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1. Introduction

En octobre 2006, l’Académie des Sciences a publié un « Rapport sur la science et la technologie » sous le titre « Les eaux continentales «, préparé pour le gouvernement français, afin d’examiner quelques-uns des problèmes majeurs de l’eau, auxquels le Monde pourrait être confronté dans la seconde moitié de ce siècle. Le but de ce rapport était de déterminer les possibilités que surviennent dans le Monde des crises importantes liées à l’eau, et de proposer des actions possibles visant à éviter ou réduire l’impact de telles crises. Les risques anticipés étaient liés aux conséquences des changements climatiques affectant la disponibilité en eau, ainsi qu’à l’augmentation de la population mondiale, à l’impact de la société sur les écosystèmes aquatiques, à une détérioration potentielle de la qualité de l’eau potable et à l’accroissement du nombre de mégalopoles (ayant plus de dix millions d’habitants), principalement dans les pays en voie de développement. Nous ne traiterons ici que de la question du changement climatique, en nous fondant aussi sur les derniers résultats des travaux du Groupe International d’Étude du Climat (GIEC, 2007), et de celle de l’accroissement de la population du point de vue des besoins en eau pour la production alimentaire, dans des situations moyennes ou en cas de sécheresse, et finalement de l’impact de la société sur les écosystèmes.

2. Changement climatique

Depuis le début de la révolution industrielle, les humains ont considérablement modifié la concentration des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère, principalement le CO2, le CH4 et le N2O, facilitant ainsi la rétention dans l’atmosphère des émissions infrarouges de la terre, provoquant, jusqu’ici, une augmentation du flux de chaleur terrestre de 2,3 W/m2 depuis 1750. Pour le XXIe siècle, des scénarios d’émissions ont été développés par le GIEC, qui a aussi calculé leur impact sur les concentrations en CO2 dans l’atmosphère, présentées sur la figure 1, et leurs conséquences climatiques. Il est important de noter que la variabilité de la concentration en CO2 entre les scénarios est assez faible jusqu’en 2050, mais devient tout à fait significative en 2100 en fonction de l’efficacité des efforts de réduction des émissions.

Figure 1

Concentration de CO2 atmosphérique, passée et future pour 8 scénarios différents d’émissions de CO2, d’après le GIEC (2001).

Past and future CO2 atmospheric concentration for 8 different scenarios of CO2 emission, from IPCC (2001).

Concentration de CO2 atmosphérique, passée et future pour 8 scénarios différents d’émissions de CO2, d’après le GIEC (2001).

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Une des conséquences de ces concentrations de GES est une augmentation moyenne estimée de la température à la surface de la Terre de 0,74 °C au cours des 100 dernières années. La figure 2 montre, par exemple, l’évolution de la température moyenne d’été en France, mesurée de 1860 à 2003 et prédite jusqu’en 2100, basée sur le GIEC scénario A2 sans aérosols, ce qui est un scénario moyen. On peut y voir, par exemple, que la canicule de 2003 se situerait dans la fourchette des étés normaux dans la seconde moitié du XXIe siècle.

Figure 2

Évolution de la température moyenne d’été en France de 1860 à 2100. Mesures jusqu’en 2003, prédictions avec le modèle IPSL, scénario GIEC SRES A2, sans aérosols (d’après Dufresneet al., 2002, dans Académie des Sciences, 2006).

Evolution of the mean summer temperature in France from 1860 to 2100. Measurements until 2003, predictions with the IPSL model, IPCC SRES A2 scenario, without aerosols (from Dufresne et al., 2002, in Académie des Sciences, 2006).

Évolution de la température moyenne d’été en France de 1860 à 2100. Mesures jusqu’en 2003, prédictions avec le modèle IPSL, scénario GIEC SRES A2, sans aérosols (d’après Dufresneet al., 2002, dans Académie des Sciences, 2006).

