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1. Introduction

Les réserves en eau souterraine de la nappe de Bonoua, Côte d’Ivoire, estimées à 13,9 milliards de mètres cubes (AKE, 2001), sont actuellement exploitées pour couvrir les besoins en eau potable tant de Bonoua et Grand Bassam, que ceux de la ville d’Abidjan dans sa partie sud (Treichville, Marcory, Koumassi et Port-Bouët). La qualité de cette ressource en eau est néanmoins mise à rude épreuve, à cause de la croissance des sources de pollution tant ponctuelles que diffuses (AKE, 2010). En effet, la région de Bonoua fait actuellement l’objet de nombreux investissements, notamment pour développer les ressources agricoles. Elle connaît une diversité de cultures agro-industrielles, telles que l’ananas, la banane douce, le palmier à huile et, plus récemment, l’hévéa. Mais, les intrants qui garantissent la productivité agricole constituent une menace de pollution pour la nappe (AKE, 2010). Plusieurs travaux ont déjà été réalisés dans la région pour la protection de la nappe de Bonoua, notamment ceux de JOURDA et al. (2007), AKE et al. (2009), ANOH (2009) et AKE et al. (2010). Or, cette nappe, qui représente beaucoup d’espoir en termes d’exploitation de la nappe du Continental Terminal ivoirien, ne doit pas connaître les mêmes revers rencontrés au niveau d’Abidjan où la pollution de certains forages a conduit à leur abandon. À cet égard, l’un des paramètres clé à la pérennisation de la nappe de Bonoua, à savoir la recharge, constitue actuellement l’une des préoccupations majeures de la communauté scientifique et des décideurs. Elle conditionne le bon renouvellement et la protection de cette ressource en eau souterraine. En effet, sans recharge, il n’y a pas de ressources en eau souterraine durablement exploitable. Dans ces conditions, assurer l’alimentation en eau potable des populations deviendra problématique.

L’évaluation de la recharge des nappes d’eau souterraine est sans aucun doute l’un des paramètres les plus pertinents, mais aussi le plus difficile à estimer et diverses approches ont été envisagées (SCANLON et al. 2002; SOPHOCLEOUS, 2004; ANDREO et al. 2008).

Il apparaît donc que, malgré les nombreuses études et les différentes approches utilisées, la détermination des flux de recharge reste pleine d'incertitudes. Ceci met en relief la nécessité d’appliquer des techniques variées pour accroître la validité des estimations de la recharge (HAOUCHINE et al. 2010). C’est dans ce but que cette étude a été entreprise avec l’objectif de connaître la répartition spatiale des zones de recharge de la nappe de Bonoua dans l’optique d’une gestion durable. Elle intègre dans sa démarche la combinaison de données multisources dans un SIG couplée à l’analyse multicritère de SAATY (1980) pour déterminer les poids des différents paramètres intervenant dans la détermination des zones de recharge de la nappe. Elle constitue une proposition d’analyse spatiale pour améliorer l’estimation de la recharge et fournir des évaluations qualitatives de sa distribution spatiale.

2. Présentation de la zone d’étude

La zone d’étude est située au sud-est de la Côte d’Ivoire et recoupe les territoires des départements de Grand-Bassam, Alépé, Adiaké et Aboisso. Elle couvre une superficie de 2 165 km2. Comprise entre les longitudes 3°12' et 3°45' Ouest et les latitudes 5°07' et 5°33' Nord, elle est limitée au sud par l’océan Atlantique, au nord par l’affleurement du socle cristallin, à l’ouest par le système lagunaire Aghien-Potou, à l’est par la lagune Aby et la rivière Bia (Figure 1).

Figure 1

Présentation de la zone d’étude

Presentation of the study area

Présentation de la zone d’étude

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La végétation très hétérogène de la région, passe des forêts denses humides sempervirentes à une végétation de type savane (LENEUF, 1959; GUILLAUMET et ADJANOHOUN, 1971). Dans l’ensemble, cette végétation est abondamment transformée par des cultures industrielles (palmiers à huile, ananas, bananeraies et hévéa) et des cultures vivrières (manioc, igname, banane plantain, etc.).

Sur le plan hydrographique, la zone d’étude est drainée par des cours d’eau pérennes tels que le fleuve Comoé et les rivières Bia, Mé, Soumié et Toumanguié. Ils débouchent tous sur des lagunes : Ouladine, Potou, Ebrié, Aby, Kodjoboué, Hébé, Adjin et Ono.

