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La réalité démographique et socioculturelle des écoles et des communautés francophones en contexte minoritaire a fait l’objet de recherches qui soulignent les défis liés au développement linguistique et culturel (Landry, 2000, 2010). Les recherches révèlent également que l’école est le lieu privilégié pour guider les élèves dans leur construction identitaire tout en étant un pilier de la protection et de la promotion de la langue (Haentjens et Chagnon-Lampron, 2004; Landry, 2000). Il incombe aux intervenantes et intervenants scolaires, incluant les directions d’école, d’assurer la vitalité de la communauté ainsi que la protection de la langue et de la culture, l’un des deux éléments de la mission de l’école francophone minoritaire, l’autre étant la réussite scolaire (Ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance [MEDPENB], 2014). Toutefois, le rapport de la Commission sur l’école francophone du Nouveau-Brunswick indique que le sens et la portée du volet identitaire ne sont pas bien saisis par le personnel éducatif et suggère qu’une attention particulière soit accordée à la formation et au perfectionnement professionnel (LeBlanc, 2009).

Bien que les défis et les enjeux particuliers à l’école francophone en contexte minoritaire soient bien documentés en ce qui a trait au rôle à assumer par les directions d’école (Gélinas-Proulx, 2014; IsaBelle et al., 2008; Lapointe, 2002), il existe peu de recherches qui traitent de la formation dispensée à ces leaders pour qu’ils soient des passeurs culturels à part entière (IsaBelle et al., 2008; IsaBelle, Meunier et Gélinas-Proulx 2016). Ainsi, il y a lieu de se demander si leur formation initiale et continue répond aux besoins des écoles francophones en contexte minoritaire.

Le but de cet article est de comprendre la conception que les directions d’école du Nouveau-Brunswick ont de leur rôle et de la formation leur permettant de protéger la langue et la culture dans un contexte minoritaire. Nous commençons par exposer une recension des écrits présentant l’école en contexte minoritaire et ses défis, le rôle des directions d’école et leur formation, ainsi que la méthodologie retenue. Puis, nous présentons les résultats de la recherche suivis d’une discussion. Par la suite, nous résumons ce qui est ressorti du dialogue engagé avec des directions d’école dans le cadre d’un atelier portant sur la formation qui a été organisé dans le cadre du 1er Forum francophone sur l’apprentissage à l’Université de Moncton, campus de Shippagan, et qui a eu lieu le 1er mai 2015. Nous terminons par une conclusion.

1. Recension des écrits

Afin de mieux comprendre comment les directions d’école perçoivent leur rôle et la formation leur permettant de répondre aux attentes et aux besoins spécifiques en contexte francophone minoritaire, cette partie présente les principaux concepts associés à leur réalité, soit la mission de l’école francophone minoritaire et les défis qui lui sont liés. Ensuite, le rôle des directions d’école oeuvrant en contexte minoritaire francophone et leur formation sont présentés.

1.1. La mission de l’école en contexte minoritaire

Au Canada, la mission de l’école francophone, définie par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés (1982), est d’offrir une éducation de qualité qui contribue à la réussite scolaire ainsi qu’au développement identitaire et culturel des élèves (MEDPENB, 2014). Au Nouveau-Brunswick, le système éducatif acadien et francophone a non seulement la mission d’assurer la réussite des élèves, mais aussi celle de voir à la transmission de la langue française et à l’appropriation de la culture acadienne et francophone (ibid.). Plusieurs auteurs conviennent que l’école joue le rôle de « clé de voute » pour l’individu et la communauté francophone minoritaire (Foucher, 1999; Gérin-Lajoie, 2002; Landry et Allard, 1990; Martel, 2001). En fait, l’école est au coeur du maintien et de l’épanouissement de la communauté (Cormier, 2005; Foucher, 1999), et permet, d’après Martel (2001), de remédier à l’assimilation de façon proactive. Selon certains auteurs (Bernard, 1998; Landry et Allard, 1990), l’assimilation entraine l’élimination de la minorité par la disparition progressive de la culture et de la vitalité communautaire. L’école de langue française est donc perçue comme le « pivot de survivance et un balancier compensateur de l’effet du milieu » (Bernard, 1992, p. 35) puisqu’elle est souvent le seul lieu où les élèves peuvent vivre des expériences en français. La mission de l’école en contexte minoritaire comprend non seulement le savoir, le savoir-faire et le savoir-être, mais favorise aussi l’acquisition du savoir agir, du savoir vivre-ensemble et du « savoir devenir nécessaire à la préparation des gens qui bâtiront la communauté » (Landry et Allard, 1999, p. 416). De plus, Landry et Allard (1996) indiquent que l’école est un lieu de socialisation pour les membres de la communauté. Arsenault-Cameron (2000) ajoute qu’elle est la seule institution qui permet aux minorités francophones de transmettre la langue aux prochaines générations (Cormier, 2005; Pilote, 2004; Richard, 2014).

Bien que cette double mission de l’école francophone se soit précisée au cours des années, il est évident que le volet identitaire (langue et culture) reste encore à définir (Gérin-Lajoie, 2002, 2008, 2010). Toutefois, comme nous avons pu le constater, de nombreux défis demeurent, rendant ainsi plus difficile la tâche d’actualisation du mandat identitaire des directions d’école.