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L’analyse conduite par l’Académie des Sciences (2006) conclut à dire que les effets des changements climatiques durant le siècle à venir sont relativement bien prédits en ce qui concerne la température, en fonction, évidemment, du scénario des émission des GES, mais que leurs effets hydrologiques sont bien moins certains. Néanmoins, la prédiction actuelle est que la hausse de la température générerait une accélération significative du cycle de l’eau avec une évaporation plus forte et une augmentation de la quantité de vapeur d’eau présente dans la troposphère tandis que l’humidité relative resterait plus ou moins constante. Les précipitations globales seraient donc plus abondantes, mais leur distribution dans l’espace est beaucoup moins certaine puisqu’elle dépend fortement des hypothèses posées dans les modèles, ainsi que de la présence d’aérosols qui dépend de l’activité humaine, de la circulation atmosphérique et des émissions volcaniques.

La figure 3 est une description de la distribution zonale des précipitations moyennes (de pôle à pôle) pour le climat actuel mesuré (trait noir épais) et pour celui calculé à l’actuel avec 15 modèles climatiques différents. On observe une grande variabilité entre les modèles, ce qui explique en partie pourquoi les prédictions des modèles concernant les précipitations des climats futurs sont si peu certaines. Les conséquences générales prévues du changement climatique seraient un déplacement vers les pôles des zones climatiques, comme le montre le trait rouge épais sur la figure 3. Les zones désertiques du Monde, présentées à la figure 4, se déplaceraient vers le nord dans l’hémisphère nord, et vers le sud dans l’hémisphère sud. Simultanément, il pleuvrait plus aux latitudes septentrionales et sous les tropiques.

Figure 3

Précipitations zonales moyennes (mm/j) pour décembre, janvier, février pour le climat actuel, observées (trait noir épais) et calculées par 15 modèles.

Mean zonal precipitation (mm/d) for December, January, February, for the current climate, observed (thick black line) and calculated with 15 models.

Précipitations zonales moyennes (mm/j) pour décembre, janvier, février pour le climat actuel, observées (trait noir épais) et calculées par 15 modèles.

Le trait rouge épais est une représentation schématique des changements des précipitations pour le climat de la fin de ce siècle (adaptées d’après Lambert et Boer, 2001, dans Académie des Sciences, 2006).

The tick red line is a schematic representation of the precipitation changes for the climate at the end of the century (Adapted from Lambert and Boer, 2001, in Académie des Sciences, 2006).

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Figure 4

Régions désertiques dans le Monde actuel.

Dry areas of the World today.

Régions désertiques dans le Monde actuel.

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Ces changements sont illustrés par la figure 5, qui montre les changements des précipitations (en mm/j et en %), depuis la seconde moitié du XXe jusqu’à la seconde moitié du XXIe siècle, pour les mois de décembre à mars (à gauche) et de juin à septembre (à droite), calculées par le modèle CNRM de Météo-France pour le scénario B2 du GIEC. Les mêmes résultats fournis par le dernier rapport du GIEC (2007), à partir d’une moyenne de différents modèles, s’accordent assez bien avec ces valeurs. Le tableau 1 présente une estimation des changements de précipitations empruntée à la figure 5 pour plusieurs régions d’Europe, d’Afrique et d’Amérique.

Figure 5

Anomalies des précipitations (haut: mm/j, bas: %) calculées pour le scénario B2 du GIEC avec le modèle français CNRM, comparant les moyennes des années 1950-1999 et 2050-2099. A gauche: décembre à mars. A droite: juin à septembre. (Académie des Sciences, 2006).

Precipitation anomalies (top : mm/d, bottom : %) calculated for the IPCC B2 scenario with the French CNRM model, comparing the averages for years 1950-1999 and 2050-2099. Left : for December to March. Right : for June to September. (Académie des Sciences, 2006).

Anomalies des précipitations (haut: mm/j, bas: %) calculées pour le scénario B2 du GIEC avec le modèle français CNRM, comparant les moyennes des années 1950-1999 et 2050-2099. A gauche: décembre à mars. A droite: juin à septembre. (Académie des Sciences, 2006).