La zone d’étude appartient au régime équatorial de transition, avec deux saisons des pluies et deux saisons sèches (AKE, 2010). Elle est bien arrosée, avec une pluviométrie moyenne annuelle de 1 710 mm (AKE, 2010). Cette situation constitue une condition importante pour la recharge de la nappe souterraine (BANTON et BANGOY, 1997).

Deux cas de figure se présentent sur le plan hydrogéologique. D’un côté, les altérites observées sur les schistes du substratum renferment les aquifères de fissures dans l’extrême nord de la zone d’étude. De l’autre côté, la partie sud est occupée par les aquifères sédimentaires du Quaternaire et du Continental Terminal, d’âge mio-pliocène (TASTET, 1979). L’aquifère principal assurant l’alimentation en eau potable de la population est celui du Continental Terminal. C’est un aquifère libre en général et captif en certains endroits en fonction de la lithologie des terrains qui le surmontent.

3. Matériel et méthodes

3.1. Matériel et données

Le matériel utilisé est composé de données cartographiques et d'images satellitaires. Les documents cartographiques exploités sont l'esquisse pédologique de la Côte d'Ivoire, feuille sud-est à l’échelle 1/500 000 (PERRAUD et DE LA SOUCHERE, 1971) et la carte géologique du degré carré de Grand-Bassam au 1/200 000 (DELOR et al., 1992). Les images satellitaires sont de deux types :

  • l’image Shuttle Radar Topography Mission (SRTM) de coordonnées N05W004, du 11 au 22 février 2000, de la navette spatiale Endeavour (STS-99), obtenue sur le site Earth Explorer (USGS, 2017). Son traitement a permis d'établir un modèle numérique d'altitude (MNA) de résolution 30 m et les cartes des pentes et de densité de drainage;

  • l'image LANDSAT OLI de la scène 195-056 acquise le 6 janvier 2016. Son exploitation a abouti à la caractérisation de l'occupation du sol.

Le traitement des données a été effectué avec les logiciels ENVI 5.1 (traitement des images satellitaires) et ArcGIS 10.2.2 (mise en place du SIG). À l’issue de ces traitements, une base de données physiques de la zone d'étude a été constituée pour la cartographie des zones de recharge de la nappe de Bonoua.

3.2. Méthode

La méthodologie adoptée dans cette étude a consisté à croiser les informations spatiales relatives aux différents facteurs régissant la recharge des aquifères. Ceux-ci sont d’abord étudiés séparément et appréciés selon leur rôle dans l’infiltration puis une carte thématique est alors établie pour chaque paramètre. Une classification est ainsi définie pour chacun d’eux et une cote est affectée à chaque classe. Par la suite, des poids sont attribués aux paramètres selon leur degré d’implication dans le phénomène d’infiltration.

Quatre étapes ont été jugées nécessaires dans le processus à savoir : 1) l’identification des paramètres, 2) la cartographie et la reclassification des paramètres, 3) la pondération par analyse multicritère de Saaty et 4) la détermination des zones potentielles de recharge. Cette même démarche a été adoptée par d’autres auteurs notamment SEKOUBA et al. (2014) et EDOUKOU et al. (2016).

3.2.1. Identification des paramètres définissant l’infiltration

Les travaux de HAOUCHINE et al. (2010) et SEKOUBA et al. (2014) indiquent que les facteurs contribuant à la définition des zones potentielles de recharge des aquifères à l'échelle régionale sont : les types de sols, les types d'occupation du sol, la géologie, la pente et la densité de drainage. Ce sont des paramètres très variés ayant trait aux caractéristiques du milieu et aux processus hydrologiques. Certains auteurs, notamment, SALEY (2003) et KOUDOU et al. (2013) incluent la carte de fracturation, de perméabilité et celle d’épaisseur d’altération, adaptée pour les zones de socle. Tel n’est pas le cas pour la zone de Bonoua située dans un bassin sédimentaire.

3.2.2. Cartographie des paramètres et reclassification

3.2.2.1. Occupation du sol

La carte d'occupation du sol a été établie à partir de la classification de l'image Landsat OLI de la scène 195-056 obtenue le 6 janvier 2016. La classification a débuté par l'analyse visuelle des différents indices de télédétection calculés (NDVI, BI et WI) et des compositions colorées (analyse en composantes principales (ACP), elle concerne les bandes Landsat OLI 5, 6 et 7. Elle a été suivie par l'extraction manuelle des thèmes carto-topographiques (réseau hydrographique, routes, habitats, etc.) et par la délimitation des autres classes. Par la suite, la validation de la nomenclature de certaines classes proposées a été faite sur le terrain.

