Abstracts
Résumé
Les traitements de surfaces (TS) utilisent des volumes importants d’eau et de produits chimiques dans leurs procédés de fabrication. Bien que des efforts considérables en matière d’amélioration des procédés aient été réalisés depuis 20 ans, la filière TS est encore considérée comme l’une des plus polluantes en matière de rejets. Le principal problème environnemental auquel est confrontée la filière est celui de la forte charge polluante des eaux issues de leurs procédés. Ces eaux usées sont complexes et difficiles à traiter car elles contiennent des polluants de nature et de concentration variables, et de plus susceptibles d’interactions. La législation étant de plus en plus exigeante dans de nombreux pays, les industriels tendent à réduire les impacts environnementaux. La technique de décontamination qui fait référence dans le secteur TS est la physico-chimie, qui consiste à insolubiliser les polluants par ajout de substances chimiques, et à séparer les deux phases eau-boue par un procédé physique. Dans ce contexte, nous avons analysé et optimisé pendant 24 mois le fonctionnement d’une station de traitement. Cet article présente les abattements chimiques obtenus suite aux différentes solutions d’optimisation validées en laboratoire puis transposées sur site industriel. L’optimisation de la station a permis de diminuer respectivement la charge organique, les nitrites et le zinc de 60 à 80 %, de 70 à 90 %, et de 70 à 95 %. Afin d’évaluer l’intérêt de chaque proposition d’optimisation, des tests écotoxicologiques normalisés de germination de graines de laitues ont été réalisés sur les effluents. La diminution des concentrations en polluants dans les eaux correspond à une diminution de l’impact du rejet sur la germination des graines. Des tests de croissance des plantes ont également confirmé le gain environnemental obtenu. Les tests biologiques proposés sont de bons indicateurs des concentrations en contaminants présents dans les eaux. Ces tests simples, peu onéreux et fiables peuvent être utilisés en routine pour évaluer les impacts d’un rejet.
Mots-clés :
- traitement de surface,
- rejet industriel,
- test écotoxicologique,
- décontamination des eaux usées,
- procédé physico-chimique,
- optimisation
Abstract
The surface treatment (ST) industry is currently undergoing major upheavals, particularly concerning environmental aspects, due to increasingly stringent standards. ST uses large volumes of water and chemicals in its manufacturing processes and its wastewater is acknowledged as being among the most polluting. Although considerable efforts have been made by the industry over the last 20 years, the problem of water pollution remains a significant concern. The main environmental problem facing ST plants is the high pollution load of the effluent they generate. The wastewater is complex and difficult to process as it contains a range of pollutants, some of which can react with each other. However, the tighter legislation in many countries means that the ST industry has reduced its environmental impact. The way decontamination is generally approached by ST plants involves physicochemical treatment to make the contaminants insoluble by adding chemicals then separating the two phases, water and sludge, by physical means. It is in this context that, over a period of 24 months of operation, we analyzed and optimized a physicochemical unit for the treatment of ST industrial wastewater. This article presents the abatements obtained in the levels of pollution after the various chemical optimizations validated in the laboratory and then transposed to the industrial site. The optimization of the station reduced the organic load, nitrite and zinc by about 70%, 85%, and 80%, respectively. To evaluate the utility of each optimization proposal, standard bioassays based on the germination of lettuce seeds were carried out on the influent and effluent of the treatment plant. Decreasing concentrations of pollutants in the effluent led to a reduction of its impact on seed germination. Bioassays based on plant growth also confirmed the environmental benefits obtained after optimization of the station. The biological tests proposed are thus good indicators of the contaminant concentrations present in wastewater pre- or post-treatment. These simple and inexpensive tests are reliable and can be used routinely to assess the impact of effluent.
Keywords:
- surface treatment,
- industrial wastewater,
- biomonitoring,
- wastewater decontamination,
- physicochemical process,
- optimization
Article body
1. Introduction
Les traitements de surfaces (TS) constituent un secteur industriel important de l’économie européenne, et notamment de l’économie française. Les traitements et revêtements de surfaces des matériaux ont, en effet, un rôle fondamental dans de nombreuses applications. Les principales fonctions auxquelles ils doivent répondre sont la corrosion, l’usure, l’amélioration de l’aspect, l’isolation électrique, la conductibilité thermique ou encore la soudabilité.
