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Introduction

La violence se fait relativement rare. Depuis les années 1990, on observe une lente diminution des crimes au Québec (et partout au Canada et aux États-Unis). En 2018, on dénombrait 651 homicides au Canada, c’est-à-dire 15 de moins qu’en 2017 et 10 de moins que l’année précédente au Québec. Si les taux de violence sont relativement faibles par rapport à ce qu’ils étaient il y a une trentaine d’années, leur place dans les médias semble être à la hausse. L’idée que les médias traditionnels offrent une vision déformée du phénomène criminel, mettant une emphase sur les crimes violents, n’est pas nouvelle (Hollis, Downey, del Carmen et Dobbs, 2017). Cette tendance sera vraisemblablement exacerbée par les médias sociaux qui montrent un fort biais vers la présentation des contenus portant sur les crimes violents et les violences à caractère sexuel (Prieto Curiel, Cresci, Muntean et coll., 2020). On attribue souvent les actes de violence aux personnes ayant des problèmes de santé mentale (McGinty, Kennedy-Hendricks, Choklsy et Barry, 2016). C’est aux professionnels de la santé, particulièrement à ceux oeuvrant auprès de clientèles judiciarisées, qu’incombe la responsabilité d’évaluer le risque de violence des personnes ayant des troubles de santé mentale. Cette évaluation servira de base à l’établissement d’un plan de traitement adapté aux besoins de la personne visant une réduction du risque de violence et une réintégration harmonieuse éventuelle à la collectivité.

L’évaluation du risque de violence

On peut sommairement définir l’évaluation du risque comme un processus impliquant la collecte systématique d’informations visant à déterminer à quel point une personne est susceptible d’utiliser la violence, contre elle-même ou une autre personne dans un futur plus ou moins rapproché. Pour Hart, Douglas et Guy (2016), l’exercice va au-delà de l’appréciation de la probabilité de violence, elle contient deux phases (Guy, Douglas et Hart, 2015) : une première qui consiste à apprécier la probabilité et de se projeter dans des avenirs possibles. Il s’agit donc d’évaluer une multitude de facteurs afin de se renseigner sur la probabilité qu’une personne passe à l’acte et de réfléchir à la nature de ces passages à l’acte, les circonstances dans lesquelles elles sont les plus susceptibles de se produire, auprès de qui, etc. Une seconde phase a pour but d’identifier les moyens à mettre en oeuvre afin de réduire ce risque de violence en prenant en compte la situation légale, sociale et contextuelle de la personne. Cela implique de réfléchir à l’effet possible d’interventions et de moyens de mitigation, et aux conséquences de ne pas les mettre en oeuvre sur le parcours des personnes. Pour Hart et coll. (2016), il s’agit là d’un processus récursif où chacune des deux phases alimente l’autre.

La recherche entourant le développement des méthodes visant l’évaluation du risque de violence ne s’est pas faite en vase clos. Deux milieux de pratique ont rapidement été confrontés à la nécessité de développer des pratiques efficaces pour s’assurer de correctement évaluer le risque de violence : les milieux psychiatriques et les milieux correctionnels. Dans les milieux psychiatriques, particulièrement les milieux forensiques, les efforts ont été déployés afin d’identifier parmi les personnes souffrant de troubles mentaux, lesquelles étaient les plus susceptibles d’agir violemment, contre elles-mêmes, envers les copatients ou codétenus et contre les intervenants. Estimer le risque de telles violences une fois en communauté figure au haut de la liste des priorités. Dans les milieux correctionnels, les professionnels doivent documenter le risque de nouvelles infractions ou condamnations violentes chez les personnes judiciarisées, et proposer des interventions susceptibles de réduire ce risque de récidive. Malgré leurs différences, ces deux milieux partagent la mission d’assurer la sécurité du public, des intervenants et de la personne elle-même. Ces similitudes ont contribué au développement de méthodes et d’instruments similaires. Bien que les clientèles se chevauchent – un nombre important de personnes judiciarisées sont aux prises avec des troubles mentaux, et un nombre important de patients psychiatriques ont commis des infractions – ces deux milieux ont des réalités bien différentes. Dans les milieux correctionnels, la durée parfois courte de la supervision, la quantité de personnes à superviser de même que la disponibilité du personnel les a menés vers des méthodes actuarielles favorisant la fidélité et la prise de décision plus rapide. Dans les milieux psychiatriques fermés, la disponibilité des professionnels, l’accès à différentes sources de données, la mission de santé et psychosociale ainsi que la durée des suivis ont contribué au développement de méthodes offrant plus de latitude aux professionnels dans l’appréciation du risque de violence. L’évaluation du risque de violence chez ces deux clientèles est désormais menée à l’aide d’instruments d’évaluation structurée. On en compte désormais plus de 200 (Singh et coll., 2014).