1.2. Les défis de l’école francophone en contexte minoritaire

Le profil sociodémographique des écoles francophones tend à évoluer en fonction des changements qui s’opèrent dans la composition de la population scolaire, qui compte de plus en plus d’élèves qui sont de nouveaux arrivants ou issus de couples exogames. En fait, les facteurs favorisant l’essor des communautés francophones, soient l’immigration et l’exogamie, sont aussi les mêmes qui contribuent à leur fragilité (Landry, 2010) et qui soulèvent des défis particuliers (Boudreau, 2014). Étant donné que les familles ne s’assurent plus toujours de maintenir et de transmettre la langue et la culture, comme elles le faisaient autrefois (Bernard, 1997; Landry et Rousselle, 2003), les écoles doivent donc souvent, à elles seules, s’en charger (Gérin-Lajoie, 2002). En outre, Haentjens et Chagnon-Lampron (2004) précisent que les francophones en contexte minoritaire s’identifient de plus en plus à d’autres cultures, de façon plurielle.

Malgré la garantie des droits à l’instruction dans la langue de la minorité, inscrits dans la Charte canadienne des droits et libertés (1982), et hormis la jurisprudence à l’avantage des francophones qui s’ensuivit, les défis de l’école en contexte minoritaire restent nombreux et divers (Landry et Rousselle, 2003). Une étude nationale auprès d’enseignantes et d’enseignants associe plusieurs besoins aux écoles en contexte minoritaire, en particulier les besoins en ressources et les appuis nécessaires pour relever ces défis (Gilbert, LeTouzé, Thériault et Landry, 2004). Une autre étude sur les minorités a également permis de constater des défis, dont le manque de formation initiale et d’occasions de perfectionnement professionnel (Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants [FCE], citée dans LeTouzé, 2004). Plus récemment, le rapport de l’enquête sur les « Enjeux de l’enseignement en contexte minoritaire francophone » effectuée au Canada (FCE, 2014) présente les défis des écoles, notamment la promotion de la langue et le sentiment d’appartenance des élèves. En d’autres mots, cette étude signale que le personnel enseignant manque de moyens pour contrer l’assimilation et accompagner les élèves dans leur construction identitaire. De plus, Fullan (2001) et Stewart (2006) soulignent que les écoles subissent des transformations rapides, imprévisibles et souvent non linéaires.

Au Nouveau-Brunswick, la réalité associée aux écoles francophones en contexte minoritaire est similaire à celle relevée dans la littérature. En fait, le système d’éducation adopte depuis plusieurs années la philosophie de l’inclusion qui englobe maintenant la diversité de la clientèle scolaire afin d’assurer la réussite scolaire (Gordon, Porter et AuCoin, 2012; MEDPENB, 2016). De plus, la Politique d’aménagement linguistique et culturel (PALC) propose que la formation du personnel enseignant soit révisée pour répondre aux réalités des écoles francophones (MEDPENB, 2014).

Dans la seule province officiellement bilingue, quel est l’impact de cette particularité sur le rôle joué par les directions d’école? En d’autres mots, quel est le rôle des directions d’école dans l’accompagnement du personnel enseignant, des parents et des membres de la communauté pour réaliser la mission identitaire de l’école francophone?

1.3. Le rôle des directions d’école en contexte francophone minoritaire

Boudreau (2014), Bouchamma (2004a) et Leurebourg (2013) mentionnent que les défis grandissants particuliers au contexte minoritaire ajoutent à la complexité des tâches des directions d’école, menant ainsi à une transformation de leur rôle. Selon Leurebourg (2013), le rôle des directions ne se limite pas à l’administration et à la pédagogie; il comprend également la promotion et la protection de la langue et de la culture. En effet, selon l’Association des enseignantes et des enseignants francophones du Nouveau-Brunswick (AEFNB, 2008) et le MEDPENB (2014), on s’attend à ce que ces leaders soient des pédagogues, des agents et des agentes de francisation, et des passeurs culturels.

Les directions d’école sont donc appelées à être des agents de changements (Huber et West, 2002) puisqu’elles évoluent dans des contextes qui subissent des transformations fréquentes (Bouchamma, 2004a). Ainsi, elles doivent exercer leurs fonctions en tenant compte non seulement des enjeux provoqués par les changements ayant cours dans le milieu et ceux à venir, mais également des attentes et des besoins des écoles (Bouchamma, 2004a; Hallinger, 2003, 2005) et ceci, dans une perspective d’ouverture et de respect des autres cultures (Gérin-Lajoie, 1995; le Ministère de l’Éducation de l’Ontario [MEO], 2011).

Selon Bouchamma, David et St-Germain (2005), les directions d’école ont la responsabilité de créer les conditions propices au développement des élèves quant à leur identité culturelle et leur sentiment d’appartenance à la langue française et à la communauté francophone. Plus précisément, leur rôle, étant intimement lié aux particularités, aux attentes et aux besoins de l’école, se modifie d’une école à l’autre, d’un environnement à l’autre, d’une communauté à l’autre (Leithwood, Jantzi et Steinbach, 2003). De plus, certaines études reconnaissent le rôle essentiel, au quotidien, du personnel enseignant dans la mise en oeuvre de la mission de l’école francophone en contexte minoritaire (Langlois et Lapointe, 2002). Lapointe (2002) mentionne que les directions d’école doivent appuyer le personnel enseignant dans une perspective de renforcement du sentiment d’appartenance à la langue française et à la culture francophone.

Compte tenu de ce constat, les directions d’école du Nouveau-Brunswick considèrent-elles être formées adéquatement pour exercer leur rôle de passeur culturel, et pour assurer la promotion de la langue et de la culture, et ce, tout en tenant compte des besoins particuliers des élèves, des membres de leur personnel, des parents et de la communauté dans laquelle l’école s’inscrit?

1.4. La formation des directions d’école en contexte francophone minoritaire

Pour les besoins du présent article, il est important de définir les principaux types de formation qui ressortent de la littérature, soit la formation formelle, la formation non formelle et la formation informelle. Selon certains auteurs, la formation formelle mène à l’obtention de diplômes, de brevets, de certificats ou de qualifications décernées par l’État ou des institutions reconnues (Marchand, 1997; Merriam, Caffarella et Baumgartner, 2009[1991]). Il est à noter que dans ce contexte formel de formation, on retrouve des cours universitaires crédités (Bridges, 2012). En d’autres mots, pour les directions d’école, la formation formelle est habituellement complétée lors de la formation initiale, mais peut également être acquise en cours d’emploi.

