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En guise de présentation de ce numéro thématique de la revue Santé mentale au Québec (SMQ), le choix de son titre est ci-après justifié : « Partenariats patients en santé mentale[1] ».
Premier mot : partenariats
Les quatre universités québécoises qui ont une faculté de médecine où s’enseigne la psychiatrie sont représentées dans ce numéro thématique : Laval, McGill, de Montréal et de Sherbrooke. Plusieurs autres disciplines universitaires le sont également : psychologie, sociologie, travail social, politologie, anthropologie, science de l’éducation, administration, pour n’en nommer que quelques-unes. Une fois réunies dans ce numéro thématique de Santé mentale au Québec, les contributions de chacun des partenaires se sont révélées aussi originales que diversifiées, nous tenons à les en remercier. Ces nouvelles pratiques touchent plusieurs dimensions qui peuvent se combiner à des degrés multiples : enseignement, recherche, soins et services, planification et programmation, pair-aidance formelle ou informelle, etc. Tous ces partenariats patients participent d’un véritable changement de paradigme (Vanier et coll., 2014).
En effet, après la prise en charge institutionnelle, suivie des modèles centrés sur le patient, l’attention de plusieurs milieux se consacre désormais à la nature même de la relation soignant-soigné, pour qu’elle soit plus égalitaire et à même de promouvoir plus efficacement une meilleure autoprise en charge par le patient. Nous dirons de ces approches qu’elles sont centrées sur le partenariat, peut-être plus que sur les patients eux-mêmes mais restant particulièrement inclusives de ces derniers. C’est d’ailleurs leur savoir expérientiel qu’il s’agit maintenant de traduire en évidence (Tourette-Turgis et Pelletier, 2014) et en rapport de complémentarité avec les autres types de savoirs formels, dont les disciplines universitaires ci-haut énumérées, et qui sont quant à elles déjà bien organisées. Ce numéro thématique sur les partenariats patients en santé mentale ambitionne d’encourager cette évolution en proposant une sélection d’articles qui s’illustrent autant par leur diversité que leur grande qualité.
Les lecteurs de SMQ savent depuis fort longtemps que les usagers de services de santé mentale ont réclamé et exercé toujours plus d’autonomie. Les partenariats patients sont également le fruit de cette force émancipatrice, qu’il faut saluer. Nous prenons position en faveur de ce mouvement disons autonomiste, parce que beaucoup reste encore à faire et parce que dans nos milieux nous avons compris depuis belle lurette que la seule désinstitutionnalisation ne suffisait pas à l’inclusion sociale des patients-usagers-citoyens. Peut-être que l’inclusion à titre de citoyens à part entière des patients dans la société en général passe aussi par la pratique des partenariats patients dans nos milieux respectifs. Unissons-nous, en partenariat mutuel, pour un changement aussi profond que durable, mais qui sera à renouveler chaque jour.
Deuxième mot : patients
La composition de ce numéro thématique se veut elle-même l’aboutissement d’un travail collectif particulièrement inclusif des patients et donc le résultat d’un partenariat patient. Il y a des patients et usagers de services de santé mentale qui sont parfois coauteurs ou qui ont été réviseurs pour certains des articles ici réunis, et ils sont aussi représentés au comité de rédaction de SMQ. C’est avec grande fierté que nous présentons ce numéro thématique sur les partenariats patients en santé mentale : fort probablement le tout premier d’une revue scientifique francophone à arborer le logo Patients Included. Il s’agit d’un nouveau standard de qualité notamment promu par le très prestigieux British Medical Journal (BMJ, 2014), lequel avait lancé en 2013 son numéro thématique sur le patient partnership, dans la foulée duquel s’inscrit le nôtre. Or, dans notre champ plus spécifique de la santé mentale, nous avons la chance d’être déjà plus ou moins familiers avec cette figure probablement la plus emblématique du partenariat patient, soit celle du pair aidant.
