Abstracts
Résumé
Cette note avait pour but de déterminer les facteurs environnementaux qui influencent la variabilité spatiale des caractéristiques des débits minimums annuels en Wallonie (Belgique) de 34 rivières, au moyen de deux méthodes complémentaires : la méthode de classification ascendante hiérarchique et la corrélation linéaire. Les deux méthodes ont été appliquées sur les données transformées par l’analyse en composantes principales. La classification ascendante hiérarchique (méthode de Ward) a mis en évidence l’influence de la lithologie et des activités anthropiques (pompage en eaux souterraines) sur les caractéristiques fondamentales des débits minimums annuels. Les rivières qui drainent un substrat relativement perméable sont caractérisées par des volumes d’écoulement très élevés, une faible variabilité interannuelle de ce volume, une forte variabilité interannuelle de la période d’occurrence et par de faibles valeurs de coefficients d’asymétrie. C’est le contraire pour les rivières qui coulent sur un substrat peu perméable ou imperméable. Les rivières, dont les débits sont artificiellement influencés, sont caractérisées par une variabilité de la magnitude et de la période d’occurrence des débits minimums annuels plus importante que celle des rivières naturelles. L’analyse des corrélations entre les caractéristiques des débits et les facteurs environnementaux a mis en évidence une corrélation entre la forme de courbe de distribution des débits minimums annuels et plusieurs facteurs environnementaux (climat, utilisation des sols, localisation et caractéristiques physiographiques des bassins versants).
Mots-clés :
- Débits minimums annuels,
- caractéristiques des débits,
- variables hydrologiques,
- facteurs environnementaux,
- analyse en composantes principales,
- analyse ascendante hiérarchique,
- corrélation,
- Wallonie,
- Belgique
Abstract
The goal of this study was to determine which environmental factors affect the spatial variability of annual minimum streamflow characteristics for 34 rivers in Wallonia (Belgium) using two complementary methods: the ascending hierarchical classification method and the linear correlation method. Both methods were applied after principal component analysis transformation was applied to the data. The ascending hierarchical classification method (Ward’s method) identified the effect of lithology and anthropogenic activity (groundwater pumping) on the fundamental characteristics of annual minimum flows. Rivers that drain a relatively permeable substrate are characterized by very high flow volumes with low interannual variability, high interannual variability of the period of occurrence, and small asymmetry coefficients. Rivers that drain low permeability or impermeable substrates show the opposite patterns. Rivers in which flow is subjected to artificial influences are characterized by greater variability of the magnitude and of the period of occurrence of annual minimum flows than natural rivers. Analysis of linear correlations between streamflow characteristics and environmental factors highlighted a correlation between the form of the distribution curves of annual minimum flows and several environmental factors (climate, land use, location and physiographic characteristics of the watersheds).
Keywords:
- Débits minimums annuels,
- caractéristiques des débits,
- variables hydrologiques,
- facteurs environnementaux,
- analyse en composantes principales,
- analyse ascendante hiérarchique,
- corrélation,
- Wallonie,
- Belgique
Article body
1. Introduction
Les études relatives aux débits minimums des rivières ont déjà fait l’objet de nombreux travaux en hydrologie. Ces travaux se sont intéressés à plusieurs aspects dont l’analyse des facteurs et processus de genèse des débits minimums, ainsi que l’élaboration des indices pour définir les caractéristiques des débits minimums annuels (DRACUP et al., 1980; GURNELL, 1993; GUSTARD et IRVING, 1994; HOPKINSON et YOUNG, 1998; SMAKHTIN, 2001; YUNUS et al., 2003). Par ailleurs, plusieurs autres études se sont intéressées à l’estimation, à la prédiction et à la modélisation des débits minimums annuels (ABI-ZEID et BOBÉE, 1999; DAVISON et van der KAMP, 2008; HEJAZI et MOGLEN, 2006; ONOZ et BAYAZIT, 2002; OUARDA et al., 2008; YUREKLI et OZTURK, 2003), afin de pouvoir définir les normes des débits réservés qui ont une importance capitale pour la protection de l’intégrité écologique des habitats aquatiques (ANNEAR et CONDOR, 1984; MUNSON et DELFINO, 2007; PETTS, 1995; SCATENA, 2004; VISMARA et al., 2001). C’est dans ce contexte que de nombreuses études ont été réalisées pour analyser les effets d’activités anthropiques (barrages hydroélectriques en particulier) sur les débits minimums (ASSANI et al., 2005; HU et al., 2008; MAGILLAN et NISLOW, 2001, 2005; PYRON et NEUMANN, 2008; YANG et al., 2008). Enfin, quelques études ont analysé la variabilité temporelle des débits minimums en relation avec les indices climatiques (Bonsal et Shabbar, 2008; Khaliqet al., 2008).