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Tableau 1

Changements des précipitations en % pour différentes zones climatiques, seconde moitié du 21ème siècle par rapport à la seconde moitié du 20ème siècle.

Precipitation changes in %, for different climate zones, second half of 21st century compared to the second half of the 20th century.

Zone Géographique

Décembre à Mars

Juin à Septembre

Afrique Equatorial

+25 %

+10 %

Sahel Africain

Incertain, +/‑ 10 %

+30 %

Afrique du Nord

‑15 %

‑10 %

Europe du Sud

Incertain, +/‑10 %

‑20 %

France en moyenne

+15 %

Incertain, +/‑ 10 %

Europe du Nord

+25 %

+15 %

Amérique du Nord

+/‑10 %

+/‑10 %

Nord Canada

+20 %

+/‑10 %

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Outre les changements des précipitations moyennes décrits ci-dessus, la question de la variabilité du climat a également été examinée par l’Académie des Sciences (2006) et par le GIEC (2007). La probabilité que des événements extrêmes se produisent sera-t-elle différente de ce qu’elle est aujourd’hui?

La figure 6 est une représentation schématique des évolutions potentielles de la loi de probabilité d’occurrence d’un événement hydrologique quelconque, tel que les précipitations annuelles, le débit d’une rivière, etc. La distribution bleue représente le climat actuel, avec sa moyenne « m ». En moyenne, la précipitation annuelle est m, mais une précipitation de m/2, par exemple, est un événement qui se produit, selon ce schéma, avec une fréquence de 10 %, etc. Les courbes décrivent la probabilité de sécheresses sur le côté gauche, et de crues sur le côté droit, par rapport à la moyenne.

Figure 6

Représentation schématique de la variation de la probabilité d’occurrence d’événements extrêmes avec les changements climatiques, pour le climat actuel, pour un climat plus humide (décalée) et une variabilité modifiée (adapté d’après l’Académie des Sciences, 2006).

Schematic representation of the probability of occurrence of extreme events for climate changes, with current climate, a more humid climate (shifted), and a modified variability (Adapted from Acad. Sciences, 2006).

Représentation schématique de la variation de la probabilité d’occurrence d’événements extrêmes avec les changements climatiques, pour le climat actuel, pour un climat plus humide (décalée) et une variabilité modifiée (adapté d’après l’Académie des Sciences, 2006).

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Les climatologues acceptent de dire que si les précipitations moyennes augmentent, et deviennent m’ au lieu de m, il est très probable que toute la distribution sera décalée vers la droite, comme le montre la courbe verte sur la figure 6. Dans ce cas, la probabilité de crues serait plus forte et celle de sécheresses plus faible. En revanche, si la courbe verte avec une moyenne de m’ était celle d’aujourd’hui, et si elle était décalée vers la gauche, devenant ainsi la courbe bleue, avec une décroissance de la moyenne m, la probabilité de sécheresses croîtrait et celle de crues décroîtrait. Cependant, ce qui est inconnu, c’est si le déplacement de la moyenne, m à m’, affecterait aussi la forme de la distribution, en la modifiant par exemple pour qu’elle devienne la courbe rouge sur la figure 6. Dans ce cas, la probabilité de crues aussi bien que celle de sécheresses pourrait augmenter. Le dernier rapport du GIEC (WG1, chapitre 3, 2007) indique que, selon les observations, une augmentation de la variabilité du climat paraît fortement probable, c’est-à-dire qu’il y aurait à la fois un décalage de la distribution et un changement de forme, avec une variabilité plus forte. Malheureusement, à l’heure actuelle, les modèles climatiques ne sont pas capables de répondre à cette question, ces changements ne peuvent être déduits que des observations, mais cela demande bien évidemment des séries de temps très longues.

Ces changements sont, comme nous l’avons vu, très incertains et pourraient peut-être survenir avant 2050. Les conséquences majeures sur la distribution des ressources en eaux mondiales, pendant ce siècle, semblent être:

Pour l’Europe du Sud, les zones des latitudes méditerranéennes, l’Amérique du Sud et l’Australie du Sud 

  • Une baisse importante, en moyenne, de la teneur en eau du sol (évapotranspiration plus forte causée par l’augmentation de la température et des précipitations plus faibles, particulièrement en été), ce qui veut dire qu’il faudra plus d’eau pour l’irrigation, si la production agricole doit être maintenue à son niveau actuel.