Marchand (1997) indique que la formation non formelle représente tout type d’apprentissage reçu à l’extérieur du système d’éducation reconnu par l’État. Dans ce contexte non formel, on retrouve des ateliers, des comités d’apprentissage professionnel, et des colloques dispensés par les districts scolaires, le ministère de l’Éducation et des associations professionnelles. Toujours selon Marchand (1997), la formation informelle fait référence au contexte de formation qui correspond aux activités qui n’exigent pas d’enseignement suivant des normes. Livingstone (1999) précise que ce contexte informel se concrétise par des actions entreprises par les directions d’école pour enrichir leur savoir et leur savoir-faire en dehors du contexte formel. Cristol et Muller (2013) expliquent que, dans un tel contexte de formation, on trouve les médias, les lectures, les échanges, les discussions entre collègues, les expériences par essais et erreurs, les conférences ou encore les activités bénévoles. Ainsi, les formations non formelle et informelle, qui constituent le contexte dans lequel s’inscrit la formation continue, s’acquièrent habituellement en cours d’emploi et sont souvent financés par l’employeur ou peuvent faire l’objet d’initiatives personnelles de la part des employées et des employés.

Au Canada, de nombreuses universités offrent des programmes de formation aux directions d’école destinés à leur faire acquérir des savoirs dans le but de les préparer à jouer leur rôle de leader (IsaBelle et al., 2008; Lapointe et Langlois, 2004). Ces programmes permettent d’outiller les directions d’école pour qu’elles accomplissent leurs tâches au quotidien ainsi que celles liées au développement d’une pensée critique et réflexive (IsaBelle et al., 2008; Lapointe et Langlois, 2004). Des études, dont celles de Cattonar et al., (2007) et de McCarthy et Forsyth (2009), mentionnent la nécessité pour les directions d’école de compléter une formation formelle avant d’assumer leurs fonctions. Toutefois, d’autres auteurs soulignent que la formation en contextes non formel et informel est bénéfique aux directions d’école, car elle leur permet de développer et de consolider des compétences qui leur sont nécessaires pour bien jouer leur rôle (Gélinas-Proulx, IsaBelle et Meunier, 2014).

Au Nouveau-Brunswick, le MEDPENB reconnait que la formation des directions d’école est non seulement sa responsabilité, mais également celle des directions d’école elles-mêmes, des districts scolaires, des associations professionnelles et des universités (MEDPENB, 2014). Il est à noter que, dans cette province, les directions d’école font partie de la même association professionnelle que les enseignantes et les enseignants, ce qui n’est pas le cas dans toutes les provinces et territoires canadiens (Bouchamma, 2004b).

Il est vrai que plusieurs écrits font valoir le besoin d’une formation à l’intention des directions d’école afin qu’elles acquièrent les connaissances et les compétences pour jouer leur rôle de leader et ainsi leur permettre de répondre aux défis liés au rendement scolaire des élèves, à l’établissement d’une collaboration entre les différents partenaires et à la formation adéquate des membres de leur personnel (Hallinger, 2003; Huber, 2003; Porter, Lorsch, et Nohria, 2004). Quelques études ont souligné le rôle des directions d’école comme en étant un de soutien fondamental dans le quotidien du personnel enseignant (Langlois et Lapointe, 2002; Rocque, 2010). Compte tenu de la spécificité de leur rôle de leader en contexte minoritaire, les directions d’école devraient se prévaloir d’une formation pour répondre aux défis liés à la construction identitaire (FCE, 2014; Gélinas-Proulx, 2014; Godin, Lapointe, Langlois et St-Germain, 2004; IsaBelle et al., 2016).

Pour la personne qui aspire à devenir directrice ou directeur d’école, l’Université de Moncton est la seule université à l’est du Québec à offrir, en français et dans un contexte formel, une formation initiale en administration de l’éducation. Pour obtenir le certificat d’aptitude à la direction des écoles, les candidates et les candidats doivent au préalable détenir un certificat d’enseignement V (baccalauréat en éducation) et avoir au moins cinq années d’expérience en enseignement (MENB, 2006). Elles et ils doivent aussi avoir terminé la formation requise (trois cours universitaires et six modules approuvés et parrainés par les districts scolaires), et complété avec succès un stage pratique d’un an (Association francophone des Directions générales et des Directions de l’Éducation du Nouveau-Brunswick, 2012). La formation susmentionnée ne comporte ni cours ni modules qui traitent spécifiquement de l’éducation en contexte minoritaire (Université de Moncton, 2016-2018, Répertoire 2e cycle). Toutefois, la candidate ou le candidat peut suivre un cours à option portant sur le contexte minoritaire.

