Abstracts
Résumé
La gestion intégrée des risques d’inondation (GIRI) fait appel à la coordination de tous les niveaux et secteurs du gouvernement et de la société civile. Afin de favoriser la responsabilisation et l’appropriation des plans de GIRI par les communautés, l’implication des acteurs non gouvernementaux et des citoyens est de plus en plus valorisée. D’abord, l’émergence des approches participatives est exacerbée par l’optimisme face à la possibilité d’améliorer substantiellement la qualité et la portée des décisions, de gérer les conflits, de faciliter l'implantation des mesures non structurelles et de renforcer les capacités sociales au sein des communautés. Toutefois, certains avancent que l'intégration des non-experts dans le processus décisionnel brime l'impartialité de la procédure technocratique et que leur manque d’intérêt et de compétences limite la portée des démarches participatives. Des lacunes dans la représentativité des parties prenantes affectées et concernées au sein des instances peuvent aussi biaiser les aboutissants de la participation. De plus, la réticence des autorités à partager le pouvoir décisionnel limite l’institutionnalisation des approches participatives, tandis que la rigidité de l’appareil gouvernemental freine les élans participatifs des collectivités. Considérant l’intérêt grandissant des chercheurs, des décideurs et de la société civile envers les approches participatives dans le contexte de la gestion des inondations, cet article propose une synthèse de la littérature pour démêler les principales retombées et les limites de la participation.
Mots-clés :
- approches participatives,
- participation,
- gestion intégrée,
- inondation
Abstract
In order to promote community accountability for flood risks, the involvement of non-governmental actors and citizens is increasingly valued. The emergence of participatory approaches is consolidated by optimism about the possibility of improving the quality and scope of decisions, managing conflicts, facilitating the implementation of non-structural measures and strengthening social capacity within communities. However, some argue that the integration of non-experts undermines the impartiality of the decision-making process and that their lack of interest and expertise limits the scope of participatory approaches. Moreover, the authorities’ reluctance to share decision-making power limits the institutionalization of participatory approaches, whereas the rigidity of the governmental framework hampers participatory impulses within communities. Lack of stakeholder representativeness within the decision-making framework may also bias the outcome of participation. In addition, the reluctance of the authorities to share decision-making power limits the institutionalization of participatory approaches, while the rigidity of the government apparatus hinders the participatory momentum of communities. Considering the growing interest of researchers, policymakers and civil society in participatory approaches in the context of flood management, this article provides a synthesis of the literature to unravel the major benefits and limitations of participation.
Keywords:
- participatory approaches,
- participation,
- integrated management,
- flood risk
Article body
1. Introduction
Les changements climatiques et l’impact des sociétés sur l’environnement (p.ex. artificialisation des cours d’eau, développement dans les plaines alluviales, déforestation et imperméabilisation des bassins versants) entraînent une augmentation des dommages associés aux inondations (WHEATER et EVANS, 2009; CHALLIES et al., 2016). Depuis le début des années 1990, une transformation lente, mais inévitable s’opère dans la gestion du risque d’inondation à l’échelle mondiale (MERZ et al., 2010). Particulièrement effervescent en Europe, le nouveau paradigme supporte la transition d’un mode de gestion essentiellement défensif axé sur le contrôle de l’aléa vers des approches intégrées, écosystémiques et participatives visant la diminution de la vulnérabilité des populations à l’échelle des bassins versants (SHRUBSOLE, 2007; PAHL-WOSTL et al., 2011; VERKERK et VAN BUUREN, 2013; CHALLIES et al., 2016). En complément ou même en remplacement des ouvrages d'ingénierie, une multitude de mesures non structurelles sont maintenant préconisées : zonage riverain plus strict, délimitation d’un espace de liberté, protection ou restauration de milieux naturels, pratiques agricoles limitant le ruissellement, aménagements urbains perméables, etc. (DE LOE, 2000; KLINE et CAHOON, 2010; BUTLER et PIDGEON, 2011; WARNER et al., 2013; BIRON et al. 2014; WEHN et al., 2015). Ces pratiques s’inscrivent dans la reconnaissance de la fonctionnalité naturelle des crues et de l’importance de maintenir l’intégrité des processus fluviaux en reconnectant les rivières et les plaines alluviales (KLINE et CAHOON, 2010; VERKERK et VAN BUUREN, 2013; OLCINA et al., 2016).
Le changement de paradigme s’opère également au niveau politique et social. Les mesures structurelles de défense contre les inondations sont normalement imposées et découlent d’une autorité centralisée et monopolisée par des experts et des bureaucrates (ROWE et FREWER, 2000; NEWIG et al., 2014). La diversification des pratiques de gestion des risques fait appel à la dissolution du modèle décisionnel technocratique en intégrant un réseau élargi d’acteurs et en favorisant l’implication et la responsabilisation des parties prenantes et des citoyens (BUTLER et PIDGEON, 2011; NYE et al., 2011). Contrairement aux projets structurels très techniques, la mobilisation des parties prenantes est essentielle à la mise en oeuvre de mesures non structurelles qui peuvent nécessiter une révision des orientations d’aménagement impliquant des contraintes au développement ou des changements d’usages (MAYNARD, 2013). Il est de plus en plus reconnu que la participation favorise le succès de l'implantation des mesures proactives et s’avère un catalyseur pour la responsabilisation des individus et des groupes affectés ou concernés par les inondations (AHRENS et RUDOLPH, 2006; WMO, 2006). La gestion participative des inondations répond aussi à la nécessité d’intégrer les leçons tirées des crues désastreuses, de concilier la gestion des risques avec les stratégies de développement durable, d’assurer la concertation des pratiques ayant un impact sur la réponse hydrologique en amont des plaines inondables et de s’adapter collectivement aux changements climatiques. Enfin, les nouvelles pratiques de gestion des inondations s’inscrivent dans une tendance généralisée à la participation citoyenne dans l’élaboration de politiques environnementales (NYE et al., 2011; WEHN et al., 2015).
L’ensemble des composantes de la gestion des inondations sont de nature transfrontalière ou multisectorielle. Le pouvoir d’action est fragmenté entre une panoplie d’acteurs, d’organisations et de paliers de gouvernement dont les compétences et les responsabilités s’entrecroisent et se superposent (GREEN et PENNING-ROWSELL, 2011). La gestion intégrée des risques d’inondation (GIRI) est un processus structuré regroupant l’ensemble des domaines concernés par les inondations : la sécurité publique, l’aménagement du territoire, la gestion des ressources hydriques et l’environnement à l’échelle des bassins versants (MERZ et al., 2010; VERKERK et VAN BUUREN, 2013). La coopération verticale entre les niveaux de gouvernement (national, infranational, régional, supralocal et local) et la coordination horizontale des acteurs de la société civile est l’un des fondements de la GIRI (VAN ALPHEN et LODDER, 2006; LÖSCHNER et al., 2016). L’institutionnalisation d’un modèle de gestion intégrée vise à regrouper les connaissances disciplinaires, concilier les intérêts et les objectifs, mieux partager les responsabilités et maximiser la portée des mesures qui étaient auparavant élaborées de manière sectorielle (HUTTER, 2016). Une gouvernance inclusive et équitable des inondations permet de concilier l’ensemble des préoccupations locales et d’éviter notamment que les intérêts économiques ou immobiliers soient priorisés au détriment de la sécurité publique (ROWE et FREWER, 2000).
Ces nouveaux modes de gestion proposent aux citoyens d’apprendre à « vivre avec les inondations » en redoublant les efforts pour minimiser leur exposition et accroître leur capacité de réponse et leur résilience en cas de désastres (ENVIRONMENT AGENCY, 2005; MERZ et al., 2010; NYE et al., 2011). L’optimisation de la résilience implique l’appropriation citoyenne des stratégies d’adaptation aux inondations, le renforcement des capacités socio-économiques locales et la redistribution de certaines formes de pouvoir entre l’État et la société civile (WMO, 2006; SHRUBSOLE, 2007; BOYER-VILLEMAIRE et al., 2014). La participation des parties prenantes et des citoyens constitue la pierre angulaire de la GIRI et du développement de communautés résilientes (NYE et al., 2011; TSENG et PENNING-ROWSELL, 2012; ALBRIGHT et CROW, 2015). Elle est considérée comme essentielle pour soutenir la transition d’un modèle de gestion défensif, rigide et centralisé vers un modèle intégré, pluriel et décentralisé (WARNER et al., 2013).
Au plan scientifique, la participation des citoyens et d’un réseau élargi d’acteurs de la société civile est largement prescrite pour les questions relatives aux risques naturels et à la gestion de l’environnement de manière plus générale. D’un autre côté, les instances gouvernementales s’ouvrent de plus en plus à ces nouvelles approches en intégrant des volets participatifs à leur structure décisionnelle en matière de GIRI. En Europe par exemple, à la suite des grandes inondations de 2002, les principes de GIRI et de participation citoyenne se sont cristallisés à travers l’Union européenne par l’adoption en 2007 de la Directive - Inondation. Le Parlement européen reconnaissait alors que les désastres ne peuvent être atténués que par les efforts collectifs de réduction de la vulnérabilité (DROBENKO, 2010; LÖSCHNER et al., 2016). La Directive - Inondation encadre la gestion des inondations selon une approche par bassin hydrographique arrimée avec la Directive cadre sur l’eau (PARLEMENT EUROPÉEN, 2007) qui impose une démarche collaborative de gestion intégrée de l’eau par bassin versant ayant comme objectif ambitieux l’atteinte d’un « bon état des eaux » pour tous les districts hydrographiques (HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007; NEWIG et al., 2014). La Directive - Inondation s’opérationnalise à travers des plans de gestion des risques d’inondation (PGRI) comprenant la cartographie des zones d’inondation à l’échelle du bassin versant et une série d’objectifs et de mesures concrètes axées sur l’ensemble du cycle de la gestion du risque (EVERS et NYBERG, 2013). Les 28 États de l’Union européenne doivent encourager « la participation active des parties concernées à l’élaboration, au réexamen et à la mise à jour des PGRI » (PARLEMENT EUROPÉEN, 2007, art. 10). La démarche participative de la Directive - Inondation doit être coordonnée avec celle prévue par la Directive cadre sur l’eau en encourageant trois niveaux de participation : l’information, la consultation et l’implication active (ALBRECHT, 2016).