  • Risques accrus de sécheresses édaphiques (agricoles) survenant pendant les mois de printemps et d’été et affectant principalement la végétation.

  • Risques accrus de sécheresses hydrologiques se produisant en automne et en hiver et compromettant l’alimentation des aquifères, et ainsi le débit des rivières le reste du temps; cependant, les risques sont probablement plus faibles que ceux des sécheresses édaphiques, puisque la diminution des précipitations concerne principalement les mois d’été.

  • Risques plus forts de crues, des précipitations intenses devenant probablement plus fréquentes.

  • Risques accrus d’incendies de forêts.

Pour l’Europe du Nord, le Nord de la Russie, Amérique du Nord, zones de l’Equateur

  • Des ressources en eaux plus abondantes, aussi bien en été qu’en hiver.

  • Risques plus grands de crues, particulièrement en hiver.

  • Possible augmentation des risques de sécheresse.

En général

  • Fonte des glaces dans les Alpes (ainsi que dans les Rocheuses, l’Himalaya, les Andes, etc.) et sur les marges des calottes polaires (mais peut-être accroissement des glaces aux pôles, dû à des précipitations plus fortes).

  • Augmentation de la température à la surface de la mer, ce qui entraînerait probablement une intensification (en force et en fréquence) des ouragans dans les zones tropicales.

  • Fréquence accrue des événements El Niño - La Niña? Ceci se discute encore, mais affecterait surtout la zone de moussons.

  • Augmentation du niveau de la mer (approximativement 0,50 m en 2050, actuellement 3 mm/an), dû au réchauffement général des mers (expansion thermique) et à la fonte des glaces.

  • On parle aussi parfois d’un effet possible sur le Gulf Stream; cela ferait baisser la température en Europe et en Amérique du Nord, mais c’est très incertain, et la date potentielle d’occurrence est inconnue; toutefois, cette baisse ne compenserait pas l’augmentation générale de la température.

3. Pénurie en eau

Ces changements dans le cycle de l’eau doivent maintenant être comparés aux besoins en eau actuels. Le tableau 2 présente la distribution de la population mondiale en fonction des ressources en eaux disponibles : On voit clairement que les problèmes majeurs de ressource en eau existent déjà dans les steppes et les zones arides du monde, où approximativement 21 % de la population mondiale reçoivent 2,2 % du débit mondial des rivières. Le tableau 3, adapté d’après Shiklomanov (1999) et Académie des Sciences (2006), offre une estimation de la demande en eau (prélèvements et consommation) à l’échelle mondiale, de 1900 à 2050 (fondée sur des tendances observées seulement après 2000), à laquelle a été ajoutée une estimation de la consommation en eau par l’agriculture pluviale. Le tableau 4 est une distribution par continent de ces chiffres pour l’année 2000. Tous sont évidemment des estimations grossières qui ne concordent pas entièrement entre les tableaux 3 et 4. Enfin, la figure 7 (IWMI, 2007) donne une estimations de la « pénurie en eau » actuelle, qui est définie comme une « pénurie physique », quand la consommation en eaux est supérieure à 75 % ou 60 % de la ressource, et comme une « pénurie économique », quand l’eau est disponible mais les outils et le développement nécessaires pour permettre son utilisation ne sont pas réunis.

Tableau 2

Classification des climats d’après Viviroliet al., 2007; A: Part de la superficie continentale (total : 133,6 millions de km2); POP : Part de la population mondiale (total : 6,2 milliards d’individus en 2000); Q : Part du débit mondial (total: 40 606 km3a-1); q : ruissellement moyen; l’Antarctique et les parties glaciaires de Groenland sont exclus.