On classe généralement les pratiques en 3 grandes familles, selon la façon dont les éléments sont colligés, codés et traduits en une appréciation du niveau de risque de la personne : les approches de jugement clinique non structurées, les approches actuarielles parfois qualifiées d’approches non discrétionnaires et les méthodes basées sur les guides de jugement professionnel structuré (JPS), aussi désignées comme discrétionnaires. Les prochaines sections présentent les différentes méthodes et les instruments les plus couramment utilisés.

Les approches non structurées

Historiquement, l’évaluation du risque a été menée de manière non structurée, c’est-à-dire, sans méthode formelle ni instrument. Le professionnel, sur la base de son expérience personnelle, devait se positionner sur le niveau de risque de la personne évaluée. Les approches non structurées sont de moins en moins utilisées lorsque les enjeux sont importants. En effet, elles s’appuient sur ce que certains appellent « l’autorité charismatique » (Hart et coll., 2016), c’est-à-dire que la crédibilité d’une évaluation est basée sur la formation spécialisée de l’évaluateur, ses diplômes, son expérience ou son intuition. Les critères utilisés pour juger du risque sont laissés à la discrétion de l’évaluateur et sont difficilement reproductibles. Or, évaluateur compétent ou non, les évaluations du risque basées sur les approches non structurées sont hautement problématiques, tant au niveau de leur fidélité que de leur validité prédictive (Guy et coll., 2015). En effet, nombreux sont les travaux qui indiquent depuis plus de 40 ans que l’appréciation du risque de violence est équivalente à lancer une pièce de monnaie (Ennis et Litwack, 1974). La piètre performance de ce type d’évaluation (Aegisdóttir et coll., 2006) est en bonne partie due à la sensibilité des évaluateurs à divers biais et euristiques cliniques (Tversky et Kahneman, 1974). En raison des conséquences sur la sécurité du public et le droit des personnes évaluées, elles ont pour une bonne part été laissées de côté au profit d’approches structurées.

Les méthodes actuarielles

Les méthodes actuarielles s’appuient sur la recherche de corrélats de la commission d’infractions de violence. Ces méthodes mettent l’accent sur l’utilisation d’un nombre ciblé de critères statistiquement liés à la violence, et sont organisées selon une série de règles de cotation afin de générer un algorithme de prédiction. Les items statiques plus souvent retenus concernent généralement le nombre d’antécédents judiciaires, la précocité des premières infractions ou des premières condamnations, les différents problèmes d’adaptation ou l’âge. Un élément fort des approches actuarielles statiques concerne l’inclusion de caractéristiques facilement mesurables, qui constituent des marqueurs d’une probabilité accrue de violence. L’évaluation actuarielle contient toujours des facteurs statiques, à savoir des facteurs qui ne peuvent être modifiés à la suite d’un traitement ou d’un programme. Ce qui la caractérise est qu’elle définit avec des critères opérationnels les différents items, ce qui lui permet de maintenir un certain niveau d’accord interjuges, mais aussi de générer des tables de taux de récidive liés à chaque catégorie de risque.

Les instruments actuariels statiques permettant de prédire spécifiquement la violence sont peu nombreux. Parmi les plus couramment utilisés, on retrouve la Violent Risk Appraisal Guide (VRAG ; Quinsey, Harris, Rice et Cormier, 1998, 2006) et sa dernière mouture la VRAG-R (Harris, Rice, et Quinsey, 2015). La VRAG est un instrument actuariel contenant 12 items associés à la violence. La VRAG a initialement été conçue auprès de 618 délinquants violents pris en charge dans un hôpital psychiatrique ontarien. Les items de la VRAG sont combinés en un score total allant de - 26 à + 38. Ce continuum est découpé en 9 catégories de risque correspondant à un taux de récidive allant de 8 % de récidive sur 10 ans à 100 % sur une même période. La VRAG-R est une refonte de l’instrument et comporte toujours 12 items, mais plusieurs d’entre eux ont été modifiés ou éliminés, notamment le score total à l’échelle de psychopathie de Hare (Hare, 2003) qui a été remplacée par le score à la facette antisociale de ce même instrument, l’historique d’abus d’alcool qui a été remplacé par un item sur l’abus de substances, les items de diagnostic et de victimes féminines éliminés et l’ajout d’un item sur l’historique de violence et l’historique d’agression sexuelle.