Les compositions colorées ont permis de discriminer six classes d'occupation du sol : 1) forêt dense se présentant sous forme d’ilots de forêt; 2) mosaïque forêt-culture; 3) mosaïque culture-jachère; 4) cultures industrielles (1- hévéa, 2- palmier à huile et 3- cocoteraie); 5) sols nus et zones urbaines; 6) eau (Figure 2). Notons que la mosaïque forêt-culture regroupe aussi les plantations agro-industrielles d’hévéa de Bongo situées au nord de la zone d’étude.

Figure 2

Carte d’occupation du sol de la région de Bonoua

Land use map of the Bonoua region

Carte d’occupation du sol de la région de Bonoua

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La classification dirigée de l'image Landsat OLI a été effectuée par la méthode du maximum de vraisemblance. Cette méthode est très utilisée et est considérée comme la plus performante dans la production des cartes d'occupation du sol (BONN et ROCHON, 1992). Les informations recueillies ont été confrontées par la suite aux données de terrain, à la carte d’occupation du sol élaborée par AKE, (2010) et à la matrice de confusion. Calculée à partir des pixels correctement/incorrectement classifiés dans les zones de validation, cette matrice est supposée représentative de la précision de la classification de l’ensemble de l’image (DENIS, 2013).

Une amélioration de la classification par un filtre médian 3 x 3 a été appliquée aux différentes images classifiées pour éliminer les pixels isolés et adoucir les contours des différentes classes obtenues. Elle a permis l'élaboration de la carte d'occupation du sol de 2016 de la région de Bonoua.

3.2.2.2. Topographie

La carte des pentes (Figure 3) a été établie à partir du MNA de la Côte d’Ivoire issue des images satellitaires SRTM de résolution 30 m. La carte des pentes obtenue à partir du MNA indique que, dans la région de Bonoua, le relief est généralement monotone, caractéristique du littoral ivoirien. La carte des pentes ainsi obtenue présente quatre classes de pentes (0-1 %, 1-5 %, 5-10 % et >10 %) et indique que la région de Bonoua est dominée par les pentes inférieures à 5 %. La valeur des pentes (α) varie de 0 à 78 %.

Figure 3

Carte des pentes de la région de Bonoua

Slope map of the Bonoua region

Carte des pentes de la région de Bonoua

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3.2.2.3. Établissement de la carte de type de sols

La carte de type de sol a été obtenue par numérisation de la carte pédologique du sud-est de la Côte d’Ivoire (PERRAUD et DE LA SOUCHERE, 1971) au 1/500 000. À partir de cette carte, le paramètre « types de sols » a été cartographié. Cinq types de sols sont distingués : les sols sur sables tertiaires, les plus abondants, ensuite les sols hydromorphes minéraux ou organiques, peu abondants, situés à proximité des cours d’eau, les sols sur sables quaternaires et marins, très peu abondants, localisés dans le sud de la zone étudiée et enfin les sols ferrallitiques ou ferral-sols remaniés sur schistes, localisés dans le nord à Alépé.

3.2.2.4. Établissement de la carte de densité de drainage

La densité de drainage est définie comme le rapport de la longueur totale des cours d’eau d’un bassin versant sur la surface de ce bassin (RAMBERT, 1973). La carte des densités de drainage (Figure 4) a été réalisée à partir du réseau hydrographique du bassin versant obtenu grâce à la carte topographique avec l’outil Kernel Density du logiciel ArcGIS. La carte ainsi obtenue présente quatre grandes classes de densité, avec des densités élevées autour des cours d’eau et au niveau des croisements des affluents, qui diminuent au fur et à mesure qu’on s’éloigne des cours d’eau. Les valeurs de densité varient de 0,043 à 1,847 km∙km-2.

Figure 4

Carte de la densité de drainage de la région de Bonoua

Stream density map of the Bonoua region

Carte de la densité de drainage de la région de Bonoua

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3.2.2.5. Établissement de la carte des formations géologiques

La carte géologique (Figure 5) montrant les formations lithologiques est obtenue par numérisation de la carte géologique du degré carré de Grand-Bassam réalisée par DELOR et al. (1992). La région de Bonoua, située dans le bassin sédimentaire en général, présente une géologie simple : sables et vases quaternaires au sud de la faille des lagunes et sables argileux avec quelques niveaux d’argiles bigarrées du Continental Terminal au nord.