Comme les modèles participatifs suscitent de plus en plus d’intérêt, tant de la part des scientifiques que des gestionnaires, il s’avère pertinent d’examiner la portée et des limites des approches participatives et d’examiner leurs spécificités en regard de la GIRI. Ainsi, cette synthèse explore la littérature récente à propos des approches participatives pour la gestion des inondations et intègre les publications majeures portant sur la participation appliquée de manière plus large à la gestion de l’environnement et à l’aménagement du territoire.Les fondements de la participation, la théorie des parties prenantes comme outil de sélection des participants ainsi que les différentes formes de participation sont présentés dans la section 2. Les objectifs des approches participatives appliquées à la GIRI, puis les limites et les défis entourant la participation sont ensuite exposés aux sections 3 et 4, respectivement.
2. Participation en gestion des inondations
La participation est un processus dans lequel des individus, des groupes et/ou des organisations jouent un rôle actif dans la démarche décisionnelle concernant une situation particulière (REED, 2008; REED et al., 2010). Elle s’opérationnalise à travers une variété d’approches formelles et informelles déployées pour informer et consulter les parties prenantes sur des enjeux qui les concernent ou pour les impliquer plus activement dans la prise de décision (DAY, 1997; ROWE et FREWER, 2000; HASSENFORDER et al., 2015). Bien qu’elles s’inscrivent souvent dans l’élaboration et le déploiement de politiques gouvernementales, les approches participatives peuvent émerger d’organisations soucieuses de démocratiser leur fonctionnement ou d’acteurs locaux cherchant à résoudre collectivement une situation dont l’État n’est pas en mesure d’assurer la pleine responsabilité (MARGERUM, 2008; MARGERUM, 2011; HASSENFORDER et al., 2015).
Les années 1990 marquent l’émergence des approches participatives en gestion de l’environnement (BULKELEY et MOL, 2003; HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007; REED, 2008). La complexité des problèmes environnementaux et leur nature multiparamétrique, multiéchelle et transfrontalière nécessitent une réflexion ouverte, intégrée et à long terme qui ne cadre pas avec le fonctionnement opaque, réactif et sectoriel du gouvernement (BULKELEY et MOL, 2003). La conscience écologique, la valorisation du savoir local et la gouvernance collaborative sont des concepts alors en vogue dans les sociétés occidentales (REED, 2008). La notion de développement durable est propulsée par le plan d’action Agenda 21 émanant de la Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement de Rio en 1992 (HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007). Le droit à l’information, la participation du public et le partage des responsabilités avec les acteurs locaux sont des principes fondateurs du concept de gestion durable des ressources naturelles et de l’environnement qui sont largement repris dans les politiques à l’échelle internationale (ENVIRONMENT AGENCY, 2005; NYE et al., 2011; NEWIG et al., 2014).
Le tournant des années 2000 marque le début de l’institutionnalisation des approches participatives spécifiques à la gestion des risques d’inondation. En Europe, la participation est notamment requise par la politique de GIRI « Making Space for Water » au Royaume-Uni (DEFRA, 2005) et par la Directive - Inondation de l’Union européenne (PARLEMENT EUROPÉEN, 2007). Ces politiques soutiennent la diversification du modèle de gestion des inondations en affirmant la nécessité de mettre en oeuvre des mécanismes de participation citoyenne pour l’ensemble des étapes du cycle de gestion du risque (NYE et al., 2011; WEHN, 2015; CHALLIES et al., 2016). Au-delà des séances de consultation publiques conventionnelles, les processus participatifs visent de plus en plus à impliquer étroitement des groupes relativement restreints d’acteurs locaux (BEIERLE, 2002). Ce renouvellement des structures décisionnelles ouvre la porte à de nouveaux espaces, de nouvelles alliances et de nouveaux rôles pour la société civile, le mouvement environnemental, les corporations et pour tous les paliers de gouvernement (BULKELEY et MOL, 2003; VERKERK et VAN BUUREN, 2013). L’horizontalisation des relations entre les gouvernements et la société est aussi le reflet d’un renouveau de la culture politique qui fait la promotion d’une citoyenneté active par le biais de modèles démocratiques inclusifs et délibératifs (DAY, 1997; NYE et al., 2011).
2.1. Identification des parties prenantes
La première étape dans la planification d’une démarche participative consiste à identifier les participants potentiels (WMO, 2006; HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007; REED, 2008). Le choix des participants est une étape parfois complexe, mais cruciale pour la crédibilité, le succès et la portée de l’exercice (HISSCHEMÖLLER et al., 2001; PAHL-WOSTL, 2006). L’analyse des parties prenantes propose un vaste champ méthodologique pour définir adéquatement les individus, les groupes ou les organisations qui sont concernés par un enjeu particulier. La définition de partie prenante varie grandement selon les auteurs ou les situations, mais englobe généralement les individus, les groupes, les communautés et les organisations affectés ou intéressés par un enjeu, une activité ou un projet spécifique (GRIMBLE et WELLARD, 1997; GLICKEN, 2000; FLEISCHHAUER et al., 2012; HASSENFORDER et al., 2015). Théoriquement, tous ceux qui sont concernés directement ou indirectement par une situation donnée sont qualifiés de parties prenantes. En pratique, ce sont souvent seulement les entités organisées qui sont considérées comme parties prenantes en raison de leur statut légal ou de leur reconnaissance sociale (BILLGREN et HOLMÉN, 2008; GREEN, 2011). L’élément commun à la plupart des définitions est le caractère relatif à une situation spécifique, à un moment et à un endroit donnés (GLICKEN, 2000). Si l’une des dimensions de l’enjeu évolue dans une direction imprévue, la composition du réseau de parties prenantes doit être réinterprétée. La nature dynamique des intérêts des acteurs et de leurs interrelations doit être considérée tout au long du processus (REED et al., 2009; TSENG et PENNING-ROWSELL, 2012), tout comme il est important d’appréhender l’émergence possible de nouveaux acteurs (MITCHELL et al., 1997).
Les critères de sélection des parties prenantes doivent être déterminés selon les spécificités de chaque situation (GLICKEN, 2000; REED, 2008). La sélection peut être basée sur de multiples paramètres comme les intérêts, le pouvoir, la légitimité, l’influence politique, l’urgence des revendications ou l’exposition au risque (MITCHELL et al., 1997). Souvent, les parties prenantes impliquées dans des processus collaboratifs sont invitées pour représenter les positions de leur organisation. L’analyse doit ainsi s’intéresser autant aux caractéristiques individuelles d’un acteur qu’à celles de l’organisation qu’il représente (fonctionnement, mission, valeurs, expérience, normes, etc.) (BRULLOT et al., 2014). Les individus ou les groupes qui sont le plus affectés devraient être étroitement impliqués. Il peut aussi être avisé d’inviter les personnes pouvant fournir de l’information technique ou des connaissances particulières (BEIERLE, 2002; HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007). En gestion des inondations, les parties prenantes peuvent être classées en sept groupes : les citoyens exposés aux inondations, les autres citoyens du bassin versant, les regroupements de bénévoles, les organisations non gouvernementales, le secteur privé, les institutions scientifiques et les agences gouvernementales (BUCHECKER et al., 2013).
Les rôles et les responsabilités attribués aux parties prenantes doivent être adaptés selon leurs besoins et leurs préoccupations, mais aussi en fonction de leur motivation, de leur disponibilité et de leur capacité à s’engager dans une démarche participative (WMO, 2006). Au sein des structures collaboratives où l’autorité concède une partie du pouvoir décisionnel, les parties prenantes doivent être suffisamment informées et compétentes pour influencer adéquatement les décisions (HISSCHEMÖLLER et al., 2001; HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007). La collaboration des acteurs locaux autour d’un plan de GIRI peut être restreinte à des bureaucrates, des experts et des scientifiques (MAYNARD, 2013). Même sans la représentation directe de l’ensemble des membres de la société civile, la participation peut avoir des résultats substantiels. Pour ce faire, les intérêts de chaque membre doivent être balancés pour représenter le vaste champ de préoccupations et les points de vue conflictuels en lien avec la situation (GLICKEN, 2000). Une fois les parties prenantes identifiées, l’analyse peut être approfondie par la caractérisation et la classification des acteurs selon leurs attributs et par l’étude des relations entre les acteurs d’un réseau (REED, 2008). L’analyse des parties prenantes permet de bien comprendre les positions, les valeurs, les demandes, les intérêts et les pouvoirs de chaque individu et de définir adéquatement le niveau d’implication approprié afin d’optimiser le fonctionnement de la GIRI et de favoriser la satisfaction des participants (WMO, 2006; FLEISCHHAUER et al., 2012).
2.2. Formes de participation
Selon l'ouverture de l'initiateur face au partage du pouvoir décisionnel ou selon les besoins et les attentes organisationnelles, le niveau de participation varie de la consultation passive à l’engagement actif des parties prenantes (ROWE et FREWER, 2000; VERKERK et VAN BUUREN, 2013; THALER et LEVIN-KEITEL, 2016). Largement citée, récupérée et adaptée à divers contextes, l’échelle d’ARNSTEIN (1969) propose une typologie des niveaux de participation en huit paliers hiérarchiques de participation (Figure 1). Cherchant à convaincre et à éduquer, la manipulation et la thérapie constituent les deux niveaux inférieurs de l’échelle et n’ont aucune visée participative. Une participation passive ou symbolique s’installe lorsque l’information, la consultation et la collaboration du public sont mises de l’avant sans que les considérations exprimées soient forcément considérées (BOYER-VILLEMAIRE et al., 2014). Dans l’ordre, ces trois paliers élémentaires se distinguent par le niveau d’interactivité et le rôle des participants : assimiler l’information, exprimer des considérations, développer des préférences (FUNG, 2006). Le partenariat, la délégation de pouvoir et le contrôle citoyen sont les trois formes de participation les plus actives et elles soutiennent la redistribution horizontale du pouvoir et des responsabilités. Le pouvoir des parties prenantes est réellement effectif lorsque la classe dirigeante n’a pas le contrôle absolu sur les finalités du processus et que les résultats sont consensuels. Les participants s’entendent sur les frontières du problème et développent une stratégie pour atteindre une série d’objectifs collectivement définis (LACHAPPELLE et MCCOOL, 2005). Ces mécanismes de délibération et de négociation visent, par un processus d’échanges mutuels, l’émergence d’alternatives concertées (FUNG, 2006; MARGERUM, 2008; REED et al., 2009). L’ascension dans l’échelle de la participation signifie un effort moins porté sur la collecte d’information du public, mais plutôt axé sur une volonté de parvenir à un accord négocié entre un groupe restreint de parties prenantes (BEIERLE, 2002). En plus du partage de l’autorité, la représentation hiérarchique de l’échelle de la participation souligne le renforcement de la confiance et des responsabilités déléguées, l’intensification des mécanismes participatifs et l’accroissement des ressources nécessaires à la réalisation de l’exercice (LAWRENCE, 2006; HURLBERT et GUPTA, 2015).