Pour répondre au besoin de formation continue au Nouveau-Brunswick, plusieurs outils d’intervention visant à faire la promotion de la langue et de la culture ont été offerts aux directions d’école, et aux enseignantes et enseignants dans un contexte non formel et grâce à l’appui de divers partenaires. Il y a eu, entre autres, le Cadre d’orientation en construction identitaire (Association canadienne d’éducation de langue française [ACELF], 2006) ainsi que les nombreux programmes et projets pancanadiens conçus par le Conseil des ministres de l’Éducation (Canada) [CMEC] qui ont permis de faciliter le travail du personnel éducatif, dont celui des directions d’école. En fait, la Trousse de formation en francisation à l’intention du personnel enseignant (CMEC, 2003), la Trousse de formation en communication orale [et] trousse de formation sur les stratégies en lecture et en écriture : de la maternelle à la 12e année (CMEC, 2008) et le Document de fondements pour une approche culturelle de l’enseignement (CMEC, 2012), également offerts aux enseignantes et enseignants, ont fourni des stratégies quant à la façon de conduire les interventions essentielles à la construction identitaire et linguistique. Toujours dans un contexte de formation non formelle, les directions d’école ont été invitées à participer à une journée pancanadienne de travail consacrée à la Trousse du passeur culturel (MENB, 2009), et ce, dans le but d’enrichir leurs connaissances des concepts de construction identitaire en misant sur la contribution des arts et de la culture. Puis, l’Association canadienne d’éducation de langue française (ACELF) identifie les concepts et des pistes d’intervention liés à la construction identitaire dans son fascicule Comprendre la construction identitaire, rôle de la direction d’école (2013). Toutes ces initiatives menées dans un contexte non formel ont visé le perfectionnement et l’accompagnement des directions d’école ainsi que du personnel enseignant dans leur rôle de passeur culturel.

De plus, au Nouveau-Brunswick, dans une perspective de formation continue en contexte non formel, le ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance a mis en oeuvre le Programme d’évaluation des directions d’école (MENB, 2005) afin d’appuyer les directions d’école, tout en misant sur l’amélioration et la responsabilisation. Cet outil, permettant aux directions d’école de porter un regard critique sur leur gestion, se compose de quatre domaines, mais le leadership n’est rattaché qu’au domaine qui fait référence à la valorisation de la langue et de la culture.

Des auteurs ont constaté le peu d’études réalisées sur la formation pouvant répondre adéquatement aux besoins des directions d’école en contexte minoritaire (Gélinas-Proulx, 2014; IsaBelle et al., 2008; IsaBelle, Meunier et Gélinas-Proulx, 2016; Lapointe, 2002), dont aucune ne semble avoir été réalisée au Nouveau-Brunswick. Pourtant, les directions d’école ont la responsabilité de transformer l’école afin que cette institution, comme le précisent Landry et Allard (1999), puisse mettre en place des espaces d’apprentissage permettant aux élèves de devenir des leaders pouvant assurer l’avenir et le développement de leur communauté. Le rapport LeBlanc (2009) souligne l’importance d’offrir au personnel éducatif, incluant les directions d’école, des formations sur une pédagogie propre au contexte minoritaire.

Compte tenu de la formation formelle, informelle et non-formelle offerte au Nouveau-Brunswick, comment les directions d’école et les futures directions d’école peuvent-elles assurer la mission de l’école francophone en contexte minoritaire en ce qui a trait à la construction identitaire?

2. Méthodologie

Issue du courant interprétatif/compréhensif, cette recherche qualitative et exploratoire s’appuie sur un paradigme qui reconnait l’importance du vécu des personnes participantes (Creswell, 2005[2002]; Patton, 2001). La recherche qualitative permet à la chercheure et au chercheur de mieux saisir le sens donné aux expériences de travail (Mucchielli, 2009[1996]; Savoie-Zajc, 2002). Pour répondre à notre question, nous nous sommes inspirée d’une approche phénomélogique herméneutique afin de saisir le sens que les individus accordent à leurs expériences de travail et aux éléments qui ont une influence sur leur rôle (Mucchielli, 2002; Savoie-Zajc, 2002). Basée sur une méthode descriptive et compréhensive, cette approche prend en considération les propos des participantes et des participants afin d’accorder une importance aux significations qu’elles et ils donnent à leurs expériences en tant que leaders au sein d’une école en contexte minoritaire (Giorgi, 1997).

L’approche compréhensive permet l’observation de l’individu dans son milieu (Paillé et Mucchielli, 2008[2003]) ainsi que de l’attribution de la signification que la personne donne à ses expériences (Van Der Maren, 1996). En fait, nous cherchons à comprendre de quelles façons la formation reçue aide les directions d’école à bien jouer leur rôle de leader au sein d’écoles en contexte minoritaire. Comme mode de collecte de données, nous avons opté pour des entretiens semi-dirigés enregistrés d’une durée moyenne de 75 minutes qui ont été réalisés auprès de dix directions oeuvrant au sein d’écoles situées dans le sud de la province du Nouveau-Brunswick, en milieux anglodominants. Ces entretiens ont permis de poser des questions ouvertes aux directions d’école quant à leurs représentations du leadership en contexte minoritaire et elles ont porté sur les thèmes suivants : 1) le contexte du milieu de l’école examiné d’un point de vue général; 2) le milieu francophone minoritaire; 3) l’exercice du leadership éducationnel, le leadership de changement et la créativité; 4) la formation des directions d’école et son rôle dans l’exercice de leur leadership. En tout, dix-huit questions générales avec des sous-questions ont été posées, dont deux spécifiquement en lien avec la formation des directions d’école. Ces deux dernières ont principalement porté sur les perceptions des formations initiale et continue reçue en administration de l’éducation. Elles ont été conçues pour établir si cette formation prépare bien à la gestion d’une école en milieu francophone minoritaire.

Une invitation à participer à cette recherche sur une base volontaire avait été envoyée à l’ensemble de ces directions d’école. Pendant toute la durée de la recherche, un journal de bord a permis à la chercheure de faire le point sur ses pensées, ses réflexions et ses observations.

La méthode d’analyse a été inspirée de deux approches appliquées simultanément : l’analyse thématique de Paillé (1996) et l’approche phénoménologique de Giorgi (1997). L’analyse thématique commence par une lecture approfondie des données pour repérer les thèmes présents dans les propos des participantes et des participants tout en tenant compte des questions de recherche. Les principaux éléments ont été isolés pour ensuite créer des catégories selon les thèmes qui avaient émergé. Simultanément à l’analyse thématique, les étapes de l’approche phénoménologique ont été établies en regroupant les thèmes principaux et secondaires, favorisant ainsi une meilleure compréhension du phénomène à l’étude.

