par les psychoéducateurs et 1) leur formation académique ; 2) leur formation continue ; et 3) la clientèle qu’ils desservent (Objectif 3). Les probabilités conditionnelles sont présentées à titre descriptif, lorsque les données ne permettaient pas d’effectuer une analyse de chi-carré (p. ex. si un des postulats n’était pas respecté). Ces valeurs ne permettent pas d’établir la présence d’une différence statistiquement significative (Field, 2018). Spécifiquement, cette probabilité se calculerait à l’aide de l’équation suivante :

Nous avons ensuite multiplié la valeur par 100 pour obtenir un pourcentage.

La relation entre l’utilisation de l’AP et leur nombre d’années d’expérience des psychoéducateurs a été étudiée à l’aide d’une analyse de régression logistique. Les résultats présentés pour la régression sont les poids de saturation non standardisés. Aucune imputation de données n’a été réalisée dans le cadre de la présente étude.

Résultats

L’activité physique et la formation académique et continue

Sur les 150 participants ayant pris part à l’étude, 148 ont répondu aux questions portant sur l’AP comme contenu abordé, ou non, lors d’une de leur formation académique au baccalauréat ou à la maîtrise. De ces psychoéducateurs, seulement 6 (4,05 %) ont affirmé que ce thème a été traité dans un ou plusieurs de leurs cours, tandis que les 142 (95,95 %) autres ont indiqué que l’AP n’a jamais été abordée dans le cadre de leur formation académique. De plus, seulement 13 des 140 psychoéducateurs ont indiqué avoir obtenu de la formation continue portant sur l’activité comme outil d’intervention. Or, près de 80 % des intervenants (n = 114/143 ; 7 données manquantes) ont indiqué que l’AP devrait être systématiquement enseignée comme outil d’intervention dans le cadre de la formation psychoéducative.

L’utilisation de l’activité physique et ses obstacles

Un peu plus de 3 psychoéducateurs sur 4 (n = 108 ; 10 données manquantes) ont indiqué qu’ils avaient déjà utilisé l’AP comme outil d’intervention dans le cadre de leur pratique professionnelle. En ce qui a trait aux 32 participants n’ayant jamais utilisé l’AP dans leur pratique psychoéducative, les raisons les plus souvent sélectionnées ou exprimées (c.-à-d. spécifié comme « toute autre raison ») étaient l’absence de formation (n = 21/32) ainsi que l’incompatibilité entre l’intervention et leur milieu clinique ou de travail (n = 19). Il est intéressant de noter que seulement 2 des participants ont sélectionné l’option indiquant que l’AP n’est pas une intervention psychoéducative. D’autres raisons énumérées par les psychoéducateurs étaient un manque de temps (n = 4), le fait que l’AP ne soit adaptée à leur clientèle (n = 3) et le manque d’affinité personnelle avec l’AP (n = 1).

Les variables associées à l’utilisation de l’activité physique

Le troisième objectif de la présente étude visait à explorer la relation entre certaines variables et l’utilisation de l’AP par les psychoéducateurs. Spécifiquement, nous souhaitions évaluer si la formation académique et continue, le nombre d’années d’expérience et la clientèle desservie influençaient le recours à l’AP comme outil d’intervention par les psychoéducateurs.

La formation académique et continue

Étant donnée le petit nombre de personnes ayant rapporté avoir obtenu de la formation académique ou continue sur l’AP, nous n’avons pas été en mesure de procéder à une analyse de chi-carré pour ces variables. De ce fait, le postulat du nombre minimal de 5 effectifs théoriques par catégorie n’était pas respecté. Ainsi, nous présentons les probabilités conditionnelles à titre descriptif.

Concernant la formation académique, la probabilité conditionnelle de l’utilisation de l’AP dans la pratique professionnelle des psychoéducateurs, parmi l’ensemble des psychoéducateurs ayant reçu de la formation académique en lien avec l’AP, est de 80,00 % (4/5 X 100). Cette probabilité conditionnelle est de 77,04 % (104/135 X 100) pour les psychoéducateurs n’ayant pas reçu de formation académique à ce sujet.

