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L’insertion professionnelle des personnes souffrant de troubles psychiques vers un milieu ordinaire de travail est une réalité effective dans de nombreux pays1. Les études scientifiques ont pu expliquer que les succès sont liés à certains facteurs individuels, par exemple des aspects symptomatiques ou cognitifs2, 3, mais aussi à des facteurs environnementaux, en particulier le type d’accompagnement proposé aux personnes1, 4. Parmi les différents dispositifs d’accompagnement à l’insertion professionnelle existants, les programmes de soutien à l’emploi (supported-employment programs) font partie des pratiques fondées sur les données probantes (evidence-based practices), en particulier le programme IPS (Individual Placement Support) qui a démontré sa supériorité vis-à-vis de pratiques plus traditionnelles ; ainsi sur 20 essais randomisés contrôlés, le modèle IPS obtient un taux d’insertion en milieu ordinaire de 61 % des personnes en moyenne contre 23 % pour les autres types de programmes sur une période de 18 mois1. Un autre aspect intéressant de ces recherches a été de pointer que la moyenne d’insertion varie, entre autres facteurs, notamment du fait des compétences des accompagnants5,6 qui apparaissent comme un déterminant de l’obtention d’un emploi7. Pour cette raison, plusieurs recherches récentes se sont attachées à décrire les compétences des conseillers en emploi des programmes de soutien à l’emploi6, 8, 9, 10 et pour certaines de ces études, en pointant parmi ces compétences les plus déterminantes pour favoriser l’insertion en milieu ordinaire. Quel que soit le contexte culturel, il apparaît donc qu’une meilleure connaissance du métier des accompagnants à l’insertion professionnelle, et en particulier de leurs compétences, est un enjeu clé pour améliorer la performance d’insertion des personnes souffrant de troubles psychiques.

En France, le taux d’insertion professionnelle des personnes souffrant de troubles psychiques reste faible11 comme dans d’autres pays, en partie du fait de la grande stigmatisation dont ils sont l’objet, notamment chez les employeurs12, 13. En ce qui concerne plus précisément les personnes souffrant de troubles psychiques en contexte français, si la loi de 2005 a certes contribué à l’émergence de ces personnes dans la sphère publique et à la mise en place de lois et dispositifs pour aider à leur inclusion sociale, par exemple la Reconnaissance en Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH), le concept de « handicap psychique » semble avoir, en même temps, figé cette stigmatisation entravante, en insistant davantage sur la notion de déficit, de handicap, plutôt que sur les capacités des personnes14. Ainsi, un des enjeux de l’accompagnement de ces personnes en France est de parvenir à modifier le regard porté sur elles, pour considérer au-delà de la situation de handicap, la personne et son potentiel de travail.

Parmi les structures françaises qui accompagnent les personnes souffrant de troubles psychiques vers un emploi en milieu ordinaire, une pratique attire l’attention, celle mise en place depuis 1975 par l’association Messidor en Rhône-Alpes et désormais dans toute la France via le réseau Transition. Ce dispositif, qui accompagnait plus de 700 personnes en situation de handicap psychique en 2015, dans plus de 18 sites en France, avec 205 accompagnants, propose via des structures dites « de transition », en Etablissement ou Service d’Aide par le Travail (ESAT) et en Entreprise Adaptée (EA), des emplois en milieu protégé dans des unités de production (industrie, logistique, bureautique ou restauration par exemple), comme temps de transition vers le milieu ordinaire. À l’inverse des ESAT plus traditionnels en France où les personnes en situation de handicap psychique restent employées pendant de nombreuses années, voire « à vie », les ESAT de transition Messidor ont pour objectif dès l’entrée, que leurs travailleurs sortent vers le milieu ordinaire de travail dès que possible. Afin de rendre cet objectif réalisable, un suivi balisé, avec des outils et un encadrement sur-mesure, est mis en place. Les personnes sont accompagnées par un binôme de professionnels : au quotidien par un responsable d’unité de production qui encadre 5 à 7 travailleurs maximum dans un métier donné, pour apporter un suivi personnalisé à chacun et, en parallèle, par un conseiller d’insertion afin de concevoir et mettre en place un projet individualisé de sortie en milieu ordinaire. Si cette pratique originale relève administrativement du milieu protégé, elle s’apparente plutôt à une pratique hybride entre une entreprise à économie sociale, comme celles développées en Italie ou au Canada, et un programme de soutien à l’emploi, puisque la visée est bien une insertion en milieu ordinaire15. Le taux d’insertion en milieu ordinaire, environ de 30 % des effectifs sortants, soit plus élevé dans ces structures que dans les ESAT traditionnels français, confirme l’originalité et une certaine performance de ce dispositif16.