3. Résultats

Dans cette section, nous exposons les données de notre étude liées à la question de recherche. Rappelons que le but de notre recherche est de comprendre de quelles façons la formation reçue aide les directions d’école à bien jouer leur rôle de leader au sein d’écoles en contexte minoritaire. Plus précisément, des questions portant sur les perceptions quant aux formations initiale et continue et aux façons dont cette dernière prépare à mieux exercer le rôle de passeur culturel ont été posées aux directions d’école.

Les directions rencontrées n’ont pas toutes reçu la même formation initiale. Certaines détiennent le certificat V ou VI[1], d’autres une maitrise et quelques-unes suivaient des cours en administration de l’éducation sans avoir terminé le certificat V ou VI. De plus, il est à noter que quelques-unes enseignaient au quotidien.

Les résultats de notre recherche indiquent que les directions d’école réclament de la formation afin de mieux répondre à la mission de l’école francophone en contexte minoritaire. En fait, elles admettent que leur formation initiale n’a pas réussi à répondre adéquatement à leurs besoins. De plus, elles souhaiteraient bénéficier d’une formation continue afin de mieux assurer leurs fonctions. Il y a donc lieu de se demander comment les formations initiale et continue pourraient répondre aux besoins des écoles francophones en contexte minoritaire.

Toutes les directions d’école rencontrées sont d’accord avec le fait que, durant les dix dernières années, les changements majeurs dans les écoles ont eu pour effet de complexifier leur rôle et d’amplifier les attentes à leur égard. De plus, elles soulignent également que pour bien jouer leur rôle elles doivent avoir bénéficié d’une formation adaptée à la réalité de leur milieu. La plupart d’entre elles avouent ne pas avoir reçu de formation formelle sur le contexte minoritaire. Toutefois, la majorité indique que l’expérience acquise dans un poste de direction adjointe leur a permis de faire des liens entre les connaissances acquises dans leur formation initiale (formelle) et la pratique professionnelle, et a constitué une forme de formation en cours d’emploi. De plus, elles précisent avoir reçu de la formation non formelle lors de réunions, de congrès et d’instituts, de l’ACELF, etc.

En général, les directions d’école souhaiteraient recevoir de la formation pour mieux assurer leur rôle de passeur culturel, comme le mentionne l’une d’entre elles : « On ne le dit pas, mais on n’est jamais assez accompagné. Si tu n’as pas eu de cours et si tu n’as pas vécu dans un contexte minoritaire […], tu ne vois pas de répercussions. » (Chantal[2]) Bien que les directions d’école reconnaissent leur rôle de leader dans le mandat identitaire, elles ne se sentent pas outillées pour jouer ce rôle : « Oui, on a un rôle comme modèle. […] Je ne me sens pas outillé pour être le passeur culturel. » (André) Elles admettent que l’augmentation du nombre d’élèves issus des familles exogames ainsi que de l’immigration, dont les compétences en français et l’appartenance à la langue et à la culture sont faibles, apporte son lot de défis. De plus, elles observent que les parents anglophones et même certains élèves francophones communiquent en anglais à l’école, et elles associent ce fait à un manque de fierté et à une certaine insécurité linguistique, ce qui soulève des inquiétudes quant à la réussite scolaire des élèves : « Le défi que l’on a tout le temps est celui de la langue. Les élèves ne parlent pas la langue et les résultats baissent. Avant, c’était juste dans les corridors, c’est rendu dans les résultats. » (Julien) Pour contrer ce défi, toutes les participantes et tous les participants de notre recherche mentionnent mettre en place des activités signifiantes au sein de leur école, telle la « Semaine provinciale de la fierté française ». Néanmoins, elles trouvent que ce n’est pas assez, car il y a toujours des élèves qui parlent anglais. De plus, elles trouvent cette tâche lourde. Une direction d’école explique : « Pourtant le personnel enseignant […] est conscient que c’est important la langue et la culture françaises. Faire des activités et les mettre en pratique pour devenir des modèles pour les autres, c’est beaucoup plus difficile. » (Benoît) Cependant, quelques directions croient bien assumer leur rôle de passeur culturel en offrant aux élèves des occasions de s’exprimer en français, ce qui, selon elles, développerait leur sentiment d’appartenance à la langue française et réduirait leur insécurité linguistique : « Nos jeunes ont de plus en plus de chances de parler en classe avec des exposés oraux et commencent à être de plus en plus à l’aise de s’exprimer en français. » (Diane)

Les directions expriment également leur besoin de formation en accompagnement du personnel pour répondre aux défis liés au mandat identitaire. En fait, elles souhaiteraient accompagner les enseignantes et les enseignants qui expriment des craintes quant à l’anglicisation de l’école francophone et qui sont convaincus que les élèves « devraient être francisés à la maison » (Henri). Plus précisément, elles aimeraient aider les membres du personnel à mettre en place des stratégies afin de préserver le droit acquis de ces élèves tel que précisé dans la Charte canadienne des droits et libertés (1982). De plus, certaines directions d'école désireraient être mieux outillées pour offrir de la formation aux membres du personnel enseignant dans le but de les conscientiser quant aux meilleures pratiques en termes d’interventions, et ce, pour favoriser la construction identitaire et linguistique des élèves, surtout en ce qui a trait à l’intégration des arts et de la culture dans les activités pédagogiques. Selon une direction d’école, les enseignants sont :

[…] conscientisés, oui, mais pas prêts à tout. Ils [membres du personnel enseignant] vont faire des activités, mais pas en profondeur. Pas assez de discussions entourant les artistes, les chansons ou les émissions françaises afin d’encourager les élèves. Il faut juste le faire dans les gestes du quotidien.