La fidélité des items de la VRAG et de la VRAG-R est généralement élevée, allant de 0,80 à 0,95 selon les études. La validité prédictive de l’instrument est quant à elle plutôt bonne, tel qu’en témoigne les différentes méta-analyses sur la question, faisant état de coefficients d’aire sous la courbe ROC de 0,76 en combinant les échantillons de développement et de 0,75 sans l’item de psychopathie, ce qui correspond à une grande taille d’effet (Rice et Harris, 2005).

Des instruments de type actuariel ont aussi été développés afin de mesurer les facteurs dynamiques associés à la récidive et dans une moindre mesure la récidive violente. Parmi les plus répandus et utilisés, on retrouve les instruments de la famille Level of Services (LS). Le LS/CMI (Case Management Inventory) est la dernière version en date des instruments de la famille LS élaborée par Andrews, Bonta et Wormith (2004). Le LS/CMI est coté à la suite de la lecture attentive du dossier de la personne judiciarisée et d’entretiens semi-structurés avec cette dernière. Généralement, les entretiens prennent la forme d’un survol des différentes sphères de vie de la personne dans un style relativement libre, et touchent les facteurs dynamiques liés à la récidive (les besoins criminogènes) ainsi que les autres caractéristiques de la personne (les besoins non criminogènes et questions de réceptivité). La première section est le coeur de l’instrument : elle comporte 43 items, permet de quantifier le risque, et renseigne l’évaluateur sur les 8 grands domaines les plus fortement liés à la récidive sur lesquels pourrait porter l’intervention. C’est à la suite de la cotation de ces items que sera produite la cote de risque, laquelle est organisée selon 5 catégories : très faible, faible, moyenne, élevée et très élevée.

Le LS/CMI a été développé afin d’accompagner les professionnels dans l’établissement d’un plan d’intervention ayant pour but la réduction de la récidive. Par conséquent, à l’instrument actuariel viennent se greffer différentes sections permettant de documenter les facteurs personnels et contextuels, les aspects de réceptivité et les besoins non criminogènes. La version française du LS/CMI offre de bonnes performances dans la prédiction de la récidive générale et violente (Guay, 2016), équivalent à ce qui a été observé ailleurs dans le monde (Olver, Stockdale et Wormith, 2014).

De nombreux instruments ont aussi été développés pour permettre d’évaluer adéquatement le risque de récidive de catégories d’infractions plus difficiles à prédire, par exemple celles des auteurs d’infractions à caractère sexuel (AICS) et celles des auteurs de violences conjugales. Parmi les plus couramment utilisés, on retrouve les instruments comme ceux de la trousse développée par Hanson et ses collègues pour les AICS, soit la Statique-99 (facteurs uniquement statiques), ainsi que la Stable-2007 (portant sur les facteurs dynamiques stables ; Hanson, Harris, Scott et Helmus, 2007) et l’Aigu-2007 (pour les facteurs aigus, fluctuant rapidement ; Hanson, Harris, Scott et Helmus, 2007). Le risque de récidive en contexte de violence conjugale peut être estimé à l’aide de l’Ontario Domestic Assault Risk Assessment (ODARA ; Hilton, Harris et Rice, 2010), un instrument actuariel comptant 13 items statiques.

Les guides de Jugement professionnel structuré

Les guides de Jugement professionnel structuré (JPS) ont pour objectif d’associer la flexibilité d’une approche clinique à la force des données issues de la recherche (Webster, Hucker et Bloom, 2002). Les instruments de type JPS ont été principalement prévus pour l’évaluation du risque de violence chez les patients souffrant de troubles mentaux graves ou sous le coup de mesures pénales d’exception, comme la loi sur les délinquants dangereux. Les instruments d’aide à la décision basés sur le JPS ont vu le jour dans les années 1990 et ont été conçus dans l’optique d’évaluer le risque, mais aussi d’en comprendre les manifestations. Les auteurs de tels instruments aspiraient à proposer des instruments systématiques, cohérents et enracinés dans la recherche (Borum et Verhaagen, 2006). Avec les instruments de type JPS, l’évaluateur dispose d’une liste de domaines à évaluer, à la manière d’un aide-mémoire.