L’insertion professionnelle des personnes ayant des troubles mentaux sévères étant faible en France, décrire et valoriser les dispositifs, tels que les ESAT de transition, qui ont cette visée et une meilleure performance, semble un enjeu important pour l’accompagnement des personnes en situation de handicap psychique dans ce pays. Par ailleurs, peu de recherches existent en France pour décrire et analyser les pratiques médicosociales dans le champ de l’insertion professionnelle des personnes souffrant de troubles psychiques ; or la revue de littérature pointe que la connaissance des compétences des accompagnants est une clé pour améliorer la performance des pratiques. L’objectif de cette étude était de ce fait de décrire qualitativement les métiers des deux types d’accompagnants à l’insertion professionnelle oeuvrant au sein des ESAT et EA de transition de l’association Messidor et du réseau Transition en France. Cette recherche portait sur les responsables d’unité de production d’une part, et sur les conseillers d’insertion d’autre part, en vue de mieux définir leurs rôles, tâches et compétences mises en oeuvre pour favoriser l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap psychique.

Méthodologie

Du fait qu’aucune recherche sur les dispositifs d’insertion pour ce public n’a été réalisée à ce jour en France à notre connaissance, il semblait nécessaire de procéder à une recherche qualitative descriptive pour explorer la signification de ces phénomènes selon la perspective des participants17-19, et notamment recueillir un matériel autodéclaré auprès des deux types de professionnels, avec tout d’abord une phase d’entretiens individuels semi-directifs pour déterminer leurs rôles et tâches, puis des groupes de discussion pour identifier les compétences requises dans chaque métier.

Plus précisément, concernant les entretiens individuels semi-directifs, 11 entretiens ont été menés auprès des conseillers d’insertion et 13 auprès des responsables de production. Le nombre d’entretiens a été défini par rapport au critère de saturation empirique20. Pour les groupes de discussions, toujours selon le critère de saturation empirique, 3 groupes ont été mis en place avec des conseillers d’insertion, et 4 groupes avec des responsables d’unité de production ; chaque groupe était composé en moyenne de 10 personnes. Concernant la procédure de recrutement pour tous ces participants aux entretiens comme lors des groupes de discussion, l’ensemble des accompagnants des structures avait été sollicité pour participer à cette étude ; le critère d’inclusion était d’avoir une ancienneté supérieure à 2 ans dans la structure pour avoir suffisamment de recul sur la pratique, et d’être volontaire pour participer à l’étude. Des formulaires de consentement ont été remplis à ces différentes étapes, et le protocole d’étude validé par le comité d’éthique du Conseil d’Evaluation Ethique pour les Recherches en Santé (CERES) de l’Hôpital Cochin à Paris.

Le matériel a été recueilli par enregistrement audio, puis a été retranscrit et analysé, en suivant le principe de condensation et présentation des données de Miles et coll.21. Concernant la définition des rôles et tâches des accompagnants, après avoir pris connaissance du matériel recueilli lors des entretiens individuels, les trois auteurs se sont entendus sur les codes thématiques à retenir dans les entretiens et ont ensuite catégorisé le verbatim selon ces codes, avec l’objectif d’atteindre un accord commun supérieur à 90 %. Pour la définition des compétences de chacun des deux métiers, les retranscriptions des groupes de discussion ont été codées par le premier auteur, puis après retrait des différents items redondants, tous les auteurs ont établi une liste, catégorisée en codes et catégories conceptuelles qu’ils ont discutées et peaufinées lors de deux réunions de deux heures pour atteindre un commun accord sur l’ensemble des codes et du verbatim inhérent, de la même façon que lors du travail sur les entretiens.

Résultats

Les conseillers d’insertion

Les entretiens individuels ont permis de définir le rôle de conseiller d’insertion au sein des structures de transition comme évaluer les capacités et potentiels d’une personne au travail au sein de l’ESAT, pour définir et mettre en place, avec elle, un projet sur-mesure d’insertion en milieu ordinaire. Les participants ont défini ce rôle comme une fonction pivot entre acteurs internes et externes, nécessitant d’orchestrer des interlocuteurs partenaires multiples (soignants, employeurs, acteurs de Messidor, travailleurs, etc.) aux objectifs souvent différents et qu’il faut pourtant faire aller dans le même sens : celui du projet du travailleur (figure 1).

