Abstracts
Résumé
Le présent article est la description du parcours d’un des pionniers de l’enseignement de la méditation pleine conscience en milieu médical au Québec. Il met l’accent sur la nécessité de pratiquer et d’appréhender ce concept par l’expérience plutôt que par une recherche intellectuelle. Il décrit l’apport de la pleine conscience sur sa pratique médicale et présente un bref survol des ateliers qu’il anime au Centre Épic (Centre de médecine préventive et de conditionnement physique de l’Institut de Cardiologie de Montréal) depuis 15 ans.
Mots-clés :
- pleine conscience,
- cardiologie,
- stress
Abstract
This article is the description of the personal journey of one of the pioneers of mindfulness teaching in health care in Quebec. It emphasizes the need to practice and to understand this concept experientially rather than conceptually. It describes the contribution of mindfulness to his medical practice and provides a brief overview of the workshops he has led a the Epic Centre (Centre for Preventive Medicine and Fitness of the Montreal Heart Institute) for the last 15 years.
Keywords:
- mindfulness,
- cardiology,
- stress
Article body
Avec le temps, le pommier se transforme en fumier.
Avec le temps et les moyens habiles,
le pommier se transforme en verger et en compote.
Introduction
La méditation ? La méditation de pleine conscience ? A priori, cela n’intéresse personne.
Je ne fais pas exception à la règle. Je ne connaissais la méditation qu’à travers mes préjugés et perceptions erronées. C’était le domaine de l’ésotérisme, du spirituel, des gourous de tout ordre et des foules de fidèles dociles et soumis à une autorité, souvent charismatique. Une manière subtile de manipuler les esprits et d’imposer ses croyances. C’était « arrêter de penser » et j’ai toujours aimé réfléchir. C’était « croire » et je ne suis pas croyant. C’était s’arrêter et j’aime l’action. C’était être patient et je suis (dé)formé pour être impatient, efficace… et pourtant.
Et pourtant, j’anime depuis une quinzaine d’années dans un contexte médical, et depuis près d’une dizaine d’années dans le cadre du Centre ÉPIC de l’Institut de Cardiologie de Montréal un atelier de réduction du stress basé sur la pratique de la pleine conscience.
Que m’est-il arrivé ? Comment cela a-t-il été rendu possible ?
Connaître le cheminement, d’aujourd’hui à hier et prendre la route
Les 11 et le 12 septembre 2013 se tenait un colloque du département d’éducation médicale continue de l’Université Harvard à Boston, et réunissant plus de 1 200 participants, dont une majorité de psychiatres et intervenants en santé mentale. Le thème était : « Meditation and psychotherapy : Deepening mindfulness with Thich Nhat Hanh » (http://cme.med.harvard.edu/cmeups/pdf/00331525.pdf). Thich Nhat Hanh est un maître zen vietnamien, âgé de 87 ans, partisan d’un bouddhisme engagé, poète, auteur de plus de 70 livres. Il a été en nomination pour le prix Nobel de la paix par Martin Luther King en 1967. Un maître zen, invité par des psychiatres de l’Université Harvard ? Eh bien oui, le milieu psychiatrique s’ouvre, s’intéresse à une autre manière d’aborder la souffrance et de la transformer. Étaient évidemment présents plusieurs autres conférenciers de marque, dont l’incontournable Jon Kabat-Zinn, celui qui a mis sur pied il y a déjà plus de 30 ans un atelier de réduction du stress à l’University of Massachusetts Medical Center qui fait école.
Il n’y eut, durant ce colloque inédit, aucune présentation « PowerPoint », ce qui a contribué à nous garder éveillés ! La recherche explose (voir le site www.mindfulexperience.org) dans le vaste domaine de la pleine conscience (mindfulness) : MBSR (mindfulness based stress reduction), MBCT (mindfulness based cognitive therapy), MBEAT (mindfulness based eating awareness training), ACT (acceptance commitment therapy), etc. Et c’est bien sûr un piège : celui de lire, d’apprendre intellectuellement et de croire savoir en quoi consiste la pleine conscience. Dans la préface de la nouvelle édition de son livre Full Catastrophe Living, il écrit à propos des études scientifiques sur la pratique de pleine conscience : « J’avais déjà une expérience de la pratique méditative bien avant que n’apparaisse une science de la pleine conscience. Et si une telle science n’était pas apparue, la méditation serait tout aussi importante dans ma vie. De telles pratiques méditatives n’ont pas vraiment besoin d’être validées. » Selon Kabat-Zinn (2013), elles ont leur propre logique irrésistible, leur propre valeur empirique, leur propre sagesse qui ne peut être connue qu’à travers l’expérience.