Le plus couramment utilisé est sans doute le Historical Clinical Risk Management-20 (HCR-20 ; Douglas, Hart, Webster et Belfrage, 2013 ; Webster, Eaves, Douglas et Wintrup, 1995 ; Webster, Eaves, Douglas et Wintrup, 1997), un guide du jugement clinique structuré qui en est à sa troisième version. Il a été conçu afin d’évaluer le risque de violence générale chez les auteurs d’infractions atteints de troubles mentaux principalement, mais également chez les délinquants ne présentant pas de troubles mentaux, et vise à orienter la mise en place d’une intervention basée sur les facteurs de risque. Il est composé de 20 domaines de risque sélectionnés sur la base de leur association avec la violence dans la littérature scientifique et professionnelle ainsi que sur des consultations avec des spécialistes oeuvrant dans le domaine de la santé mentale. Dix de ces facteurs touchent des aspects historiques ou statiques (p. ex. les antécédents de violence, les problèmes d’emploi, les échecs antérieurs lors du suivi), 5 traitent d’aspects cliniques et concernent le fonctionnement actuel de la personne (p. ex. les attitudes négatives, l’impulsivité, la résistance au traitement), et finalement 5 concernent les facteurs associés à la gestion du risque (p. ex. des plans personnels irréalistes, le manque de soutien dans son milieu). Chacun des aspects est coté « absent », « partiellement présent » ou « présent ». La fidélité interjuges est bonne pour les facteurs historiques (le coefficient de fidélité médian étant de 0,86) et relativement bonne pour les aspects dynamiques (fidélité médiane des facteurs cliniques de 0,74 et de 0,68 pour les facteurs liés à la gestion du risque) (Douglas et Reeves, 2010). La validité prédictive de la HCR-20 est bonne (Douglas et coll., 2014). Toutefois, dans le cas de sa dernière mouture (version 3), plus de la moitié des études ont été menées par les auteurs d’origine, et ont porté presque exclusivement sur des populations psychiatriques (Mooney et Sebalo, 2019).

Les instruments de tradition JPS sont nombreux, et se destinent à une variété de tâches et de populations. Le type de comportement délictueux, de même que les caractéristiques des répondants détermineront en partie l’instrument choisi. En effet, le type de comportement à prévenir influencera le choix de l’instrument : si certains instruments comme la HCR-20 v3 ont été développés afin de documenter le risque de violence générale chez les hommes adultes, d’autres se destinent à l’évaluation des auteurs de violence sexuelle comme la Sexual Violence Risk-20 (SVR-20 ; Boer, Hart, Kropp et Webster, 1997, 2017), ou la Risk for Sexual Violence Protocol (RSVP) (Hart et coll., 2003). Des instruments JPS ont aussi été développés pour documenter le risque de violence conjugale (SARA ; Kropp et Hart, 2015), le risque de violence chez les adolescents, comme c’est le cas pour la Structured Assessment of Violence Risk in Youth (SAVRY) (Borum, Bartel et Forth, 2006) ou même chez les enfants (Early Assessment Risk List ; Augimeri, Koegl, Webster et Levene, 2005). La figure 1 propose un sommaire des principaux instruments issus de la tradition actuarielle et JPS. Ils sont organisés en fonction de l’âge de la personne à évaluer et du type de violence spécifique visé par l’évaluation.

Un autre critère qui aurait pu être utilisé pour organiser les instruments d’évaluation du risque concerne l’imminence de la violence, soit si l’instrument vise l’évaluation et la gestion du risque de violence dans les prochaines 24 heures ou les 6 prochains mois. Si l’évaluation et gestion du risque de violence vise par exemple les 24 heures suivant son administration, la Dynamic Apprasial of Situational Aggression (Ogloff et Daffern, 2006) est parmi les options plus robustes sur le plan psychométrique (AUC entre .65 et .82 ; Chu et coll. 2013 ; voir aussi Dickens et coll., 2020). Cet instrument a comme objectif d’aider quotidiennement (dans une fenêtre de 24 heures) les professionnels en psychiatrie légale ou en psychiatrie civile à prendre des décisions dans un contexte de violence imminente. Elle concerne des facteurs de risque susceptibles de changer dans une courte période de temps et qui sont relativement faciles à documenter comme les attitudes négatives et les menaces verbales. La Short-Term Assessment of Risk and Treatability (START), pour sa part, est un instrument permettant l’évaluation du risque de violence et de la « traitabilité » à court terme, soit de 1 à 8 semaines. Elle vise une cotation en équipe multidisciplinaire (Webster et coll., 2006). Elle offre aux professionnels un guide clinique concis avec des bonnes qualités psychométriques (Desmarais et coll., 2012 ; Farrell et coll., 2020 ; O’Shea et Dickens, 2014) qui aide à structurer les évaluations sur l’état de santé mentale, à planifier les stratégies de gestion du risque et à communiquer l’information relative au risque de façon exacte et constante. Il s’agit ici de l’évaluation de 20 facteurs de risque dynamiques, cotés comme vulnérabilités ou comme forces, incluant un facteur de traitabilité, par exemple à quel point facteurs de risque, comme l’impulsivité, sont susceptibles de changer avec la mise en place d’un plan de gestion du risque par l’équipe (p. ex. participation de la personne à un programme sur la gestion des émotions). Bien que ces divers instruments guident l’évaluation à court terme, la HCR-20 demeure l’instrument le mieux validé et le plus utilisé afin d’évaluer le risque de violence à moyen terme (1 à 6 mois) dans une perspective JPS (Judges, Egan et Broad, 2016).