Dans le même sens, la probabilité conditionnelle de l’utilisation de l’AP dans la pratique professionnelle des psychoéducateurs était de 92,27 % (12/13 X 100) pour les personnes ayant rapporté avoir obtenu de la formation continue en lien avec l’AP et de 75,59 % (96/127 X 100) pour les personnes n’ayant pas reçu une telle formation. Il est intéressant de noter que la quasi-totalité des personnes ayant entendu parler de l’AP dans le cadre de leur formation académique (4/5) ou continue (12/13) a déjà utilisé de l’AP dans leur pratique psychoéducative (voir le Tableau 2 pour les fréquences et la probabilité conditionnelle calculée selon la colonne).

Tableau 2

Probabilité conditionnelle de l’utilisation de l’activité physique selon le statut de formation

Probabilité conditionnelle de l’utilisation de l’activité physique selon le statut de formation

Note. Afin de simplifier la lecture du tableau, les pourcentages ont été arrondis à l’unité près.

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La clientèle

Des analyses de chi-carré ont été réalisées pour évaluer si l’utilisation de l’AP par les psychoéducateurs diffère selon la clientèle desservie. Toutefois, en raison du petit nombre de personnes ayant rapporté avoir travaillé auprès de personnes âgées (n = 11), de couples (n = 8), ou d’intervenants et du non-respect du postulat de l’effectif théorique par catégorie pour ces variables, nous n’avons pas procédé aux analyses de chi-carré entre ces clientèles et l’utilisation de l’AP dans la pratique psychoéducative par les psychoéducateurs. Les résultats pour les autres clientèles suggèrent que l’utilisation (oui ou non) de l’AP ne diffère pas selon que les participants travaillent ou non avec des enfants de 0 à 4 ans (χ2[1] = 0,88, p = 0,35) des enfants 5 à 12 ans (χ2[1] = 0,40, p = 0,53), des adolescents de 13 à 18 (χ2[1] = 0,36, p = 0,55), des adultes (χ2[1] = 0,17, p = 0,68) ou des dyades parent-enfant (χ2[1] = 0,19, p = 0,66).

La probabilité conditionnelle qu’un psychoéducateur utilise l’AP selon les différentes clientèles avec lesquelles il travaille varie entre 72 et 88 % et entre 72 et 79 % lorsque l’on exclut les catégories des personnes âgées, des couples et des intervenants. Puisque les psychoéducateurs pouvaient sélectionner plus d’une clientèle, il est impossible de réaliser des tests de chi-carré pour comparer l’utilisation de l’AP selon les différentes clientèles. Plus spécifiquement, ceci engendre le non-respect du postulat nécessitant que les catégories soient mutuellement exclusives. Les probabilités conditionnelles semblent toutefois suggérer que la probabilité que les psychoéducateurs aient utilisé l’AP dans leur pratique professionnelle est élevée (environ 3 psychoéducateurs sur 4), et ce, pour l’ensemble des clientèles. Le Tableau 3 présente les fréquences et la probabilité conditionnelle calculée selon la colonne.

Tableau 3

Fréquence et probabilité conditionnelle de l’utilisation de l’activité physique en fonction de la clientèle

Fréquence et probabilité conditionnelle de l’utilisation de l’activité physique en fonction de la clientèle

Note. Afin de simplifier la lecture du tableau, les pourcentages ont été arrondis à l’unité près. AP = activité physique.

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Le nombre d’années d’expérience