La popularité et la diffusion de l’échelle hiérarchique d’ARNSTEIN (1969) auraient contribué à surélever les attentes envers les processus participatifs en suggérant que le contrôle citoyen est indéniablement l’idéal à atteindre (MCDANIELS et al., 1999). Implicitement, l’échelle sous-entend que les niveaux supérieurs sont souhaitables, même si l’information, la consultation et la collaboration peuvent être tout à fait indiquées selon l’échelle du problème, le contexte de la démarche, la structure de gouvernance et les capacités des acteurs (FUNG, 2006; REED, 2008; HURLBERT et GUPTA, 2015). WEHN et al. (2015) avancent que la typologie d’ARNSTEIN (1969) considère la participation comme une fin plutôt qu’un moyen et néglige les raisons sous-jacentes à l’initiation du processus. Selon plusieurs, le niveau d’implication approprié dépend essentiellement des objectifs spécifiques à la démarche participative (WMO, 2006; BLACKSTOCK et al., 2007; REED, 2008) et du contexte dans lequel elle est déployée, soit au niveau politique, organisationnel ou local (action collective) (MARGERUM, 2011). Les objectifs gouvernementaux et locaux ne sont pas nécessairement en opposition et peuvent s’avérer interreliés et complémentaires (LAWRENCE, 2006). La littérature sur la participation et les nombreuses typologies ont tendance à généraliser les concepts et à les confronter sous la forme de dichotomies : top-down/bottom-up, instrumentale/transformative, extraction/transfert d’information, gouvernement/communautés, scientifiques/savoir local, manipulation/collaboration (LAWRENCE, 2006; TSENG et PENNING-ROWSELL, 2012). En pratique, les démarches participatives sont plus nuancées, combinent plusieurs visées et peuvent s’articuler autour de multiples niveaux d’implication interpellant des catégories particulières d’acteurs à des étapes précises du projet (GODSCHALK et al., 2003; MAYNARD, 2013). Par exemple, les approches passives peuvent être appropriées pour les problèmes techniques, les enjeux concernant un vaste territoire ou les situations caractérisées par un faible niveau d’incertitude et peu de divergence sur les valeurs et les normes sociales (MAYNARD, 2013; ALBRIGHT et CROW, 2015; HURLBERT et GUPTA, 2015).
En gestion des risques, les formes passives de participation sont davantage préconisées que les formes actives (BOYER-VILLEMAIRE et al., 2014; NEWIG et al., 2014). Le protocole de gestion des risques d’inondation comporte trois étapes fondamentales : 1) la caractérisation de l’aléa et la cartographie des zones inondables, 2) l’évaluation du degré d’exposition aux aléas et de la vulnérabilité et 3) l’élaboration de solutions de mitigation et d’un plan de gestion du risque. La troisième étape concerne les stratégies de mise en oeuvre, les choix politiques et la conciliation des intérêts et suscite de ce fait davantage la participation active que les aspects techniques de l’évaluation du risque des deux premières étapes (ROWE et FREWER, 2000; NEWIG et al., 2014). Toutefois, certaines expériences au Royaume-Uni ont montré les bienfaits de la recherche-action participative impliquant les acteurs locaux dans la coproduction de connaissances scientifiques pour la caractérisation des risques d’inondation (LANDSTRÖM et al., 2011; LANE et al., 2011). Les séances publiques d’information et de consultation restent les mécanismes participatifs les plus courants pour dissimuler de l’information, accroître la sensibilisation en regard des aléas et recueillir les commentaires à propos de propositions de gestion (GODSCHALK et al., 2003). Ces activités sont notamment critiquées puisqu’elles surviennent tardivement dans le processus décisionnel, ce qui empêche la reformulation des prémisses ayant dicté l’élaboration des propositions, et qu’elles sont peu favorables au développement des capacités sociales des participants (ROWE et FREWER, 2000; GODSCHALK et al., 2003). L’information est une étape fondamentale à la prise de conscience collective face à la nécessité de déployer des stratégies proactives de mitigation et d’adaptation (GODSCHALK et al., 2003; BOYER-VILLEMAIRE et al., 2014). Certains auteurs soutiennent qu’une fois la conscientisation établie, l’implication devrait tendre vers des formes plus actives afin de maximiser les bénéfices sociaux (ROWE et FREWER, 2000; BOYER-VILLEMAIRE et al., 2014). Les échelons inférieurs de l’échelle d’ARNSTEIN (1969) peuvent alors être perçus comme des préalables permettant aux parties prenantes d’acquérir l’information et les capacités requises en vue d’endosser de nouvelles responsabilités et un rôle plus influent dans le processus décisionnel (BOYER-VILLEMAIRE et al., 2014).
Plusieurs activités participatives peuvent être planifiées pour susciter de manière plus active les parties prenantes dans la GIRI : comités consultatifs, groupes de travail, cartographie participative, ateliers de transfert de connaissances, forums interactifs, ateliers délibératifs autour d’alternatives de gestion, collecte des connaissances et des témoignages des riverains et des acteurs de l’eau à l’échelle du bassin versant, analyse interactive de scénarios de catastrophes, analyse communautaire du profil de vulnérabilité, activités de sensibilisation sur le terrain, etc. (WMO, 2006; VAN ALPHEN et LODDER, 2006; MERZ et al., 2010). Le choix des activités participatives dépend du niveau d’implication attribué pour chaque catégorie de parties prenantes, des objectifs visés par l’exercice de participation et des ressources disponibles pour la préparation et la mise en oeuvre des activités (HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007; REED, 2008). La théorie du marketing et de la communication souligne qu’il n’est pas possible de rejoindre tout le monde avec un seul et même moyen de communication et que les activités doivent être adaptées pour chaque groupe visé (FLEISCHHAUER et al., 2012). Les technologies de l’information et de la communication et les médias sociaux sont de plus en plus intégrés dans les démarches participatives et peuvent être valorisés sous plusieurs formes : forums de discussion, présentations en direct, cartographie interactive, modélisation collaborative, applications mobiles, plateformes d’échange d’information, etc. (HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007; ALMORADIE et al., 2015; WEHN et al., 2015). L’utilisation d’internet permet de rejoindre efficacement et à faible coût un grand bassin de population et favorise aussi la contribution des jeunes qui sont statistiquement moins disposés à assister aux traditionnelles consultations publiques (WEHN et al., 2015).
3. Objectifs de la participation
La portée des approches participatives dépend à la fois de facteurs internes liés à la planification et à l’exécution de l’exercice et de facteurs externes ou contextuels pratiquement incontrôlables par l’initiateur (REED, 2008). Premièrement, pour maximiser les retombées et assurer la confiance des participants, la démarche doit être justifiée et élaborée autour d’objectifs précis et d’un cadre d’exécution transparent, efficace et bien structuré (BLACKSTOCK et al., 2007; GREEN et PENNING-ROWSELL, 2011). La structure et les frontières du problème doivent être bien comprises par l’initiateur pour qu’il soit en mesure d’évaluer si la participation est nécessaire pour le résoudre, et si oui, dans quelle mesure (HURLBERT et GUPTA, 2015). Deuxièmement, le succès d’une démarche participative repose sur une série de critères externes liés au contexte dans lequel elle s’inscrit : la présence d’une culture locale d’implication citoyenne, le climat social et politique, l’intérêt ou le sentiment d’urgence des citoyens envers l’enjeu, la qualité des relations entre les participants et leurs attentes envers le processus (BEIERLE et KONISKY, 2000; ALBRIGHT et CROW, 2015; HASSENFORDER et al., 2015). La reproduction d’une démarche exemplaire ayant donné des résultats probants pour une situation donnée peut donc s’avérer infructueuse ailleurs en raison des particularités contextuelles (DRAZKIEWICZ et al., 2015). Comme ces facteurs sont hors de contrôle des organisations, les efforts doivent être concentrés sur la qualité et l’efficacité de la structure participative (BEIERLE et KONISKY, 2000). L’analyse comparative des critères d’évaluation de 54 études de cas réalisée par BEIERLE et KONISKY (2000) souligne que les facteurs internes associés à la qualité du processus ont plus d'impact sur la réussite d’une démarche participative que les facteurs externes associés au contexte. La délibération basée sur la recherche de consensus et les échanges mutuels entre les participants et l’initiateur, de même que l’engagement actif des hautes instances décisionnelles dans le processus, sont les éléments ayant le plus d’influence sur le succès de la participation. Les auteurs insistent sur le fait que ces éléments sont clairement sous le contrôle de l’initiateur.
Les accords, les ententes et les consensus sont des indicateurs du succès d’une démarche collaborative (BULKELEY et MOL, 2003; GAUTHIER, 2005). Toutefois, ces résultats ne doivent pas être vus comme l’unique finalité souhaitable, le processus pouvant être tout aussi enrichissant (GREEN et PENNING-ROWSELL, 2011). En GIRI, la sensibilisation du public à l’importance des risques, l’accroissement de leurs connaissances relatives à la dynamique des inondations et la priorisation d’alternatives peuvent aussi constituer des facteurs de réussite des activités participatives (LÖSCHNER et al., 2016). Des efforts supplémentaires dans la qualité du processus et le partage des responsabilités avec les parties prenantes peuvent conduire à des bénéfices sociaux importants susceptibles de susciter la responsabilisation des communautés envers la mitigation du risque. Répertoriés selon les trois catégories proposées par FIORINO (1990) et BLACKSTOCK et al. (2007), les objectifs pragmatiques, instrumentaux et normatifs guidant le déploiement des approches participatives sont détaillés dans cette section.
3.1. Objectifs pragmatiques
La participation peut être déployée selon une approche pragmatique dans le but de générer de meilleures décisions en intégrant les considérations des citoyens ou des parties prenantes (FIORINO, 1990; BLACKSTOCK et al., 2007; CHILVERS, 2008). Les approches participatives sont particulièrement appropriées pour aborder les enjeux complexes aux frontières ambiguës, caractérisés par des revendications conflictuelles et de l’incertitude sur le plan des bases de connaissance, des relations causales et des fondements éthiques (RAVETZ, 1999; SINCLAIR et al., 2003; FERREYRA, 2006; GAMPER et TURCANU, 2009). En ce sens, la gestion du risque d’inondation est une opération à la fois complexe et incertaine en raison : 1) de la caractérisation de l’aléa nécessitant l’analyse détaillée des paramètres hydrauliques et géomorphologiques, de même que la modélisation des probabilités d’occurrence des événements, des impacts des changements climatiques et des facteurs amplifiant la réponse hydrologique à l’échelle du bassin versant, 2) des facteurs socio-économiques et démographiques influençant la vulnérabilité, 3) de la diversité des politiques et des mesures pouvant être préconisées et 4) des intérêts conflictuels en regard de mesures à prioriser à l’échelle des bassins versants (GAMPER et TURCANU, 2009; HUTTER, 2016).