Climate classification taken from Viviroli et al. 2007; A: Share in continental surface area (total: 133.6 million km2); POP: Share in global population (total: 6.2 billion people in 2000); Q: share in global discharge (total: 40,606 km3 y-1); q: Average runoff; Antarctica and glaciated parts of Greenland are excluded.

Climat

Zones de vie agrégées de Holdridge

A

(%)

POP

(%)

Q

(%)

q

(mm a‑1)

Polaires et froid

Toundra et polaire; Cold Parklands

14,8

3,2

11,9

245

Frais

Forêt et toundra, forêt boréale

11,3

4,0

11,6

313

Tempéré

Forêt tempérée et chaude

9,9

23,3

15,2

465

Steppes

Steppe; Chaparral

9,7

13,6

1,9

59

Aride

Désert frais et chaud

18,5

7,9

0,3

5

Sub-tropical

Tropical semi-aride, forêt tropicale sèche

18,3

24,8

8,8

147

Tropical humide

Forêt tropicale saisonnière, forêt tropicale humide

17,5

23,2

50,3

872

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Tableau 3

Demande en eau de 1900 à 2050, adaptée d’après Shiklomanov (1999) et Académie des Sciences (2006).

Water demand from 1900 to 2050, adapted from Shiklomanov (1999) and Acad. Sciences (2006).

Demande en eau

1900

1950

1980

1990

2000

2025

2050

Population (millions)

2 000

2 542

4 410

5 285

6 181

8 000

9 200

Surfaces irriguées, M Ha

47,3

101

198

243

264

307

331

Prélèvements agricoles, km3/a

513

1 080

2 112

2 425

2 605

3 053

3 283

Consommation agricole, km 3/a

321

722

1 445

1 991

1 834

2 143

2 309

Rapport consommation/prélèvements

63 %

67 %

68 %

70 %

70 %

70 %

70 %

Prélèvements domestiques, km3/a

21,5

86,7

219

305

384

522

618

Consommation domestique, km3/a

4,6

16,7

38,3

45

52,8

73,6

86,4

Rapport consommation/prélèvements

21 %

19 %

17 %

15 %

14 %

14 %

14 %

Prélèvements industriels, km3/a

44

204

713

735

776

834

875

Consommation industrielle, km3/a

5

19

71

79

88

104

116

Rapport consommation/prélèvements

11 %

9 %

10 %

11 %

11 %

13 %

13 %

Évaporation par les barrages, km3/a

0,3

11,1

131

167

208

302

362

Prélèvements totaux annuels, km3/a

579

1 382

3 175

3 632

3 973

4 710

5 138

Consommation totale, km3/a

330

758

1 554

1 815

1 975

2 321

2 511

Agriculture pluviale, km3/a

 

 

 

 

5 000

7 000

9 000

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Tableau 4

Prélèvements et consommation d’eau en 2000 (adapté d’après Marsily, 2000).

Water withdrawal and consumption for 2000 (adapted from Marsily, 2000).

Tous chiffres en km3/a

Population millions

Pluie

Écoulement total

Écoulement de base

Prélèv. domestiques

Consom. agriculture pluviale

Prélèv. agriculture irriguée

Consom. agriculture irriguée

Prélèv. industriels

Europe

712

7 165

3 110

1 065

120

1 120

550

390

380

Asie

3 722

32 690

13 190

3 410

310

1 850

2 000

1 380

425

Afrique

853

20 780

4 225

1 465

40

320

200

140

32

Amérique du Nord

489

13 910

5 960

1 740

130

940

400

280

390

Amérique du Sud

367

29 355

10 380

3 740

50

650

100

70

105

Australie, Iles du Pacifique

30

6 405

1 965

465

8

120

25

20

3

TOTAL

6 200

110 305

38 830

11 885

658

5 000

3 275

2 280

1 335

Consommation

 

 

 

 