Car la pleine conscience est d’abord une PRATIQUE. Je n’insisterai jamais assez sur cet aspect. Lors de ce colloque avant-gardiste, la deuxième journée fut l’occasion de goûter un peu à la pratique. De faire l’expérience directe de la pratique de pleine conscience. Ensemble. De manger en pleine conscience. De marcher en pleine conscience dans le parc. De s’asseoir ensemble, en silence. De percevoir clairement. De mieux sentir, regarder. De réfléchir autrement. Beaucoup moins, en fait. D’aborder différemment la souffrance. Autrement qu’en étiquetant, diagnostiquant et traitant. Selon les critères du DSM-IV ou du DSM-V.
Ce qu’il y a de bien avec la pratique de la pleine conscience, c’est qu’elle est un chemin plus qu’une destination. Un chemin qu’on prend un jour à la fois, un pas à la fois, un souffle à la fois, une relation à la fois en apprenant à habiter autrement chaque moment : en étant vraiment ici, plutôt que le corps ici et l’esprit ailleurs, dispersé, éclaté. Comme d’habitude. La difficulté réside entre autres dans le fait qu’il est malaisé d’en parler, de la décrire correctement, d’écrire sur le sujet. C’est comme tenter d’écrire sur la saveur d’une orange. Il est plus efficace de croquer l’orange, vivre l’expérience directe plutôt qu’à travers le filtre des mots et des concepts. Or, nous adulons les idées, les concepts. Nous aimons nous bercer d’illusions, devenir un expert, un savant.
Notre esprit analytique cherche à saisir, contrôler, savoir de quoi il retourne. Prenons l’exemple de l’eau. La science nous dit qu’il s’agit bien d’une molécule : H20. Une fois qu’on a dit cela, connaît-on l’eau ? A-t-on dit le dernier mot ? Il faut là aussi connaître par l’expérience directe. C’est bien de cela qu’il s’agit lorsqu’on parle de pleine conscience. Il faut s’être baigné, avoir senti la puissance de la vague, surfé sur une planche, bu un verre d’eau fraîche par une journée torride, observé les nuages embrasés lors d’un coucher de soleil, posé le regard sur la brume du matin qui tour à tour voile et dévoile la montagne, avoir dévalé une pente escarpée en ski… L’eau est complexe, change de forme, transforme l’expérience, nourrit et peut aussi tuer, noyer, saccager. Le domaine de la pleine conscience est le domaine de l’exploration, de l’expérimentation, de l’expérience directe, de l’infinie complexité de la réalité. Ce n’est pas le domaine de la cartographie et des guides de pratique. C’est celui du territoire, de la présence étonnée et curieuse. Ouverte. Et fluide. Cette pratique peut nous bousculer dans nos repères sécurisants. Nous ouvrir à une autre manière d’appréhender la réalité et la relation d’aide.
Ce colloque m’a ramené une vingtaine d’années en arrière. En effet, à Montréal, il y eut en 1993 un congrès international sur les perspectives orientales et occidentales relativement à la souffrance et la mort, réunissant des scientifiques occidentaux de même que le dalaï-lama, prix Nobel de la paix, et Sogyal Rinpoche, un autre enseignant du bouddhisme qui venait tout juste de publier Le Livre Tibétain de la Vie et de la Mort.
Ce fut pour moi un choc. J’allais dire un éveil… du moins, le début d’un chemin, d’une quête toujours inachevée.
