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Introduction

La Charte canadienne des droits et libertés garantit à tous les citoyens canadiens le droit à la liberté; il est seulement possible de porter atteinte à ce droit en conformité avec les principes de justice fondamentale[1]. Pour sa part, la Convention relative aux droits de l’enfant prévoit qu’un enfant ne peut être privé de liberté de manière illégale ou arbitraire[2]. De plus, toute décision concernant les enfants doit être prise en considérant le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant[3].

Environ 10 à 20 pour cent des jeunes Canadiens sont touchés par une maladie mentale ou par un trouble mental[4]. Ces maladies requièrent des services de soins de santé, incluant dans certains cas un placement involontaire dans un centre de traitement où la liberté de l’enfant est constamment restreinte[5]. De manière générale, les admissions en centres psychiatriques sont régies par les lois provinciales en matière de santé mentale[6].

Or, l’Ontario[7], l’Alberta[8] et la Nouvelle-Écosse[9] ont adopté des régimes législatifs particuliers en vertu de leur loi sur la protection de l’enfance pour traiter du placement en centres psychiatriques des enfants et des jeunes[10]. Par exemple, selon la loi ontarienne, si un enfant est atteint d’un trouble mental, qu’il a infligé ou a tenté d’infligé des lésions corporelles graves à lui-même ou à autrui et qu’un traitement en milieu fermé est la méthode la moins restrictive, le tribunal peut rendre une ordonnance pour qu’un enfant ou un jeune soit placé en milieu fermé pour un traitement, et ce, sans son consentement[11]. Contrairement aux lois sur la santé mentale, ces régimes de protection de l’enfance sont assujettis au critère de l’intérêt supérieur de l’enfant : toutes les ordonnances rendues par les tribunaux doivent l’être dans le meilleur intérêt de l’enfant ou du jeune[12].

Cette analyse jurisprudentielle discutera principalement des dispositions législatives ontariennes et de leur interprétation par les cours de cette province[13]. En plus de nous pencher sur l’interprétation judiciaire des critères de troubles mentaux et du risque de préjudice physique, cette note abordera également la prise en compte par les tribunaux de l’intérêt supérieur de l’enfant lorsqu’ils rendent une ordonnance de placement en milieu fermé.

1. La présence de troubles mentaux et le risque de préjudice physique

La Loi sur les services à l’enfance et à la famille de l’Ontario prévoit six critères cumulatifs pour qu’un tribunal rende une ordonnance de placement en milieu fermé[14]. En plus de démontrer la présence d’un trouble mental et de la dangerosité de l’enfant envers lui-même ou autrui, le demandeur doit démontrer qu’il existe un plan de traitement efficace pour l’enfant[15], que ce traitement peut lui être offert dans l’établissement sélectionné[16] et qu’il s’agit de la méthode la moins restrictive[17]. En raison de leur intérêt particulier et de leur interprétation judiciaire, cette note ne se concentrera que sur les deux premiers critères.

Pour qu’un tribunal rende une ordonnance de placement en milieu fermé, l’enfant ou le jeune doit être atteint d’un trouble mental[18], défini comme étant un « [t]rouble important des processus affectifs, de la pensée ou de la connaissance qui affaiblit grandement la capacité d’une personne de faire des jugements raisonnés »[19]. Cette définition est stricte[20] : elle n’inclut pas les situations où un jeune agit avec manque de jugement. En effet, la Cour supérieure de l’Ontario affirme que la conduite occasionnelle d’une jeune, démontrant impulsivité et mauvais jugement, n’est pas un trouble mental, ni un comportement qui affaiblit sa capacité décisionnelle[21]. De même, le fait pour une jeune de 16 ans de se prostituer, de prendre des drogues et de fuir des placements en milieu fermé ne constitue pas un trouble mental[22].