Rappelons qu’un travailleur pair aidant peut être un membre de l’équipe d’intervention vivant ou ayant vécu un problème de santé mentale et étant reconnu comme tel. À partir de son expérience personnelle, il aide d’autres patients à retrouver l’espoir, à surmonter les obstacles et à identifier ce qui peut les aider à se rétablir à titre de citoyen à part entière. Le pair aidant intervient généralement dans la communauté auprès de la clientèle d’un programme de façon individualisée en encourageant les personnes à s’assumer, à faire leurs propres choix et à participer activement à la prise des décisions qui les concernent. Les pairs aidants rendent ainsi l’équipe plus efficace et constituent une source d’information qui permet aux intervenants d’adapter leur pratique aux réalités sociales particulières. Ils peuvent donc être tour à tour partenaires des intervenants et partenaires des patients. L’action des pairs aidants permet ainsi de consolider les liens entre les milieux médical, universitaire et communautaire, représentant cet élément de transversalité qui fait souvent cruellement défaut dans notre système historiquement érigé en silos. Par leur présence, ils encouragent le développement d’une culture d’équipe dans laquelle le point de vue et les préférences de chaque patient sont reconnus, constituant ainsi un ingrédient essentiel à des soins et services de santé mentale réellement personnalisés. Cependant, la valeur des pairs aidants et des patients partenaires ne peut être réellement utile que dans des équipes globalement ouvertes sur la santé mentale pour tous, plutôt que centrées d’abord et avant tout sur les symptômes de maladies mentales à « traiter ».
Troisième mot : santé mentale
Selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), « la santé est un état complet de bien-être physique, mental et social, ne consistant pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité ». Puisque la santé mentale fait partie intrinsèque de cette définition de la santé, « santé » et « mentale » sont ici présentées comme un seul mot. Toutefois, le mot « social » de cette définition mérite aussi qu’on l’examine. La santé mentale concerne tout le monde, ceux qui ont la chance d’avoir généralement une bonne santé mentale et ceux dont la santé mentale est moins bonne, au point d’avoir, par moments, besoin de soins plus ou moins ponctuels ou prolongés. Or ce qu’espèrent les usagers de services de santé mentale, c’est que ces services les aident aussi à justement redevenir un peu plus comme tout le monde et avec tout le monde (Davidson et collaborateurs, 2010). Or, en démocratie, ce qui unit les individus les uns aux autres, c’est un lien bien particulier, soit celui de la citoyenneté qui fait que le tout dépasse la somme des parties. Il s’agit, comme dirait Jean-Jacques Rousseau, d’un contrat social, soit d’un partenariat citoyen que l’on pourrait qualifier de fondateur. Il est donc heureux que le nouveau Plan d’action en santé mentale 2015-2020 du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (2014) se propose de cibler le plein exercice de la citoyenneté, pour cette adéquation nécessaire à l’épanouissement des partenariats patients en santé mentale.
La révolution patient-usager-citoyen
Le numéro thématique de BMJ sur le patient partnership, ci-haut mentionné, s’ouvrait avec un éditorial intitulé Let the patient revolution begin : it’s time to take partnership seriously (Richards, Montori, Godlee, Lapsley et Paul, 2013). Le premier article de ce numéro-ci, qui lui sert en quelque sorte d’introduction, indique que la pratique du partenariat patient n’est peut-être pas révolutionnaire dans le sens de « changement soudain » (Petit Robert), puisque pouvant remonter à plus de 200 ans, soit à la naissance même de la psychiatrie comme science objective. Elle reste cependant tout à fait révolutionnaire dans le sens que, en matière de santé mentale et psychiatrie, son émergence fut intimement tributaire des idéaux de la Révolution française. Nous avons tous droit à la poursuite du bonheur, pour évoquer cette fois-ci les idéaux d’une autre révolution démocratique, soit ceux qui sont inscrits dans la Déclaration d’indépendance des États-Unis. Et cette indépendance, ou cette autonomie, n’est pas seulement celle des États-Unis relativement à l’Angleterre, mais aussi celle des individus, à travers l’expression de leur interdépendance communautaire. Dans cette quête, nous sommes tous égaux et concitoyens les uns des autres, que nous soyons en bonne ou en moins bonne santé mentale.