La filière TS est un secteur en pleine mutation caractérisé par de nombreuses petites structures industrielles de type PME/PMI. En matière d’environnement, les politiques européennes visent à tendre vers le rejet « zéro » (DCE, 2000) et les problématiques principales concernent la diminution des volumes d’eau utilisés, le recyclage des eaux et la réduction des rejets. L’industrie TS utilise des volumes importants d’eau et de produits chimiques potentiellement toxiques dans ses opérations industrielles (BLAIS et al., 1999). Elle est considérée comme l’une des plus polluantes en matière de rejets d’eaux usées (BABULA et al., 2008). Bien que des efforts considérables en matière d’amélioration des procédés aient été réalisés depuis 20 ans par les industriels, la problématique de la pollution des eaux, et en particulier celle des éléments traces métalliques (ETMs), demeure une source de fortes préoccupations (CRINI et BADOT, 2007).
Le principal problème environnemental auquel sont confrontées les filières industrielles est, en effet, celui de la forte charge polluante colloïdale, organique et minérale des eaux usées issues de leurs opérations industrielles. Ces eaux usées sont complexes et difficiles à traiter car elles contiennent des polluants de nature diversifiée selon les procédés de fabrication susceptibles d’interactions. On trouve un cocktail d’ETMs (Zn, Cu, Ni, Fe, Al, Sn, Cr, etc.), une forte charge organique (huiles, solvants, graisses, etc.) et une charge minérale due à la présence d’anions (sels, bore, fluor, etc.). Les ETMs et les anions présents dans les eaux sont déterminés directement par la mesure des éléments par photométrie. La DCO qui représente tout ce qui peut être oxydé, c’est-à-dire la majeure partie des composés organiques et certains sels minéraux oxydables (sulfites, sulfures, etc.), est évaluée par la mesure de la demande chimique en oxygène ou DCO. D’autres paramètres comme la mesure des matières en suspension (MES), de la turbidité, du pH ou encore des cyanures sont également utilisés pour caractériser une eau usée industrielle.
Le procédé de décontamination pour éliminer ces polluants organiques et minéraux qui est mis en pratique dans la majorité des installations industrielles de TS est le traitement par voie physico-chimique (BLAIS et al., 1999; SANCEY et al., 2010). Il existe deux grandes pratiques de décontamination des eaux industrielles : d’une part, le traitement en continu qui consiste à épurer les différents effluents au fur et à mesure de leur production et à les rejeter à débit permanent et, d’autre part, le traitement physico-chimique en discontinu qui décontamine les effluents par bâchées, c’est-à-dire par volumes constants et successifs dans un même réacteur, selon des séquences adaptées. En général, le traitement en continu est le plus utilisé en raison notamment des importants volumes journaliers à traiter. Les traitements par bâchées sont, en effet, « réservés » au traitement de bains particuliers qui n’excèdent pas une dizaine de m3 et qui nécessitent une mise en oeuvre d’un traitement spécifique.
Le principe de la technique de décontamination physico-chimique en continu consiste principalement à insolubiliser chimiquement les polluants dont les métaux par ajout de substances chimiques, puis de séparer les deux phases eau-boue par un procédé physique comme la décantation, la flottation ou une simple filtration. Il est important de noter qu’une partie des eaux usées à insolubiliser subissent au préalable un prétraitement nécessaire afin d’améliorer la précipitation ultérieure des métaux. Les prétraitements les plus utilisés sont la déchromatation, la décyanuration, l’oxydation (ou la réduction) des nitrites ou encore la coagulation. Les traitements physico-chimiques dans une station de décontamination sont difficiles à maîtriser car les débits et les flux de polluants sont fortement variables à la fois en qualité et en quantité. Les stations physico-chimiques en traitement continu sont, en effet, figées, c’est-à-dire que les conditions de réaction utilisées dans chaque étage de traitement n’évoluent pas en fonction de la concentration des polluants entrants. Or, dans toute étape de traitement, les conditions de réaction comme le pH optimal, les volumes de réactifs utilisés, le temps de contact ou de séjour minimal, ou encore l’ordre des étapes doivent être optimisées.