90

5 000

-

2 280

170

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Figure 7

(D’après IWMI, 2007) : Régions avec pénuries en eaus physiques et économiques. Bleu - Peu ou absence de pénurie en eau : Ressources en eaux abondantes par rapport à l’usage avec moins de 25 % du débit des rivières prélevés pour des besoins de la population; Rouge - Pénurie en eau physique : Plus de 75 % du débit des rivières prélevés pour les besoins de l’agriculture, l’industrie ou l’usage domestique (y compris le recyclage des écoulements d’eau usée); Vert - Proche de la pénurie en eau physique : Plus de 60 % des débits des rivières sont prélevés. Ces bassins souffriront de pénurie en eau physique dans un avenir proche; Noir - Pénurie d’eau économique : Un manque de capitaux humains, institutionnels et financiers limite l’accès à l’eau, bien que, dans la nature, cette eau soit disponible localement pour répondre aux demandes de la population. Moins de 25 % de l’eau des rivières sont prélevés pour les besoins des habitants, mais la malnutrition sévit.

(From IWMI, 2007) Areas of physical and economic water scarcity. Blue - Little or no water scarcity: Abundant water resources relative to use, with less than 25% of water from rivers withdrawn for human purposes; Red - Physical water scarcity: More than 75% of the river flows are withdrawn for agriculture, industry and domestic purposes (accounting for recycling of return flows); Brown – Approaching physical water scarcity: More than 60% of river flows are withdrawn. These basins will experience physical water scarcity in the near future; Black – Economic water scarcity: Human, institutional and financial capital limit access to water even though water in nature is available locally to meet human demands. Less than 25% of water from rivers withdrawn for human purposes, but malnutrition exists.

(D’après IWMI, 2007) : Régions avec pénuries en eaus physiques et économiques. Bleu - Peu ou absence de pénurie en eau : Ressources en eaux abondantes par rapport à l’usage avec moins de 25 % du débit des rivières prélevés pour des besoins de la population; Rouge - Pénurie en eau physique : Plus de 75 % du débit des rivières prélevés pour les besoins de l’agriculture, l’industrie ou l’usage domestique (y compris le recyclage des écoulements d’eau usée); Vert - Proche de la pénurie en eau physique : Plus de 60 % des débits des rivières sont prélevés. Ces bassins souffriront de pénurie en eau physique dans un avenir proche; Noir - Pénurie d’eau économique : Un manque de capitaux humains, institutionnels et financiers limite l’accès à l’eau, bien que, dans la nature, cette eau soit disponible localement pour répondre aux demandes de la population. Moins de 25 % de l’eau des rivières sont prélevés pour les besoins des habitants, mais la malnutrition sévit.

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Si nous essayons de comparer ces données à l’impact du changement de climat, il apparaît que la région la plus affectée sera la zone aride, où la ressource en eaux est déjà très faible, où la population augmente et où les précipitations vont probablement diminuer. Il est clair aussi que, comparée aux besoins agricoles, la consommation d’eau domestique ne présentera jamais, dans des conditions normales, un problème majeur, puisqu’elle concerne de petits volumes, et que de l’eau « chère » peut être fournie (transportée sur de longues distances, dessalée, recyclée). L’eau nécessaire à l’industrie et à la production d’énergie peut parfois présenter un problème, mais le souci principal sera l’eau pour l’agriculture. Ceci sera discuté ci-dessous.

Une prévision succincte pour l’Europe a été préparée récemment par la Commission Européenne (2007) visant la situation en 2030. Le tableau 5 donne les chiffres pour 2000 et 2030 de l’UE 30, c’est-à-dire les 27 états membres de l’Union Européenne ainsi que la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie.

Tableau 5

Prélèvements/consommation d’eau en Europe, 2000 et 2030. Adapté de Écologic, 2007.

Water withdrawal/consumption in Europe, 2000 and 2030. Adapted from Ecologic, 2007.