En ce qui concerne le fardeau de preuve, contrairement aux lois sur la santé mentale[23], il n’est pas nécessaire pour le demandeur de présenter des opinions d’experts[24]. Dans certains cas, il se peut que l’enfant ait déjà été reconnu comme étant en besoin de protection en raison d’un trouble mental[25]. Dans d’autres cas, il se peut que la condition soit si visible qu’un témoignage d’expert n’est pas nécessaire[26]. Bien entendu, il est toujours possible pour un demandeur de présenter la preuve testimoniale du médecin traitant[27]. Dans ce cas, la Cour doit être satisfaite que l’opinion de l’expert soit de son ressort; si ce n’est le cas, elle peut rejeter son point de vue[28]. Il est important de noter, toutefois, que l’enfant n’a pas besoin de consentir au placement en milieu fermé[29].

Une fois que le tribunal est satisfait que l’enfant ou le jeune est atteint d’un trouble mental, le demandeur doit démontrer que le jeune présente un danger physique grave pour lui-même ou pour autrui[30]. La loi ontarienne prévoit deux occasions où il doit y avoir eu un manquement à la sécurité du jeune ou d’autrui : a) dans les 45 jours précédant la requête ou le début du placement[31] et b) à un autre moment, dans l’année précédente[32]. Si ce n’est le cas, l’ordonnance ne peut être rendue par le tribunal[33].

Les dommages infligés doivent être graves : la conduite ne doit pas être insignifiante ou constituer des voies de fait mineures ou une simple nuisance[34]. En effet, dans le cadre d’une révision d’une ordonnance de placement en milieu fermé pour un adulte en vertu de la Loi sur la santé mentale de l’Ontario, la Cour de district de cette province a affirmé que :

There are, unfortunately, many people in our community who suffer from mental disorders of a nature or quality that likely will result in minor assaults and nuisances to other persons […]. The Mental Health Act, however, does not authorize their detention even though their being free may occasionally result in injury to others[35].

Ainsi, un comportement turbulent, antisocial, excentrique, bizarre, belliqueux et même agressif envers lui-même ou autrui de la part d’un jeune n’est pas suffisant pour que le tribunal rende une ordonnance de placement en milieu fermé[36]. Comme l’affirme la Cour supérieure de l’Ontario, « [i]t is not the intention of […] the Act to sweep the streets clean of fallen youths »[37].

Après s’être penché sur la présence de trouble mental chez le jeune et de sa dangerosité envers lui-même ou autrui, le tribunal doit être convaincu – à la lumière des éléments de preuve présentés – que le placement en centre psychiatrique de l’enfant ou du jeune est la méthode la moins restrictive, qu’un plan de traitement est mis en place et que ce traitement est adéquat pour le trouble mental en question. Comme le démontrent les quelques causes recensées, ces ordonnances sont – et doivent demeurer – des mesures extraordinaires[38]. En plus d’offrir une interprétation qui respecte les droits des mineurs assujettis aux ordonnances de placement en milieu fermé, il est primordial pour les tribunaux de prendre en compte leur intérêt supérieur, ce qui sera abordé dans la section suivante.

2. Le placement en milieu fermé et l’intérêt supérieur de l’enfant

Les droits de la personne protègent les individus contre la perte de liberté. En effet, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit que tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne[39]. Au Canada, la Charte canadienne des droits et libertés garantit ce même droit, qui ne peut être violé qu’en conformité aux principes de justice fondamentale[40]. De plus, lorsque l’on se penche sur les questions de perte de liberté d’enfants, il faut prendre en compte les dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant, qui interdit la privation de liberté arbitraire, en ajoutant que toutes les décisions qui concernent les enfants doivent être prises dans leur intérêt supérieur[41].

Même si la Convention relative aux droits de l’enfant n’a pas été incorporée en droit canadien[42], la Cour suprême du Canada est arrivée à la conclusion que les lois canadiennes doivent être interprétées en considérant « les droits, les intérêts, et les besoins des enfants, et l’attention particulière à prêter à l’enfance »[43]. Elle affirme d’ailleurs que l’intérêt supérieur de l’enfant, sans être un principe de justice fondamentale, est un principe juridique à prendre en compte dans les cas impliquant des enfants[44].

