Dans la tradition chrétienne, le mot « démon » désigne un ange déchu. Sa figure se distingue de celle du dibbouk du folklore juif (qui se manifeste par une possession qui rend fou, le mot « dibbouk » signifiant en hébreu « attachement ») ou encore du djinn islamique (un être surnaturel, bienfaisant ou malfaisant, qui peut prendre divers aspects et tenter l’homme) – même si des similitudes se retrouvent, notamment dans leur statut d’êtres intermédiaires entre le divin et l’humain. La croyance en l’existence d’êtres intermédiaires préexiste à la naissance des religions abrahamiques. Elle est commune à l’ensemble des civilisations anciennes, lesquelles conçoivent le monde comme un lieu habité d’entités surnaturelles. C’est ce pressentiment d’un monde surnaturel qui conduit les hommes à mettre au point des rites pour s’assurer que les êtres invisibles demeurent dans leur ordre, et qu’ainsi l’ordre du monde soit préservé. « Cette attitude est universelle ; les modernes ne l’ignorent point ; elle surgit spontanément dans l’âme enfantine et toutes les fois qu’un homme a l’impression que l’univers, autour de lui, devient incompréhensible, livré à la fantaisie et au caprice d’êtres invisibles », écrit Pierre Grimal. C’est contre le surgissement de l’invisible que l’on se prémunit – étant entendu que les êtres intermédiaires sont bien plus souvent porteurs de chaos que de prospérité pour la société. C’est dans la Grèce archaïque que le mot daimôn est utilisé pour la première fois pour désigner des créatures intermédiaires entre la société des hommes et le monde des dieux. Ces créatures sont nécessaires à un régime de pensée qui conçoit la divinité comme une Puissance inconnaissable. « Dieu n’est pas connaissable ; on peut seulement le reconnaître, savoir qu’il est, dans l’absolu de son être. Encore est-il besoin, pour combler l’infranchissable écart entre Dieu et le reste du monde, d’intermédiaires, de médiateurs. Pour se faire connaître à ses créatures, il a fallu que Dieu choisisse de se révéler à certaines d’entre elles », explique Jean-Pierre Vernant. Dans ce cadre, le daimôn peut être compris comme celui qui donne à un individu les moyens d’agir selon son intériorité. Pour Homère, l’action du daimōn sur l’individu se traduit ainsi par un dédoublement ; le daimôn « vient nommer ce qui, tout en advenant en moi, ne peut venir de moi : coup de folie, passion, comportement insolite » . Il est ce qui permet de légitimer l’écart du comportement individuel avec la norme des hommes ordinaires. Dans la Grèce classique, le daimôn continue à s’attacher à un individu, comme le fameux démon de Socrate, son « bon génie » (agathos daimôn) : une puissance intérieure qui influence la volonté du philosophe et le pousse à questionner sans relâche son entourage. En cela, le démon se montre ambivalent. Si son action justifie la liberté que Socrate s’autorise avec les usages, elle constitue aussi comme un facteur de désordre pour la vie de la cité. Lors de son procès, Socrate justifie ainsi sa liberté de ton en invoquant son démon : n’est-ce pas son démon qui, après tout, l’a poussé à enfreindre les règles sociales d’Athènes ? La figure du daimôn est relativement bien connue pour la Grèce classique et hellénistique. Mais d’autres créatures intermédiaires existent également dans les religions du Proche-Orient ancien. Le monde des créatures intermédiaires se développe dans la religion de l’Israël ancien, en particulier après l’exil à Babylone. Si ces créatures sont désignées de diverses manières dans la Bible hébraïque, la Septante adopte un terme unique pour les qualifier : elles sont daimonia et daimones. S’opère alors une conjonction entre un vocable grec, des représentations …
INTRODUCTION. DÉMONS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI
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Antonella Bellantuono
Faculté de théologie, Université catholique de Lille, FranceOlivier Rota
Faculté de théologie, Université catholique de Lille, FranceCatherine Vialle
Faculté de théologie, Université catholique de Lille, France
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