Nous avons analysé et optimisé pendant 24 mois le fonctionnement d’une station physico-chimique de traitement en continu des eaux usées d’une industrie de TS. Cette étude présente les résultats obtenus en matière d’abattement chimique suite aux différentes solutions d’optimisation que l’industriel a mis en place. Ces solutions ont d’abord été élaborées par des essais comparatifs en laboratoire sur des échantillons représentatifs des effluents à traiter, et ensuite mises en oeuvre sur site industriel. Afin d’évaluer l’intérêt de chaque proposition d’optimisation, des tests écotoxicologiques normalisés de germination de graines de laitues ont été réalisés sur les effluents et le rejet. Des tests de croissance des plantes ont également été réalisés.
2. Matériel et méthodes
2.1 Effluents industriels
Cette étude a été réalisée en partenariat avec la société de traitement de surface Zindel de Devecey (Doubs, France). Pour respecter les réglementations en vigueur, l’industriel met en oeuvre le système d’épuration physico-chimique en continu décrit dans la figure 1. Le schéma général du procédé de traitement comporte les cinq étapes principales suivantes : 1) un stockage des effluents; 2) une étape de déchromatation (prétraitement); 3) une étape d’insolubilisation suivie d’une floculation et d’une décantation (traitement physico-chimique); 4) un traitement des boues; et 5) un contrôle final du rejet. L’industriel doit traiter deux types d’effluents au fur et à mesure de leur production et les rejeter à débit permanent : d’une part, les effluents alcalins (rinçages et concentrés alcalins) et, d’autre part, les effluents chromiques (rinçages et concentrés chromiques). L’ensemble des eaux usées chromées subissent d’abord un prétraitement spécifique de déchromatation pour réduire le Cr(VI) en Cr(III) insoluble. Cette étape peut être éventuellement suivie d’une neutralisation. Ces eaux déchromatées sont alors ajoutées aux eaux basiques du procédé pour subir une étape de précipitation par la chaux. Les effluents subissent alors une floculation par un polymère anionique suivie d’une étape de décantation qui permet de séparer l’eau épurée et la boue chimique (hydroxydes métalliques). La boue est envoyée dans un filtre à presse, séchée puis envoyée dans un centre de décharge ou d’enfouissement contrôlé. Les eaux traitées sont ensuite neutralisées, et une fois contrôlées, si les valeurs réglementaires sont respectées, elles sont alors rejetées dans le milieu aquatique. Les débits d’entrée en eau usée contaminée et de sortie en eau épurée dans la station de traitement sont de l’ordre de 8 m•h-1.
2.2 Paramètres physico-chimiques mesurés
Les paramètres physico-chimiques mesurés sont la turbidité (turbidimètre Aqualytic PCCompact, Dortmund, Allemagne), la demande chimique en oxygène (photomètre COD Vaxio, Aqualytic PCCompact, Dortmund, Allemagne) et le pH (model 3110, WTW, Alès, France). Les ETMs sont mesurés par photométrie (modèle portable spectroflex 6100, WTW, Alès, France). La méthode consiste à utiliser des kits de tests standards ou des solutions standards, et de mesurer chaque paramètre, soit directement dans le micro-tube, soit dans des cuves en utilisant des méthodes préprogrammées. Pour étalonner le photomètre et vérifier les mesures, une solution standard de référence certifiée a été utilisée (matrice de référence ERM-CA011, LGC Promochem, Molsheim, France). Pour les valeurs inférieures aux seuils de détection obtenues sur le photomètre, un dosage par spectrométrie d’absorption atomique a été réalisé en utilisant un spectromètre de flamme modèle 240FS et spectromètre électrothermique à correction Zeeman modèle 240Z de chez Varian (Ullis, France). La même solution standard de référence a été utilisée pour étalonner l’appareil. Pour le plomb, nous avons utilisé une ultra-lampe pour obtenir une meilleure sensibilité (SANCEY et al., 2010).