Figure 5

Carte géologique de la région de Bonoua

Geological map of the Bonoua region

Carte géologique de la région de Bonoua

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La carte obtenue présente les formations lithologiques suivantes, des couches inférieures à supérieures : les formations du Continental Terminal caractérisées par le sable, l’argile et les grès ferrugineux des hauts plateaux; les formations du Quaternaire, constituées des sables argileux des bas plateaux; celles du Pléistocène constitués de sable et argiles fluviatiles; les sables de cordons marins, les vases et sables lessivés, les vases des marécages permanents et enfin le socle cristallin constitué de gneiss fins à biotite et d’amphibolites. Ces différentes cartes thématiques ont été par la suite reclassifiées.

3.2.2.6. Reclassification des paramètres

L’évaluation des classes des différents paramètres a permis d’assigner des cotes. Cette méthode est basée sur l’affectation de notes aux différentes classes des paramètres retenus et jugés selon leur degré d’infiltration en définissant des intervalles.

Afin d’estimer les cotes des différents paramètres de façon homogène, une échelle a été élaborée sur la base des plages de variation des paramètres proposées par HAOUCHINE et al. (2010). La catégorisation des paramètres suivant cette échelle a permis d’obtenir les cotes de chaque classe, ceci pour tous les paramètres indépendamment les uns des autres. Le choix des cotes est fonction de l’influence de la classe sur l’infiltration et est mentionné au tableau 1.

Tableau 1

Cotes attribuées aux paramètres de recharge de la nappe de Bonoua

Scores assigned to the recharge parameters for the Bonoua aquifer

Cotes attribuées aux paramètres de recharge de la nappe de Bonoua

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La classification intraparamétrique ainsi réalisée de manière interdépendante a été suivie du croisement interparamétrique afin de déterminer les différents poids afférant par l’analyse multicritère de Saaty.

3.2.3. Détermination des poids des paramètres par la méthode d’analyse multicritère (AHP) de Saaty

La méthode utilisée pour déterminer les poids des différents paramètres est l’analyse multicritère Analytic Hierarchy Process (AHP) de SAATY (1980) qui est une méthode d’aide à la décision. C’est une méthode qui permet une détermination objective des poids ou coefficient de pondération par comparaison par paire. Il s’agit de procéder à une comparaison des différents facteurs pris deux à deux pour établir des matrices carrées qui permettent de déterminer les coefficients de pondération à partir des vecteurs propres de ces facteurs.

L’avis de quelques experts dans divers domaines afin de porter un jugement qualitatif selon une échelle de 1 à 10 (Tableau 2) a été requis, sur les paramètres influençant l’infiltration. Ces avis ont été comparés au raisonnement de HAOUCHINE et al. (2010) dans la détermination des zones de recharge, puis une adaptation a été faite à la région de Bonoua. Toutes ces analyses ont permis d’évaluer l’importance relative des paramètres les uns par rapport aux autres pour aboutir ensuite à une comparaison par paires des paramètres.

Tableau 2

Échelle d’évaluation des différents paramètres vis-à-vis de l’infiltration (HAOUCHINE et al., 2010)

Evaluation scale for several parameters influencing infiltration (HAOUCHINE et al., 2010)

Échelle d’évaluation des différents paramètres vis-à-vis de l’infiltration (HAOUCHINE et al., 2010)

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La matrice issue de la comparaison par paires des paramètres est consignée au tableau 3. L’élément de la colonne de gauche est comparé successivement à chaque élément de la ligne de la matrice. Si la comparaison n’est pas favorable à l’élément de la colonne de gauche par rapport à un élément de la ligne, l’appréciation est exprimée à l’aide d’une fraction, et dans le cas contraire, à l’aide d’un entier. On lit par exemple dans cette matrice que le paramètre S (sol) est considéré par les experts comme trois fois plus important pour le processus d’infiltration que le paramètre P (pente). Le calcul des coefficients de pondération (Cp) à partir des vecteurs propres de la matrice de hiérarchisation (voir détails dans ANOH et al., 2012) révèle que la valeur minimale de 0,04 correspond au poids des formations géologiques (donc moins importante dans le processus de recharge) et la valeur maximale de 0,47 correspond au poids de l’occupation du sol (Tableau 3).

Tableau 3

Matrice issue de la comparaison des différents paramètres (matrice originale)

Matrix obtained from the comparison of different parameters (original matrix)

Matrice issue de la comparaison des différents paramètres (matrice originale)

aOS : occupation du sol; S : type de sol; P : pente; D : densité de drainage; G : formation géologique

b Coefficient de pondération

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Au regard de tous ces jugements, le classement des paramètres retenus selon leur importance dans la recharge de la nappe de Bonoua est le suivant : OS > S > P > D > G (avec OS : occupation du sol, S : type de sol, P : pente, D : densité de drainage et G : formation géologique). L’occupation du sol est donc le paramètre jugé par les experts comme étant celui qui conditionne et influence le plus la recharge en milieu sédimentaire.