Figure 1

Rôle pivot du conseiller d’insertion entre les différents acteurs

Rôle pivot du conseiller d’insertion entre les différents acteurs

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Plus concrètement, les tâches relatives à ce rôle ont été identifiées en 6 grandes catégories : en amont du processus, (1) le conseiller coanime avec un responsable de production l’atelier de validation à l’entrée des travailleurs pour les différents secteurs d’activités, puis (2) il assure, avec le responsable d’unité de production, le suivi de la progression du travailleur durant son parcours de façon informelle ou plus formalisée grâce à des bilans trimestriels. En direct avec le travailleur, (3) le conseiller d’insertion accompagne celui-ci à l’élaboration d’un projet de sortie en fonction de ses désirs, besoins et compétences, et l’aide à définir des stratégies de recherche d’emploi pour mettre concrètement en oeuvre son projet. En parallèle (4), pour faciliter le parcours dans l’ESAT et la réalisation du projet, il assure la coordination et l’interface avec les partenaires externes des autres sphères de vie du travailleur, en particulier les équipes soignantes (psychologue, psychiatre ou assistante sociale), et dans certains cas les familles. Enfin, (5) le conseiller d’insertion s’emploie à promouvoir les travailleurs de l’ESAT à l’externe auprès d’employeurs potentiels du milieu ordinaire afin d’aider à l’obtention d’un poste et, le cas échéant (6) recommande et participe aux aménagements de poste et assure le suivi en poste dans la durée (pendant 2 ans) afin de faciliter le maintien en emploi en milieu ordinaire.

Tableau 1

Liste des catégories conceptuelles de compétences des conseillers d’insertion

Liste des catégories conceptuelles de compétences des conseillers d’insertion

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Les compétences nécessaires à l’exercice de ce rôle ont été définies à partir des verbatim des conseillers d’insertion issus des groupes de discussion. Ceux-ci ont été codés par le premier auteur, puis après retrait des différents items redondants, tous les auteurs ont établi, d’un accord commun, une liste de 110 compétences, parmi lesquelles 82 items relevaient d’attitudes et de comportements (ex. être empathique, donner confiance au travailleur) et 28 items de connaissances (ex. connaître le marché de l’emploi, connaître les structures de soin). Ces 110 compétences ont été classées par les auteurs en 25 codes puis en 11 catégories conceptuelles (voir tableau 1). Parmi ces catégories, 7 relevaient de comportements et attitudes, comme alliance et soutien continu, travail en réseau et coordination avec les différents acteurs ou organisation du temps et du travail, et 4 catégories étaient reliées à des connaissances par exemple connaissances sur les emplois et les entreprises ou connaissances sur le handicap psychique, les politiques handicap et les acteurs.

Parmi la liste des 110 compétences, les conseillers d’insertion ont déclaré comme clés pour favoriser l’insertion en milieu ordinaire, les compétences relevant du code positivité, foi dans le rétablissement, ainsi que celles du code évaluer l’ajustement entre le travailleur et le poste sur le terrain.

Les responsables d’unité de production

Les entretiens individuels ont permis de définir le rôle de responsable d’unité de production au sein des ESAT et EA de transition comme assurer la vie économique d’une unité de production et accompagner le travailleur dans une transition vers le milieu ordinaire. Les responsables ont insisté sur l’importance de la dualité de ce rôle, à la fois économique (assurer une production, un chiffre d’affaires) et social (accompagner le travailleur à une progression). En effet, cette dualité apparaît comme productive pour le travailleur, car 1) ces contraintes économiques le mettent dans des situations de travail « réelles », identiques à celles du milieu ordinaire, ce qui favorise sa préparation ; et 2) l’accompagnement « social », c’est-à-dire le soutien au quotidien par le responsable face aux obstacles rencontrés du fait des contraintes économiques, permet à la personne de développer de la persévérance et de l’estime de soi comme travailleur.