Intégrée dès la phase de planification, la participation des parties prenantes comporte de nombreux avantages. Au moment de la caractérisation de l’aléa et de l’évaluation de la vulnérabilité, la pluralité des points de vue, des valeurs et des formes de connaissance permet d’aborder convenablement la complexité et les incertitudes des situations multiéchelles et non linéaires comme celles caractérisant la dynamique des inondations (FUNTOWICZ et RAVETZ, 1993; PAHL-WOSTL, 2006; BLACKSTOCK et al., 2007; REED et al., 2010). Bien que dépourvus d’assises théoriques, les citoyens et les experts locaux ont des connaissances pratiques et anecdotiques sur leur milieu de vie qui ne sont pas accessibles aux chercheurs autrement que par des échanges avec les parties prenantes (FUNTOWICZ et RAVETZ, 1993). Dans les situations complexes et peu documentées, la contribution des parties prenantes permet de rehausser la compréhension des caractéristiques du système à l’étude et de la nature du problème (BULKELEY et MOL, 2003; MILOT, 2009; HASSENFORDER et al., 2015). Les mécanismes participatifs peuvent aussi être déployés pour perfectionner la compréhension des dynamiques sociales, économiques et institutionnelles de la vulnérabilité (MERZ et al., 2010).
La combinaison du savoir local aux connaissances scientifiques améliore la qualité et la portée des décisions concernant les mesures de gestion du risque (REED, 2008; ROUILLARD et al., 2014; HASSENFORDER et al., 2015). Cette combinaison des savoirs favorise l’intégration dans les politiques de trois formes d’information : cognitive (arguments factuels, expertise technique des individus), expérientielle (expériences personnelles, jugement) et morale (valeurs, intérêts personnels, perceptions) (GLICKEN, 2000). La participation facilite l’adaptation des solutions aux valeurs et aux intérêts des parties prenantes, ce que les outils classiques d’évaluation du risque, les modèles et les analyses coûts-bénéfices ne permettent pas (BEIERLE, 2002; GAMPER et TURCANU, 2009). En analysant les résultats de 121 études de cas sur la participation en gestion de l’environnement, BEIERLE (2002) a montré que dans 76 % des cas les participants ont apporté de nouvelles informations, des idées innovantes ou des analyses pertinentes. Cette étude souligne aussi que les participants ont tendance à fournir davantage d’information et d’idées nouvelles dans les exercices impliquant un plus haut niveau de collaboration.
La collaboration des différentes sphères de la société civile permet l’élaboration de politiques en symbiose avec les besoins et les priorités des citoyens affectés ou concernés (DAY, 1997; DRAZKIEWICZ et al., 2015; EVERS et al., 2016) et réduit la possibilité que les intérêts des groupes désavantagés ou marginalisés soient occultés (REED, 2008). L’instauration d’un canal efficace de communication avec les parties prenantes prévient les situations où les experts s’attardent à résoudre le mauvais problème et peut même servir de rempart contre des projets aberrants ou déconnectés de la réalité des collectivités locales (HISSCHEMÖLLER et al., 2001; BARBIER, 2005; HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007). En gestion des risques, la participation s’avère particulièrement pertinente au moment de valider et d’analyser la faisabilité et l’acceptabilité de mesures ciblées ou d’explorer diverses alternatives (BEIERLE et KONISKY, 2000; HISSCHEMÖLLER et al., 2001; HASSENFORDER et al., 2015). Elle se révèle aussi une occasion de développer des stratégies collectives de mitigation et d’adaptation (LÖSCHNER et al., 2016; THALER et LEVIN-KEITEL, 2016). Intégrée dans une démarche de gestion adaptative, la collaboration est déployée sous une structure itérative de validation des connaissances et des procédés valorisant la reformulation des stratégies de gestion selon les apprentissages et les expérimentations (MCDANIELS et al., 1999; MAYNARD, 2013). La gestion des incertitudes et du caractère aléatoire des inondations nécessite des mécanismes sociotechniques flexibles et transparents où les acteurs concernés ont l’opportunité d’échanger sur les expériences et de tirer des leçons des échecs et des bons coups suite aux événements de crise (REED, 2008; NYE et al., 2011; HUTTER, 2016).
L’un des défis majeurs de la GIRI est de gérer les multiples conflits et les divergences d’intérêt possibles à l'échelle du bassin versant : entre le développement économique et la protection des écosystèmes riverains, entre les citoyens affectés bénéficiant des mesures et les autres contribuables et entre les usagers en amont et les riverains en aval (GREEN et PENNING-ROWSELL, 2011; THALER et LEVIN-KEITEL, 2016). Le regroupement des parties prenantes au sein d’espaces délibératifs peut ainsi favoriser le dénouement d’impasses et l’élaboration de compromis (IRVIN et STANSBURY, 2004). Les structures argumentatives facilitent la décomposition des divergences en exposant les pour et les contre des différentes options et sensibilisent les participants à la diversité des points de vue (BEIERLE et KONISKY, 2000; HISSCHEMÖLLER et al., 2001). Toutefois, la confrontation des perceptions discordantes peut rendre le processus éreintant, en plus de faire émerger de nouveaux conflits (DAY, 1997; GREEN et PENNING-ROWSELL, 2011; THALER et LEVIN-KEITEL, 2016). La délibération doit donc se faire dans un climat favorisant le respect mutuel et la reconnaissance de tous les points de vue, incluant ceux des opposants (RAVETZ, 1999; ROWE et FREWER, 2000; HALVORSEN, 2003).
3.2. Objectifs instrumentaux
La participation peut être instrumentalisée au bénéfice d’une instance gouvernementale ou d’une organisation dans le but d’éduquer les participants, de légitimer des décisions difficiles ou controversées, de dissiper les conflits ou de redorer son image (BEIERLE, 2002; BLACKSTOCK et al., 2007; ROUILLARD et al., 2014). En gestion des risques naturels, les exercices participatifs superficiels confinant le citoyen comme simple récipiendaire d’information sont des outils régulièrement privilégiés par les organisations pour favoriser l’acceptabilité sociale de mesures prédéfinies (BOYER-VILLEMAIRE et al., 2014; WHITMAN et al., 2015). Au-delà des démarches informatives unidirectionnelles, l’adaptation des politiques selon les considérations exprimées par les participants renforce nécessairement l’acceptabilité des décisions (FIORINO, 1990; GAMPER et TURCANU, 2009; BUCHECKER et al., 2013). Une meilleure compréhension des dynamiques locales réduit les probabilités de prendre des décisions qui soulèveront la grogne populaire (DAY, 1997). En conciliant les perspectives et en gérant adéquatement les conflits, la participation favorise l’émergence de solutions ingénieuses qui seront largement appuyées (BEIERLE, 2002; BULKELEY et MOL, 2003; FUNG, 2006). La convocation des parties prenantes permet aussi d'anticiper les sources de contestation et d’identifier les éléments à retravailler pour désamorcer les tensions (IRVIN et STANSBURY, 2004). Le support politique généré par un processus participatif loyal et transparent contribue généralement au succès de la mise en oeuvre des décisions (HASSENFORDER et al., 2015).
Les activités participatives constituent une excellente opportunité pour les organisations de sensibiliser les participants à la problématique des inondations ou de transmettre de l’information à propos de mesures de gestion (HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007; EVERS et al., 2016). L’information encourage le développement de la culture scientifique d’une communauté et est nécessaire pour l’engager dans le débat sur l’adaptation aux risques (ROWE et FREWER, 2000). Ces activités sont aussi l’occasion de bien expliquer les choix politiques et de convaincre les acteurs locaux influents de leur bien-fondé (IRVIN et STANSBURY, 2004). Au Royaume-Uni par exemple, l’engagement citoyen est instrumentalisé par les instances gouvernementales pour favoriser l’acceptabilité des mesures non structurelles d’atténuation des crues et pour diffuser les bénéfices écologiques liés à l’élargissement de l’espace riverain où les processus naturels d’inondation et d’érosion peuvent opérer (ENVIRONMENT AGENCY, 2005). Les processus participatifs bien structurés et professionnellement exécutés sont des moyens de communication et de persuasion efficaces pouvant même renverser l’opinion publique (FUNG, 2006). En Suisse, BUCHECKER et al. (2013) ont documenté trois processus participatifs pour des projets de restauration de cours d’eau pour la gestion des inondations. L’analyse de l’évolution de la perception des parties prenantes au fil de la démarche révèle un changement positif d’attitude envers les projets de restauration et l’accroissement du niveau de confiance envers les autorités locales. Si le processus est ouvert, transparent et honnête, la crédibilité et la réputation de l’initiateur peuvent être renforcées (CHILVERS, 2008). Au contraire, une démarche participative biaisée dont les décisions sont fixées à l’avance peut considérablement diminuer la confiance des parties prenantes envers l’organisation (ROWE et FREWER, 2000).
Le lancement d’une démarche participative peut être motivé par la simple volonté de l’initiateur de renforcer sa légitimité (WEHN et al., 2015; THALER et LEVIN-KEITEL, 2016). Un individu participant à une activité menée avec succès va avoir tendance à reconnaitre le professionnalisme de l’organisation et à lui faire davantage confiance (HALVORSEN, 2003; IRVIN et STANSBURY, 2004; BUCHECKER et al., 2013). L’implication des parties prenantes dans la prise de décision reflète aussi l’ouverture, la réceptivité et la transparence de l’organisation, ce qui est bénéfique pour sa réputation (HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007; EVERS et al., 2016). Les participants qui prennent conscience de la complexité des attentes contradictoires sont susceptibles d’être plus indulgents envers les administrateurs lors d’éventuelles décisions litigieuses, sachant comment il est difficile de faire l’unanimité (HALVORSEN, 2003). Pour favoriser l’établissement d’un réel lien de confiance, les participants doivent sentir que leurs préoccupations seront réellement considérées et valorisées dans les décisions. Le développement de la confiance est optimal dans les processus collaboratifs faisant appel à des mécanismes de communication bilatérale (HURLBERT et GUPTA, 2015).