Moi, médecin de famille, chrétien à la base, devenu agnostique par souci de cohésion et orphelin de ma tradition religieuse. Moi qui avais conclu hâtivement et faussement que la spiritualité et la religion avaient pour objectifs le contrôle des esprits, la domestication. J’avais dès lors rejeté massivement tout ce qui faisait appel à la naïveté, la confiance aveugle, la docilité, la soumission. Bref, la spiritualité pour moi était une impasse, un moyen habile et désastreux d’assujettir et manipuler les esprits. Surtout chez les gens les plus vulnérables. J’avais choisi mon camp, celui de la rationalité, de l’objectivité. La science était devenue ma religion. Ma vérité. LA Vérité. Eh bien non, la science est un regard particulier, nécessaire, mais limité. Forcément limité. Souvent limitant et aveuglant. Rachel Naomi Remen nous disait avec beaucoup de justesse : « Medicine is about mastery and control, but life is about mystery. »
Or, voici que la présence de ces maîtres tibétains qui partageaient certaines idées et pratiques me bouleversait, me touchait droit au coeur. Et pourtant, nulle confusion en mon esprit. Cette présence, cette chaleur, cette gentillesse, cet humour, ce calme, cette humilité, cette générosité d’être, cette compassion et cette sérénité s’imposaient comme une évidence, comme une vérité palpable, tangible : voilà comment je veux vivre. Voilà comment je veux être. Voilà comment j’aimerais agir. J’ai pris le chemin avec détermination. J’avais vu. J’avais ressenti une telle légèreté en même temps qu’une telle profondeur chez ces grands maîtres. Je savais qu’il est possible de vivre sainement, de façon cohérente, avec sagesse et compassion. Je ne suis pas le seul (p. ex., André, 2012 ; Siaud-Facchin, 2012).
Il ne reste que peu de souvenirs de concepts échangés, sinon cette humilité, cette capacité de reconnaître notre insondable ignorance. Et de l’accepter comme une réalité incontournable. À une question de l’auditoire qui demandait au dalaï-lama ce qu’il pensait de l’anesthésie lors de l’accouchement, celui-ci répondit avec une candeur et une fraîcheur rares chez les « experts » : « Comment voulez-vous que je sache cela ? Je ne suis pas une femme et je n’ai jamais accouché. » Rires de l’auditoire. C’est l’évidence. La seule réponse qui tienne. La seule réponse parfaitement honnête. « Je ne sais pas. » Réponse libératrice aussi pour l’intervenant que j’étais. Comment pourrais-je savoir ? Cela rencontrait bien l’idée exprimée par Henry David Thoreau en 1854 : « Comment l’homme pourrait-il conserver le sens de son ignorance, si nécessaire à son développement, lorsqu’il lui faut si souvent faire appel à son savoir ? » On oublie tout ce qu’on ignore, à quel point on est ignorant. C’est bien sûr faux de penser qu’on ne sait rien, mais c’est prétentieux de croire qu’on sait : « Avant, on croyait ceci, maintenant, on sait cela. » Karl Popper, le philosophe des sciences exprimait cela brillamment quand il estimait que la vérité reste une hypothèse qu’on n’a pas encore trouvé le moyen de réfuter (cité par Hadler, 2010).
Voilà un bon point de départ, cet esprit ouvert, esprit neuf : on ne sait pas. On ne sait jamais. En tout cas, jamais parfaitement. On peut écouter, s’informer, s’éduquer. On ne saura jamais tout. Pour Shunryu Suzuki Roshi (1977) : « Dans l’esprit du débutant, il y a beaucoup de possibilités. Dans l’esprit de l’expert, il y en a peu. » On ne pourra avoir qu’une perspective, une perception d’époque, la nôtre, colorée, teintée, pour ne pas dire faussée, par les idées propres à notre génération, notre culture, notre sous-culture (notamment la culture médicale et psychiatrique). Or, voici une autre idée qui me réconforte, énoncée par le bouddha dans le Kalama Sutta (cité dans Dufour, 2013), il y a plus de 2500 ans : « Ne croyez rien qui ne vienne des maîtres, des savants, des parents, des professeurs… »
La question que je me suis posée à ce moment-là était très simple : « Comment se fait-il qu’un être humain (le dalaï-lama), soumis à tant de souffrances, puisse conserver son sens de l’humour, sa compassion, sa foi dans l’humanité ? » En simplifiant à l’extrême, on pourrait répondre : il médite ! En complétant un peu, on pourrait ajouter : il pratique la compassion. Ce que j’ai commencé. Avec sérieux. Tous les jours. Si ces moyens lui ont permis de vivre, survivre, préserver sa dignité, son humanité, eh bien, c’est bien ce que je vais tenter de faire.
Peu après, j’ai eu la chance de lire Full Catastrophe Living (qui vient tout juste d’être réédité, 25 ans après la première édition) de Jon Kabat-Zinn (2013) qui enseignait la pratique de la pleine conscience en milieu hospitalier « high-tech » à l’Université du Massachusetts Medical Center. J’ai pu par la suite participer à une retraite d’une semaine de pratique de pleine conscience à l’Institut Omega, pour les médecins, psychologues, psychiatres, travailleurs sociaux, etc. J’ai pleuré, ri, respiré, me suis familiarisé avec tout ce qui m’habitait. Que j’évitais soigneusement par un répertoire très riche de moyens, dont, au premier plan, l’hyperactivité professionnelle. Et commencé à faire la paix. Avec mon histoire, mon originalité, ma créativité, mes limites, mes aspirations profondes.