Éric

Les directions d’école semblent éprouver des difficultés à inciter le personnel à effectuer les changements nécessaires pour permett une meilleure intégration des arts et de la culture dans leur enseignement. De plus, certaines directions signalent que, pour que les élèves privilégient la langue française comme moyen de communication au quotidien, cette sensibilisation doit dépasser le cadre des cours de français et être intégrée dans tous les cours ainsi que dans les activités parascolaires. L’une d’entre elles l’exprime ainsi : « Mais concrètement dans le quotidien, dans les projets de classe, que fait-on? On corrige les fautes de français ou bien on essaie de trouver des modèles de langue française dans la matière enseignée? » (André) Une autre indique :

Je dirais que l’on a eu une certaine sensibilisation. Ça fait partie de la mission de la vision du district. Il faut que ça fasse partie de l’école aussi. On a eu un petit peu de formation et le personnel aussi. On est beaucoup plus sensibilisé avec cette formation (Trousse du passeur culturel), mais il faut qu’il y en ait plus.

Benoît

Bien qu’elles indiquent que les enseignantes et les enseignants ont besoin de formation, les directions d’école admettent elles-mêmes avoir besoin de formation afin de mieux les soutenir.

Lorsqu’elles ont été interrogées sur la formation reçue en cours d’emploi qui les a aidées à mieux jouer leur rôle de passeur culturel, aucune des directions d’école n’a fait mention de formations, d’initiatives ou de projets autres que la Trousse du passeur culturel destinée aux directions d’école et préparée par le MEDPENB, le district scolaire et l’ACELF. Bien que quelques directions d'école trouvent qu’elle leur est utile, car elle a permis « de donner une orientation aux actions au personnel enseignant » (France) et a donné lieu à « une collaboration avec d’autres directions » (Diane), plusieurs ont jugé qu’elle n’est pas suffisante pour combler leurs besoins et répondre à la réalité de leur milieu. Certaines mentionnent « qu’un suivi à cette formation » (André, Benoît et Chantal) sur la construction identitaire leur serait bénéfique.

Nos résultats démontrent que certaines directions d’école perçoivent la formation continue non formelle comme n’étant pas une nécessité, préférant la formation informelle. Par exemple, quelques-unes préfèrent se référer aux notions puisées dans leurs lectures personnelles ou dans des échanges entre collègues.

En résumé, les données recueillies révèlent que les directions d’école du sud-est du Nouveau-Brunswick souhaiteraient recevoir davantage de formation continue pour mieux appuyer le personnel enseignant pour ce qui touche au développement linguistique et identitaire au sein de leur école. De plus, elles voudraient savoir comment mieux accueillir les parents dans leur école afin qu’ils développent un plus grand sentiment d’appartenance des points de vue linguistique et culturel. Elles désireraient également que des cours entourant le rôle de passeur culturel fassent partie de la formation formelle.

4. Discussion

Les tâches inhérentes aux directions d’école sont complexes et multiples, et celles entourant le développement culturel et la promotion de la langue présentent un défi de taille pour les écoles en contexte minoritaire dont la population scolaire est diversifiée (MEDPENB, 2014; MEO, 2011).

À ce sujet, l’utilisation de l’anglais par les élèves est un défi de taille qui, selon les directions d’école, entrave l’appartenance à la langue française. En outre, le fait que les parents ne voient pas cela comme un problème, qu’ils encouragent leurs enfants à s’exprimer en anglais et qu’ils emploient eux-mêmes cette langue ne facilite pas la tâche des directions d’école et du personnel enseignant. Les directions mettent en place des initiatives afin de développer la fierté par rapport à la langue et à la culture, telles que celles suggérées dans l’étude de Cormier (2005), car lorsque les élèves vivent des expériences signifiantes, leur rapport positif à la langue française permet la valorisation de celle-ci. Bien que les directions d’école soient convaincues de l’importance des activités visant à augmenter la fierté de parler français des élèves, elles considèrent que ces dernières n’apportent pas nécessairement les résultats escomptés, car les défis n’ont pas complètement disparu. De plus, les directions d’école avouent qu’elles ont de la difficulté à inciter le personnel enseignant à intégrer les arts et la culture dans leur enseignement. Pourtant, selon l’étude de Richard (2014), il est souhaité que les enseignantes et les enseignants puissent trouver des moyens novateurs pour aider les élèves à développer leur sentiment d’appartenance à la culture francophone. Les directions d’école ont-elles besoin d’une formation spécifique afin de mieux accompagner leur personnel? Quelle formation pourrait les aider à mieux jouer leur rôle de passeur culturel? L’étude de Karsenti (2005) mentionne que la résistance à l’instauration de nouvelles pratiques est souvent associée au manque de formation et de collaboration des enseignantes et des enseignants.

Face à la diversité linguistique et culturelle de la population scolaire, les directions d’école se sentent peu efficaces pour bien jouer leur rôle de passeur culturel. Selon la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF, 2016), le passeur culturel doit être ouvert aux diverses cultures. En d’autres mots, les directions d’école sont appelées à assurer la mise en place, de façon réfléchie, d’activités éducatives signifiantes. En fait, la diversité croissante peut représenter un défi, mais peut aussi être une source d’enrichissement au sein de l’école, permettant une ouverture et une participation au rayonnement de la culture (Jacquet, 2016). Les directions d’école souhaiteraient appuyer le personnel enseignant pour ce qui touche à l’inclusion de la diversité, mais ne se sentent pas en mesure de le faire. En fait, elles se sentent peu outillées pour assumer leur rôle de passeur culturel, surtout lorsqu’il est question d’appuyer les membres de leur personnel dans l’intégration des éléments de la construction linguistique identitaire. Elles plaident en faveur d’une formation plus poussée qui leur permettrait d’assumer leur rôle de passeur culturel dans un contexte de diversité. Ce constat est cohérent avec l’étude de Bouchamma (2004a) qui souligne que, en contexte minoritaire, très peu de directions d’école jugent qu’elles ont été bien préparées pour accomplir leurs tâches. Pourtant, la FCCF (2016) définit le passeur culturel comme étant la personne qui accompagne les personnes de son milieu dans la construction de leur identité culturelle. Comment les directions d’école peuvent-elles soutenir le personnel enseignant si, elles-mêmes, avouent ne pas bien posséder ce savoir-faire et ce savoir-être?