3.3. Objectifs normatifs
La participation poursuit également une variété d’objectifs normatifs axés sur les retombées personnelles et sociales du processus (CHILVERS, 2008). Premièrement, les approches participatives spécifiquement appliquées à la GIRI contribuent au développement de communautés sensibilisées, averties et allumées à l’égard des inondations (AHRENS et RUDOLPH, 2006; WMO, 2006). Une culture du risque s’instaure ou se renforce par l’adoption d’un ensemble de normes, d’attitudes, de pratiques sociales et de techniques proactives pour minimiser l’exposition d’une communauté aux situations dangereuses (DAVIES et WALTERS, 1998). Les approches participatives valorisant les rétroactions et l’apprentissage collectif des événements de crise, plutôt que cherchant à blâmer des coupables, favorisent la culture du risque (MERZ et al., 2010). Le sens d’appropriation (ownership) est d’ailleurs fondamental au développement d’une culture du risque, en plus de s’avérer bénéfique pour soutenir la mise en oeuvre des mesures non structurelles et proactives dont les bénéfices sur la réduction du risque sont pressentis à long terme (AHRENS et RUDOLPH, 2006; WMO, 2006; BUCHECKER et al., 2013). L’appropriation et la responsabilisation se développent lorsque les parties prenantes sont intimement engagées et s’associent autour d’un enjeu pour cerner ses frontières, pour comprendre ses spécificités et ses impacts et pour développer collectivement des solutions. En GIRI, les approches participatives peuvent ainsi contribuer à ce que les acteurs locaux et les citoyens se sentent personnellement interpellés et qu'ils ne considèrent plus la mitigation des inondations que comme une simple procédure administrative (FLEISCHHAUER et al., 2012). L’appropriation des décisions est optimisée lorsque les participants considèrent que les mesures reflètent leurs préoccupations et sont pertinentes en regard des besoins exprimés lors de la planification (LACHAPPELLE et MCCOOL, 2005; BUCHECKER et al., 2013).
Deuxièmement, les activités participatives sont une opportunité pour les participants d’acquérir des connaissances sur des enjeux qui les concernent (DAY, 1997; REED, 2008; BUCHECKER et al., 2013) et de développer des habiletés communicationnelles, des aptitudes à collaborer et une ouverture d’esprit (ROUILLARD et al., 2014). WEBLER et al. (1995) proposent six formes d’apprentissage cognitif pouvant découler d’un processus participatif bien articulé : apprendre à propos 1) des caractéristiques d’un enjeu, 2) des solutions possibles et de leurs conséquences, 3) de leurs propres intérêts, 4) des autres participants, de leurs intérêts et de leurs valeurs, 5) de la pensée systémique et de ses applications, 6) des stratégies, des outils et des méthodes de communication et de coopération efficaces pour parvenir à un accord et mettre en pratique une réflexion holistique et intégrée (EVERS et al., 2016). La participation permet aussi de développer des connaissances sur le fonctionnement de la gouvernance collaborative et du système politique (BUCHECKER et al., 2013). Le processus de travail collaboratif contribue au développement des communautés en renforçant la cohésion sociale, le réseautage et la confiance entre les individus (BEIERLE, 2002; AHRENS et RUDOLPH, 2006).
Troisièmement, l’apprentissage social (social learning) est un bénéfice normatif découlant de la participation largement documenté (BEIERLE, 2002; HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007, ROUILLARD et al., 2014). REED et al. (2010) définissent ce concept comme un changement dans la compréhension, allant au-delà de l’individu pour se situer à l’intérieur d’unités sociales ou de communautés de pratique, qui s’opère au fil des interactions entre les acteurs d’un réseau social. Il s’agit d’un processus itératif de réflexion basé sur le partage d'expériences et d'idées et sur la révision des formes de connaissance, des théories et des pratiques (PAHL-WOSTL, 2006; HURLBERT et GUPTA, 2015; MEDEMA et al., 2015). L’apprentissage social ne se limite pas qu’à l’assimilation de nouvelles connaissances, mais nécessite une transformation majeure des manières de percevoir, d’appréhender et de gérer un enjeu (REED et al., 2010). Ce changement de perception est motivé par de nouveaux éléments d’information, un changement d’attitude ou un renouvellement des normes et des fondements épistémologiques. L’apprentissage social implique différents processus dans des contextes où les incertitudes et les intérêts conflictuels sont problématiques, comme en gestion de l’environnement et des risques d’inondation (EVERS et al., 2016). Les approches participatives peuvent stimuler et faciliter l’apprentissage social, mais cette retombée ne peut être considérée comme assumée et dépend étroitement de la qualité du processus, de la redistribution du pouvoir et des dynamiques sociales initiales (REED et al., 2010).
Quatrièmement, la participation s’inscrit du plus en plus dans un esprit d’empowerment visant à responsabiliser les communautés dans le développement de leur résilience face aux inondations (NYE et al., 2011). L’empowerment réfère au renforcement ou à l’acquisition du pouvoir par les collectivités via un processus de transformation sociale multidimensionnelle (CALVÈS, 2009). En gestion participative, l’empowerment consiste à habiliter les parties prenantes à s’approprier le processus décisionnel sur les mesures qui les concernent en développant les compétences et les aptitudes techniques requises (REED, 2008). Dans les processus participatifs extensifs, les participants acquièrent les connaissances techniques, les ressources et le jargon nécessaire pour s’imposer comme de réels acteurs politiques (IRVIN et STANSBURY, 2004). L’empowerment découle d’une volonté politique ou organisationnelle de confier certains volets de la GIRI à des regroupements locaux de parties prenantes et d’ainsi favoriser l’action collective. Cette commande politique doit être accompagnée des ressources financières, matérielles et humaines nécessaires pour que les acteurs locaux soient capables de réaliser pleinement leur mandat (WMO, 2006).
Enfin, la visée normative de la participation valorise le droit démocratique des citoyens à prendre part aux décisions concernant la gestion de leur milieu de vie (REED, 2008; TSENG et PENNING-ROWSELL, 2012). Elle favorise la citoyenneté active et la compétence civique, en plus de surmonter le sentiment d'impuissance et d'aliénation de la population envers le système politique (FIORINO, 1990; REED, 2008). L’engagement des citoyens dans l’administration publique au moyen des structures participatives représente une forme d’influence plus stimulante et enrichissante que de simplement manifester son mécontentement à la suite de décisions insatisfaisantes (DAY, 1997). Pour éviter d’entretenir le cynisme, l’exercice participatif devrait comprendre une structure de délibération favorisant les échanges bilatéraux et faire preuve de transparence concernant l’influence des participants sur la prise de décision. Les approches valorisant les échanges face à face sont généralement plus satisfaisantes pour les participants que les démarches passives comme de soumettre une opinion écrite ou d’assister à une séance d’information (HALVORSEN, 2003). La participation s’avère aussi un moyen de susciter l’intérêt à l’égard de l’appareil politique et de favoriser la confiance et même la fierté envers l’État (DAY, 1997; REED, 2008).
En résumé, les principaux objectifs pragmatiques, instrumentaux et normatifs guidant le déploiement des approches participatives dans le contexte de la gestion des inondations sont synthétisés dans le tableau 1. Il apparaît ainsi que la participation devrait non seulement être perçue comme un moyen de consulter la population (ou de satisfaire exigences légales ou institutionnelles), mais comme un moyen d’améliorer substantiellement la qualité et la portée des décisions, de gérer adéquatement les conflits et de favoriser le développement des apprentissages et des capacités sociales (BEIERLE et KONISKY, 2000; HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007).
4. Limites et défis de la participation
Malgré l’éventail de prétentions positives attribuées aux démarches participatives présenté dans la section précédente, plusieurs doutes persistent quant aux conditions nécessaires pour assurer leur succès et de nombreuses expériences décevantes ont souligné les limites de la participation (BULKELEY et MOL, 2003). Depuis la publication de la typologie d’ARNSTEIN (1969), la littérature scientifique sur la participation a connu un essor fulgurant, mais elle fournit encore peu d’indications empiriques sur ses bénéfices réels et sur les situations spécifiques dans lesquelles elle devrait être envisagée (ROWE et FREWER, 2000; BUCHECKER et al., 2013; HURLBERT et GUPTA, 2015). Les bénéfices apparaissent pratiquement comme accidentels, puisqu’il ne peut être garanti que le respect de la marche à suivre et des bonnes pratiques conduiront à des résultats substantiels compte tenu des facteurs contextuels incontrôlables (HISSCHEMÖLLER et al., 2001). Les échecs peuvent également être attribuables à des attentes trop élevées de la part de l’initiateur et à l’idée que le consensus est la finalité optimale. La surreprésentation des études de cas aux retombées positives dans la littérature scientifique comparativement aux expériences ratées pourrait aussi contribuer à romancer et à amplifier la portée de la participation (BEIERLE, 2002).
La participation peut s’avérer un processus long, exigeant et même improductif (TSENG et PENNING-ROWSELL, 2012). Les défenseurs des modèles décisionnels descendants clament que la participation brime l’impartialité et la neutralité politique des décisions normalement basées sur des protocoles techniques et scientifiques (DAY, 1997; BEIERLE, 2002). Malgré un protocole irréprochable, le manque de motivation et de compétence des participants peut fortement compromettre le succès d’un exercice de participation. Une des principales limites de la participation réside dans la difficulté, voire l’impossibilité, d’assurer la représentativité absolue des parties prenantes affectées ou concernées dans les instances consultatives. Les aboutissants peuvent ainsi être biaisés par la surreprésentation de certains intérêts et refléter une conception erronée de la volonté de la majorité. Enfin, le fonctionnement rigide des organisations gouvernementales et leur réticence à décentraliser le pouvoir limitent l’essor de la participation et ses retombées sociales. De nombreuses limites à la portée de la participation peuvent toutefois être perçues comme des défis pouvant souvent être relevés notamment par la reconnaissance institutionnelle de la légitimité de ces nouveaux mécanismes et en confiant leur exécution à de l’expertise qualifiée. Les limites décisionnelles, individuelles, représentationnelles et institutionnelles des approches participatives sont étayées dans cette section.