Pour moi, ce chemin, cette voie de transformation et de guérison profonde faisait sens dans les trois acceptions du mot, comme nous le rappelle l’académicien et poète franco-chinois François Cheng : sens comme sensation (présence au corps), sens comme direction (orientation vers la paix, la joie, la conscience, la présence) et finalement, sens comme finalité, intention (« ça fais sens, ça donne du sens »). Or, la perte de sens ou l’absence de sens est une composante importante chez une proportion non négligeable de nos patients (voir Victor Frankl, 1988) ; peut-être que cette nouvelle façon d’aborder la souffrance et de la réduire apportera un complément essentiel à nos soins. Jamais il ne faut oublier que la soif des sens ne saurait étancher la soif de sens et que celle-ci ne se vend pas chez Costco.
C’est cette perte de sens dans mon travail que j’ai ressentie. Ce sentiment d’être coincé dans une pratique qui ne reflétait plus qui j’étais devenu au fil des ans, des expériences et des rencontres. Voilà brièvement ce qui m’a mené à quitter ma pratique médicale traditionnelle. Et le sentiment très vif que le mieux que nous pouvons faire est de redonner aux « malades » du pouvoir sur leur santé. Et de ne pas porter sur nos épaules le devenir de nos patients. Apprendre à écouter nos patients et comprendre un peu mieux le sens de leurs symptômes et donner du sens à leur souffrance. Cela nécessite du temps. Or, du temps en bureau, on n’en a pas assez pour faire ce travail en profondeur. On se contente souvent de travailler sur le signal, le symptôme sans en comprendre le sens profond.
Plonger, sauter dans l’inconnu
En 2000, après 23 années d’une pratique comme médecin de famille, dont une dizaine axée principalement sur la santé mentale (stress, épuisement professionnel, dépressions, troubles d’adaptation et le reste) ainsi que d’une réflexion que j’ai partagée dans un livre coécrit avec mon bon ami Jacques Lafleur, j’ai décidé de plonger, d’accepter le risque. De réorienter ma pratique médicale pour offrir un atelier de réduction du stress basé sur la pratique de la pleine conscience. Rien n’est facile et cette décision fut, on peut le concevoir, difficile à prendre et à assumer, malgré ma conviction inébranlable qu’il est pertinent de créer cet espace de guérison profonde et de transformation progressive. Et dont le patient est le maître d’oeuvre.
Prendre ce risque de faire le saut fut accompagné d’une forte dose d’angoisse et de doute. Saurais-je mener à bien ce projet ? Quitter le confort du connu (mon bureau, mon rôle de médecin traditionnel, ma clientèle) pour me lancer dans cette aventure. Pourquoi ? En partie, parce que j’avais eu l’audace de me poser cette question : « Robert, que ferais-tu si tu n’avais pas peur ? » En bonne partie, parce que j’ai toujours pu bénéficier du soutien indéfectible de ma conjointe. Et aussi grâce à ma propre pratique quotidienne d’arrêt. La pratique de pleine conscience force l’introspection et je n’ai jamais nié la présence de la peur qui m’a rongé, peur de réussir, peur d’échouer, peur de l’isolement professionnel, peur de saboter ma carrière de médecin, peur des jugements des collègues, de l’incompréhension de ma clientèle. Je peux en parler en long et en large de ces peurs, ces doutes… En revanche, je n’ai jamais douté de la puissance de l’outil de la méditation de pleine conscience. Ni de sa puissance, voire de sa nécessité, pour cheminer, évoluer, grandir, lâcher prise. Et cesser de vouloir tout contrôler.
À cet effet, après plusieurs années de travail intensif, souterrain, de lectures, de retraites pour approfondir ma propre pratique, j’ai eu la chance inespérée de joindre l’équipe du Dr Martin Juneau au Centre ÉPIC de l’Institut de Cardiologie de Montréal. J’y anime depuis 2004 un atelier de réduction du stress. Cet atelier s’adresse à une clientèle hétérogène incluant des patients coronariens, post-infarctus, mais sans exclure qui que ce soit : peut aussi joindre l’atelier quiconque ayant un intérêt pour cette pratique simple et puissante. Il n’y a donc aucun préalable, aucune condition précise, sinon l’intention d’explorer, d’intégrer à sa vie un élément nouveau, inédit pour la plupart des participants : apprivoiser l’arrêt, le silence, la bienveillance.