2.3 Tests écotoxicologiques
Des tests écotoxicologiques normalisés de germination et de croissance ont été réalisés sur les rejets industriels en utilisant l’espèce végétale Lactuca sativa. Les tests de germination ont été effectués selon la norme AFNOR N° NF X 31-201. La méthode consiste à déposer 4 mL de solution à tester ou d’eau déminéralisée pour le témoin dans une boîte de Pétri recouverte de deux disques de papier filtre (papier sans cendre). Quinze graines de laitue sont alors disposées dans chaque boîte, à l’obscurité et à température constante de 24 °C pendant sept jours. Trois réplicats sont réalisés pour chaque solution. À l’issue du test, on compte le nombre de graines germées, et on calcule ensuite le taux de germination qui est comparé à celui des graines non exposées à l’effluent (témoin). Le test de croissance AFNOR N° NF X 31-202 utilise également la même espèce végétale. Les conditions expérimentales sont les suivantes : 5 graines de laitue préalablement germées sont mises dans un pot rempli de 250 mg de sable de Fontainebleau; les plants sont ensuite cultivés 28 jours en conditions environnementales contrôlées, avec 16 h de luminosité et 8 h d’obscurité, une température moyenne de 21 °C en journée et de 18 °C la nuit, et un taux d’humidité de 60 %. Les plants sont arrosés tous les deux jours afin de maintenir le sol à 70 % de sa capacité au champ. L’arrosage se fait soit avec de l’eau Volvic® pour les témoins, soit avec les eaux industrielles à tester. Les mesures de croissance réalisées sont la longueur, la masse fraîche et la masse sèche des plantules (conditions de séchage : 3 jours à 70 °C en étuve). L’effet inhibiteur des contaminants est établi en comparant les groupes tests aux groupes témoin.
2.4 Tests statistiques
Toutes les données écotoxicologiques ont été traitées à l’aide du logiciel R (version 2.6.0, R Development Core Team, 2005). Une analyse de variance (ANOVA) a été appliquée afin de déterminer les effets des polluants présents dans l’effluent sur la germination des laitues. Le modèle linéaire à effet mixte a été utilisé pour étudier les effets de chaque polluant indépendamment des autres. Un test de Kruskal-Wallis a aussi été employé afin de comparer les taux de germination avant et après l’optimisation de la station de traitement. Le seuil significatif pour les tests est de 0,05.
3. Résultats expérimentaux
3.1 Problématique industrielle
Le premier objectif de cette étude a été de réaliser un suivi physico-chimique afin, d’une part, de suivre l’évolution de la composition des rejets dans le temps et, d’autre part, de mieux comprendre le fonctionnement de la station de traitement. Nous avons réalisé un suivi analytique pendant 88 jours des concentrations des principaux polluants présents dans les rejets de la station de décontamination décrite dans la figure 1. Ces 88 rejets sont des prélèvements moyens caractéristiques de la journée d’activité industrielle. Le zinc, le nickel, le cuivre et le fer ont été mesurés ainsi que les nitrites et la DCO. Les trois principales préoccupations industrielles sont de fortes concentrations en zinc, une charge organique importante (DCO élevée) et une présence importante de nitrites (Tableau 1). Les teneurs en Cu, Ni et Fe respectent les valeurs réglementaires (respectivement de 2, 2 et 5 mg•L-1). Les rejets sont variables en quantité et cette variabilité peut s’expliquer par la variabilité de la composition des eaux d’entrée de station. D’autres substances chimiques comme les fluorures sont également présentes dans les rejets (Tableau 1).
Afin de déterminer l’impact des 88 rejets industriels sur le milieu aquatique, nous avons réalisé des tests écotoxicologiques. Les résultats de la figure 2 démontrent que chaque rejet industriel de sortie de station de décontamination a un impact important sur la germination des graines de salade. Les taux de germination dans les lots de laitue exposés aux rejets varient, en effet, de 50 à 75 % (100 % de germination pour les témoins). L’intensité de l’impact est fonction de chaque rejet et la variabilité de l’impact peut être reliée à la variabilité chimique des différents rejets (concentrations en ETMs, charges organique et minérale). Pour six des paramètres analysés (DCO, Zn, Fe, Ni, Cu et nitrites), nous avons rapporté les taux de germination en fonction de chaque paramètre. Les variations de ces six paramètres considérés conjointement rendent compte de 65 % de la variation du taux de germination. Si l’on considère chaque polluant tout en éliminant l’effet des autres polluants sur la germination, l’analyse des variances montre que le Zn et le Ni sont responsables respectivement de 20 % et 2 % de l’inhibition de la germination (test statistique ANOVA). Pour les autres paramètres, les % d’inhibition sont inférieurs à 1 %. La somme des effets des différents polluants considérés indépendamment est inférieure à l’effet global du mélange. On observe donc que l’addition des effets individuels n’explique pas la variation totale obtenue. Cela indique qu’il y a un effet de synergie entre les divers polluants dont le mélange produit un surcroît d’inhibition de la germination des laitues. Nous avons déterminé des valeurs des coefficients de corrélation entre les concentrations en polluants et le taux de germination. Le coefficient de corrélation le plus élevé (R) a été obtenu avec le zinc (R = -0,63), ce qui confirme les résultats du test d’analyse de variance, à savoir que le Zn est le polluant parmi toutes les autres substances qui permet d’expliquer la variation du taux de germination.