En tout, 138 participants ont répondu aux questions sur l’utilisation de l’AP dans leur pratique psychoéducative et leur nombre d’années d’expérience. De cet ensemble de personnes, un rapport de cote (odds ratio) de 3,6 est observé entre l’utilisation de l’AP et la non-utilisation de l’AP par les psychoéducateurs. En d’autres mots, l’échantillon pour cette analyse comporte 3,6 fois plus de psychoéducateurs ayant utilisé l’AP en comparaison aux professionnels n’ayant pas rapporté avoir utilisé l’AP. Le test de Hosmer et Lemeshow est non significatif (RL2 [8] = 6,91, p = 0,55), suggérant que l’ajustement du modèle pour lequel le nombre d’années d’expérience était la variable indépendante et l’utilisation de l’AP dans sa pratique psychoéducative (non = 0 et oui = 1) était la variable dépendante est adéquat (Field, 2018). L’exactitude de la classification du modèle est de 78,30 %, suggérant une bonne performance du modèle. Toutefois, cette statistique doit être interprétée avec prudence considérant la différence entre la taille des groupes de la variable dépendante. Les résultats de l’analyse révèlent que plus le nombre d’années augmente, plus la probabilité que le psychoéducateur ait utilisé l’AP dans sa pratique professionnelle est grande, β = 0,062, Wald χ2(1) = 4,42, p = 0,036. Plus spécifiquement, une augmentation d’une année d’expérience (c.-à-d. d’une unité de la variable indépendante) augmente de 1,06 (IC à 95 % = 1,00 ; 1,13) fois les chances que la personne ait utilisé l’AP dans sa pratique professionnelle. La Figure 1 ci-dessous présente le nombre de psychoéducateurs qui ont rapporté utiliser ou non l’AP selon leur nombre d’années d’expérience.

Figure 1

Utilisation de l’activité physique selon le nombre d’années d’expérience

Utilisation de l’activité physique selon le nombre d’années d’expérience

Note. Cette figure présente le nombre de psychoéducateurs ayant rapporté avoir utilisé ou non l’activité physique dans leur pratique psychoéducative selon le nombre d’années d’expérience. Afin de simplifier la présentation visuelle, les années d’expérience ont été regroupées par tranche de 5 ans.

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Discussion

La présente étude avait pour objectifs : 1) d’évaluer la place qu’occupe l’AP dans la formation académique et continue des psychoéducateurs ; 2) de dresser un portrait de l’utilisation de l’AP dans la pratique psychoéducative et des facteurs faisant obstacle à son utilisation ; 3) d’explorer si l’utilisation de l’AP par les psychoéducateurs est influencée par leur formation académique et continue, la clientèle desservie et leur nombre d’années d’expérience.

Les résultats indiquent qu’environ 3/4 des psychoéducateurs ayant répondu à notre sondage en ligne ont déjà fait utilisation de l’AP dans le cadre de leur pratique professionnelle, et ce, malgré que la majorité des répondants n’ait jamais obtenu de formation académique (96,43 %) ou continue (90,71 %) sur cet outil d’intervention. Ces résultats suggèrent que les interventions appliquées par les psychoéducateurs ne se limitent pas à celles enseignées lors de leur formation théorique initiale et qu’ils se servent de l’AP comme outil d’intervention pour atteindre les objectifs ciblés. Ce constat est aussi observé dans d’autres domaines de spécialisation. Par exemple, Thibault Lévesque et coll. (2017) ont rapporté que le sport est un outil utilisé par les travailleurs sociaux, mais que l’enseignement de cette modalité d’intervention n’est pas intégré à la formation académique de ces professionnels. Les psychoéducateurs n’ayant pas eu recours à l’AP dans leur pratique d’intervention ont rapporté le manque de formation comme raison principale. Il est aussi intéressant de noter une tendance positive entre l’obtention d’une formation à l’égard de l’AP comme outil d’intervention et son utilisation. En fait, presque tous les participants ayant obtenu de la formation académique (4 des 5 répondants) ou continue (12 des 13 répondants) sur l’AP ont rapporté l’utiliser dans leur pratique professionnelle. Cette observation doit toutefois être interprétée avec prudence, car il n’a pas été possible de statuer sur le degré de signification statistique de la relation entre ces deux variables en raison de la faible proportion de participants ayant eu de la formation sur l’AP. Par ailleurs, il est possible que les intervenants ayant un intérêt plus marqué pour l’AP choisissent des activités de formation continue liées à l’AP et que son utilisation relève davantage d’une motivation intrinsèque que de l’influence de la formation. Dans le même ordre d’idées, 2 psychoéducateurs ont rapporté que l’AP n’est pas, selon eux, une intervention psychosociale, possiblement dû à un manque d’exposition aux connaissances scientifiques sur le sujet. D’autres études avec de plus grands échantillons sont nécessaires afin de vérifier cette hypothèse.