Simple, mais pas facile. Alors qu’on s’est habitué à des choses compliquées (un diagnostic et un médicament par exemple) et faciles (l’expert va trouver pour moi, va me sauver), mais pas toujours aussi efficaces qu’on le croit.
Comme médecin, je reconnais que nos façons de faire sont d’établir un diagnostic et un plan d’intervention. La pratique de pleine conscience nous invite à quitter ce monde et à reconnaître que le diagnostic est un concept qui s’étend à l’ensemble des patients chez qui on reconnaît des particularités communes et que le concept est fixe, comme les mots alors que la réalité est fluide, insaisissable et que le savoir peut bloquer l’accès à la connaissance. Connaître, ou co-naître, ou rencontrer la réalité complexe de cet humain en face de moi, avec ses pièges, son histoire, ses conditionnements, ses apprentissages, ses croyances, ses valeurs, ses ressources, ses limites actuelles, ses compétences (et incompétences), son contexte particulier. Quitter le monde des idées, reconnaître que « je ne sais pas précisément » a priori ce qu’il convient de faire pour cette personne et que je ne saurais imposer à l’autre mes idées et interventions. C’est lâcher la carte et être dans le territoire. La carte (le DSM IV ou V) n’est pas le terrain. Ce qui importe, c’est la découverte de ce terrain et proposer un chemin de guérison profonde et non seulement abolir les signaux ou les symptômes. Comme le disait l’ethnopsychiatre Tobi Nathan (2001) : « Un symptôme doit être considéré comme un texte sans contexte. Ainsi, l’activité thérapeutique consiste-t-elle toujours à découvrir le contexte dans lequel le texte du symptôme pourrait se révéler cohérent (compréhensible et absolument nécessaire). »
L’atelier que j’anime est basé sur le modèle de Kabat-Zinn. Il est participatif, expérientiel et il réclame un engagement de la part des participants. C’est un modèle d’intervention différent et qui peut être vu comme complémentaire ou alternatif aux soins médicaux traditionnels : peu importe la motivation des participants, ou la maladie, ou la crise, ou la quête de mieux-être qui les a menés à l’atelier, ceux-ci auront à s’investir dans une démarche hebdomadaire pendant 10 semaines, à raison de deux heures et demie par semaine. Et surtout, à intégrer dans leur vie des pratiques d’arrêt régulières, quotidiennes : cohérence cardiaque, scan corporel, stretching, repas en pleine conscience, marche méditative, méditation assise dirigée, etc.
Cet atelier diffère aussi de celui de Kabat-Zinn de plusieurs façons : d’abord, je ne rencontre pas individuellement les gens avant l’atelier. Je le regrette mais s’il me fallait absolument le faire, je ne crois pas que je pourrais offrir l’atelier. Certains me connaissent de réputation, d’autres viennent sans trop savoir dans quoi ils s’embarquent. Pour moi, la première rencontre sert justement à s’apprivoiser un peu, se présenter, décrire le programme, établir les règles, ce à quoi on peut s’attendre et instaurer un climat de respect et de confiance. Et aussi, mettre un peu d’humour et de légèreté dans le processus.
Ensuite, je n’exige rien, je n’impose rien. Chacun doit appliquer de son mieux, en fonction de son contexte, les exercices (alors que dans l’atelier de UMass Memorial Medical Center, les gens doivent s’engager, pour être admis, à faire les exercices quotidiennement, 45 minutes, six jours sur sept). Je suis, quant à moi, plutôt partisan de la démarche à petits pas et comme il y a aussi beaucoup de contenu cognitif et que certains en tirent profit, indépendamment de leur pratique d’arrêt, je ne voulais pas bloquer l’accès à ceux qui n’en sont pas encore arrivés à l’intégration intensive de la pratique d’arrêt. Ainsi, je propose des exercices plus simples, moins exigeants, de quelques minutes, ce qui permet au moins de faire ce premier pas. Et ce n’est pas rien : commencer à intégrer avec gentillesse et sans jugement une pratique inhabituelle, celle de l’arrêt. Apprivoiser en douceur : ce qui marche, c’est ce qu’on fait, ce qu’on pratique. Pas ce qu’on devrait pratiquer. Pas ce qu’on aurait intérêt à faire. La pratique de la pleine conscience réclame l’arrêt, le silence. Un peu, c’est déjà beaucoup. Et de la patience. On commence à devenir un peu plus conscient de son intention, mais aussi de ses résistances et à s’ouvrir doucement, progressivement à la capacité d’accepter ce qui est, ce qui se manifeste à l’instant. Et à savoir, par l’expérience directe que ce qui est ici (la peur, la colère, l’impatience ou la paix, la joie, peu importe) va changer, est éphémère, fugace.