Selon Bouchamma, David et St-Germain (2005), en contexte minoritaire, une formation adéquate pourrait permettre aux directions d’école d’exercer un leadership efficace favorisant le développement d’un sentiment d’appartenance et d’une identité culturelle francophone chez les élèves. Des chercheures et des chercheurs précisent que cette formation devrait mener à une meilleure compréhension des enjeux présents dans ces milieux et du contexte dans lequel les directions évoluent (IsaBelle et al., 2008; Lapointe, 2002). De plus, Bordeleau (1995) souligne que pour assurer la transmission d’une culture dynamique et moderne, les directions d’école et les membres du personnel enseignant doivent mettre en place des stratégies visant une pédagogie spécifique au contexte minoritaire, en plus d’être eux-mêmes convaincus de leur identité francophone (MEDPENB, 2014).

La plupart des directions d’école de notre étude considèrent que la lourdeur des tâches administratives et pédagogiques ainsi que le manque de temps sont les causes qui les empêchent de pleinement assumer leur rôle de passeur culturel. De plus, bien qu’elles disent travailler de façon « collaborative » et « participative » avec les membres de leur personnel, elles trouvent difficile d’assurer la promotion de la langue et de la culture, et de mobiliser le personnel enseignant pour mener à bien un projet d’école. Il semble évident que les directions d’école interrogées manquent de formation pour développer des compétences en matière de travail collaboratif, car, selon Tuckman (1965), le fait que des personnes soient réunies en équipe n’assure pas nécessairement qu’elles collaborent et travaillent de façon interdépendante. Toutefois, DuFour, DuFour et Eaker (2009) mentionnent que le leader, à lui seul, ne peut apporter des changements en profondeur sans s’appuyer sur la collaboration d’autres personnes. De plus, Howey et Collinson (cités dans Karsenti, 2005) mentionnent que la compétence de collaboration n’est pas innée et suggèrent qu’en formation initiale, les futures directions apprennent à s’intégrer dans des équipes de travail afin de favoriser la collaboration avec le personnel enseignant et les membres de la communauté. Une telle formation leur permettrait également de développer leur capacité à mobiliser leur personnel, car, selon Beaumont, Lavoie et Couture (2009), les personnes développent un sentiment d’appartenance lorsqu’elles sont impliquées dans un projet.

Une formation en travail collaboratif permettrait également aux directions d’école de prendre conscience de l’importance du rôle du passeur culturel et de le prioriser. Comme indiqué dans la Trousse du passeur culturel (MENB, 2009) et dans la PALC (MEDPENB, 2014), elles sont tenues de faire de ce rôle une priorité et de mettre à profit les expériences des membres de la communauté ainsi que du personnel enseignant pour les appuyer dans un esprit collaboratif. Ainsi, le développement de compétences en travail collaboratif permettrait aux directions d’école de prendre conscience des facteurs liés à une collaboration efficace, dont le degré d’engagement et la priorité accordés à la tâche à accomplir (Nadler, Hackman et Lawler, 1979).

Bien que la spécificité du contexte francophone minoritaire soit abordée dans la formation universitaire dispensée aux futures directions d’école, aucun des cours obligatoires n’a pour objet principal le développement du rôle de passeur culturel des directions d’école (Université de Moncton, 2016-2018, Répertoire 2e cycle). Il revient donc à la discrétion de la future direction d’école de suivre ou non un cours optionnel pendant sa formation; il n’y a pas de mesures incitatives pour l’encourager à le faire. Puisque la construction identitaire constitue un processus, il est primordial que les enjeux liés à celle-ci, incluant le tableau évolutif ainsi que celui lié à l’intervention, tels que présentés dans le Cadre d’orientation en construction identitaire (ACELF, 2006), soient bien compris afin que les directions puissent assumer les responsabilités qui leur reviennent dans le cadre de leur rôle de leader et de passeur culturel. Ces éléments essentiels ne devraient-ils pas être la toile de fond de la formation initiale en milieu universitaire des leaders des écoles francophones en contexte minoritaire?

Il est important que les districts scolaires révisent les conditions d’embauche des futures directions d’école afin d’assurer que les candidates et les candidats possèdent une compréhension adéquate des enjeux du milieu scolaire et les compétences nécessaires au développement linguistique et culturel, tout comme cela se fait dans certains conseils scolaires de la province de l’Ontario (Leurebourg, 2013).

Lors de l’atelier intitulé « Les directions d’école s’expriment sur la formation dispensée pour l’exercice d’un leadership de changement en contexte minoritaire » organisé dans le cadre du 1er Forum francophone sur l’apprentissage qui a eu lieu en mai 2015, des directions d’école oeuvrant en contexte francophone au nord du Nouveau-Brunswick se sont prononcées sur leur rôle ainsi que sur les formations initiale et continue. En fait, elles rapportent des défis similaires à ceux de notre étude et ceux d’autres études (Boudreau, 2014; Bouchamma, 2004a; Boudreau, Auger et Forest, 2015) : l’ampleur et la lourdeur de leurs tâches quant à leur rôle de passeur culturel, la préoccupation quant à la langue et la culture, et l’absence d’une formation adaptée au contexte minoritaire. Elles associent leur rôle à celui d’un agent de changement et elles accueillent bien l’adoption de la PALC (MEDPENB, 2014) ainsi que les stratégies qu’elle propose.

