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Le Nouveau-Brunswick présente des particularités qui maintiennent les disparités interrégionales dans l’accès aux services de santé mentale, incluant la présence de communautés francophones en situation minoritaire et la prédominance des régions rurales (Bowen, 2001 ; Starkes, Poulin, & Kisely, 2005). Les jeunes de 15 à 24 ans sont particulièrement vulnérables, ce groupe d’âge présentant les plus hauts taux de prévalence d’anxiété et de dépression (Canadian Community Health Survey, 2003). En 2011, le gouvernement du Nouveau-Brunswick a adopté un plan d’action pour la santé mentale, et depuis, différentes initiatives ciblant les jeunes ont vu le jour (Province du Nouveau-Brunswick, 2013). La province est aussi l’un des 12 sites d’un projet de recherche pancanadien, ACCESS-Canada, qui vise à transformer les services de santé mentale pour les jeunes de 11 à 25 ans (Province du Nouveau-Brunswick, 2015).

Ces efforts sont d’une importance majeure, car bien que les jeunes adultes de 15 à 24 ans soient particulièrement touchés par l’anxiété et la dépression, ils utilisent peu les services traditionnels de santé mentale en face à face (Findlay & Suntherland, 2014). Une barrière fréquemment rapportée par les jeunes concernant l’utilisation de ces services est la peur de la stigmatisation associée à la maladie mentale (Gulliver, Griffiths, & Christensen, 2010). Dans le but de mieux comprendre les raisons qui influencent la recherche d’aide psychologique traditionnelle en face-à-face, Voguel, Wade, & Hackler (2007) ont proposé un modèle conceptuel basé sur la théorie de l’action raisonnée d’Ajzen et Fishbein (1980) tout en prenant en considération la stigmatisation. Il s’agit d’un modèle de médiation selon lequel l’autostigmatisation ou internalisation de la stigmatisation publique (c.-à-d., si je cherche de l’aide, les autres vont penser que je suis fou) et des attitudes négatives face à la thérapie en face à face sont des variables de médiation de la stigmatisation publique (c.-à-d., la perception négative d’une personne par les autres) et d’une moins grande intention de recourir à ce type de service. Ce modèle a été évalué auprès de 676 élèves au collégial à l’aide d’analyses d’équations structurelles. Les résultats appuient le modèle de médiation proposé, qui explique 34 % de la variance dans l’intention de recourir à la thérapie en face à face.

Ce modèle n’explique toutefois pas pour quelle raison les jeunes adultes constituent le groupe d’âge qui consulte le moins. Selon une recension de 22 études, la stigmatisation, mais aussi une préférence pour gérer ses problèmes soi-même, figurent parmi les barrières les plus importantes de la recherche d’aide traditionnelle en santé mentale rapportées par les jeunes (Gulliver et al., 2010). Cette préférence pourrait découler d’un besoin d’affirmer son indépendance et son autonomie, une étape développementale significative, qui devrait être prise en considération dans les services de santé mentale offerts si l’on veut augmenter l’accès à ces services chez cette population (Wilson, Rickwood, Bushnell, Caputi, & Thomas, 2011).

La thérapie cognitivo-comportementale informatisée via Internet (TCCi) est une thérapie autogérée d’une durée de 5 à 10 semaines présentée sous forme de leçons et devoirs accessibles par Internet et pouvant ou non inclure une guidance clinique généralement par courriels ou téléphone. De par son format autogéré et l’utilisation de l’Internet, ce type de thérapie pourrait davantage répondre aux besoins des jeunes adultes. Des méta-analyses appuient l’efficacité de la TCCi avec guidance clinique auprès de populations adultes principalement pour des problèmes d’anxiété et de dépression. Ces méta-analyses révèlent des tailles d’effet modérées à grandes pour les troubles de panique, d’anxiété sociale, d’anxiété généralisée et de dépression majeure avec maintien des gains thérapeutiques (Andersson & Cuijpers, 2009 ; Andrews, Cuijpers, Craske, McEvoy, & Titov, 2010), une efficacité comparable à la thérapie traditionnelle (Andersson, Cuijpers, Carlbring, Riper, & Hedman, 2014) et le maintien de son efficacité dans des milieux de pratique clinique (Andersson & Hedman, 2013).