L’ensemble des résultats du suivi physico-chimique des rejets a montré que l’industriel rencontre des problèmes dans le fonctionnement de sa station. Les performances épuratoires des différentes étapes sont, en effet, variables, car fortement liées aux procédés industriels et à leur variabilité. Par rapport aux exigences réglementaires, les données réunies montrent que les rejets de l’entreprise sont dans l’ensemble conformes à la réglementation actuelle, excepté pour le zinc pour lequel il est difficile de descendre sous le seuil de 3 mg•L-1 (valeur réglementaire depuis janvier 2009). En outre, si l’on tient compte du débit (8 m3•h-1) et si l’on calcule les concentrations en g par jour, on constate que les flux rejetés dans le milieu aquatique respectent certes la réglementation, mais restent très élevés.
3.2 Optimisation de la station
Le second objectif de cette étude a été d’optimiser la station de traitement afin de diminuer les concentrations de polluants, et notamment du Zn et de la DCO rejetés dans le milieu aquatique. Afin d’atteindre cet objectif, nous avons d’abord étudié en laboratoire les différentes étapes suivantes : i) l’insolubilisation; ii) le déshuilage; iii) la déchromatation; iv) le traitement des nitrites; v) l’ordre des étapes; vi) la coagulation et vii) la floculation. Les résultats obtenus ont été ensuite mis en oeuvre sur le site industriel.
La précipitation chimique d’éléments dissous (métaux, anions, etc.) dans un effluent consiste à réguler leur pH, en utilisant par exemple de la soude, dans la zone optimale d’insolubilisation des métaux, dans le but de permettre leur élimination par précipitation sous forme d’hydroxydes. Cette précipitation se produit, en effet, dans une gamme donnée de pH. Cependant, cette gamme de précipitations est variable selon le métal considéré, et le choix optimum du pH correspond en général à la solubilité minimum du métal le plus important à traiter dans l’effluent. Le choix est souvent difficile car il faut prendre en compte non seulement le métal le plus important à éliminer, mais également l’ensemble des autres ETMs et polluants présents dans l’effluent. Le contrôle du pH joue donc un rôle extrêmement important pour permettre une élimination correcte du mélange de polluants présents dans l’effluent. Cette étape est également importante pour l’élimination de la DCO car il est connu que les boues d’hydroxydes métalliques ont la capacité d’adsorber des matières organiques. Pour précipiter les polluants présents dans ses effluents, l’industriel utilise de la chaux, un insolubilisant chimique (ou aide-précipitant), un pH de 9 et un temps de contact de 30 min (Tableau 2). Nous avons étudié l’effet du pH sur la précipitation des métaux, et en particulier le zinc, tout en gardant le même temps de contact. La figure 3 montre que plus le pH augmente plus le Zn précipite. Le pH optimal est de 11. L’utilisation de soude à la place de la chaux n’a pas permis d’abattre davantage de zinc. La chaux est donc plus efficace pour ce type d’eaux usées. Les concentrations en nitrites et en DCO diminuent également avec l’utilisation de la chaux. Le pH joue également un rôle dans la diminution de la DCO qui peut s’expliquer par une meilleure adsorption de la charge par les hydroxydes métalliques (plus le Zn précipite et plus la DCO diminue). Nous avons également proposé d’arrêter l’utilisation de l’aide-précipitant car il ne joue pas de rôle particulier dans la réaction de précipitation (résultats non montrés dans cet article).