Concernant les tâches relatives à la gestion économique de l’unité de production, le responsable gère celles-ci de façon quasi autonome, il est le patron de sa petite PME. Il assure 3 tâches économiques en particulier : (1) gérer une entité économique sur le plan financier (chiffrer un devis, un budget de fonctionnement) ; (2) assurer une activité professionnelle spécifique et technique, par exemple hygiène et propreté en entreprises ou restauration collective. Le responsable réalise les prestations avec son équipe, notamment pour former au métier et quand des travailleurs sont absents. Et enfin, (3) encadrer une équipe de travailleurs, c’est-à-dire distribuer le travail, contrôler, corriger, féliciter, fédérer le groupe, former les nouveaux, déléguer aux anciens, etc. Les personnes interrogées ont insisté sur le fait que cet encadrement a d’abord une visée économique de production, même s’il est aussi le support de l’accompagnement social. Dans le même esprit, les responsables se sont définis professionnellement non comme accompagnateurs sociaux, mais avant tout comme acteurs économiques, ce sont des artisans, professionnels d’un métier donné, issus du milieu ordinaire.

Concernant les tâches relatives à la mission sociale de ces responsables, c’est-à-dire l’accompagnement du travailleur vers le milieu ordinaire, 2 types de tâches se distinguent : (1) transmettre des compétences métier, des savoir-être et savoir-faire professionnels : le responsable s’assure que le travailleur se réapproprie les règles de base de vie au travail (ex. ponctualité, consignes de sécurité), et acquiert des compétences techniques précises liées à son métier (ex. utilisation d’un produit dangereux ou façon de répondre à un client pressé), ceci afin qu’il soit employable de façon performante dans un métier similaire en milieu ordinaire. En appui sur cette transmission professionnelle, l’autre tâche d’accompagnement vers le milieu ordinaire du responsable est (2) d’assurer le développement de la confiance en soi et de l’autonomie du travailleur. Les actions du responsable visent par exemple à ce que la personne devienne autonome en milieu ordinaire à terme pour gérer des collègues difficiles ou prendre des initiatives, sans trop solliciter son encadrant. Au final, le responsable d’unité de production, sans être un psychologue ou un soignant, accompagne néanmoins la personne à une transformation psychologique et à changer de regard sur elle-même en retrouvant confiance en ses capacités.

Les actions du responsable pour favoriser ce changement de regard sont de 3 types ; (1) il offre au travailleur des défis, des obstacles parfois difficiles à relever (former un nouvel arrivant par exemple ou gérer seul un client), c’est-à-dire des expériences tangibles pour démontrer à la personne ses capacités professionnelles et développer fierté et estime de soi. En parallèle à cette confrontation positive à la réalité du travail, (2) le responsable a une approche soutenante au quotidien, un étayage en continu, valorisant aussi bien les efforts que les résultats, y compris dans les moments de difficultés pour que le travailleur ne perde pas espoir et confiance, et que l’estime de soi se maintienne. Enfin, (3) en tant que référent professionnel du travailleur, le responsable tente d’être exemplaire dans son activité et son comportement pour être un modèle à imiter. Il devient, à son insu, un support identificatoire pour le travailleur qui va se construire une identité professionnelle en filiation. En définitive, le changement de regard de la personne sur elle-même s’opère par un effet miroir ; le reflet positif du regard du responsable, qui le considère comme un travailleur valable et non comme une personne malade, l’autorise à s’envisager comme travailleur efficace, à accepter son potentiel et ses qualités plutôt que de se percevoir comme handicapé, incapable, défaillant et fragile. Il peut ainsi envisager un avenir possible en milieu de travail ordinaire.

Tableau 2

Liste des catégories conceptuelles de compétences des responsables de production

Liste des catégories conceptuelles de compétences des responsables de production

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Concernant les compétences déclarées par les RUP lors des groupes de discussion, les auteurs ont procédé comme pour la liste relative aux conseillers d’insertion et ont identifié 155 compétences dont 22 relevaient de connaissances (ex. normes et règles de sécurité, chiffrer un devis) et 133 de comportements et attitudes (ex. être rassurant, être exemplaire). Ces 155 compétences ont été classées par les auteurs en 21 codes puis en 9 catégories conceptuelles (voir tableau 2) dont 5 étaient des catégories de comportements et attitudes, comme gérer une unité de production ; équipe et clients, gérer de la complexité et ses émotions ou faire figure de référent et 4 catégories étaient reliées à des connaissances comme Messidor ou tissu économique local et relation commerciale.