Cependant, il n’existe presque pas de travaux sur les facteurs qui influencent la variabilité spatiale des caractéristiques des débits minimums annuels (ASSANI et al., 2006a). Dans son excellente synthèse sur les débits minimums, SMAKHTIN (2001) s’est limité seulement à la question relative à l’influence de la déforestation et du reboisement sur les débits minimums, en soulignant la controverse qui persiste sur cette influence, controverse rapportée par d’autres chercheurs (ANDRÉASSIAN, 2004; COSANDEY et al., 2005; ROBINSON et al., 2003). L’influence des autres facteurs n’a pas été abordée. Ainsi, nos connaissances sur les facteurs qui influencent la variabilité spatiale des caractéristiques des débits minimums d’un bassin versant à un autre restent encore, de manière générale, très fragmentaires. Pourtant, ces connaissances sont fort importantes pour l’élaboration des normes des débits réservés pour la protection des organismes aquatiques et semi-aquatiques, d’une part, et pour assurer l’intégrité écologique des écosystèmes fluviaux, d’autre part (ASSANI et al., 2007; CAZAUBON et GIUDICELLI, 1999; GIBSON et MYERS, 1988; POFF et al., 1997; REILY et JOHNSON, 1982; RICHTER et al., 1996; ROOD et al., 1995). L’objectif principal de notre travail est de déterminer les facteurs de la variabilité spatiale des caractéristiques des débits minimums en Wallonie (Belgique) au moyen de l’analyse ascendante hiérarchique et la méthode de corrélation. Ces facteurs peuvent être pris en compte dans un schéma d’élaboration des normes des débits réservés pour assurer l’intégrité écologique des rivières wallonnes.
2. Méthodologie
2.1. Description des rivières sélectionnées et du site à l’étude
Cette étude est restreinte aux rivières situées en Wallonie (Belgique) (Tableau 1), puisque les données hydrologiques et environnementales étaient disponibles pour cette région. Du point de vue morphologique, la Belgique est formée de plusieurs unités naturelles traditionnellement regroupées en trois principales régions soit : la basse Belgique, la moyenne Belgique et la haute Belgique. Dans le cadre de cette recherche, nous avons uniquement étudié les caractéristiques des rivières de la moyenne et de la haute Belgique (Figure 1).