4.1. Limites décisionnelles
Avec l’essor des approches participatives, plusieurs ont remis en question la qualité et la légitimité des décisions découlant de ces nouveaux processus. En démocratie représentative, un accord tacite entre les citoyens et les élus implique que la volonté des citoyens soit exprimée par des délégués en charge de prendre des décisions réfléchies pour le bien-être de tous (DAY, 1997). Une vision élitiste du gouvernement soutient que le pouvoir décisionnel doit être maintenu par les représentants de l’État qui ont la légitimité et la compétence pour aborder la complexité des problèmes contemporains, ce que le public et les groupes d’intérêts n’ont pas forcément (DAY, 1997; MCDANIELS et al., 1999; GREEN et PENNING-ROWSELL, 2011). Les priorités d'action collective des experts sont jugées comme étant plus objectives et rationnelles que les perceptions du public, moins sophistiquées conceptuellement et techniquement (FIORINO, 1990). Selon cette conception, l’implication du public et de la société civile devrait tout au plus servir à informer le gouvernement pour que les choix politiques reflètent leurs volontés (FIORINO, 1990; MCDANIELS et al., 1999).
La littérature en général idéalise la participation et occulte le fait qu’elle peut être inappropriée et inutile pour les questions urgentes, peu sensible aux valeurs et dont la solution réside essentiellement dans des outils techniques et bureaucratiques (IRVIN et STANSBURY, 2004; EVERS et al., 2016). Par opportunisme politique, les processus participatifs mal structurés et biaisés ont pour effet de sacrifier la qualité technique des mécanismes de décisions (BEIERLE, 2002). L’intégration d’approches participatives inappropriées peut retarder ou même paralyser la prise de décision (BULKELEY et MOL, 2003). Les exercices participatifs peuvent aussi être perçus comme des cercles de parole inutiles qui réduisent l’efficacité du gouvernement et qui favorisent le maintien du statu quo en retardant considérablement les décisions politiques (IRVIN et STANSBURY, 2004; REED, 2008). En situation d’urgence, une structure décisionnelle complexe et horizontale peut s’avérer inefficace pour rendre rapidement des décisions (BOYER-VILLEMAIRE et al., 2014).
NEWIG et al. (2014) citent l’exemple de la municipalité de Grimma en Allemagne où le processus décisionnel participatif a considérablement retardé l’instauration de mesures de protection contre les inondations, ce qui s’est traduit par une amplification des dommages lors des crues historiques de 2013 en Europe centrale. Dans les situations où le mode de gestion en vigueur est efficace et jugé satisfaisant par les citoyens et la société civile, l’allocation d’énergie, de temps et de ressources supplémentaires pour la participation n’est pas indiquée. D’un point de vue purement pragmatique, la participation s’avère infructueuse et peut même être perçue comme un gaspillage de fonds publics si les retombées sont négligeables ou si les décisions sont les mêmes que celles que le gouvernement aurait prises de toute façon (ROWE et FREWER, 2000; IRVIN et STANSBURY, 2004; GREEN et PENNING-ROWSELL, 2011).
Les valeurs et les compétences des participants influencent les retombées de la participation. Les parties prenantes peuvent faire une utilisation inadéquate des données scientifiques si elles sont mal comprises (BEIERLE, 2002). Les ateliers délibératifs ont aussi tendance à négliger les aspects économiques des mesures et peuvent être critiqués pour le manque de pragmatisme (WMO, 2006). À l’opposé, la participation peut renforcer l’immobilisme en l’absence de conditions favorisant l’innovation. Les non-experts et les néophytes sont susceptibles de faire preuve de conservatisme et de réserve face à des options novatrices en doutant de leur potentiel de réalisation ou en craignant le caractère imprévisible des réformes (DAY, 1997; HISSCHEMÖLLER et al., 2001). Pour les enjeux environnementaux, il n’est pas garanti que les décisions découlant d’une démarche participative seront plus soucieuses de l’intégrité des écosystèmes, dépendamment des participants représentés et de leurs valeurs. Dans les communautés conservatrices centrées sur la croissance économique, la participation peut freiner la transition vers des approches de GIRI ou même mener à l’assouplissement des contraintes environnementales (BULKELEY et MOL, 2003; IRVIN et STANSBURY, 2004; DRAZKIEWICZ et al., 2015).
4.2. Limites individuelles
Le succès des approches participatives découle en grande partie de la motivation des parties prenantes à prendre part au processus (HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007). Cette volonté personnelle dépend de l’intérêt, des préoccupations et du niveau de connaissances en regard de la situation, de l’emploi du temps, des expériences antérieures de participation et de l’opinion envers l’initiateur (FIORINO, 1990; GREEN et PENNING-ROWSELL, 2011; THALER et LEVIN-KEITEL, 2016). Le sujet d’intérêt des gestionnaires devrait correspondre à celui des participants (HISSCHEMÖLLER et al., 2001). Si les participants sont invités à prendre part à un projet qui ne correspond pas à leurs valeurs ou à leurs besoins, leur opposition ou leur manque de motivation peut faire dérailler le processus (DAY, 1997; IRVIN et STANSBURY, 2004). Si l’implication des parties prenantes est sollicitée pour valider des orientations ou des décisions, cela doit être clairement mentionné pour éviter les déceptions (LAWRENCE, 2006; SINCLAIR et al., 2003; ROUILLARD et al., 2014). Si certains sont réticents à l’idée de s’impliquer dans une démarche superficielle sans influence réelle sur les décisions finales, pour d’autres, le simple fait d’être tenus informés est suffisant et ils ne souhaitent pas s’investir davantage (GLICKEN, 2000; TSENG et PENNING-ROWSELL, 2012; WEHN et al., 2015). En raison du travail ou des contraintes familiales, les citoyens ont peu de temps à accorder bénévolement pour des activités participatives et plusieurs préfèrent laisser le processus décisionnel aux fonctionnaires qu’ils financent via leurs impôts (IRVIN et STANSBURY, 2004).
Un des défis majeurs des démarches à long terme est de maintenir la motivation des participants tout au long du processus. Les approches axées sur la collaboration, le partenariat ou la délégation de pouvoir sont difficiles à implanter et nécessitent un engagement profond des parties prenantes ayant tendance à s’estomper au fil du temps (FERREYRA, 2006). Si le processus s’étire, le risque de désistement des participants augmente et ceux qui sont farouchement opposés au projet ont tendance à persister davantage (WMO, 2006). Un roulement important de participants nuit à la cohésion du groupe, au développement des relations de confiance et à l’efficacité du mécanisme puisque les nouveaux membres doivent rattraper certaines étapes du processus (REED, 2008). Bien que la culture de participation locale favorise généralement la motivation des citoyens à s’impliquer dans d’autres instances, ils peuvent aussi être réticents s’ils sont sursollicités. Un engagement trop demandant ou inapproprié peut mener à la confusion, à l’épuisement et à une attitude défensive (ROWE et FREWER, 2000).
En gestion de l’environnement et des risques naturels, la complexité multidimensionnelle et transdisciplinaire des enjeux rebute les néophytes à s’impliquer dans une démarche participative (FIORINO, 1990). Sans stratégie de transfert de connaissances au préalable, les citoyens n’ont pas les capacités nécessaires pour se prononcer judicieusement sur des enjeux complexes (DAY, 1997). Le niveau de connaissance nécessaire pour que les non-experts soient en mesure de poser un regard juste et réfléchi sur une situation donnée est souvent trop élevé pour que leur implication soit envisageable. Dans les forums ouverts, les délégués des organisations ont le temps et les capacités pour étoffer leurs revendications, contrairement aux citoyens qui doivent faire face à deux obstacles majeurs : se libérer de leur emploi du temps et formuler un argumentaire malgré des compétences communicationnelles déficientes et une compréhension partielle des enjeux (IRVIN et STANSBURY, 2004).
Malgré les menaces évidentes que représentent les aléas naturels pour la population, les gestionnaires ont généralement de la difficulté à susciter l’implication du public pour la mitigation des risques. Les non-experts doutent de leur capacité à contribuer quand les enjeux sont abordés essentiellement de manière technique par des ingénieurs et des concepteurs d’infrastructures (GODSCHALK et al., 2003). Les citoyens et les acteurs locaux ont tendance à se mobiliser davantage pour des enjeux très locaux, voire à l’échelle du quartier ou du voisinage, tandis que la gestion des risques naturels est généralement du ressort des gouvernements nationaux (GODSCHALK et al., 2003; MAYNARD, 2013). Cette distance morale et géographique ne favorise pas l’appropriation des politiques à l’échelle locale, à moins que les ressources nécessaires soient allouées pour l’empowerment des communautés et la décentralisation de certains aspects de la GIRI (BOYER-VILLEMAIRE et al., 2014). En GIRI, la perception du risque est également un facteur déterminant dans la motivation des parties prenantes à s’engager dans une démarche participative (FLEISCHHAUER et al., 2012; GODSCHALK et al., 2003; WEHN et al., 2015). Sans sentiment d’urgence lié à des catastrophes récentes, les inondations constituent rarement une priorité pour les citoyens et les acteurs locaux (LANE et al., 2013; WARNER et al., 2013; ALBRIGHT et CROW, 2015). Ceux-ci ont d’ailleurs tendance à croire qu’une fois les passées, les crues extrêmes ne se reproduiront plus (TSENG et PENNING-ROWSELL, 2012). Redoutant l’éventualité d’être appelés à quitter leur milieu de vie, certains riverains peuvent même faire preuve de dissonance cognitive en banalisant l’existence du risque (FLEISCHHAUER et al., 2012). Le manque de compréhension et de sensibilisation face aux aléas fluviaux suscite le déni, l’indifférence et l’inaction. Les meilleurs plans de GIRI peuvent être mis au rancart si les parties prenantes persistent à nier l’importance du risque. En plus de l’absence d’une culture du risque, GOUTX (2014) attribue le manque d’engouement envers la prévention des inondations à un sentiment de déresponsabilisation alimenté par la générosité des programmes d’aide aux sinistrés et à l’absence de mécanismes sanctionnant les comportements irresponsables.
Pour favoriser l’implication citoyenne en GIRI, il est d’abord essentiel de sensibiliser la population aux spécificités locales du risque (GODSCHALK et al., 2003; WMO, 2006). La diffusion des cartes de zonage, de l’historique des désastres et des instructions en cas de sinistres dans les médias, sur internet et dans les lieux publics, encourage des comportements plus responsables en regard aux risques (GODSCHALK et al., 2003; VAN ALPHEN et LODDER, 2006). Les efforts de conscientisation se traduisent généralement par une plus grande affluence aux activités participatives et à un meilleur appui pour la mise en oeuvre des mesures visant le développement de communautés plus sécuritaires et résilientes. Pour susciter l’intérêt des parties prenantes, GODSCHALK et al. (2003) proposent d’ailleurs de concilier la gestion du risque avec des mesures positives d’amélioration de la qualité de vie, en citant par exemple la création d’un parc naturel en bordure d’une rivière où les constructions sont interdites. L’information des citoyens à un niveau trop précoce dans le processus d’évaluation du risque peut toutefois provoquer la grogne populaire par crainte de la dépréciation de la valeur des terrains riverains et de la relocalisation d’habitations à risque (FLEISCHHAUER et al., 2012). À l’instar des stratégies participatives, les campagnes de communication doivent être déployées dans une fenêtre d’opportunité optimale, par exemple à la suite d’un désastre ou lors de la révision des plans d’aménagement (GODSCHALK et al., 2003).