Bien que peu de programmes de TCCi aient été développés pour les jeunes, quelques études suggèrent qu’il s’agirait aussi d’une approche efficace pour cette population. Johnson et al. (2014), entre autres, rapportent des données préliminaires appuyant l’efficacité d’une TCCi transdiagnostique avec guidance clinique permettant le traitement à la fois de l’anxiété et de la dépression chez les jeunes de 18 à 24 ans. Les résultats d’une étude pilote menée auprès de 18 participants recrutés dans la population générale révèlent de grandes tailles d’effet au post-traitement ainsi qu’à un suivi de trois mois. Une amélioration cliniquement significative de l’anxiété et la dépression a été observée chez 50 % et 61 % des participants respectivement. L’acceptabilité de la TCCi a de plus été évaluée à l’aide d’un questionnaire de satisfaction. La majorité des participants se sont dits généralement à très satisfaits (11/13 ; 85 %), et tous ont indiqué qu’ils recommanderaient ce traitement à un ami.

Peu d’études ont cependant évalué comment les jeunes perçoivent la TCCi. En s’appuyant sur le modèle de Voguel et al. (2007), et tout en considérant le besoin d’autonomie des jeunes, la présente étude vise à évaluer jusqu’à quel point l’autostigmatisation, les attitudes face à la TCCi et un besoin d’autonomie pour gérer ses problèmes permettent de prédire l’intention d’utiliser la thérapie informatisée pour le stress, l’anxiété et la dépression chez de jeunes adultes francophones du Nouveau-Brunswick. L’impact de la visite du site Web d’une clinique virtuelle de psychologie sur cette intention a aussi été évalué. L’intention d’utiliser la thérapie informatisée et traditionnelle a été comparée avant et suite à cette visite.

Méthode

Participants

Un échantillon de 44 étudiants a été recruté à l’Université de Moncton dans le cadre de cours de premier cycle en psychologie suite à une visite en classe et l’envoi d’un courriel incluant un hyperlien menant à l’étude. Les critères d’inclusion à l’étude étaient d’être âgé entre 18 et 24 ans, de posséder une compréhension adéquate de l’anglais, aucun site Web d’une clinique de thérapie informatisée n’étant encore disponible en français, et d’avoir accès à un ordinateur et à l’Internet. Les participants sont principalement de sexe féminin (n = 35 ; 79,5 %), et âgés en moyenne de 19,4 ans (ET = 1,7).

Instruments de mesure

Des mesures d’autoévaluation ont été administrées en ligne à l’aide des logiciels SONA et SurveyMonkey. Elles ont été complétées dans leur version originale anglaise.

Perceptions of Computerized Therapy Questionnaire – Version Patient (PCTQ-P ; Carper, McHugh, Murray, & Barlow, 2014). Mesure qui évalue des attitudes envers la thérapie informatisée. Deux sous-échelles de neuf et cinq items chacune évaluant les avantages de la thérapie informatisée, et sa compatibilité avec le style de vie du participant, ont été utilisées. Les scores aux deux sous-échelles ont été additionnés (1 [disagree] à 7 [strongly agree] ; α = 0,89).

Self-Stigma of Seeking Help Scale (SSSHS ; Vogel, Wade, & Haake, 2007). Mesure de 10 items qui évalue l’autostigmatisation, laquelle représente une internalisation de la stigmatisation qui fait qu’un individu se perçoit comme étant inadéquat et inférieur s’il demande de l’aide psychologique (1 (strongly disagree) à 5 (strongly agree) ; α = 0,64).