La déchromatation consiste en la réduction du chrome hexavalent (CrVI) en chrome trivalent (CrIII) moins toxique et surtout insoluble. La technique au bisulfite de sodium en milieu acide (acide sulfurique) pour réduire le Cr(VI) est très courante dans les stations de traitement. Les deux paramètres les plus couramment utilisés pour le contrôle des réactions chimiques sont le pH qui détermine le degré d’acidité (ou d’alcalinité) de la solution et la vitesse de la réaction (cette vitesse diminue rapidement si le pH s’élève et le seuil critique se situe à partir de pH = 3,5 (TRUNFIO et CRINI, 2010)), et le rH qui exprime le pouvoir oxydo-réducteur de l’effluent (ou le Eh qui correspond au potentiel d’oxydoréduction, Eh et rH étant reliés par l’équation de Nernst). Les méthodes de détermination de pH et de rH reposent sur des mesures potentiométriques en utilisant une électrode de mesure et une électrode de référence, ou une électrode combinée, plongées dans l’effluent concerné. Les conditions de la réaction de déchromatation ont été déterminées : avant optimisation pH < 2,5, Eh = 230 mV et temps de contact = 30 min; après optimisation pH = 2,5, Eh = 280 mV et temps de contact = 30 min. Cette optimisation a permis d’économiser des quantités importantes de bisulfite de sodium (TRUNFIO et CRINI, 2010).
Il est nécessaire d’éliminer le maximum d’huiles (graisses, hydrocarbures, tensioactifs, etc.) de manière à limiter leur action perturbatrice sur le traitement physico-chimique et également de répondre à la législation. En effet, la présence d’une trop forte DCO a un effet négatif sur la floculation. Dans une étape de traitement des nitrites, l’existence de matières organiques dans un effluent peut également entraîner une surconsommation de réactifs. Nous avons montré que ce sont les bains de dégraissage qui contiennent une quantité élevée de DCO (Figure 4). Suite à nos observations, l’industriel a mis en place un système par gravité naturelle pour effectuer la séparation eau-huiles. Les bains de dégraissage fortement pollués par des huiles et des matières insolubles sont ainsi prétraités avant envoi en station.
Nous avons également proposé de traiter les nitrites, de modifier l’ordre des étapes dans la station, et d’introduire une étape de coagulation par un sel métallique (Tableau 2). Le traitement des nitrites (NO2-) consiste en leur oxydation sous forme de nitrates (NO3-) par utilisation d’hypochlorite de sodium. Cette étape a permis d’atténuer simultanément la DCO et la quantité de nitrites. Avant l’optimisation de la station, les effluents déchromatés étaient mélangés aux effluents basiques dans une cuve tampon, ce qui avait pour conséquence de produire de temps en temps une oxydation des CrIII en CrVI. Après optimisation, nous avons proposé d’envoyer les effluents chromiques directement dans la cuve d’insolubilisation et les effluents basiques dans la cuve de coagulation. La coagulation physico-chimique facilite l’agglomération des particules solides fines et leur élimination ultérieure du milieu liquide lors des opérations de décantation. Les effluents à traiter contiennent des matières en suspension (MES) dont des matières colloïdales. Or, la décantation de ces substances colloïdales est lente, d’où l’intérêt d’utiliser une étape de coagulation pour faciliter l’agglomération des particules fines colloïdales. Le pH de la coagulation a été régulé à 7. Enfin, nous avons proposé d’optimiser l’étape de floculation. Nous avons montré que le pH a également une forte influence sur l’efficacité de la floculation (Figure 5). Les conditions de la réaction de coagulation/insolubilisation/floculation sont décrites dans le tableau 2.
4. Discussion
4.1 Abattement chimique
Les différents prélèvements réalisés avant optimisation en entrée station, dans la station, et en sortie de celle-ci ont permis de montrer que les effluents industriels contiennent un mélange de différentes substances organiques et minérales. Les analyses ont, en particulier, montré que la charge métallique présente dans les eaux industrielles est non négligeable et surtout variable en fonction du prélèvement. Les teneurs en charge organique mesurée par le paramètre DCO varient également quotidiennement. Ceci peut s’expliquer par les différents bains provenant des chaînes de production du procédé industriel. Cette variation journalière n’est pas maîtrisable car elle dépend des aléas de la production industrielle, et le traitement physico-chimique en continu utilisé à la station de traitement ne tient pas compte de ces différences de charge polluante. Les trois principaux problèmes de l’entreprise sont les quantités variables en Zn, DCO et nitrites. Ce sont ces trois paramètres qui ont été suivis avant et après optimisation. Suite aux résultats des études en laboratoire, chaque étape d’optimisation a, en effet, fait l’objet d’un suivi analytique sur site industriel. Les résultats décrits dans la figure 6 démontrent que l’optimisation chimique de la station a permis d’abattre significativement les teneurs en Zn, nitrites et DCO. L’analyse du suivi de la DCO montre que la charge organique diminue graduellement en fonction des différentes étapes d’optimisation (Figure 6). Cependant, on remarque, comme on pouvait s’y attendre, que la DCO diminue fortement surtout lors des étapes de dégraissage alcalin (diminution de 35 à 55 %) et de traitement des nitrites (diminution de 15 à 35 %). L’étape de coagulation a également un effet sur la DCO (diminution de 10 à 20 %). Le tableau 3 compare les gammes de concentrations des polluants présents dans les rejets industriels avant et après optimisation. L’optimisation de la station a permis de diminuer fortement les flux de pollutions rejetés dans le milieu aquatique.