Ceci peut nous sembler une banale vérité en 2015, mais il s’agit en fait d’un défi jamais totalement relevé, d’un horizon qui guide l’action sans jamais se laisser définitivement conquérir, comme le sommet de la montagne par Sisyphe. L’égalité comme principe actif nous met toutefois bel et bien en mouvement. Il s’agit en fait d’une quête quotidienne dans la redéfinition perpétuelle de ce lien de citoyenneté qui, en démocratie pluraliste, nous unit les uns aux autres, que nous soyons tantôt du côté des soignants, tantôt du côté des soignés ou même, les deux en même temps ou alternativement.
En géométrie, une révolution se dit aussi, toujours selon le Petit Robert, d’une rotation complète, soit du tour entier d’un corps mobile, engendrée par la rotation autour d’un axe. Ainsi, l’axe patient-usager-citoyen permet cette révolution d’un « corps mobile » : dans le cabinet de son médecin, le patient est le patient de ce médecin. Lorsqu’invité à partager son savoir expérientiel concernant l’organisation des soins et leur évaluation, il le fait alors comme usager des services, ce qui peut ici inclure les proches qui ont une vision globale d’un système qui ne se dévoile souvent, pourtant, que de manière morcelée. Finalement, dans son quartier et par rapport à tous les autres membres de la société, il est – ou devrait être – considéré comme un citoyen à part entière (Rowe, 2015). Une conception réellement globale de la santé mentale publique est alors possible dès lors que le patient-usager-citoyen en est le premier agent de changement démocratique (Pelletier, Fortin, Pomey, Roelandt, Guézennec, Murray, DiLeo, Davidson et Rowe, 2013).
Révolution se dit également du retour périodique d’un astre à un point de son orbite, soit du mouvement d’un tel astre. En astronomie, les astres se déplacent ainsi autour d’un centre, par exemple le Soleil en ce qui concerne les planètes de notre système solaire héliocentré. En santé mentale, les astres ce sont les partenaires qui évoluent désormais dans un système centré sur la qualité même du partenariat entre concitoyens égaux. Et les enseignements que nous pouvons distiller ensemble de la connaissance expérientielle des patients-usagers-citoyens peuvent éclairer la santé mentale pour tout le monde. Il faut impérativement que cette révolution se poursuive, sachant toutefois qu’elle ne sera jamais complètement achevée, puisque reposant sur le renouvellement perpétuel de l’égalité, chaque jour et au quotidien. Bref, c’est tout un défi !
Présentation du contenu
Dans le premier article avec Larry Davidson, nous indiquons que la psychiatrie elle-même n’a pu naître qu’à travers un tout premier partenariat entre Philippe Pinel et Jean-Baptiste Pussin. Le second article, de Michel Perreault, Stéphane Bouchard, Micheline Lapalme, Anick Laverdure, Denis Audet, Jean-Claude Cusson, Camillo Zacchia, Diana Milton et Michaël Sam Tion illustre les propriétés salutaires de la pair-aidance : des usagers ou ex-usagers peuvent contribuer de manière convaincante au mieux-être en santé mentale. Il s’agit ici en quelque sorte d’un partenariat patient-patient. Il existe aussi le partenariat d’enseignement, tel que Marie-Hélène Goulet, Caroline Larue et Chad Chouinard en traitent dans le 3e article. Dans les 4e et 5e articles respectivement, Baptiste Godrie expose les aléas d’un partenariat patient-chercheurs (ici patient est au singulier et chercheurs au pluriel), tandis que Michèle Clément discute des enjeux de la participation publique et citoyenne pour un partenariat patients-décideurs. Luigi Flora, Paule Lebel, Vincent Dumez, Caroline Bell, Josée Lamoureux et Daniel Saint-Laurent, dans le 6e article, présentent l’expérimentation d’un ambitieux programme de partenariat de soins patient-professionnels en psychiatrie.