L’animateur ne peut évidemment transmettre que ce qu’il a lui-même intégré. Sa confiance ne doit pas être basée sur des notions inculquées ou apprises dans la documentation exhaustive mais sur sa propre expérience directe. Celle-ci est une condition essentielle à la bonne marche de l’atelier. Il ne s’agit pas de croire que la pratique puisse aider, il faut le savoir. Et on ne le sait pas parce qu’on l’a appris dans les bouquins. On admet qu’on n’est ni totalement impuissant ni tout-puissant : chacun dispose d’un pouvoir de guérison et de transformation largement sous-estimé et négligé. Je considère ce travail d’animation comme une occasion d’activer et d’actualiser ces potentialités qui sont inhérentes à notre condition humaine. D’apprendre ensemble. Non pas seulement par un partage d’informations et d’idées ou de concepts, mais aussi, et surtout, par l’expérience directe. C’est la PRATIQUE qui sera notre outil de transformation.
Une démarche en cinq étapes synergiques
Comment transformer la souffrance ? Les Chinois utilisent deux symboles pour le mot crise : danger et opportunité. La crise porte donc en elle un potentiel réel de mieux comprendre, de mieux vivre, avec plus de sagesse.
Pour moi, il y a cinq étapes incontournables pour parvenir à une vraie guérison et non pas à une simple réduction des symptômes (sans pour autant toucher aux causes) :
Comprendre ;
Ressentir ;
Calmer ;
Réfléchir ;
Agir.
On peut déjà percevoir dans l’intervention des éléments de l’approche cognitive (comprendre, changer ses perceptions, attitudes) des éléments de l’approche comportementale (calmer, agir, donc changer ses habitudes) et aussi, au centre de notre modèle, l’élément de conscience ou cesser d’agir sous l’emprise des énergies d’habitude.
Comprendre
Voir les choses telles qu’elles sont, voilà l’essence de la pratique de pleine conscience. Non pas telles qu’on aimerait qu’elles soient. Telles qu’elles sont. Apprendre à vivre avec la vie. Apprendre à accepter ce qu’on ne peut changer (lâcher prise), à changer ce qu’on peut (courage, créativité) et à distinguer entre les deux (sagesse).
Reconnaître la réalité de la souffrance dans toute vie. Chacun a fait l’expérience du « stress », de l’angoisse, de la douleur physique ou mentale. Personne n’est épargné, sinon temporairement. Les crises font partie du parcours humain. Il y a eu, il y a et il y aura des épisodes de transition, des bouleversements, des pertes, des deuils. La réalité de l’impermanence est un fait. Tout se transforme. Qu’on le veuille ou non. Nos certitudes seront ébranlées. Nos relations seront parfois menacées. Notre corps vieillira. La mort surviendra. Un sage a dit : « Si tu acceptes, les choses sont comme elles sont. Si tu n’acceptes pas, les choses sont comme elles sont. » On ne médite pas pour fuir. On médite pour s’ouvrir, percevoir clairement tout ce qui nous habite, d’instant en instant, accueillir, reconnaître. Et transformer la souffrance.
Il suffit de s’arrêter quelques minutes pour constater à quel point tout est lié, connecté : notre expérience directe actuelle, nos pensées, nos émotions, nos sensations. Notre histoire nous habite, nous influence, parfois nous définit. Notre journée colore notre expérience de l’arrêt. L’arrêt colore aussi notre expérience, nous permet le recul, l’observation et, à terme, réduit la réactivité, l’impulsivité.
Reconnaître qu’il y a des causes et des conditions à tout ce qui apparaît. Lorsque vient le printemps, l’herbe pousse d’elle-même, nous dit le maître zen. Quand les causes et conditions sont présentes, les choses se manifestent. C’est vrai pour l’herbe. C’est vrai pour l’amour. C’est vrai pour la dépression. C’est encore vrai pour le bonheur. Nos choix laissent des traces, en nous et autour de nous.