À la suite des comparaisons binaires, une vérification de la cohérence des jugements à travers l’établissement des priorités est nécessaire. En effet, l’établissement des priorités permet de synthétiser mathématiquement les appréciations afin de vérifier leur cohérence (ANOH et al., 2012).

La vérification de la cohérence des jugements ayant permis la construction de la matrice de hiérarchisation, nécessite le calcul du ratio de cohérence :

equation: 5040633n.jpg (1)

Ia est l’indice aléatoire qui, dans notre cas, est égal à 1,12 puisque la méthode est appliquée avec cinq critères (Tableau 4). Le calcul de l’indice de cohérence Ic est détaillé dans ANOH et al. (2012). Dans notre cas Ic = 0,08 (Tableau 5).

Tableau 4

Valeurs de l’indice aléatoire (Ia) d’une matrice de même dimension (SAATY, 1980)

Aleatory Index (Ia) values for a matrix of the same dimension (SAATY, 1980)

Valeurs de l’indice aléatoire (Ia) d’une matrice de même dimension (SAATY, 1980)

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Tableau 5

Matrice [A] normalisée

Normalized Matrix [A]

Matrice [A] normalisée

aOS : occupation du sol; S : type de sol; P : pente; D : densité de drainage; G : formation géologique

b Vecteur prioritaire rationnel; c Vecteur prioritaire; d Indice de cohérence; e Ratio de cohérence

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Le ratio de cohérence peut être interprété comme la probabilité que la matrice soit complétée d’une manière aléatoire. En effet, les réponses obtenues présentent souvent un certain degré d’incohérence. La méthode AHP n’exige pas que les jugements soient cohérents ni transitifs, par contre SAATY (1980) a défini la valeur du ratio de cohérence. Dans le cas où la valeur du ratio de cohérence dépasse 10 %, les appréciations peuvent exiger certaines révisions. Avec un Rc égal à 7 %, la matrice de hiérarchisation présentée (Tableau 5) est considérée comme cohérente.

3.2.4. Cartographie des zones potentielles de recharge de la nappe de Bonoua

Cette cartographie a été effectuée par l’agrégation de l’ensemble des cartes paramétriques élaborées en format raster avec une taille de 30 x 30 m pour une échelle de 1/500 000. La méthode de calcul utilisée dans le SIG pour la superposition des cartes est l’approche opérationnelle du critère unique de synthèse de Roy (GAROUNI et MERZOUK, 2006). Le principe consiste à additionner les différentes couches selon leur importance. La probabilité que la recharge dans une zone soit élevée sera donc liée aux valeurs des classes des paramètres qui se croisent suivant l’équation 2. Ainsi, le calcul de l’indice de recharge (Ir) effectué dans le SIG est le suivant :

equation: 5040636n.jpg (2)

Ir correspond à la somme des cotes pondérées calculées pour chaque pixel du raster à partir de la cote des cinq paramètres.

ALLER et al. (1987) ont défini une méthode (équation 3) pour interpréter les classes auxquelles se rapportent les valeurs de classes de vulnérabilité et, dans cette même logique, les valeurs d’indice de recharge Ir ont été interprétées :

equation: 5040637n.jpg (3)

Irp est l'indice de recharge en pourcentage; P = 1 à 10 correspond à une classe de pourcentage. Irmax est l'indice de recharge maximal et Irmin l'indice de recharge minimal.

Le degré d’infiltration obtenu à partir de l’indice de recharge a été exprimé en pourcentage en se basant sur le découpage des valeurs dans les travaux de JOURDA et al. (2007) et de AKE (2010) qui ont permis de déterminer des intervalles d’indice de recharge. Suivant cette logique, cinq classes de zones favorables à la recharge ont été définies. Ainsi, le coefficient de pondération étant fixe, la cote pondérée minimale obtenue sur l’ensemble des points de calcul du raster est 3,18 et la cote maximale est 9,7.

En remplaçant les différentes valeurs, l’équation 3 devient :

equation: 5040638n.jpg (4)

Ainsi, l’ensemble des classes des zones favorisant l’infiltration avec leurs valeurs respectives a été défini.

La figure 6 résume la méthodologie générale appliquée pour la cartographie des zones potentielles de recharge de la nappe de Bonoua.