Le partenariat s’inscrit cependant parfois en porte-à-faux par rapport à une réglementation qui se veut certes protectrice mais qui entretient dans les établissements publics une certaine culture de gestion du risque axée sur la dangerosité plutôt que sur le rétablissement (Paquet et Samson, 2014). C’est ce risque paradoxal que nous soulevons dans le 7e article, avec Anne-Lise Lierville et Christine Grou, par un état de situation dans un institut universitaire où les patients partenaires, de recherche notamment, font cette fois-ci équipe. Paul Morin, Pierre-Luc Bossé, Sébastien Carrier, Suzanne Garon et Annie Lambert, pour leur part, montrent, dans le 8e article, comment une initiative écossaise peut être transposée chez nous pour une meilleure personnalisation des trajectoires de soins et services. Dans le 9e article, Isabelle Ruelland relate une expérience de démocratisation brésilienne ; ce faisant, elle explore les avantages d’une convivialité tout à fait informelle. Suivent les 10e et 11e articles, par Lise Demailly et Nadia Garnoussi, qui nous font le plaisir de partager avec nous les résultats qualitatifs de l’expérimentation de l’introduction de pairs aidants dans le système public français, lequel est quant à lui bien formel. Le témoignage d’un usager-chercheur ferme le numéro thématique, ne s’agissant pas ici d’une démonstration d’un type particulier de partenariat mais plutôt d’une « monstration », soit le fait de montrer la synergie potentielle d’une juxtaposition du savoir expérientiel et du savoir universitaire et voulant ainsi dépasser le niveau d’une simple introspection isolée.
Plusieurs types de partenariats patients sont donc envisageables, à des degrés divers et avec de multiples combinaisons possibles entre eux : autant de lentilles pouvant se télescoper pour un regard croisé sur de toutes nouvelles connaissances en émergence. C’est comme le Big Bang qui pourrait se laisser observer du fin fond de l’univers alors qu’il en serait à l’origine.
Appendices
Note
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[1]
Dans ce numéro, les expressions usagers ou patients sont interchangeables et incluent les proches.
Bibliographie
- British Medical Journal (2014). Strategy to promote patient partnership : http://www.bmj.com/campaign/patient-partnership.
- Davidson, L., Shaw, J., Welborn, S., Mahon, B., Sirota, M., Gilbo, P., McDermid, M., Fazio, J., Gilbert, C., Breetz, S. et Pelletier, J.-F. (2010). “I don’t know how to find my way in the world” : contributions of user-led research to transforming mental health practice. Psychiatry, 73(2), 101-113.
- Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (2014). Forum national sur le plan d’action en santé mentale 2014-2020 – Document de consultation, Services de santé et de médecine universitaire, Québec.
- Paquet, S. et Samson, E. (2014). La gestion du risque en santé mentale : au-delà du contrôle, Le Partenaire 23(2), 3-4.
- Pelletier, J.-F., Fortin, D., Laporta, M., Pomey M.-P., Roelandt, J.-L., Guézennec, P., Murray, M., DiLeo, P., Davidson, L. et Rowe, M. (2013). The Global Model of Public Mental Health through the WHO QualityRights project, Journal of Public Mental Health, 12(4), 212-223.
- Richards, T., Montori, VM., Godlee, F., Lapsley, P., et Paul, D. (2013) Let the patient revolution begin. British Medical Journal, 346 :f2614. doi : 10.1136/bmj.f2614.
- Rowe, M. (2015). Citizenship and mental health, New York : Oxford University Press.
- Tourette-Turgis, C. et Pelletier, J.-F. (2014). Expérience de la maladie et reconnaissance de l’activité des malades : quels enjeux ?, Le sujet dans la cité, 2(5), 20-32.
- Vanier, M.-C., Dumez, V., Drouin, E., Brault, I., MacDonald, S., Boucher, A., Fernandez, N., Levert, M.-J. et al. (2014). Partners in Interprofessional Education : Integrating Patients-as-Trainers. Dans : Fulmer, T. et Gaines, M. (Eds) Partnering with Patients, Families, and Communities to Link Interprofessional Practice and Education. Proceedings of a conference sponsored by the Josiah Macy Jr. Foundation in April 2014, 73-84.