Les entretiens avec les directions d’école de notre étude, effectuée dans le sud-est du Nouveau-Brunswick, ont eu lieu en 2011, alors que la discussion avec celles oeuvrant dans le nord du Nouveau-Brunswick a eu lieu lors du 1erForum francophone sur l’apprentissage en 2015. Les deux groupes de directions d’école signalent que, en 2019, la situation n’a pas changé et que les besoins de formation pour répondre adéquatement aux défis entourant la réalité du contexte francophone minoritaire sont toujours présents.

Il nous semble que le MEDPENB aurait avantage à réviser le Programme d’évaluation des directions d’école (MENB, 2005) pour l’adapter à la réalité du contexte francophone en y ajoutant les concepts essentiels liés au développement identitaire et culturel. Ainsi, cet outil permettrait de mieux guider les directions d’école dans leurs réflexions menant à une meilleure reddition de compte et une plus grande transparence quant à leur rôle de passeur culturel. En y ajoutant les éléments qui, à l’heure actuelle, sont manquants, incluant l’accueil des parents exogames et des élèves issus de l’immigration, l’intégration des arts et de la culture dans les matières scolaires ainsi que la francisation, les directions pourraient ensuite en tenir compte dans leurs prises de décisions et seraient mieux outillées pour soutenir leur personnel enseignant.

Nous pensons également que le MEDPENB aurait intérêt à actualiser la politique 610 concernant le certificat d’aptitude à la direction d’école (MENB, 2006), politique selon laquelle les candidates et les candidats obtiennent un certificat provisoire tout en effectuant un stage pratique d’une durée d’un an pendant lequel ils sont affectés à un poste administratif et doivent diriger un projet spécial. Au lieu que ce projet ne soit axé que sur la pédagogie et la réussite scolaire, des éléments fondamentaux de la construction identitaire pourraient y être intégrés, afin d’atteindre la double mission de l’école francophone minoritaire.

Un consensus s’observe dans les propos des directions d’école quant à la lourdeur du rôle de protection et de promotion de la langue et de la culture. Il semble également qu’une formation continue est souhaitable et nécessaire afin que les directions d’école comprennent bien les concepts liés à la construction identitaire et qu’elles développent des habiletés de collaboration et de mobilisation qui leur permettraient d’appuyer leur personnel scolaire dans leurs interventions relatives à la construction identitaire.

Bien que la protection et la promotion de la langue et de la culture soit l’une des deux missions qui tombent sous la responsabilité de l’école, les directions d’école les perçoivent comme des tâches supplémentaires. Il serait intéressant qu’une future étude se penche sur le mandat identitaire des directions d’école. En d’autres mots, comment la formation, formelle et informelle, les aiderait-elle à développer des stratégies afin de prioriser leur rôle de passeur culturel au quotidien?

Face à la population scolaire de plus en plus diversifiée et plurielle, est-ce que les directions d’école possèdent les connaissances et les compétences pour bien assumer leur rôle de passeur culturel? L’étude de Gélinas-Proulx, Isabelle et Meunier (2014) souligne que, pour assurer un leadership inclusif de la diversité, les directions d’école doivent développer la compétence interculturelle, ce qu’elles pourraient faire par l’entremise d’une formation.

Depuis quelques années, l’éclosion de nombreuses initiatives liées à la construction identitaire et culturelle a permis d’appuyer les directions d’école dans leur rôle de passeur culturel. Toutefois, elles ne se sentent toujours pas assez bien formées pour le remplir pleinement. Pour pallier les défis de l’école en contexte minoritaire, un programme de développement professionnel permettrait aux directions d’école de se sentir compétentes et de devenir des modèles de conscientisation et d’engagement linguistique et culturel. L’adoption de la PALC (MEDPENB, 2014) au Nouveau-Brunswick constitue un nouveau levier qui vise le développement de la langue et de la culture en collaboration avec les membres de la communauté. Les stratégies proposées sont ambitieuses, mais réalistes dans la mesure où les directions d’école acquièrent des compétences pour soutenir et mobiliser le personnel enseignant afin qu’il intègre les arts et la culture à ses approches pédagogiques, tout en misant sur la collaboration de la communauté, et ce, dans une perspective moderne et diversifiée.

Le MEDPENB, l’AEFNB, les districts scolaires francophones ainsi que l’Université de Moncton gagneraient à poursuivre la réflexion sur les formations initiale et continue dispensées aux directions d’école afin d’arriver à leur offrir une formation visant non seulement l’élaboration d’une pédagogie adaptée au contexte minoritaire, mais aussi le développement de compétences nécessaires pour bien jouer leur rôle. L’acquisition de ces dernières permettrait aux directions de les réinvestir au sein de leur école et d’assurer des prises de décision autonomes. La construction identitaire étant un processus qui commence par soi-même, il faut prévoir du temps pour assimiler pleinement ses éléments essentiels afin de s’y référer au quotidien.

Bien qu’il incombe aux directions d’école de prendre en charge leurs besoins en termes de formation continue, il est impératif que le MEDPENB, l’AEFNB, les districts scolaires et les membres de leurs Conseils d’éducation mettent en place des mécanismes de formation pour aider les futures directions et les directions en poste à bien accomplir leur travail, tout particulièrement pour ce qui touche à l’accueil de parents exogames, à la francisation, à l’ouverture aux familles pluriethniques, aux arts, à la mobilisation d’une équipe ainsi qu’à la collaboration avec les parents et la communauté.