Figure 6

Organigramme synoptique de la cartographie des zones potentielles de recharge de la nappe de Bonoua

Synoptic structure of the cartography of the potential recharge areas for the Bonoua aquifer

Organigramme synoptique de la cartographie des zones potentielles de recharge de la nappe de Bonoua

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4. Résultats et discussion

4.1. Carte des zones potentielles de recharge de la nappe de Bonoua

La cartographie des zones potentielles de recharge a nécessité le calcul des indices de recharge. Les valeurs d’indice de recharge obtenues varient entre 3,18 et 9,7 (Tableau 6). Les plus fortes valeurs sont beaucoup marquées au nord et au sud en passant par le centre de la zone précisément dans les localités de Bongo, Toumanguié, Grand-Alépé et occupent aussi tout le sud côtier, de Grand-Bassam à Assinie-Mafia. Une bonne partie des indices faibles se retrouve à l’est et à l’ouest de la zone dans les environs d’Aboisso et d’Adiaké précisément dans les zones forestières.

Tableau 6

Classes et indices des zones favorables à l’infiltration de la nappe de Bonoua

Classes and indices of areas favourable for infiltration into the Bonoua aquifer

Classes et indices des zones favorables à l’infiltration de la nappe de Bonoua

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Une reclassification de la carte des indices de recharge a permis d’obtenir la carte des zones potentielles de recharge, avec cinq classes (Figure 7) :

  • très faible : elle ne représente que 10 % des zones cartographiées. Elle est en général située à l’ouest et une partie à l’est de la zone étudiée, le long des principaux cours d’eau notamment le fleuve Comoé et le Soumié caractérisés par des sols hydromorphes. Dans ces secteurs, le drainage qui est beaucoup accentué au niveau des cours d’eau favoriserait le ruissellement au détriment de l’infiltration;

  • faible : elle ne représente que 24 % de la zone étudiée. On trouve ces zones également dans les bordures ouest et est de la région, dans les zones forestières où la lithologie est caractérisée par les sols hydromorphes, avec une pente relativement faible (0-5 %). De plus, bien que la pente et la densité de drainage soient relativement faibles dans cette zone, la texture argileuse des sols hydromorphes et des vases empêcherait les eaux de précipitation de s’infiltrer.

  • moyen : elle couvre 44 %, presque la moitié de la zone d’étude. C’est la classe dominante. Elle est répartie du nord au centre en passant par les localités telles qu’Ayenoua, Aboutou, Bonoua, Tchintchébé, Monga et Ono et dans les bordures ouest (Grand-Alépé) et est (Aboisso, Assouba). Ce degré moyen de recharge peut être la conséquence de la faible pente (0-5 %) et d’un usage modéré du sol dans cette partie. Située dans le Quaternaire et le Continental Terminal, la lithostratigraphie de ces formations géologiques est composée de sables grossiers, qui alternent avec les sables fins et argileux. Cette classe lithologique se rencontre dans un secteur du Nord-Ouest et dans la partie centrale à Tchintchébé;

  • fort : elle ne représente que 8 % de la zone étudiée, majoritairement localisée au sud avec une pente très faible (0-1 %). Ces secteurs sont légèrement disséminés sur le centre, mais peu marqués au nord aux alentours de Bongo où se trouvent les plantations agro-industrielles de la Société Africaine de Plantations d'Hévéas (SAPH) et à l’est dans les environs de Grand-Alépé et Bonoua. Toutefois, des îlots isolés de cette classe se rencontrent dans les parties ouest, sud-ouest, centre, sud et est de la zone d’étude. Ils sont beaucoup plus marqués dans le sud côtier sur le cordon littoral où la lithologie est caractérisée par les sables du cordon marin. L’usage du sol dans ces zones est occupé par les plantations de cocoteraies;

  • très fort : elle occupe 14 % de l’espace étudié et est disséminée dans la partie centrale de la zone étudiée en ilots isolés avec des extensions au nord aux alentours de Bongo où se trouvent les plantations agro-industrielles de la SAPH et au nord-est dans les environs de Grand-Alépé et Bonoua. Cette classe est également présente au nord-ouest dans les environs de Tchintchébé. Dans ces zones, la pente est relativement faible (0-5 %) et la lithologie du Continental Terminal est caractérisée par des sables grossiers qui alternent avec des sables fins.

Figure 7

Carte des zones potentielles de recharge de la nappe de Bonoua

Map of the potential recharge areas for the Bonoua aquifer

Carte des zones potentielles de recharge de la nappe de Bonoua

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4.2. Discussion

4.2.1. Standardisation et pondération des paramètres

L’approche cartographique par analyse multicritère est généralement peu abordée dans la littérature pour la détermination de la variabilité spatiale de la recharge. Celle de la nappe de Bonoua quoiqu’elle s’avère un outil d’aide à la décision dans plusieurs domaines (hydrogéologie, assainissement, agronomie, etc.) pour les activités présentes et futures nécessite des études minutieuses.