Si l’évaluation structurée du risque et des besoins est désormais pratique courante chez les professionnels, nombreux sont ceux qui recourent tout naturellement aux facteurs de protection pour préciser le niveau de risque, concevoir leurs plans d’intervention et stimuler la motivation au changement. Ce n’est que très récemment que des instruments ont formellement considéré les facteurs de protection. L’instrument qui a connu l’engouement le plus rapide est sans contredit la Structured Assessment of Protective Factor for violence risk (SAPROF). Il existe désormais une version pour mineurs délinquants (SAPROF-Youth Version), et des versions pour les personnes ayant une déficience intellectuelle, les auteurs d’infractions à caractère sexuel, les enfants ou des patients en soins de longue durée sont actuellement en développement. La SAPROF contient au total 17 domaines concernant des facteurs de protection internes (5 items), des facteurs de protection liés à la motivation (7 items), et des facteurs de protection externes (5 items). La SAPROF présente de bons coefficients de fidélité (de Vries Robbé, de Vogel et de Spa, 2011) et une bonne validité prédictive. Malgré que la SAPROF en soit encore à ses débuts, les données suggèrent qu’elle permette de bonifier l’évaluation du risque proposée par la HCR-20 (de Vries Robbé et coll., 2011, de Vries Robbé, de Vogel et Douglas, 2013), quoique des travaux plus récents ne corroborent pas nécessairement cette prétention (Coupland, 2015).

Figure 1

Principaux instruments issus de la tradition actuarielle et Jugement professionnel structuré

Principaux instruments issus de la tradition actuarielle et Jugement professionnel structuré

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Les approches structurées : similitudes, différences et complémentarité entre les approches actuarielles et les JPS

Les approches JPS, comme les approches actuarielles dynamiques, orientent l’utilisateur vers un nombre restreint de facteurs de risque documentés dans la littérature scientifique, et donnent des indications de cotation de ces facteurs. À cet égard, la principale différence réside dans la manière dont les items sont cotés. Les approches JPS donnent plus de latitude au professionnel dans l’appréciation des indicateurs de ces facteurs de risque. Les formations et les manuels qui accompagnent ces instruments donnent des orientations sur les informations à prendre en compte, mais offrent la possibilité aux professionnels d’élargir les aspects à considérer. Par exemple, pour l’évaluation des femmes, il est recommandé de compléter l’évaluation à l’aide de facteurs sexospécifiques comme la prostitution ou grossesse précoce, tel que décrits dans le Female Additional Manual (FAM ; de Vogel et coll., 2014). L’évaluateur peut aussi faire certaines inférences dans un contexte où l’information est limitée (p. ex. inférer des attitudes violentes d’un individu à partir de sa minimisation ou de ses justifications par rapport au recours à la violence). Les approches actuarielles quant à elles mettent plus d’énergie afin d’augmenter la fidélité de la collecte des indicateurs de risque et ne permettent pas de considérer des facteurs de risque plus marginaux ou idiosyncrasiques. Par conséquent, les indications de cotation de chacun des items sont plus détaillées, et une partie des efforts en formation ont pour but de s’assurer d’une compréhension commune de chacun des items. La seconde différence fondamentale entre les deux familles concerne l’appréciation de l’importance de chacun des facteurs de risque. Dans le cas de l’approche actuarielle, chaque item a un poids, attribué par un système de pointage prédéterminé par la recherche auprès de vastes échantillons diversifiés. Plus de points ou d’items sont associés aux domaines les plus fortement liés à la récidive, et les domaines ayant une valeur prédictive moindre comptent moins de points ou d’items. C’est la somme des points dans l’ensemble des domaines qui détermine le niveau de risque. Si le professionnel respecte les indications de cotation, il arrivera sensiblement à la même conclusion, donc à la même catégorie de risque que son collègue. En raison de cette logique (plus contraignante), l’instrument actuariel permettra d’offrir une estimation chiffrée du risque de récidive issue de l’échantillon normatif. Ainsi, on sera en mesure d’affirmer que la personne évaluée appartient à telle ou telle catégorie de risque de récidive, dans laquelle une certaine proportion des personnes a tendance à récidiver sur une période déterminée après sa remise en liberté ou après le début de son suivi dans la collectivité.