Si on n’aime pas le résultat (ce qui est ressenti), on peut changer. On doit changer. Quoi ? N’importe quoi. Nos habitudes, nos relations, nos perceptions, et surtout, surtout, devenir plus conscient. Conscient de quoi ? De ce qu’on ressent. De ce qu’on fait. De ce qu’on croit, pense, perçoit, etc.
Reconnaître que nos habitudes sont largement automatiques, apprises, inconscientes, tout comme nos pensées et nos réactions. Et qu’on peut bien sûr changer. Si on devient conscient. Plus conscient. Et qu’on ne peut pas devenir plus conscient si on n’intègre pas certaines habitudes et attitudes. Mais d’abord certaines habitudes : celles de l’arrêt, de la lenteur, du silence, de l’écoute, etc. D’abord s’arrêter. C’est notre pratique de base. Et la base de notre pratique.
Ressentir
C’est un fait que chacun va pouvoir éprouver et observer à travers l’expérience de l’arrêt et du silence : le corps est sensible, a son propre langage, transmet constamment des informations ; et l’esprit est toujours là à chercher à comprendre, décoder, interpréter, étiqueter comme bonnes, mauvaises ou neutres les sensations ; à chercher à retenir ce qui est plaisant, à fuir ou éviter ce qui est inconfortable ou déplaisant. Toutes sortes d’émotions peuvent et vont apparaître, et disparaître au gré des circonstances, du contexte de notre vie : la peur, la joie, la tristesse, la colère, la paix, la sérénité…
On pourra apprendre à accepter toutes nos sensations, choisir de ne pas toujours tenter d’interpréter, qualifier, manipuler. Simplement être présent. Simplement accepter qu’elles soient là. La peur. La joie. Le calme. La colère. Que chaque graine est en nous et qu’elle se manifeste lorsqu’elle est arrosée. Qu’on arrose inconsciemment les graines de souffrance. Et qu’on peut arroser sélectivement.
C’est toujours par l’observation directe de sa propre expérience qu’on en viendra à mettre des mots, faire la paix avec soi et devenir un observateur neutre, intéressé, curieux, ouvert.
Calmer
On ne parviendra jamais à calmer si on ne fait pas d’abord l’expérience de l’acceptation. Radicale. Je suis là où je suis. Je sens ce que je sens. Et c’est parfait, tel quel. Ça me renseigne. Et ça va changer. Pour la simple raison que tout est en changement perpétuel.
Un bon ami me disait : « C’est vrai que tout change, sauf mon beau-frère (ou ma femme ou mon employeur…) ! »
Dans la pratique de pleine conscience, on travaille sur soi. On ramène notre attention à ce qui nous appartient. C’est une approche de l’intérieur vers l’extérieur. On peut bien sûr se plaindre de notre contexte et des autres. Mais on sait que cela ne va pas changer les choses ni les autres. Si je change, ça change autour de moi.
On utilisera la pratique de la méditation sous ses diverses formes : cohérence cardiaque (trois minutes de respiration consciente), scan corporel, yoga en position couchée, debout, marche méditative, repas en pleine conscience, méditation assise dirigée. On entraînera ainsi notre esprit plutôt que de se laisser entraîner par celui-ci. Le mental peut s’entraîner, doit s’entraîner, comme le corps, pour fonctionner de façon intégrée et intègre.
Si je me calme, je vois plus clairement. Je suis plus créatif. C’est une base pour la pleine conscience. Le calme n’est pas l’objet de la méditation ni l’objectif. L’objectif est de voir les choses telles qu’elles sont. On parviendra à générer le calme en entraînant l’esprit à se concentrer sur un objet, généralement le souffle. Mais aussi à diriger notre attention dans le corps, tour à tour sur les diverses parties du corps dans l’exercice du scan corporel (donc intégrer le contrôle attentionnel), les sensations lors des mouvements, la cadence quand on marche, le plaisir de goûter, de savourer un raisin, une clémentine, un morceau de chocolat…
Réfléchir
Un peu plus calme, on peut réfléchir et non pas seulement être dans la réaction animale (le cerveau reptilien, conditionné à fuir ou à attaquer). Être plus analytique, moins dans la peur et le statu quo. Plus créatif aussi, trouver des solutions novatrices à de vieux problèmes.