Les rivières sélectionnées en moyenne Belgique sont situées dans les régions limoneuses du Hainaut (Dendre, Haine, Senne, Sille et Trouille), du Brabant (Thyle) et de La Hesbaye (Mehaigne, Geer et Gette). Ces rivières coulent principalement sur un substrat limono-sableux. Quant aux rivières de la haute Belgique, situées au sud du sillon Sambre et Meuse, elles drainent plusieurs sous-ensembles naturels : le Condroz, la Fagne-Famenne, l’Ardenne et la Lorraine belge. La lithologie y est diversifiée. Du nord au sud, nous pouvons distinguer le Condroz, relief de type appalachien, où alternent les tiges gréseuses et les chavées calcaires. Les rivières sélectionnées de cette région (Bocq et Molignée) sont généralement caractérisées par une charge de fond caillouteuse sur substrat perméable. La Famenne est considérée comme un espace de transition constitué de schiste entre l’Ardenne au sud et le Condroz au nord. La Fagne est le prolongement occidental de la Famenne et est constituée de la même lithologie. Les rivières de Fagne-Famenne sélectionnées (Brouffe, Eau Blanche et Hermeton) coulent sur un substrat imperméable avec une charge de fond caillouteuse peu importante. L’Ardenne, de son côté, est marquée par un relief développé en structure plissée ou faillée composée de roches primaires (massif schisteux). Les rivières ardennaises étudiées (Amblève, Eau noire, Houille, Lesse, Lhomme, Ourthe, Semois ardennaise, Vierre et Viroin) sont caractérisées par une charge de fond caillouteuse sur substrat imperméable. Finalement, la Lorraine est caractérisée par des dépôts du Trias et du Jurassique inférieur (marnes, grès plus ou moins friables et calcaires) en discordance sur la pénéplaine posthercynienne. Au Quaternaire, la résistance différentielle des roches a entraîné une érosion et la formation de trois cuestas. Les rivières de cette région, caractérisées par un débit de base dominant, sont définies par une charge de fond généralement sableuse, certaines sur substrat partiellement imperméable, d’autres sur substrat fort perméable. Attirons l’attention sur le fait que les débits des deux rivières sélectionnées sont artificiellement influencés. Il s’agit du Bocq et de la Semois à Chantemelle. Dans le premier cas, des prélèvements d’eaux souterraines importants sont effectués dans le bassin versant. Cette eau est exportée hors du bassin versant et ceci peut affecter de manière significative les caractéristiques des débits minimums annuels. Quant à la rivière Semois à la station de Chantemelle, un fort développement de végétation aquatique est observé durant la période estivale, ce qui est susceptible d’affecter la qualité des mesures des débits minimums annuels. Plutôt que d’écarter d’emblée ces deux rivières de notre étude, nous avons décidé de les conserver afin de pouvoir comparer leur comportement par rapport à celui des rivières naturelles. Ceci permettra ainsi de quantifier objectivement l’influence de ces deux facteurs (pompage et développement de la végétation) sur les caractéristiques des débits minimums annuels. Cette influence sera analysée seulement au moyen de la méthode de l’analyse ascendante hiérarchique.
Le climat de type tempéré océanique de la Wallonie est fortement influencé par la topographie du territoire. Les températures moyennes sont de 25 °C en été et d'environ 7,2 °C en hiver. Les régimes des précipitations sont diversifiés et les totaux pluviométriques, calculés annuellement, augmentent progressivement avec l’altitude (LAGIEWKA, 1981).
2.2. Sources de données
Les données des débits analysés proviennent de quatre sources différentes : AQUALIM (cours d’eau non navigables de Wallonie), SETHY (cours d’eau navigables de Wallonie), les Annuaires hydrologiques de Belgique ainsi que les données tirées de publications (PETIT et al., 2005). Nous avons dépouillé les données journalières des débits de 34 stations limnigraphiques wallonnes (Figure 1 et Tableau 1) possédant au moins 20 ans de mesure continue de débits. La superficie des bassins versants étudiés varie entre 10 et 1 600 km2. La valeur médiane est de 227 km2. Les valeurs de variables hydrologiques analysées sont présentées au tableau 2.
Quant aux facteurs environnementaux, les données proviennent de plusieurs sources. Les données sur la superficie des bassins versants, au niveau des stations de mesure des débits, et les coordonnées géographiques ont été tirées des quatre sources précédentes. La longueur totale (km) de chaque cours d’eau ainsi que la pente moyenne de celui-ci ont été calculées à l’aide d’un modèle numérique de terrain d’une résolution de 30 x 30 m (Source : IGN Belgique). Les informations sur l’occupation du sol et la superficie des forêts ont été tirées de la carte thématique des plans de secteurs (Source : D.G.A.T.L.P. : Cartographie de base à l’échelle de 1/10 000). Quant aux données climatiques, les annuaires climatologiques de l’Institut Royal Belge ont été utilisés. Pour les stations comportant des données manquantes, la méthode préconisée par ALEXANDRE et al. (2000) pour estimer les valeurs de la température et des précipitations aux échelles annuelles et mensuelles, a été appliquée. Cette méthode consiste à estimer la quantité de précipitation ou la température moyenne en fonction de l’altitude de la station (krigeage). Les informations concernant la géologie sont issues de la carte géologique de la Belgique au 1/40 000 (Source : D.G.A.T.L.P. : Cartographie de base). Pour chaque bassin versant, la superficie (en %) occupée par les roches perméables (ex. : calcaire, dolomite) et imperméables (ex. : schistes, quartzites, etc.) a été déterminée. Enfin, la densité de population par bassin versant a été calculée à partir des données statistiques de la population du Ministère de la Région wallonne en 2005. Tous les facteurs environnementaux utilisés sont repris dans le tableau 3 et leurs valeurs, pour chacun des bassins versants analysés, se trouvent au tableau 4.