4.3. Limites représentationnelles
Le manque de représentativité des parties prenantes invitées à se joindre au processus est l’un des principaux facteurs limitant la portée des approches participatives. L’analyse et la sélection des parties prenantes doivent porter une attention particulière sur les individus et les groupes désavantagés ou sous-représentés, d’autant plus qu’ils sont susceptibles d’être davantage affectés par les décisions (IRVIN et STANSBURY, 2004; BARBIER, 2005; HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007; TSENG et PENNING-ROWSELL, 2012). En GIRI, la représentativité des parties prenantes affectées directement et indirectement par les inondations doit être assurée de même que celles des individus et des groupes qui sont concernés par l’instauration des mesures structurelles et non structurelles à l’échelle du bassin versant (WMO, 2006). Les acteurs des différents paliers gouvernementaux ayant juridiction sur la sécurité publique, l’aménagement du territoire et la gestion de l’eau devraient prendre part aux élans collaboratifs des communautés.
L’ensemble des intérêts et des perspectives en regard d’un enjeu devrait théoriquement être représenté pour assurer la légitimité de la démarche participative (FUNG, 2006). Toutefois, les assemblages d’individus où chacun représente un point de vue spécifique engendrent la possibilité que l’opinion et les intérêts de la majorité soient dilués (ROWE et FREWER, 2000). Les questions globales concernant un vaste territoire, comme la prise en charge des enjeux d’inondation à l’échelle d’un bassin versant, impliquent une variété importante d’intérêts et de perceptions qui complique considérablement la quête d’un échantillon représentatif (IRVIN et STANSBURY, 2004; MAYNARD, 2013). D’un point de vue technique et opérationnel, l’initiateur doit assurer l’équilibre entre le nombre de participants et la représentativité des intérêts (ROWE et FREWER, 2000). DAY (1997) souligne d’ailleurs qu’une trop grande diversité de points de vue peut paraître comme un « bruit de fond » à travers duquel les décideurs sont incapables de déceler un signal quelconque et d’y répondre efficacement.
Les exercices participatifs ouverts à tous font l’objet de critiques quant à leur manque de représentativité de la pluralité de la société. Ces activités publiques attirent généralement peu de citoyens et ce sont statistiquement les individus les mieux nantis, les plus éduqués, les plus politisés et les plus âgés qui ont tendance à se présenter (FIORINO, 1990; DAY, 1997; IRVIN et STANSBURY, 2004; HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007). En plus, les individus ont intuitivement tendance à faire valoir leurs propres intérêts au détriment du bien commun (DAY, 1997; MCDANIELS et al., 1999). Les audiences publiques peuvent d’ailleurs constituer une opportunité supplémentaire pour les groupes d’intérêt d’influencer le gouvernement (FIORINO, 1990). Sous le prétexte d’une démarche collaborative, une administration préalablement efficace et légitime peut être substituée par un groupe consensuel biaisé par la surreprésentation d’acteurs politiques ou économiques puissants (IRVIN et STANSBURY, 2004; AHRENS et RUDOLPH, 2006). Selon FERREYRA (2006), ce sont les entités organisées possédant l’expertise, les ressources et le langage opérationnel, comme les ONG environnementales et les entreprises, qui tirent avantage des nouvelles avenues de la participation.
Un processus consultatif exclusif composé d’acteurs triés sur le volet peut mener à des résultats satisfaisants ou consensuels, sans refléter nécessairement la volonté du public (BEIERLE et KONISKY, 2000; GODSCHALK et al., 2003). Les mécanismes restreints à un groupe privilégié et homogène empêchent d’ailleurs l’innovation par idées nouvelles et externes (BEIERLE et KONISKY, 2000; ALBRIGHT et CROW, 2015). En conviant principalement des acteurs au comportement prévisible et dont l’opinion est favorable à l’initiateur, l’exercice est réduit à une opération de relations publiques aux résultats biaisés qui ne font qu’amplifier les déséquilibres de pouvoir (REED, 2008; ROUILLARD et al., 2014). Les décisions peuvent aussi être le reflet d’un noyau de participants dominants, agressifs ou acariâtres ayant réussi à forcer le consensus en leur faveur. En outre, même si les intérêts sont balancés, l’effet de groupe peut mener à la consolidation de conceptions biaisées ou erronées (MCDANIELS et al., 1999).
4.4. Limites institutionnelles
Au niveau politique ou organisationnel, l’une des barrières fondamentales à l’institutionnalisation de la participation relève de la réticence à partager le pouvoir (TSENG et PENNING-ROWSELL, 2012; THALER et LEVIN-KEITEL, 2016). La transition d’un modèle décisionnel essentiellement top-down vers une gouvernance intégrant des composantes bottom-up peut s’avérer particulièrement difficile dans les milieux aux traditions administratives dogmatiques n’ayant pas l’habitude de collaborer avec la société civile (WMO, 2006; FLEISCHHAUER et al., 2012). Le partage des responsabilités et du pouvoir décisionnel avec les parties prenantes favorise l’appropriation locale des stratégies de GIRI et est considéré par plusieurs comme étant essentiel pour le développement de communautés résilientes aux inondations (BULKELEY et MOL, 2003; LACHAPPELLE et MCCOOL, 2005). Toutefois, les gestionnaires peuvent être réfractaires à ces formes actives de participation si les aboutissants ne peuvent être prévisibles et entièrement contrôlés (REED, 2008). Sur le plan politique, les élus sont hésitants face à l’instauration d’un modèle de gouvernance collaborative dont le fonctionnement, se situant en marge de la démocratie représentative, peut interférer avec les visées politiques (ORR et al., 2016).
L’institutionnalisation de la collaboration constitue une forme de gouvernance top-down commandée par l’État. À travers le monde, de plus en plus de cadres législatifs exigent des structures plus ou moins intensives de participation dans l’élaboration des politiques concernant les risques environnementaux. Comme ces structures impliquent la redistribution de responsabilités ou de certains pouvoirs, l’État cherche à encadrer étroitement les objectifs et le fonctionnement opérationnel (NEWIG et al., 2014). Dès leur planification, les modèles collaboratifs descendants sont uniformisés pour assurer une gestion efficace à l’échelle nationale, et ce, sans nécessairement consulter les acteurs locaux à qui l’on confie l’opérationnalisation (MILOT, 2009; ORR et al., 2016). Dépendamment de la souplesse du cadre institutionnel, l’instauration de modèles collaboratifs peut résulter en une grande variabilité dans les réponses locales, pouvant même se traduire par la création de nouvelles institutions. Ainsi, la réappropriation des directives constitue un enjeu considérable pour le gouvernement selon le niveau d’uniformisation escompté à l’échelle nationale (MILOT, 2009).
Au moment du déploiement des approches institutionnalisées, un manque de directives concrètes et de support ralentit la portée réelle des orientations politiques, aussi visionnaires qu'elles puissent être (LAWRENCE, 2006; MERZ et al., 2010; NEWIG et al., 2014). Les agences responsables doivent généralement interpréter les orientations nationales sans cadre normatif précis. Elles ont ainsi la responsabilité de déterminer selon leurs propres critères ceux qu’elles qualifient de parties prenantes et la manière dont elles les impliquent (NEWIG et al., 2014; THALER et LEVIN-KEITEL, 2016). Cela se traduit couramment par des processus de communication unidirectionnels sollicitant les participants de manière tardive et superficielle sous la forme de sondages et de soirées de consultation (TSENG et PENNING-ROWSELL, 2012; MAYNARD, 2013; BOYER-VILLEMAIRE et al., 2014). Cette vision technocratique de la participation réduit l’exercice à une opportunité additionnelle pour le gouvernement de récolter des données (LACHAPPELLE et MCCOOL, 2005), en plus de limiter considérablement les retombées sociales de la participation et d’entretenir le déficit démocratique (REED, 2008). De plus, les participants sont souvent conviés à des exercices très rigides et modelés selon une conception étroite de l’enjeu en question. Une activité participative devrait pouvoir s'étendre au-delà des questions prédéfinies (ROWE et FREWER, 2000; BARBIER, 2005). En GIRI, les ateliers participatifs constituent une occasion pour les parties prenantes de réfléchir non seulement aux enjeux de sécurité, mais aussi aux questions sociopolitiques et environnementales plus larges comme la gouvernance de l’eau, la protection et la valorisation des corridors fluviaux et l’aménagement durable du territoire (WMO, 2006; VERKERK et VAN BUUREN, 2013).
La culture des agences gouvernementales est marquée par de profonds ancrages opérationnels difficilement ébranlables face aux approches novatrices et aux nouvelles connaissances (TSENG et PENNING-ROWSELL, 2012). Certains auteurs considèrent l’appareil étatique comme étant trop lourd et segmenté pour fournir la flexibilité nécessaire de façon à assurer l’efficacité du dialogue entre les bureaucrates et les parties prenantes et à réagir promptement aux aboutissants des processus participatifs (DAY, 1997; THALER et LEVIN-KEITEL, 2016). Les processus participatifs à l’échelle locale génèrent des réponses différentes d’une communauté à l’autre qui s’avèrent difficilement récupérables par les autorités fortement centralisées (GLICKEN, 2000). Les départements et les ministères responsables de la sécurité nationale, et conséquemment de la gestion des risques, sont caractérisés par une forte tradition autoritariste et un fonctionnement organisationnel opaque (BOYER-VILLEMAIRE et al., 2014). De plus, la transition vers les principes de GIRI et les mesures non structurelles est ralentie aux instances supérieures par des noyaux d’ingénieurs qui n’abordaient jusqu’à tout récemment la question des inondations strictement qu’avec des infrastructures lourdes (GREEN, 2011; NYE et al., 2011). Selon NYE et al. (2011), le défi de l’intégration des approches participatives en GIRI repose davantage sur un renouvellement radical de la culture institutionnelle que sur de simples apprentissages organisationnels. Cependant, les situations catastrophiques perturbent le statu quo et constituent une fenêtre d’opportunité pour la révision des modes de gestion traditionalistes en incluant de nouvelles perspectives (MAYNARD, 2013; WARNER et al., 2013). Des études empiriques soulignent que les inondations extrêmes sont des catalyseurs de changement et sont corrélées dans le temps avec des réformes majeures en gestion des risques d’inondation (JOHNSON et al., 2005; NOHRSTEDT et WEIBLE, 2010; NYE et al., 2011; LANE et al., 2013). La pression exercée par la grogne populaire et par l’attention médiatique dans un contexte de crise génère un comportement politique réactif qui se traduit de plus en plus par un changement de vision et par l’adoption de stratégies proactives de GIRI (SAMUELS et al., 2006; MERZ et al., 2010). Enfin, l’allocation de nouvelles ressources peut accélérer l’implantation de méthodes alternatives de mitigation et favoriser le développement des approches participatives (LANE et al., 2013; ALBRIGHT et CROW, 2015). À titre d’exemple, la Ville de Saint-Raymond au Québec a mis sur pied, à la suite des inondations majeures d’avril 2014, un « Comité Rivière » pour impliquer les citoyens dans la prise de décision concernant la mitigation des risques associés aux crues récurrentes de la rivière Sainte-Anne (VILLE DE SAINT-RAYMOND, 2017).