Barriers to Adolescents Seeking Help Scale – Version Abrégée (BASHS-B ; Kuhl, Jarkon-Horlick, & Morrissey, 1997). La sous-échelle Autonomy, qui compte deux items, a été utilisée pour mesurer jusqu’à quel point un individu préfère gérer ses problèmes lui-même (1 (strongly disagree) à 6 (strongly agree) ; α = 0,87).

General Help-Seeking Questionnaire – Version Vignette (GHSQ-V ; Wilson et al., 2011). Trois vignettes décrivant le cas hypothétique d’un individu ayant des problèmes de stress, d’anxiété et de dépression ont été sélectionnées. Le répondant indique jusqu’à quel point il utiliserait les sources d’aide mentionnées s’il avait le problème décrit dans la vignette (1 [extremely unlikely], 3 [unlikely], 5 [likely] et 7 [extremely likely]). L’intention d’utiliser la thérapie traditionnelle a été mesurée à l’aide d’un item (GHSQ-VT). Quatre items ont été développés pour évaluer l’intention d’utiliser la thérapie informatisée (GHSQ-VI ; α = 0,88). La moyenne des scores à chaque item a été utilisée.

Déroulement

Les participants ont complété l’ensemble des mesures, puis visité le site Web de la clinique MindSpot située en Australie où des TCCi sont offertes pour l’anxiété et la dépression (www.mindspot.org.au). Les participants ont été dirigés vers deux volets d’information (Take a tour et Watch the Video). Ils ont par la suite complété le GHSQ-VT et GHSQ-VI de nouveau.

Analyses statistiques

Des corrélations de Pearson et analyses de régressions multiples ont été planifiées pour évaluer les relations entre les variables à l’étude et prédire l’intention d’utiliser la TCCi. Des tests-t pour échantillons appariés seront réalisés pour évaluer le changement des scores d’intention pré et post-visite du site Web et pour comparer l’intention d’utiliser la thérapie informatisée et traditionnelle avant et suite à cette visite.

Résultats et Discussion

Contrairement à ce qui a été observé dans le cas de la thérapie traditionnelle (p. ex., Gulliver et al., 2010), les résultats d’analyses corrélationnelles n’ont indiqué aucune corrélation significative entre d’une part, l’autostigmatisation et un besoin d’autonomie, et d’autre part, l’intention d’utiliser la thérapie informatisée. Aucune analyse de régressions multiples n’a ainsi été conduite. Seul le fait d’avoir des attitudes plus positives face à la thérapie informatisée est significativement et directement corrélé à une plus grande intention de ce type de thérapie, et ce, pour des problèmes de stress, d’anxiété ou de dépression.

L’examen de la matrice de corrélations a toutefois révélé une séquence de liens significatifs entre les variables étudiées, séquence illustrée à la Figure 1. La taille des effets est modérée. Ces corrélations suggèrent la présence possible d’un modèle de médiation semblable à celui observé par Vogel et al. (2007) selon lequel des niveaux moins élevés d’autostigmatisation contribuent à des attitudes plus positives face à la thérapie traditionnelle, qui à leur tour augmentent l’intention de l’utiliser. Toutefois, dans le cas de la thérapie informatisée, des niveaux plus élevés d’autostigmatisation et un plus grand besoin d’autonomie sont indirectement reliés non pas à une intention moindre, mais plus grande d’utiliser cette thérapie. Des analyses de modélisation par équations structurelles auprès d’un plus grand échantillon permettraient d’appuyer l’existence d’un tel modèle.

Figure 1

Séquence de Liens entre les Variables à l’Étude

Séquence de Liens entre les Variables à l’Étude

*p < 0,05. **p < 0,01.