Les résultats des 2 premiers objectifs spécifiques sont à la fois encourageants et inquiétants. D’une part, ils sont encourageants considérant la documentation scientifique qui appuie les bienfaits de l’AP sur une multitude d’indicateurs de santé physique et psychosociale. En effet, la pratique d’une AP peut produire des réponses biochimiques (p. ex. la sécrétion d’endorphines) et physiologiques (p. ex. augmentation du rythme cardiaque ; Cairney et coll., 2019) qui peuvent entraîner des bienfaits chez différentes clientèles présentant des symptômes d’anxiété, de dépression, de déficit d’attention ou d’hyperactivité et certains symptômes associés au trouble du spectre de l’autisme. Ce qui est particulièrement intéressant de l’AP, outre le fait qu’elle puisse simultanément produire des bienfaits psychosociaux et physiques, est qu’elle peut être adaptée à chaque clientèle et groupe d’âge (Cairney et coll., 2019). Par exemple, il est possible d’intégrer l’AP dans le jeu chez les enfants d’âge préscolaire (Gunner et coll., 2005 ; Mavilidi et coll., 2022) ou encore de mettre en place des jeux vidéo interactifs qui impliquent de l’AP chez les aînées (Yen et Chiu, 2021).

Cependant, comme toute intervention, une utilisation inadéquate peut entraîner des conséquences négatives chez les personnes auprès de qui les psychoéducateurs interviennent. Par exemple, des études ont trouvé que l’AP, lorsqu’adaptée et supervisée, peut avoir des effets positifs chez les personnes ayant des troubles alimentaires (Cook et coll., 2016 ; Sundgot-Borgen et coll., 2002), mais il est facile d’imaginer comment une telle intervention pourrait engendrer des conséquences négatives tant au niveau de la santé physique que psychologique chez cette clientèle si mise en place de manière inadéquate (p. ex. si l’objectif est une perte de poids ou que la durée et/ou l’intensité sont trop élevées).

Il semble donc important de former les psychoéducateurs à l’utilisation de l’AP afin d’assurer une utilisation appropriée de cet outil d’intervention. Plus précisément, il serait important de s’assurer que les meilleures pratiques à l’égard de l’utilisation de l’AP soient enseignées dans la formation psychoéducative pour qu’elles soient employées dans des contextes appropriés et de manière sécuritaire. Il serait également pertinent que les ordres professionnels établissent des lignes directrices entourant l’AP afin de veiller à ce que son utilisation ne dépasse pas les compétences de ces professionnels. Au cours des dernières années, plusieurs programmes académiques et associations en lien avec l’intervention psychosociale et le sport ont vu le jour. Par exemple, aux États-Unis, une alliance de travailleurs sociaux en contexte de sport (Alliance of sport social workers in sports ; https://www.aswis.org ) et des revues spécialisées sur le sujet (p. ex. Sport Social Work Journal et Journal of Sport for Development) ont été développées. De plus, des cours spécifiques à la psychologie du sport ont été intégrés à des programmes de formation comme la kinésiologie. Bien que pertinents, ces derniers portent davantage sur le développement d’athlètes et la performance sportive. Il conviendrait que l’ensemble des professionnels psychosociaux soient formés à l’utilisation de l’AP comme outil d’intervention au-delà du contexte sportif.

Concernant les variables associées à l’utilisation de l’AP, les résultats suggèrent que le fait de travailler ou non avec différentes clientèles ne semble pas influencer l’utilisation de l’AP par les psychoéducateurs. Cet outil d’intervention est utilisé par la majorité des psychoéducateurs (> 70 %), et ce, peu importe la clientèle avec laquelle ils travaillent. Dans le même sens, les probabilités conditionnelles en lien avec l’utilisation de l’AP ne semblent pas différer largement selon l’obtention ou non de formation académique ou continue sur le sujet de l’AP.

En contrepartie, le nombre d’années d’expérience a été identifié comme prédicteur significatif de l’utilisation de l’activité, avec les psychoéducateurs détenant plus d’expérience étant plus nombreux à avoir rapporté utiliser l’AP dans leur pratique professionnelle. Ce résultat peut sembler surprenant considérant l’accumulation de preuves scientifiques récentes qui relate la pertinence, la faisabilité et l’efficacité de l’AP pour répondre aux besoins de plusieurs des clientèles auprès desquelles les psychoéducateurs interviennent. Une hypothèse pouvant expliquer ce résultat est que l’AP faisait davantage partie de l’identité professionnelle des psychoéducateurs dans les premières années de la profession. À ce moment, le vécu éducatif partagé et l’intervention directe auprès de la clientèle étaient au premier plan, comparativement à aujourd’hui où l’exercice du rôle-conseil occupe une place de plus en plus importante.