Les organisations traditionalistes peuvent être réticentes aux modes de décision participatifs en raison des coûts et des ressources supplémentaires qu’ils nécessitent. La collaboration de multiples acteurs requiert également plus de temps comparativement à la prise de décision directe et autoritaire (TSENG et PENNING-ROWSELL, 2012). Pour atteindre les objectifs tout en maximisant les retombées pour les participants, les ressources financières, matérielles et humaines nécessaires doivent être prévues (ROWE et FREWER, 2000; HISSCHEMÖLLER et al., 2001). Un simple exercice comptable peut facilement décourager la classe dirigeante à intégrer les nouvelles approches, car celui-ci néglige en général les effets positifs de la participation sur la mise en oeuvre tout comme les retombées sociales difficilement chiffrables (IRVIN et STANSBURY, 2004). Dans un contexte généralisé de restrictions budgétaires, l’allocation de ressources pour les démarches participatives aux retombées incertaines peut amputer le budget voué à la mise en oeuvre ou à d’autres fonctions aux effets tangibles sur le terrain. Toutefois, si une solution imposée s’annonce impopulaire dès le départ, les coûts supplémentaires pour la participation peuvent être rentables pour éviter un rejet catégorique des citoyens (IRVIN et STANSBURY, 2004).
Le déficit en personnel ayant de l’expérience théorique et pratique dans l’élaboration et l’exécution de processus participatifs constitue aussi un frein majeur à l’essor de la participation (NYE et al., 2011). Les organisations hésitent à se tourner vers des spécialistes et préfèrent confier la tâche à des techniciens sans formation pour économiser des ressources (TSENG et PENNING-ROWSELL, 2012). L’animation des activités participatives devrait être confiée à un facilitateur expérimenté, compétent et idéalement impartial (IRVIN et STANSBURY, 2004; BLACKSTOCK et al. 2007; REED, 2008). Le succès de la participation repose grandement sur les aptitudes du facilitateur à bien gérer les échanges, à faire ressortir les éléments importants et à vulgariser les aspects techniques si nécessaire (ROWE et FREWER, 2000; SINCLAIR et al., 2003; HURLBERT et GUPTA, 2015). La participation implique la confrontation des idées, des perceptions et des valeurs des individus autour de sujets parfois controversés et fortement émotifs (GLICKEN, 2000). En l’absence d’un modérateur compétent capable de gérer les échanges, un exercice tumultueux ou chaotique peut rapidement diverger des objectifs initialement fixés. Il est aussi important de gérer les individus puissants qui tenteraient d’imposer leurs points de vue par un ton agressif ou condescendant (REED, 2008).
Quant aux initiatives communautaires non institutionnalisées, la portée de l’action collective dépend en grande partie des relations de pouvoir entre les niveaux local et national de gouvernance (THALER et LEVIN-KEITEL, 2016). La reconnaissance de la légitimité des modèles participatifs bottom-up par les paliers supérieurs de gouvernement est cruciale, puisque ceux-ci autorisent généralement les démarches et allouent les ressources nécessaires (WMO, 2006; ORR et al., 2016). Le manque d’engagement des hautes instances de décision nuit à la portée des initiatives locales. Il est d’ailleurs fréquent que la représentation du gouvernement dans les structures de concertation soit assurée par un délégué relayant la position officielle et n’ayant aucune latitude pour négocier des compromis avec les parties prenantes (REED, 2008). En GIRI, les efforts collaboratifs à l’échelle locale peuvent être freinés par des politiques nationales centralisatrices et par les réticences ou les projets structurels des collectivités ailleurs dans le bassin versant. La concertation des acteurs dans les bassins transfrontaliers et même interrégionaux est d’ailleurs particulièrement difficile (WMO, 2006).
Enfin, les principales limites décisionnelles, individuelles, représentationnelles et institutionnelles attribuables aux approches participatives sont résumées dans le tableau 2. Il apparaît alors que plusieurs des facteurs les plus persistants à l’opérationnalisation des approches participatives relèvent de la culture organisationnelle des instances en charge de la prise de décision concernant la gestion des inondations. Le renouvellement de la culture de ces organisations est une opération d’une envergure extrêmement complexe, fastidieuse et souvent peu envisageable. Pour favoriser l’ouverture du mécanisme décisionnel et tirer profit des retombées normatives, pragmatiques et instrumentales de la participation, les approches participatives devraient dans un premier temps s’insérer de manière synergique avec les autres formes d’administration (FUNG, 2006).
5. Conclusion
La nature multidimensionnelle et interdisciplinaire de la GIRI imposée par le caractère aléatoire des inondations, la variabilité spatiale du risque, les objectifs conflictuels et le croisement des compétences législatives pose des défis pour les gestionnaires qui doivent assurer la coopération de l’ensemble des acteurs concernés. La collaboration des acteurs gouvernementaux et de la société civile de même que la participation citoyenne sont indissociables d'une véritable gestion durable et intégrée des territoires dans une optique de réduction de la vulnérabilité face aux événements hydrologiques extrêmes appelés à être amplifiés dans le futur (WMO, 2006; NYE et al., 2011). L'intégration de volets participatifs dans le processus décisionnel permet d'améliorer la qualité et la portée des mesures de GIRI, d'assurer une synergie avec les efforts de protection de l'environnement et d'aménagement durable du territoire, en plus de conscientiser la population à l'importance des stratégies d’adaptation. Réalisées avec une philosophie d’équité et d’empowerment, les formes de participation actives et extensives favorisent le développement des capacités personnelles et sociales des participants en plus de promouvoir l’engagement citoyen (REED, 2008). Les bénéfices de la participation sont des plus en plus reconnus par les gestionnaires et les chercheurs, pourvu que les conditions optimales soient favorisées, que les exercices soient empreints d’honnêteté et de transparence et qu’ils soient axés sur l'émancipation des participants et non uniquement sur les visées instrumentales de l'initiateur.
De nombreuses limites ont été précédemment exposées afin de nuancer et de contrebalancer la surexposition des prétentions positives de la participation. Plusieurs de ces limites peuvent toutefois être considérées comme des défis pouvant être surmontés par un renouvellement de la culture des agences gouvernementales responsables de la gestion des risques et en confiant les processus participatifs à des professionnels expérimentés. L’essor des approches participatives est freiné par un manque de volonté politique et par des ancrages institutionnels peu réactifs aux mécanismes innovants et aux nouvelles connaissances scientifiques (NYE et al., 2011). En GIRI, le déficit d’intérêt des participants ou l’absence d’un sentiment d’urgence compliquent les efforts menés pour impliquer les parties prenantes et les citoyens dans la planification des mesures de mitigation. Dans les communautés dépourvues d’une culture du risque, les efforts devraient être concentrés dans un premier temps sur le conditionnement de la perception du risque au moyen de campagnes interactives de sensibilisation (GODSCHALK et al., 2003). La communication efficace des caractéristiques de l’aléa et de la vulnérabilité est une étape fondamentale à la responsabilisation des communautés et à l’appropriation citoyenne des mesures de GIRI.
À travers l’Union européenne, l’opérationnalisation de la Directive - Inondation implique la réappropriation des principes généraux de GIRI par chacun des 28 États membres, ce qui donne lieu à une variété impressionnante de réponses territorialisées selon les particularités politiques et socioculturelles propres à chaque nation. Le cadre législatif exigeait le dépôt des premiers en décembre 2015. Le contenu doit notamment expliciter la nature et les modalités des mécanismes participatifs déployés et préciser comment les considérations exprimées par les parties prenantes ont façonné les orientations de GIRI (HENSEN et MÄENPÄÄ, 2007; DROBENKO, 2010). Tel que souligné par NEWIG et al. (2014), la divulgation simultanée des 28 PGRI constitue une opportunité sans précédent pour les chercheurs s'intéressant à la gouvernance et à la participation en GIRI d’analyser la diversité des réponses nationales à l’égard des standards européens, de comparer l’efficacité des méthodes préconisées et de documenter les défis de l’arrimage des Directives avec les législations nationales. Pour le moment, le corpus scientifique sur la participation appliquée à la gestion des risques naturels est relativement restreint comparativement aux domaines de la gestion de l’environnement et de l’aménagement et du développement territorial (BOYER-VILLEMAIRE et al., 2014; CHALLIES et al., 2016). L’important volume de publications scientifiques à prévoir en réaction au dépôt des PGRI pourrait permettre de mieux comprendre les conditions favorables au succès de la participation en GIRI et de procurer des outils aux gestionnaires pour optimiser les processus, garantir la qualité de décisions et susciter l’engagement des participants (NEWIG et al., 2014).
Enfin, la réalisation d’une méta-analyse qualitative ou quantitative de la littérature faisant état des expériences participatives en GIRI serait fort pertinente pour éclairer la communauté scientifique, les praticiens et les décideurs sur les conditions nécessaires pour favoriser les retombées positives de la participation selon le contexte d’implantation, soit au niveau politique, organisationnel ou de l’action collective. Tel que souligné par MARGERUM (2011), il peut être laborieux de poser des constats généralisés à propos des retombées et des limites de la participation sans considérer de manière étroite le contexte dans lequel elle se déploie.
Appendices
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier Normand Bergeron de l’Institut national de la recherche scientifique, Mario Gauthier de l’Université du Québec en Outaouais et Philippe Juneau de l’Université du Québec à Montréal pour leurs commentaires constructifs sur une première version de cet article.
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