Note. SSSHS = Self-Stigma of Seeking Help Scale, BASHB = Barriers to Adolescents Seeking Help Scale, PCTQP-P = Perceptions of Computerized Therapy Questionnaire-Patient Version, GHSQ-VI = General Help Seeking Questionnaire – Vignette version, thérapie informatisée. Les corrélations impliquant le GHSQ-VI représentent la moyenne des corrélations pour le stress, l’anxiété et la dépression.

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En ce qui a trait à l’impact de la visite de MindSpot, avant cette visite, des tests-t ont révélé une préférence pour la thérapie traditionnelle, les scores au GSHQ-VT étant significativement supérieurs à ceux du GSHQ-VI pour le stress (t [43] = 2,65, p = 0,011, d = 0,81) l’anxiété (t [43] = 4,12, p = 0,001, d = 1,26) et la dépression (t [43] = 4,40, p = 0,001, d = 1,34). La visite de la clinique a toutefois produit une augmentation significative et importante de l’intention d’utiliser la thérapie informatisée. Des tests-t pairés comparant les scores au GHSQ-VI pré et post-visite mettent en évidence une augmentation significative des scores et de larges tailles d’effet pour chacun des problèmes psychologiques, alors qu’aucun changement significatif des scores au GHSQ-VT n’a été observé (voir Tableau 1). Ces résultats appuient les données préliminaires de Mitchell et Gordon (2007) suggérant que l’offre d’informations sur la thérapie informatisée augmente l’intention d’y recourir.

Tableau 1

Tests-t Pairés des Scores d’Intention au Temps 1 et au Temps 2

Tests-t Pairés des Scores d’Intention au Temps 1 et au Temps 2

Note. GHSQ-VI = General Help Seeking Questionnaire – Version Vignette, Thérapie Informatisée, GHSQ-VT = General Help Seeking Questionnaires – Version Vignette, Thérapie Traditionnelle.

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Suite à la visite de MindSpot, les scores au GHSQ-VT sont demeurés significativement supérieurs à ceux du GHSQ-VI pour l’anxiété (t [43] = 2,37, p = 0,022, d = 0,72) et la dépression (t [43] = 2,18, p = 0,007, d = 0,66), alors qu’il n’y avait plus de différence significative dans le cas du stress (t [43] = 1,47, p = 0,148, d = 0,44). Il semble donc que la visite de MindSpot ait favorisé une ouverture face à la thérapie informatisée, au point où, pour des problèmes de stress, les participants considéreraient l’utiliser au même titre que la thérapie traditionnelle. Une préférence chez les jeunes pour l’utilisation de services de santé mentale en face à face plutôt qu’en ligne dans le cas de la dépression a également été rapportée par Bradford et Rickwood (2014). Le type de problèmes de santé mentale peut influencer la recherche d’aide traditionnelle, les jeunes consultant davantage dans le cas de symptômes de dépression que d’anxiété par exemple (Merikangas et al., 2011). Les résultats de la présente étude, ainsi que ceux de Bradford et Rickwood (2014), suggèrent que le type de problèmes de santé mentale pourrait également influencer le choix de la modalité de thérapie. Cette influence demeure à être davantage évaluée à mesure que des thérapies informatisées seront mises à la disposition des jeunes adultes.

L’étude comporte des limites incluant un petit échantillon, une faible proportion de participants de sexe masculin, le recours à des vignettes ou situations hypothétiques, et l’utilisation d’informations de langue anglaise sur la TCCi. Malgré ces limites, les résultats suggèrent que la thérapie informatisée pourrait faciliter l’accès aux traitements fondés sur des données probantes chez les jeunes adultes francophones du Nouveau-Brunswick, voir d’autres parties du Canada. L’utilisation de sites Web semblables à celui de la Clinique MindSpot pourrait être une stratégie efficace pour informer les jeunes adultes, la thérapie informatisée étant peu répandue encore au Canada. Un programme de recherche piloté par la première auteure vise à rendre cette modalité de thérapie accessible au Nouveau-Brunswick, et ce, dans les deux langues officielles.