2.3 Méthodes d’analyses statistiques
L’analyse statistique a été effectuée en quatre étapes.
La première étape a consisté à définir les différentes caractéristiques et les variables hydrologiques associées de chaque série annuelle des débits minimums (série constituée par les valeurs des débits les plus faibles mesurés chaque année) selon la méthodologie proposée par ASSANI et al. (2006a). Cette méthodologie est fondée sur le concept de « régime des débits naturels ». Ce concept permet d’établir une différence entre la notion « des caractéristiques des débits » et celle de « variables hydrologiques ». En effet, une caractéristique des débits est une propriété intrinsèque d’écoulement, alors qu’une variable hydrologique est une variable statistique qui permet de définir une caractéristique des débits. Chaque série annuelle des débits minimums peut être définie par six caractéristiques (ASSANI et al. 2006a) : le volume d’écoulement (magnitude), la fréquence, la période d’occurrence, la variabilité (de la magnitude et de la période d’occurrence) et enfin, la forme de courbe de distribution. Toutefois, le nombre de caractéristiques dépend de la série hydrologique. En ce qui concerne la série annuelle, on ne peut définir que cinq caractéristiques (le volume d’écoulement ou magnitude, la fréquence, la variabilité, la période d’occurrence et la forme de courbe de distribution). Dans le tableau 5 sont consignées les variables hydrologiques qui ont été utilisées pour définir ces cinq caractéristiques fondamentales. À ce propos, il convient de préciser qu’une caractéristique des débits peut être définie par une infinité des variables hydrologiques. Toutefois, ASSANI et al. (2006b) ont démontré qu’une caractéristique peut être définie entièrement par deux variables hydrologiques, car toutes les variables qui définissent une caractéristique des débits sont corrélées entre elles.
La seconde étape a consisté à synthétiser l’information au moyen de l’analyse en composantes principales (SANDERS, 1989). Cette analyse avait pour objectif de transformer les variables hydrologiques en caractéristiques des débits (ASSANI et al. 2006a). Elle a été appliquée à la matrice des corrélations qui, moins sensible aux valeurs extrêmes, permet d’éliminer l’effet provoqué par la variabilité locale d’un site. Afin de déterminer le nombre des composantes statistiquement significatives, le critère de KAISER (1960) a été appliqué dans le but de tenir compte du plus grand nombre possible de composantes principales significatives. Selon ce critère, une composante principale est significative lorsque sa valeur propre est supérieure ou égale à un.
À la troisième étape, les rivières ont été regroupées en fonction de leurs caractéristiques (notes factorielles des composantes principales significatives) des débits au moyen de l’analyse ascendante hiérarchique (SANDERS, 1989). Dans le cadre de ce travail, le critère d’agrégation de Ward a été choisi en raison de son avantage à rechercher, à chaque étape, une partition telle que la variance intra-classe soit minimale et la variance inter-classe soit maximale (LEBART et al., 2004). Pour caractériser les différentes classes formées au moyen des variables hydrologiques, les valeurs moyennes des caractéristiques des débits minimums annuels ont été comparées. Rappelons que les deux rivières dont les débits sont artificiellement influencés ont été incluses dans l’analyse ascendante hiérarchique, afin de pouvoir comparer leur comportement à celui des rivières dont les débits ne sont pas influencés.