4.2 Gain écotoxicologique
Le dernier objectif de cette étude a été de relier l’abattement chimique à un gain environnemental. Les résultats de la figure 7 démontrent clairement l’intérêt d’optimiser la station. Nous pouvons observer une augmentation significative du taux de germination qui peut s’expliquer par la diminution des polluants présents dans l’effluent durant les différentes étapes de l’optimisation. Le zinc, qui est l’élément trace métallique le plus important dans l’effluent de Zindel, est un micronutriment essentiel aux plantes. Cependant, il peut se révéler toxique à de fortes concentrations (DI SALVATORE et al., 2008; EL-GHAMERY et al., 2003; MUNZUROGLU et GECKIL, 2002; VALERIO et al., 2007). EL-GHAMERY et al. (2003) ont déterminé une CE50 (concentration effective d’un produit chimique dont l’effet correspond à 50 % de la réponse maximum) de 15 mg•L-1 sur la germination de Nigella sativa (nigelle) et de 10 mg•L-1 sur Triticum aestivum (blé) pour le zinc. La diminution de 70 à 95 % de la concentration en zinc, obtenue lors de l’optimisation de la station, permet donc d’expliquer en grande partie l’augmentation de la germination des laitues. De plus, nous pouvons remarquer que la plus forte augmentation de la germination (+ 15 %) a été obtenue durant l’optimisation de l’insolubilisation, étape durant laquelle a été observé le plus important abattement en zinc. Les nitrites sont eux aussi toxiques pour les végétaux et les organismes marins. Une concentration de 0,3 ppm a été définie comme la concentration la plus faible avec un effet observé sur la croissance de Oryza sativa (riz) (ANBAZHAGAN et BHAGWAT, 1992). RUSSO et al. (1974) ont trouvé une CE50 (24 h) de 490 µg•L-1pour Oncorhynchus mykiss (truite arc-en-ciel). Ainsi, l’augmentation du taux de germination de Lactuca sativa obtenu à la suite de l’optimisation de la station de traitement est à rapprocher de celui obtenu en matière d’efficacité d’abattement de la charge polymétallique et des autres polluants. Les concentrations en éléments traces métalliques plus faibles qui sont observées dans les effluents obtenus après optimisation sont telles qu’elles exercent un effet inhibiteur moindre sur la germination. On peut raisonnablement en conclure que les impacts environnementaux des rejets ainsi traités sont alors réduits. Les photographies de la figure 8 illustrant la croissance des plantules et les résultats du tableau 4 sur la croissance en longueur (taille) et en masse de Lactuca sativa démontrent que l’abattement chimique permet un gain écotoxicologique significatif.
5. Conclusion
Nous avons analysé et optimisé pendant 24 mois le fonctionnement d’une station physico-chimique de traitement en continu des eaux usées provenant d’une filière industrielle de traitement de surface. Cette étude a permis de démontrer que l’optimisation de la station permet de diminuer les concentrations des polluants présents dans les rejets. De plus, cette diminution de pollution s’est traduite par une diminution de l’impact des effluents de rejet sur la germination des graines de salade. La prochaine étape de ce travail consistera à proposer une étape de finition pour tendre vers le rejet « zéro » pollution liquide. Il existe en effet différentes techniques susceptibles d’être utilisées pour atteindre cet objectif. On peut citer l’adsorption sur charbon actif ou la chélation sur résines organiques sélectives. Or, ces traitements ont pour principal inconvénient de se saturer rapidement, d’où l’intérêt d’optimiser la station physico-chimique.
Appendices
Remerciements
Les auteurs remercient l’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse pour leur soutien financier sur ce projet, ainsi que le Conseil Régional de Franche-Comté et le CNRS qui financent les thèses de doctorat de J. Charles et B. Sancey, et le postdoctorat de G. Trunfio.
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