Dans les approches JPS, il revient au professionnel d’évaluer et pondérer chacun des facteurs de risque en fonction de l’individu concerné, dans une série d’étapes pour en arriver à un jugement final sur le risque. On commence par évaluer la saillance et la pertinence de chaque facteur de risque de violence (p. ex. antécédents de problèmes de violence ou problèmes récents d’introspection) et facteurs liés à la gestion du risque de violence (p. ex. difficulté de la personne à élaborer des plans et à utiliser de manière adéquate les services ou programmes professionnels à sa disposition). L’évaluateur est ensuite invité à faire une synthèse de cette information à partir de laquelle il anticipe différents scénarios de violence future et identifie des stratégies de gestion du risque de violence qui seraient l’aboutissement de l’évaluation du risque dans l’approche JPS. On désigne cette synthèse où le professionnel agence les différents facteurs de risque « formulation du risque de violence ». Ce concept trouve ses origines dans le domaine de la psychothérapie et consiste en l’élaboration d’une hypothèse ou de l’articulation d’hypothèses explicatives et diachroniques visant à élucider les mécanismes sous-jacents à la dynamique délictuelle de l’individu (Hart et coll., 2011 ; Logan, 2017a, 2017b). Cela veut dire que cette synthèse doit prendre en considération le passé, le présent et le futur de la personne évaluée, le tout présenté de manière narrative, soit en tenant compte des points tournants de l’histoire de vie de la personne évaluée. Pour ce faire, il doit recourir à un modèle théorique pour guider sa formulation du risque (Johnstone et Dallos, 2013). Ce modèle permettrait d’étoffer l’argumentaire concernant la violence, qu’elle soit générale, sexuelle, conjugale, etc. (v. Hart et Logan, 2011 pour une révision de différents modèles pertinents à la formulation du risque de violence).

Par exemple, dans le cas d’une évaluation du risque de violence conjugale à l’aide du Spousal Assault Risk Assessment Guide (SARA ; Kropp et Hart, 2015), un modèle théorique comme celui des « Quatre P » de Weerasekera (1996) pourrait être utilisé par le professionnel pour structurer sa formulation du risque. Il permettrait de donner du sens aux différents facteurs de risque inclus dans la SARA en les organisant sous les rubriques : 1) les facteurs prédisposants (p. ex. maltraitance à l’enfance) ; 2) les facteurs précipitants (p. ex. consommation de substances) ; 3) les facteurs de perpétuation (p. ex. personnalité antisociale ou présence de distorsions cognitives sur la violence conjugale) et 4) les facteurs de protection comme l’adhésion à la médication en cas de problème de santé mentale majeur ou tout autre facteur de protection pertinent inventorié dans la SAPROF (de Vogel et coll., 2011). Dans un cas où un risque d’homicide conjugal se présenterait, le recours à la VRAG-R pourrait aider à compléter l’évaluation à l’aide de la SARA dans le but de situer la personne dans une catégorie de risque. Dans un tel cas, la formulation du risque de violence inclurait alors des résultats à 3 instruments de 2 approches d’évaluation du risque de violence différents, soit la SARA, la VRAG et la SAPROF.

La formulation du risque rend aussi justice à la grande complexité des besoins présentés par les individus qui font l’objet d’évaluations du risque de violence. Tant en milieu correctionnel qu’en psychiatrie légale, les professionnels travaillent avec des personnes qui, au-delà des enjeux de violence et santé mentale, sont aux prises avec divers problèmes, comme des enjeux de consommation de substances. Il n’est pas rare non plus qu’une importante problématique suicidaire ou automutilatoire soit également présente chez ces individus dont les trajectoires de vie sont parsemées d’événements traumatiques (Fazel et coll., 2016). Cette étape de la formulation du risque de violence qui a été intégrée plus récemment dans la démarche des instruments JPS vient aussi faciliter la communication du risque de violence aux différentes personnes touchées par le processus d’évaluation et gestion du risque de violence (Logan, 2017b). La formulation du risque de violence offre aux professionnels et à la personne évaluée l’occasion de s’entendre sur une compréhension commune de la dynamique de violence. En plus de favoriser l’alliance de travail entre l’équipe de gestion de cas et la personne évaluée (favorisant chez cette dernière sa motivation au changement), la formulation du risque aide les équipes multidisciplinaires à poser les bases des plans de traitements (cf. Logan, 2017a pour une révision sur les différents niveaux de formulation en fonction de son contexte d’utilisation).