Parmi la liste de 155 compétences, les responsables de production ont déclaré comme clés pour favoriser l’insertion en milieu ordinaire les compétences relevant du code accompagnement sur-mesure du travailleur, relation fine à l’autre qui inclut le développement de la confiance en soi et de l’autonomie, ainsi que le code croyance, sens qui renvoie à la nécessité d’avoir une attitude positive et foi dans l’insertion, pour exercer cette fonction, comme cela avait été le cas pour les conseillers d’insertion.

Discussion

Cette étude a permis de détailler les rôles, tâches et compétences des conseillers d’insertion et des responsables d’unité de production accompagnant à l’insertion en milieu ordinaire pour les personnes en situation de handicap psychique dans les ESAT de transition Messidor. Elle a mis en lumière l’originalité de cette pratique en décrivant comment l’insertion semble facilitée par ce binôme de professionnels complémentaires avec, d’une part, un accompagnement au quotidien confrontant et soutenant, et d’autre part, un étayage pour construire un projet pour l’avenir. Ces données permettent de créer des références précises pour le terrain français et au-delà. Même si ces métiers sont relativement spécifiques au contexte du pays et aux structures où ils ont été créés, certaines similarités apparaissent en comparaison avec d’autres professionnels oeuvrant dans d’autres pays à l’accompagnement vers l’emploi pour les personnes avec des troubles mentaux sévères. On peut noter en particulier des similitudes entre le métier de conseiller d’insertion de ces ESAT de transition et celui de conseiller en emploi spécialisé des programmes de soutien à l’emploi, décrits dans la littérature spécialisée6-9, 22.

Le rôle du conseiller d’insertion des ESAT de transition, décrit dans cette étude comme un pivot entre plusieurs acteurs, fait écho à celui d’agent de liaison décrit chez le conseiller en emploi spécialisé16. De même pour les tâches décrites, 5 tâches du conseiller d’insertion de Messidor apparaissent communes à celles décrites par Corbière et coll.6 chez le conseiller en emploi spécialisé, notamment la tâche clé pour le maintien en emploi recommander aux employeurs et aux superviseurs, quand c’est nécessaire, des accommodements de travail pour faciliter le maintien en emploi. Sur le thème des compétences, on peut noter que plusieurs catégories de compétences du conseiller d’insertion définies dans cette étude sont similaires à des catégories de compétences identifiées chez des conseillers en emploi spécialisé de programmes de soutien à l’emploi dans d’autres recherches récentes. Par exemple la catégorie gestion du temps et du travail de cette étude est similaire à la catégorie efficacité identifiée par Glover et Frounfelker8 comme importante chez les conseillers en emploi ayant un taux d’insertion conséquent, et qui inclut des compétences de gestion du temps et des priorités. Ces mêmes auteurs ont aussi identifié la catégorie relations aux partenaires comme importante pour l’insertion, que l’on peut rapprocher de la catégorie de cette étude travail en réseau et coordination avec les différents acteurs, proche également de ce que Whitley et coll.9 ont nommé travail orienté vers les équipes (team orientation). En outre, la catégorie de compétences relatives à la relation au travailleur chez les conseillers d’insertion français, en particulier alliance et soutien continu, fait écho aux catégories de Whitley et coll. 9 intitulées persévérance, et empathie et à celle de Corbière et coll.6 intitulée soutien et approche centrée sur le client des conseillers en emploi canadiens. Enfin, on peut noter que les compétences relatives aux relations avec les employeurs identifiées dans cette étude, peuvent être rapprochées de la catégorie recherche dans la communauté (outreach) définie par Whitley et coll.9, ou de la notion de job-development évoquée par Corbière et coll.6 comme clé pour favoriser l’insertion.