Mieux connaître son contexte de vie permet d’appliquer des solutions personnalisées et adaptées. On pourra percevoir clairement les peurs, les attachements (les dépendances) qui nous empêchent de mettre en place des solutions réalistes et efficaces. On pourra oser. Tenter autre chose. Plus aisément si le calme intérieur est établi. Ou s’il y a plus de stabilité intérieure.
Agir
Tout le pouvoir repose sur l’ACTION. Si on agit sans réfléchir, si on réfléchit sans agir, si on réfléchit alors qu’on est sous l’emprise de la colère ou de la peur, il manque un élément essentiel. Il n’y a rien qui change si on n’agit pas, si on ne change pas. Voici très brièvement les quelques habitudes qu’on essaye de développer : ABCDE…(t)
A = Arrêter : tous les jours, par nos exercices de pleine conscience – je fournis un CD avec les divers exercices afin d’accompagner et soutenir les participants dans leur intention.
B = Bouger, Besoins (et limites) : on n’a pas le choix de ses besoins mais le choix dans la manière d’y répondre et aussi faire la distinction entre besoin et désir. On aborde ces thèmes, le stress du temps, le stress de l’argent, qui sont bien sûr les ressources à notre disposition pour répondre à plusieurs de nos besoins.
C = Communiquer, Connecter, Collaborer, Compassion, résoudre nos Conflits : nous n’existons pas en dehors de nos relations ; or, communiquer efficacement peut s’intégrer, s’apprendre et la pratique de pleine conscience sera un moyen pour transformer et enrichir nos relations. Il est à noter que le C vient après le A et le B. Il est plus simple de communiquer consciemment lorsqu’on est calme et qu’on est énergique.
D = Développer nos compétences = le besoin de compétence et d’autonomie est au coeur de l’humain et nous pouvons toujours développer nos potentialités, nos capacités à s’Arrêter, à Bouger, à Communiquer de façon Consciente et Compatissante.
E = Éthique, vivre de façon respectueuse ; s’Entraîner et s’Entraider. Entraîner l’esprit un jour à la fois grâce à nos pratiques d’arrêt. Et, bien sûr, ne pas verser dans l’indifférence : s’Entraider, s’Épauler, savoir Écouter un peu mieux, moins juger, offrir une vraie présence, authentique, stable, ouverte et réceptive. Empathique, quoi !
Conclusion
La transformation profonde réclame une pratique, un processus, une démarche dont on assume la conduite. Elle implique un engagement dans son processus et aussi une détermination sans faille. Le groupe est déterminant pour soutenir l’intention et cheminer progressivement.
À la base de cette démarche, il y a la foi. Une foi, une confiance de la part de l’animateur dans son potentiel de guérison, d’harmonie. Une foi inébranlable fondée sur l’expérience, sur notre propre expérience. Non pas une foi basée sur une naïveté infantile ou sur la crédulité sotte ou encore par conformisme à une autorité charismatique à laquelle nous nous soumettons aveuglément. Quand on ouvre les yeux, on découvre, on rencontre d’autres personnes qui, comme nous, ont vécu des périodes troubles, des moments difficiles, des épreuves ou un échec. Et certaines en sont sorties grandies et, en même temps, plus humbles, plus humaines, transformées profondément.
La pleine conscience est l’aboutissement d’une pratique régulière d’arrêt, de lenteur, de silence, de méditation. La pleine conscience se cultive dans le moment, dans l’ordinaire de sa vie. Elle s’établit petit à petit, par une pratique quotidienne.
Nous ne méditons pas seulement pour devenir calme. Nous méditons pour devenir calme et conscient. Conscient de quoi ? Conscient de nous, de ce qui se passe en nous, nos sensations, nos perceptions, nos habitudes, nos émotions, nos jugements et aussi d’une capacité assez formidable de lâcher prise. De cesser de vouloir tout gérer, tout régir, tout contrôler, tout manipuler à notre convenance. Conscient de nos peurs, de nos attachements (à nos idées, nos projets, nos objectifs, etc.) et aussi de notre courage, de notre ouverture. Conscient aussi de ce qui se passe autour de nous et du rôle que nous pouvons tenir. Conscient des gestes que nous pouvons faire et des conséquences de ceux-ci : est-ce que je nourris la paix, la joie, l’harmonie en moi et autour de moi ?
Appendices
Bibliographie
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