Enfin, à la dernière étape, les coefficients de corrélation entre les composantes principales, extraites des matrices des variables hydrologiques et des facteurs environnementaux, ont été calculés selon la méthode proposée par ASSANI et al.(2006a). Cette étape a ainsi permis de déterminer les facteurs environnementaux qui influencent linéairement la variabilité spatiale des caractéristiques des débits minimums annuels en Belgique.
3. Résultats
3.1. Analyse ascendante hiérarchique des caractéristiques des débits minimums annuels
L’analyse hiérarchique ascendante a été appliquée sur les notes factorielles des composantes principales extraites des données hydrologiques. Les données sur les deux rivières, dont les débits sont artificiellement influencés, ont été incluses dans cette analyse afin de pouvoir déterminer leur comportement par rapport aux rivières naturelles. Pour regrouper les rivières en classes homogènes, nous avons procédé à une coupure du dendrogramme au niveau 0,1. Cette coupure a permis de regrouper les rivières analysées en cinq classes ou régions hydrologiques homogènes (Figure 2). En ce qui concerne les deux rivières dont les débits sont artificiellement influencés, elles forment la première sous-classe (rivières 2 et 26) de la classe 5 (Figure 2). Ce résultat suggère que le pompage des eaux souterraines de la rivière Bocq à Yvoir, et la présence d’une végétation abondante dans la Semois à Chantemelle, induiraient les mêmes types d’impacts sur les caractéristiques des débits minimums annuels. Pour corriger les effets de ces impacts sur les valeurs des débits, on suggère d’appliquer la méthode de proportionnalité, basée sur la relation entre la taille des bassins versants et les valeurs des débits.
Pour caractériser ces cinq classes, les valeurs moyennes des caractéristiques des débits minimums annuels ont été comparées (Tableau 6) en excluant, bien entendu, les deux rivières. Les classes IV (Geer, Grande Gette, Thyle) et V (Haine, Molignée et Ton) sont caractérisées par des valeurs relativement élevées de la magnitude (débits spécifiques) et de la variabilité de la période d’occurrence des débits minimums annuels, mais par des valeurs relativement faibles de coefficients d’asymétrie et de la variabilité du volume d’écoulement-fréquence (Tableau 6). Les deux classes se distinguent entre elles par la date d’occurrence des débits minimums annuels. Ceux-ci surviennent tôt dans l’année pour la classe IV, mais tard pour la classe V. Les rivières de ces deux classes coulent toutes sur un substrat perméable. Ceci explique les valeurs élevées de leur volume d’écoulement des débits minimums annuels. Les rivières de la classe IV drainent la région limoneuse d’Hesbaye, alors que celles de la classe V coulent en majorité dans le Condroz (présence du calcaire) et la Lorraine (sable).
Les classes II (Dendre, Hermeton, Senne, Eau blanche, Trouille, Viroin, Mehaigne, Sille) et III (Brouffe, Dendre, Houille, Hermeton, Ourthe, Vierre) sont principalement caractérisées par de faibles valeurs du volume d’écoulement-fréquence. Par rapport à la classe II, la classe III est caractérisée par des valeurs plus élevées de la variabilité du volume d’écoulement et de la période d’occurrence ainsi que du coefficient d’asymétrie. La plupart des rivières de ces deux classes drainent des substrats peu perméables ou imperméables de la Fagne, d’Ardenne et de la région limoneuse hennuyère. Enfin, la première classe, qui regroupe 11 rivières, est caractérisée par des valeurs intermédiaires du volume d’écoulement, mais par une forte variabilité de ce volume d’écoulement et des valeurs très élevées du coefficient d’asymétrie. Quant aux deux rivières dont les mesures des débits sont artificiellement influencées, cette influence artificielle se traduit principalement par une hausse de la variabilité du volume d’écoulement et de la période d’occurrence des débits minimums annuels (Tableau 7). Enfin, mentionnons que le Bocq, soumis au pompage, a un coefficient d’asymétrie plus élevé que les autres rivières de la classe V.
En guise de conclusion, l’analyse ascendante hiérarchique met en évidence à la fois l’influence de la lithologie, et des facteurs anthropiques sur la variabilité spatiale des caractéristiques des débits minimums.