Le travail en équipe multidisciplinaire soulève la question des qualifications et compétences des utilisateurs des instruments de type JPS. Les auteurs de la HCR-20-v3 recommandent que l’utilisateur possède des connaissances sur la nature, les causes et la gestion de la violence (cf. Douglas et coll., 2013). La maîtrise des techniques d’entrevue, l’expérience en revue d’informations sur dossier et dans la passation et interprétation d’instruments standardisés sont des atouts. Le professionnel doit également posséder une expertise en matière d’évaluation et de diagnostic de troubles mentaux, troubles de la personnalité et trouble lié à la consommation de substances. Si l’utilisateur ne satisfait pas ce dernier critère, les auteurs indiquent que la HCR-20 peut être utilisée à condition que les facteurs de risque reliés à un trouble mental soient évalués par un professionnel qualifié (p. ex. psychologue ou psychiatre) ou sous la supervision de celui-ci. Ce travail de collaboration entre professionnels de différentes disciplines est par ailleurs l’une des forces associées à l’utilisation des instruments du type JPS qui ont été conçus pour intégrer les contributions de différents membres d’une même équipe multidisciplinaire. Par exemple, dans un instrument comme le START (Webster et coll., 2009), la contribution d’un travailleur social pour coter les aspects liés au soutien social pourrait être pertinente dans le développement de stratégies de gestion du risque de violence. On peut aussi mettre à contribution l’expertise du personnel infirmier pour documenter les items relatifs aux risques de comportements autodestructeurs ou aux risques de suicide.

Les enjeux en matière d’évaluation du risque de violence

Malgré la qualité des principaux instruments visant à évaluer le risque de violence en milieu carcéral et en psychiatrie légale, plusieurs enjeux demeurent. Un premier, d’ordre conceptuel, concerne la définition même des construits mesurés par ces instruments, particulièrement la notion de facteur de risque dynamique. Ces facteurs, inclus dans la majorité des approches structurées de l’évaluation du risque, sont souvent ciblés par les programmes d’intervention auprès des clientèles judiciarisées. Pour plusieurs (Ward, 2016 ; Heffernan, Wegerhoff et Ward, 2019), les facteurs dynamiques sont des construits vagues et hétérogènes, et consistent en un collage de construits ou d’états psychologiques, d’influences sociales, d’aspects situationnels, de traits de personnalité ou même de conditions liées à l’environnement des personnes comme leur accès à des services, etc. Des construits si hétérogènes, même s’ils sont corrélés avec la récidive peuvent difficilement prétendre à avoir un effet causal (voir Heffernan et Ward, 2020 pour une recension plus approfondie de ces enjeux conceptuels). Un débat équivalent autour de ce type d’enjeux conceptuels concerne les facteurs de protection (Fortune et Ward, 2017 ; Polaschek, 2017 ; Guay, Parent et Benbouriche, 2020).

Un deuxième enjeu, aussi de nature méthodologique, concerne la validité de critère de ces méthodes. La plupart des méthodes actuellement utilisées bénéficient d’un certain appui empirique. Ils ont pour la plupart fait l’objet de validations répétées, dans différents contextes et auprès de différentes populations. Toutefois, même les instruments les mieux conçus requièrent une mise à l’épreuve continue de leur validité. Des instruments plus récents souffrent eux aussi d’un appui empirique très limité. Souvent, l’essentiel des travaux est mené exclusivement par leurs concepteurs, ce qui limite considérablement la portée de leurs conclusions. La démarche de validation gagne en crédibilité si elle s’effectue avec le plus de neutralité. C’est une des limites de certains instruments de type JPS, pour lesquels plus de la moitié des études ont été menées par les auteurs qui ont participé à la création de ces instruments et ont porté presque exclusivement sur des populations psychiatriques (Mooney et Sebalo, 2019). Ce dernier élément soulève également des questions concernant leur applicabilité auprès d’autres clientèles comme celles des milieux correctionnels et communautaires, puisque ces méthodes ont été dans une large mesure développées et validées en milieu psychiatrique. Par exemple, une méta-analyse récente relève la pertinence de l’utilisation de la DASA en milieu correctionnel (Dickens et coll., 2020), mais plus d’études sont nécessaires sur l’applicabilité de la START dans ce même milieu.