Sur la carte des zones potentielles de recharge, cinq classes de degré de recharge (très faible, faible, moyen, fort et très fort) ont été révélées. La plupart des forages sont situés dans les zones de recharge élevées au centre dans les localités de Tchintchébé et d’Ono; cela s’explique par la lithologie favorable (forte perméabilité) des formations géologiques dans ce secteur. Les zones de recharge élevées sont situées dans les formations du Continental Terminal constituées de sables fins à grossiers, donc des formations perméables, où les pentes sont relativement faibles ainsi que la densité de drainage, donc favorables à l’infiltration. Les formations du Quaternaire, Pléistocène et du Tertiaire présentent une forte capacité d’infiltration (cote de 8 sur une échelle de 1 à 10, voir le tableau 1). Située dans le Quaternaire et le Continental Terminal, la lithologie de ces formations géologiques est composée de sables grossiers, qui alternent avec les sables fins et argileux. En effet, la granulométrie de ces formations est caractérisée par plus de 95 % de sables grossiers (ROOSE et al., 1966).

Par ailleurs, ces auteurs ont montré que les sols sur sables quaternaires contiennent très peu d’éléments fins (0 à 8 %) qui pourraient empêcher l’infiltration des eaux des précipitations. De plus, les zones localisées dans le cordon littoral au sud sont constituées de sables marins. La granulométrie de ces sables est également caractérisée par plus de 95 % de sables grossiers, lesquels ont un bon potentiel d'infiltration naturelle (MUSY et SOUTTER, 1991). Ce constat est en accord avec les travaux de CLAEYS et DE BONDT (2008).

En effet, selon ces auteurs, il apparaît que les zones les plus favorables à l’infiltration des eaux de pluie sont celles dont le sous-sol est constitué de formations sableuses dont la conductivité hydraulique est élevée et qui affleurent directement sous le sol ou sont recouvertes d’une couverture de limon peu épaisse (inférieure à 3 m).

Les zones de faible potentiel de recharge sont localisées dans les zones forestières sur les sols hydromorphes et les zones urbaines où la pente est relativement faible. Ceci peut être dû à la nature argilosableuse des sols hydromorphes qui, par leur nature peu perméable et leur capacité de rétention élevée, réduiraient l’infiltration bien que la pente soit faible, et aussi à l’évapotranspiration plus élevée sous couvert forestier que sous les autres types d’occupation du sol. Selon JOURDA et al. (2007), les pentes faibles favorisent l’infiltration. Cependant, dans le cas de cette étude, l’infiltration est surtout liée au couvert végétal et à la nature du sol.

Au niveau de la reclassification de l’occupation du sol, les sols nus et zones urbaines présentent un degré de perméabilité faible certainement liée à la constitution lithologique des sols. L’étude a révélé que les paramètres importants dans la détermination de la recharge sont notamment l’occupation du sol, le type de sol et la pente. Le paramètre prépondérant est l’occupation du sol. Cependant, bien que l’occupation du sol soit déterminante, elle est elle-même conditionnée par le type de sols.

4.2.2. Limites méthodologiques

La mise en place de la méthodologie pour la cartographie des zones potentielles de recharge de la nappe de Bonoua, s’est faite en cinq étapes et a rencontré des difficultés.

Le choix de la méthode de détermination des zones potentielles de recharge de l'aquifère dépend en général de la nature du milieu. En milieu sédimentaire détritique, la définition des zones potentielles de recharge est basée sur la description des unités hydrostratigraphiques (PERSON et al., 1996).

La difficulté dans la détermination du nombre de paramètres réside dans la limitation du nombre de paramètres que l’on peut prendre en compte. Selon SAATY (1980), le choix des paramètres doit s’arrêter à sept par niveau de hiérarchisation. Ainsi, les cinq paramètres retenus dans cette méthode ont été jugés comme les plus significatifs dans la détermination des zones de recharge en milieu sédimentaire. Ce sont les paramètres utilisés dans les études effectuées par HAOUCHINE et al. (2010) en Algérie et en Côte d’Ivoire par SEKOUBA et al. (2014) avec des méthodes différentes. Ce qui explique le choix du nombre et les différents paramètres dans cette étude.

Certains paramètres comme le type de sol et l’occupation du sol peuvent être regroupés en un seul facteur pour permettre la prise en compte d’un plus grand nombre de paramètres (DOUAY et LARDIEG, 2010). Or, dans cette étude, ces deux paramètres présentent différents effets sur la recharge en milieu sédimentaire, il est donc préférable de les distinguer.