Contributions, forces et limites de l’étude

Cette étude est la première à quantifier la proportion de professionnels en intervention psychosociale au Québec, soit les psychoéducateurs, ayant été formés à l’utilisation de l’AP dans le cadre de leur formation académique et continue, de même que la proportion d’intervenants qui utilisent l’AP dans le cadre de leurs fonctions professionnelles. Ce projet de recherche a également permis d’identifier certains facteurs pouvant faire obstacle à l’utilisation de l’AP par les psychoéducateurs, tels que l’absence de formation et l’incompatibilité avec le milieu d’intervention et l’AP. Bien que 150 personnes aient participé à l’étude et permettent une représentation diversifiée des psychoéducateurs (p. ex. âge, années d’expérience et clientèles desservies), cet échantillon représente moins de 5 % de l’ensemble des psychoéducateurs du Québec et comporte une faible diversité au niveau du genre. Il serait ainsi souhaitable de reproduire cette étude, d’une part, avec un plus grand échantillon représentatif des psychoéducateurs au Québec afin d’assurer la fidélité des résultats et des hypothèses émises. D’autre part, de répliquer la présente étude avec des professionnels en intervention psychosociale d’autres professions (p. ex. les travailleurs sociaux et les psychologues) afin de dresser un portrait plus exhaustif des pratiques de ces intervenants et des besoins en termes de formation entourant l’AP. De plus, la nature transversale de l’étude et l’utilisation d’une collecte de données uniméthode limite les conclusions pouvant être tirées, plus particulièrement en ce qui a trait aux facteurs associés à l’utilisation de l’AP. L’utilisation de devis longitudinaux permettrait une meilleure compréhension de la relation entre ces facteurs et l’utilisation de l’AP par les intervenants.

Nous croyons qu’il soit nécessaire de poursuivre la recherche sur ce sujet afin de développer une meilleure compréhension de l’utilisation de l’AP par les psychoéducateurs (et autres intervenants psychosociaux). Il serait pertinent, entre autres, de sonder les besoins des professionnels en matière de formation sur l’intervention par l’AP. De plus, les prochaines études devraient quantifier l’utilisation de l’AP de manière plus précise, plutôt que d’en faire une mesure binaire (c.-à-d. l’utilisation ou la non-utilisation de l’AP). Développer une meilleure compréhension de la nature et du contexte de l’utilisation de l’AP par les psychoéducateurs permettrait de dresser un portrait plus détaillé et d’émettre des recommandations en matière de formation et d’encadrement de la pratique. Une démarche de coconstruction entre les psychoéducateurs et des spécialistes de l’AP pourrait s’avérer pertinente. Une telle collaboration permettrait de combiner le savoir expérientiel des psychoéducateurs (p. ex. les besoins et caractéristiques des clientèles desservies par ces professionnels) aux connaissances empiriques et au savoir-faire des spécialistes de l’AP (voir Rioux et coll. [2019] pour un exemple de démarche de coconstruction).

Conclusion

Considérant les nombreux bienfaits associés à l’AP, la présente étude incite à une réflexion quant à la place qu’occupe l’AP dans la formation et l’intervention psychosociale, notamment en psychoéducation. En effet, les données révèlent que la majorité des 150 psychoéducateurs ayant participé au sondage en ligne n’ont pas reçu une formation académique ou continue spécifique à l’utilisation de l’AP, bien que la plupart rapportent faire usage de cette intervention. Les données de la littérature scientifique soulignent que l’AP peut servir d’outil d’intervention psychosocial et notre étude souligne qu’un grand nombre de psychoéducateurs en font l’utilisation dans leur pratique. Toutefois, afin d’éviter qu’une utilisation inadéquate produise des effets iatrogènes chez leurs clients, il importe de poursuivre de tels projets de recherches afin d’assurer que les professionnels aient la formation et l’encadrement nécessaire pour une implantation sécuritaire et efficace.