Un troisième enjeu concerne l’agencement des résultats des différentes évaluations produites à l’aide de différents instruments. S’il apparaît désormais peu utile de conjuguer différents instruments visant à mesurer le même type de risque (p. ex. combiner les résultats de différents instruments visant à documenter le risque de récidive sexuelle ; Seto, 2005), il est souhaitable de documenter les différents risques de récidive. En effet, en raison du polymorphisme de l’agir délinquant, certains auteurs d’infractions pourraient commettre des crimes contre les biens, des bris d’engagement des conditions de surveillance, des infractions violentes, des délits sexuels ou des violences conjugales. À titre d’exemple, les auteurs d’infractions sexuelles sont notablement plus susceptibles de commettre des nouvelles infractions non sexuelles (p. ex. infractions violentes ou contre les biens) que sexuelles (Hanson et Morton-Bourgon, 2004). Une évaluation du risque général et violent à l’aide d’un instrument générique (p. ex. le LS/CMI) permettant d’identifier les principaux besoins criminogènes en lien avec la récidive devrait être préconisée, en plus d’une appréciation des principaux facteurs de risque propres à la délinquance sexuelle à l’aide d’instruments dédiés à cette fin (p. ex. Statique-99 et Stable-2007). La question de la validité incrémentielle se pose aussi concernant l’ajout d’instruments permettant de documenter les facteurs de protection (SAPROF et SAPROF-YV). Bien que les domaines investigués diffèrent en partie de ceux étudiés dans les évaluations du risque, la démonstration de leur plus-value, du moins en termes de validité prédictive, demeure à faire. Il n’existerait donc pas un risque, mais bien plusieurs risques de différents types d’infractions, chacun d’eux pouvant nécessiter une investigation des domaines de risque.

Finalement, les approches structurées d’évaluation du risque de violence sont confrontées à des enjeux de fidélité de l’utilisation. Les approches actuarielles et JPS requièrent de la part des utilisateurs de se conformer aux pratiques de cotation et d’utilisation proposées par les concepteurs. Des efforts d’assurance qualité sont généralement nécessaires afin de permettre que les méthodes d’évaluation qui guident les pratiques d’intervention soient utilisées à leur plein potentiel et qu’elles répondent aux attentes de leurs utilisateurs (Viljoen, Cochrane et Jonnson, 2018). Bien que ces barrières liées à la pérennisation de nouvelles pratiques commencent à être systématiquement identifiées et prises en compte, plusieurs défis restent encore à relever dans l’implantation concrète des instruments fondés sur des données probantes (Müller-Isberner et coll., 2017).

Conclusion

Les professionnels intervenant auprès de personnes judiciarisées recourent de plus en plus à une panoplie d’instruments s’inscrivant dans une approche structurée d’évaluation du risque de violence. Ces instruments ont beaucoup évolué : les thèmes considérés sont désormais plus étendus, les méthodes de combinaison des facteurs se sont précisées, et les contextes dans lesquels les performances de ces instruments sont moindres sont mieux connus. Bien que les méthodes d’évaluation se soient perfectionnées, il n’en demeure pas moins que les instruments sont utiles dans la mesure où ils sont utilisés de manière optimale. Pour cette raison, les approches actuarielles sont souvent préconisées afin de bien documenter le risque sans une connaissance approfondie des processus psychologiques et de la dynamique délictuelle de la personne. L’évaluation du risque dans des contextes plus contraignants (comme dans le cas des personnes qui purgent de plus courtes peines, à l’aide d’une information moins détaillée et sans l’apport d’une équipe multidisciplinaire) peut l’être avec des approches actuarielles. Les méthodes de type JPS, du fait de leur flexibilité, requièrent généralement une meilleure connaissance de la personne évaluée. Par conséquent, elles pourraient fournir des performances moindres sans l’accès à un contexte optimal d’utilisation. Les enjeux relatifs à la validité et la fidélité des instruments en français posent aussi encore problème. Si certains instruments ont fait la démonstration de leur utilité dans différents contextes par des chercheurs neutres (p. ex. la Statique-99, Stable-2007, LS/CMI), d’autres n’ont toutefois pas été validés en contexte francophone. Cette considération réduit grandement le champ des possibilités. Il revient donc aux chercheurs, décideurs et aux praticiens de s’allier afin de mettre à l’épreuve la validité des instruments en français et de promouvoir les pratiques fondées sur les données probantes. Même les instruments en apparence bien conçus peuvent offrir de mauvaises performances, offrant un faux sentiment de sécurité à ses utilisateurs. Outre une meilleure compréhension de l’interface entre les facteurs de risque et de protection, des efforts devront être maintenant déployés afin de bonifier les connaissances à propos de l’exercice de formulation du risque. Cette étape invitera de plus en plus le professionnel à aller au-delà de la description de ce qui est déjà connu de l’individu et à dégager des énoncés concis sur la nature et l’étiologie de la violence. La formulation du risque devrait permettre d’améliorer la compréhension de la dynamique délictuelle de l’individu en permettant d’intégrer à la fois des facteurs de risque et facteurs de protection et planifier des scénarios de violence future qui faciliteraient, à leur tour, l’identification de stratégies de gestion du risque plus efficaces. Plusieurs enjeux d’ordre méthodologique demeurent, mais leur contribution au point de vue de la réduction du risque de violence et du travail menant à une réintégration sociale réussie des personnes évaluées est indéniable.