3.2. Analyse des corrélations entre les facteurs environnementaux et les caractéristiques des débits minimums annuels
Rappelons que pour calculer les corrélations, nous avons procédé par la réduction du nombre des facteurs environnementaux au moyen de l’analyse en composantes principales. Cette méthode a également été appliquée pour les données hydrologiques, mais en excluant les deux rivières dont les débits sont artificiellement influencés. Trois composantes principales significatives ont été extraites de la matrice des corrélations calculées entre les facteurs environnementaux. Ces composantes expliquent près de 82 % de la variance totale, dont 60 % environ sont expliquées par la première composante principale (Tableau 8). Celle-ci est corrélée à quatre types de facteurs environnementaux : les facteurs de localisation (représentés ici par la longitude et la latitude), le facteur climatique (températures et précipitations), les facteurs d’utilisation des sols (densité de population, pourcentage de cultures, de forêts et de prairies) et, enfin, le facteur géologique (perméabilité). De ces quatre facteurs, les variables qui définissent le climat (températures et précipitations) sont les mieux corrélées à la première composante. En effet, les valeurs de saturation de ces variables sont presque toutes supérieures à 0,90. La température et la latitude sont corrélées négativement à cette composante, alors que les précipitations et la longitude le sont positivement. La seconde composante principale est corrélée aux facteurs qui décrivent les caractéristiques physiographiques des bassins versants. La dernière composante principale significative est positivement corrélée à la superficie des lacs et marais. Il importe de souligner que la presque majorité de ces plans d’eau sont artificiels.
En ce qui concerne les variables hydrologiques, quatre composantes principales ont été extraites. Leur variance totale expliquée atteint environ 90 % (Tableau 9). La variance totale expliquée par la première composante dépasse 45 %. La première composante principale est corrélée aux variables hydrologiques qui définissent le volume d’écoulement (magnitude) et la fréquence des débits minimums annuels, alors que la seconde composante l’est à la variabilité interannuelle de la magnitude et aux variables qui définissent la forme de la courbe de distribution. La composante III est principalement corrélée à la variabilité interannuelle des dates d’occurrence des débits minimums. La dernière composante principale est corrélée aux dates d’occurrence des débits minimums annuels.
L’analyse ascendante hiérarchique ne permet pas d’analyser l’influence de tous les facteurs environnementaux susceptibles d’influencer la variabilité spatiale des débits minimums annuels. L’analyse de corrélation a été ainsi appliquée entre les composantes principales extraites des facteurs environnementaux et les caractéristiques des débits. Les coefficients de corrélation calculés entre les trois composantes principales extraites des facteurs environnementaux et les quatre composantes principales extraites des variables hydrologiques sont repris au tableau 10. Il ressort de ce tableau que la caractéristique hydrologique « la forme de courbe de distribution » de la magnitude, associée à la deuxième composante principale (CPH2), est significativement corrélée à la première composante principale (CPEI), associée aux divers facteurs environnementaux (facteurs de localisation, climatique et géologique) et, dans une moindre mesure, à la deuxième composante principale (CPEII), associée au facteur qui définit les caractéristiques physiographiques des bassins versants. Les autres caractéristiques hydrologiques ne sont linéairement corrélées à aucun facteur environnemental. Il est intéressant de faire remarquer que contrairement au pompage d’eau, la création artificielle des plans d’eau dans un bassin versant n’affecte pas les caractéristiques des débits minimums annuels. Cette conclusion est importante dans la gestion et l’aménagement des bassins versants.