En raison de son intrusion importante sur la liberté des enfants, le placement de mineurs en centre psychiatrique doit être une mesure extraordinaire[45]. Les tribunaux doivent dont analyser de manière exhaustive les demandes d’ordonnances de placement en milieu fermé[46]. De plus, ce genre de requête demande le plus haut fardeau de preuve permis pour des causes civiles : la cour doit être satisfaite que le besoin de placement en milieu fermé ait été prouvé avec un haut degré de probabilité[47].

L’objet de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille de l’Ontario est de « promouvoir l’intérêt véritable de l’enfant, sa protection et son bien-être »[48]. Ainsi, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en compte dans le cas où une ordonnance de placement en milieu fermé est rendue[49]. Les tribunaux doivent se pencher d’une part sur la liberté de l’enfant et d’autre part sur son besoin de traitement pour un trouble mental : il est seulement possible de porter atteinte à la liberté de l’enfant dans les cas où un traitement approprié préviendrait les risques de dommages corporels[50].

Le principe de l’intérêt supérieur ne doit pas être analysé à toutes les étapes prévues à l’article 117. En effet, ce principe doit plutôt être pris en compte une fois que tous les critères ont été démontrés[51]. Ainsi, même si tous les critères sont remplis, un tribunal possède un pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder l’ordonnance de placement en milieu fermé s’il juge que ce n’est pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant[52]. Il est toutefois important de noter que dans le cas des ordonnances de placement en milieu fermé, le pouvoir discrétionnaire n’est accordé au juge que dans la mesure où les critères législatifs sont remplis, mais que le tribunal juge qu’une telle ordonnance n’est pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Ce pouvoir discrétionnaire du tribunal existe donc pour « protéger » l’enfant des démarches prises par l’État.

Conclusion

En Ontario, la Loi sur les services à l’enfance et à la famille prévoit qu’un tribunal peut rendre une ordonnance de placement d’un enfant ou d’un jeune dans un centre psychiatrique, à la demande de certains individus identifiés dans la loi. Dans ce cas, le demandeur doit démontrer au tribunal que l’enfant est atteint d’un trouble mental, que l’enfant est dangereux pour lui-même ou pour autrui et que le placement en milieu fermé est le traitement le plus approprié. Après avoir effectué une analyse des critères énoncés par la loi, le tribunal doit se pencher sur l’intérêt supérieur de l’enfant; il peut décider de ne pas rendre l’ordonnance sollicitée s’il est d’avis qu’il ne serait pas dans l’intérêt supérieur de le faire, et ce, même si tous les critères énoncés dans la loi sont remplis. Contrairement aux régimes prévus en vertu des lois provinciales en matière de santé mentale, Robertson (1994) affirme que cette approche assure une procédure régulière dans le cas où un enfant est placé en traitement en milieu fermé[53].

La situation est quelque peu différente dans le cas où le pouvoir du tribunal de rendre une ordonnance de placement est prévu dans une loi provinciale sur la santé mentale. La majorité des lois provinciales sur la santé mentale sont écrites pour le placement d’adultes atteints de problèmes de santé mentale; elles ne sont applicables aux enfants que dans la mesure où aucun autre régime législatif n’est mis en place pour le placement en centre psychiatrique d’enfants ou de jeunes. Or, l’objet de ces lois n’est pas de promouvoir l’intérêt véritable de l’enfant, mais bien de protéger les individus ayant un comportement dangereux causé par un trouble mental en assurant leur traitement[54]. Est-ce que cela peut être consolidé avec l’intérêt supérieur de l’enfant[55]? Est-ce que toutes les provinces devraient adopter un régime procédural particulier aux enfants et aux jeunes, comme c’est le cas en Ontario?

Étant donné que cette note s’est penchée sur les décisions rendues en vertu du régime de protection de l’enfant, il serait intéressant de compléter cette analyse par une recherche jurisprudentielle des décisions rendues en vertu des lois provinciales de santé mentale. Une telle comparaison permettrait de discuter de la prise en compte par les instances judiciaires de santé mentale de l’intérêt supérieur de l’enfant et de mieux définir les situations dans lesquelles des enfants ou des jeunes sont privés de liberté au Canada en raison de troubles mentaux.