Par ailleurs, le couvert végétal ou l’occupation du sol est déterminé comme facteur prépondérant dans la détermination des zones de recharge par la méthode de Saaty, car celui-ci, par son influence sur l’état de surface et la structure du sol freine le ruissellement et favorise l’infiltration, mais aussi impacte l’évapotranspiration. Cependant, la lithologie conditionne le type de couvert végétal ou d’occupation du sol.

En effet, pour chaque type de lithologie, une densité de couvert végétal est définie, car le couvert végétal a un rôle fixateur des terrains en place. Néanmoins le couvert végétal peut dépendre de la lithologie, ce qui implique que la lithologie ou le type de sol pourrait être le paramètre prépondérant dans la détermination des zones de recharges.

Une autre difficulté de la méthode utilisée est la subjectivité des poids et des cotes assignés aux paramètres dans l’application de la méthode AHP de Saaty. Pour la pondération des paramètres, la détermination des poids et des cotes s’est basée sur l’analyse des effets relationnels interparamètres. Les valeurs attribuées aux paramètres ont parfois tendance à surestimer ou sous-estimer la recharge de la nappe. Certains paramètres comme le type de sol et les formations géologiques nécessitent des études plus approfondies. Il apparaît néanmoins que les zones les plus favorables à l’infiltration des eaux de pluie sont celles dont le sous-sol est constitué de formations sableuses dont la conductivité hydraulique est élevée (CLAEYS et DE BONDT 2008), ce qui est logique.

Pour déterminer l’infiltrabilité des formations rencontrées dans ces zones et pour mieux affiner nos résultats, une étude sur la conductivité hydraulique du sol qui correspond à son potentiel d'infiltration naturelle et une étude lithologique, sédimentologie et granulométrique seraient nécessaires. De même, pour la codification des paramètres, il est nécessaire d’étudier le degré de perméabilité des classes de chaque paramètre. En effet, dans la reclassification de l’occupation du sol, les mêmes cotes ont été attribuées aux cultures et aux jachères. Or, une terre laissée au repos (jachère) après plusieurs années peut reconstituer une végétation considérée comme une forêt claire qui évapotranspire plus que les autres types de couverts végétaux.

L’élaboration de la carte des zones potentielles de recharge peut contenir des erreurs, car le critère densité de drainage a été obtenu par interpolation. L’interpolation peut entraîner des erreurs dans la réalisation des paramètres. Elle n’est fiable qu’à l’intérieur des intervalles délimités par les données ponctuelles (JOURDA et al., 2007).

Malgré les différentes limites énumérées dans la réalisation de la méthode utilisée, il n’en demeure pas moins que la carte des zones potentielles de recharge de la nappe de Bonoua semble être fiable. En effet, cette carte élaborée comparée aux observations de terrain présente des similitudes. L’approche appliquée pour déterminer cette carte a déjà été utilisée par HAOUCHINE et al. (2010) et SEKOUBA et al. (2014) mais avec des méthodes différentes.

En termes de perspectives, afin de valider l’approche proposée, il serait intéressant de quantifier la recharge de la nappe, par exemple en mesurant le débit des cours d’eau qui la drainent. La comparaison de sous bassins versants présentant des caractéristiques de recharge différentes permettrait non seulement de valider la cartographie relative proposée, mais de passer aussi à une approche quantitative.

5. Conclusion

La répartition spatiale des zones potentielles de recharge de la nappe de Bonoua montre qu’elle est effective sur toute la nappe avec quelques zones préférentielles. L’analyse de cette carte a révélé cinq classes avec une dominance de bonne recharge couvrant 66 % de la zone étudiée. Cette carte permet aussi d’identifier les zones à risque et sensibles et montre que les zones à faible valeur de recharge se situent dans les secteurs où le sol est hydromorphe.

Toutes les cartes établies permettent de mieux appréhender l’environnement hydrogéologique de la nappe de Bonoua. Elles constituent des outils d’aide à la décision qui doivent être vulgarisés et mis à la disposition des gestionnaires de l’eau afin de faciliter leur investigation en matière de prospection, d’exploitation et de préservation de la qualité des ressources en eau de cette nappe au vu de sa position stratégique pour le district d’Abidjan.

Les résultats obtenus sont des indices qui méritent d'être affinés par d'autres études, en intégrant notamment le paramètre « carte de perméabilité » dans l’analyse multicritère pour la spatialisation des zones potentielles de recharge de la nappe de Bonoua et en passant d’une approche qualitative à une approche quantitative.