Ces multiples similitudes entre ces conseillers d’insertion français et le conseiller en emploi des programmes de soutien à l’emploi ont amené à considérer ce dispositif d’ESAT de transition en France comme une forme originale et hybride entre une entreprise à économie sociale et un programme de soutien à l’emploi puisque les personnes accompagnées dans un contexte protégé doivent, à terme, quitter la structure14. Néanmoins, il est important de souligner la différence principale entre ces pratiques, à savoir que les programmes de soutien à l’emploi relèvent d’une approche place and train, dont la performance d’insertion a été démontrée alors que celle des ESAT de transition est davantage une préparation à l’emploi en milieu ordinaire reconnue comme moins performante23. L’intérêt et l’originalité de cet accompagnement, décrit par cette étude, est surtout le fait qu’il soit « double » grâce à la présence de cet autre professionnel, le responsable d’unité de production, acteur du monde économique, qui, en synergie avec le conseiller d’insertion, accompagne de façon complémentaire vers le milieu ordinaire. Le métier de responsable de production semble plus spécifique à cette structure des ESAT de transition et ne peut avoir d’équivalent strict dans d’autres dispositifs. Sur le plan de ses tâches économiques (ex. la gestion financière) et pour certaines de ses compétences (ex. gérer une unité de production ; équipe et clients), on peut le rapprocher d’un superviseur immédiat d’une entreprise du milieu ordinaire. En revanche, dans la mesure où son objectif est que ses travailleurs quittent la structure, ce rôle duel économique et social, est bien un rôle à part.

Même si cet accompagnant ne semble pas avoir d’équivalent dans d’autres dispositifs connus, certains aspects de son accompagnement décrits dans cette étude font écho à d’autres résultats de recherche. Par exemple, lorsque le responsable propose de dépasser certaines difficultés, cela développe un sentiment d’efficacité que Bandura24 a identifié comme un élément clé pour progresser. De même, la confiance en soi et l’autonomie des personnes participent au développement du pouvoir d’agir et de l’estime de soi comme travailleur, dimensions psychologiques importantes pour favoriser l’insertion professionnelle en milieu ordinaire25. Au-delà de l’enjeu d’insertion en milieu ordinaire, de façon plus globale, cette relation positive avec le responsable concrétise, d’une part, une reconnaissance indispensable26 et d’autre part, rend effective une transformation identitaire, un changement de regard de la personne sur elle-même, quittant son identité de malade et s’envisageant comme travailleur, soit une vision plus positive et valorisante d’elle-même. Ce phénomène a été décrit comme une étape clé d’un processus de rétablissement par des personnes rétablies27. Cette étude a permis d’identifier que c’est grâce à l’effet de miroir du regard du responsable, par un mouvement identificatoire du travailleur vis-à-vis de son référent professionnel, que ce changement de regard s’opère et qu’un processus de rétablissement s’initie potentiellement.

De façon sous-jacente à ce regard positif, cette étude a montré le rôle clé de la croyance positive en une réinsertion possible, mentionnée par les deux types d’accompagnants. Cette dimension dont l’importance a été soulignée par ces professionnels français a aussi été identifiée comme déterminante pour favoriser la réinsertion en milieu ordinaire de travail par de nombreux auteurs : Glover et Frounfelker8 évoquent l’optimisme et l’espoir présents chez les conseillers en emploi les plus performants, Marelli et coll.28 la nécessité de maintenir une attitude positive ou encore Becker et Drake29 une attitude orientée vers le rétablissement (recovery-focus attitude) pour favoriser des services performants.

On peut ainsi conclure que ce binôme d’accompagnants dans les ESAT de transition Messidor, conseiller d’insertion et responsable d’unité de production, par leurs rôles, tâches et compétences complémentaires, constitue un soutien double qui facilite ainsi l’insertion des personnes en situation de handicap psychique vers le milieu ordinaire, et au-delà, par le changement de regard qu’il engendre, contribue sans doute à un processus de rétablissement pour ces personnes.

En guise de conclusion, on peut souligner qu’une des limites de cette étude est le caractère autodéclaré des données ; il serait ainsi intéressant d’évaluer, via des études complémentaires, l’adéquation entre les caractéristiques des métiers des professionnels décrites ici et les attentes des bénéficiaires de ces dispositifs vis-à-vis de leurs accompagnants. De même, des études plus quantitatives, par exemple longitudinales, auprès des travailleurs accompagnés, pourraient être réalisées afin d’évaluer plus finement leurs perceptions et évolutions, ou encore être effectuées dans d’autres dispositifs français pour assurer des comparaisons. Concernant les implications cliniques de cette recherche, la connaissance plus précise et systématique des tâches et compétences requises pourra avoir un impact en termes de recrutement, de formation et de supervision de tous les types de personnels accompagnant vers l’emploi, quelles que soient les structures, et au-delà, contribuer à une amélioration de la performance d’insertion des personnes souffrant de troubles psychiques en France.