4. Discussion et conclusion
Les processus de genèse des débits sont complexes à l’échelle d’un bassin versant. Cette complexité s’amplifie lorsqu’on les compare d’un bassin versant à un autre en raison de l’augmentation des facteurs impliqués. Pourtant, l’identification de ces derniers est fort importante pour pouvoir assurer l’intégrité écologique des cours d’eau naturels et anthropisés. Par ailleurs, selon le paradigme écologique de « régime des débits naturels », cette intégrité écologique ne peut efficacement être assurée que si on tient compte de toutes les caractéristiques fondamentales des débits (POFF et al., 1997; RICHTER et al., 1996). Par conséquent, l’identification de tous les facteurs environnementaux et anthropiques qui influencent la variabilité spatio-temporelle des caractéristiques des débits devient un enjeu important dans la gestion des écosystèmes aquatiques. En effet, chaque caractéristique des débits joue un rôle précis dans le fonctionnement des écosystèmes aquatiques. Tout changement qui affecte l’une de ces caractéristiques peut perturber plus ou moins profondément ce fonctionnement, comme l’ont démontré plusieurs travaux en écologie aquatique et en géomorphologie fluviale (BUNN et ARTHINGTON, 2002; GRAF, 2006; NILSSON et SVEDMARK, 2002; PINAY et al, 2002 ; POFF et al., 1997). Cependant, cet aspect, c’est-à-dire la prise en compte de toutes les caractéristiques des débits dans les études hydrologiques, est encore très peu documenté en hydrologie. Ainsi, bien que nos connaissances sur les facteurs de variabilité spatiale de ces caractéristiques puissent être anticipées, elles ne sont encore que peu documentées.
L’application de ce paradigme écologique a permis de déterminer les différentes caractéristiques des débits à une échelle d’analyse donnée et les facteurs qui influencent leur variabilité spatiale. C’est ainsi que son application en Wallonie a permis de déterminer toutes les caractéristiques des débits minimums annuels. Celles-ci ont été définies à partir de 17 variables hydrologiques au moyen de l’analyse en composantes principales. Chaque caractéristique a été associée à une composante principale dont la variance totale expliquée par les quatre principales composantes significatives a atteint 90 %. La classification des rivières en fonction de ces composantes principales au moyen de la méthode de classification ascendante hiérarchique a mis en évidence un lien entre la nature du substrat et les caractéristiques des débits minimums annuels. En effet, les rivières qui drainent un substrat perméable (régions de Condroz, de la Hesbaye et de la Lorraine) sont caractérisées par un volume d’écoulement relativement élevé et une occurrence tardive des débits minimums annuels. Quant aux rivières qui coulent sur un substrat imperméable ou peu perméable (Ardenne, Fagne et la région limoneuse hennuyère), celles-ci sont caractérisées par des débits minimums relativement faibles, mais des valeurs élevées de coefficients d’asymétrie et de la variabilité interannuelle du volume d’écoulement (magnitude). De plus, cette analyse ascendante hiérarchique a aussi permis de quantifier les effets de pompage (Bocq à Yvoir) et de la végétation (Semois à Chantemelle) sur les caractéristiques des débits minimums annuels. L’influence de ces deux facteurs se traduit principalement par une hausse de la variabilité de la magnitude et de la période d’occurrence des débits minimums annuels par rapport aux rivières naturelles. L’analyse des corrélations entre les caractéristiques des débits et les facteurs environnementaux a révélé que la variabilité de la magnitude et la forme de courbe de distribution (coefficients d’asymétrie et d’aplatissement) sont fortement corrélées à de nombreux facteurs comme le climat, l’utilisation des sols ainsi que la localisation des bassins versants et les caractéristiques physiographiques des bassins versants. Les autres caractéristiques hydrologiques ne sont corrélées significativement à aucun facteur environnemental. Il s’ensuit que la lithologie semble être le principal facteur de variabilité spatiale des caractéristiques des débits minimums annuels en Wallonie.
Cette étude démontre la nécessité de tenir compte de toutes les caractéristiques des débits afin de pouvoir identifier tous les facteurs qui influencent leur variabilité spatiale. Presque toutes les études consacrées à l’analyse de la variabilité spatiale des débits minimums annuels se limitent généralement au volume d’écoulement. Cette approche ne permet pas de déterminer tous les facteurs impliqués dans la variabilité spatiale de ces débits.
Appendices
Remerciements
Nous tenons à remercier l’équipe du Laboratoire d’hydrographie et de géomorphologie fluviatile du professeur M. François Petit de l’Université de Liège en Belgique. Nous remercions également le programme de mobilité étudiante de l’Université du Québec à Trois-Rivières qui a permis à la première auteure de réaliser un stage en Belgique.
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