Chiffres en km3/a

Prélèvement total

Eau domestique

Eau d’irrigation, (eau bleue)

Agriculture pluviale (eau verte)

Eau industrielle

Eau pour l’énergie

EU30, Prélèvements, 2000

251

63

65

~870

34

89

EU30, Consommation, 2000

~939

~5

~49

~870

~5

~10

EU30, Prélèvements, 2030

208

61

74

~900

46

27

EU30, Consommation, 2030

~971

~5

~56

~900

~7

~3

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La ressource en eau « disponible » dans l’UE30 est estimée à environ 2 000 km3/a, représentant l’eau disponible dans les rivières et les aquifères, non pas celle utilisée en agriculture pluviale, estimée à 870 km3/a, ni les précipitations alimentant les écosystèmes terrestres (forêts, prairies, zones humides, etc.) qui sont de l’ordre de 800 km3/a. Globalement, l’UE30 prélève environ 12 % de la ressource « disponible » et en consomme 3,5 % tandis qu’elle utilise approximativement 55 % de son flux d’évapotranspiration pour son agriculture pluviale et 45 % pour ses écosystèmes naturels. En 2030, selon les documents de l’UE, le prélèvement total (y compris l’irrigation) devrait décroître, et la consommation monter à 4 %, tandis que l’agriculture pluviale croîtrait de 10 %. Bien entendu, le chiffre global actuel de 12 % de prélèvements des ressources couvre de grandes variations au sein de l’UE (de 53 % à Chypre, 32 % en Espagne, à moins de 2 % en Scandinavie, aux Pays Baltes, en Hongrie, etc.). Notez qu’à l’échelle mondiale, le seuil de pénurie en eau se situe à 75 % de prélèvements et 60 % constitue une situation alarmante, tandis que 25 % est considéré comme « abondant » (IWMI, 2007; voir Figure 7).

La figure 8, d’après Ecologic (2007), présente une estimation de la « pénurie en eau » en Europe, à l’horizon de 2030, en prenant en compte aussi bien l’évolution de la demande en eau qu’un des scénarios de changement climatique du GIEC (1S92A). Cependant, cette « pénurie » est définie comme le rapport des « prélèvements d’eau » sur la « disponibilité en eau en rivières » et calculée à l’échelle des bassins versants. On considère trois classes de pénurie : 0-20 %, 20-40 %, >40 %. Contrairement à IWMI, ce « taux de pénurie » ne prend pas en compte la consommation, et néglige donc le recyclage de l’eau dans le réseau hydrographique ainsi que l’agriculture pluviale. Trois conclusions peuvent être tirées de ces comparaisons :

  1. En Europe du Nord, le changement de climat (pluviométrie accrue) et les prélèvements prévus (baisse générale due à la technologie) réduiront la pénurie à moins de 20 % dans la plupart des bassins et la consommation à moins de 4 %, au moins dans des conditions normales.

  2. Le taux de pénurie en eau est un très mauvais indicateur et ne devrait pas être utilisé au niveau des décisions, puisqu’il ne prend en compte ni la consommation nette, ni l’agriculture pluviale.

  3. Dans des conditions normales, les problèmes d’eau les plus graves se produiront dans les états du sud de l’Europe où l’agriculture pluviale sera sérieusement affectée, à cause de la diminution des précipitations, et l’agriculture irriguée gagnera du terrain, exigeant plus d’eau. La figure 8 montre les zones correspondantes en 2030 : le sud de l’Espagne et de l’Italie, la Grèce et la Turquie. Toutefois, le taux de pénurie n’est pas significatif pour estimer réellement la pénurie.

Figure 8

Taux de pénurie en eau en Europe en 2030, d’après Ecologic (2007) et Center for Environmental Systems Research, University of Kassel, August 2004, WaterGAP 2.1e. Rapport prélèvements sur disponibilité par bassin, scénario de base LREM-E.

Water stress ratio in Europe in 2030, from Ecologic (2007) and Center for Environmental Systems Research, University of Kassel, August 2004, WaterGAP 2.1e. Withdrawal-to-availability ratio per basin, baseline LREM-E scenario.

Taux de pénurie en eau en Europe en 2030, d’après Ecologic (2007) et Center for Environmental Systems Research, University of Kassel, August 2004, WaterGAP 2.1e. Rapport prélèvements sur disponibilité par bassin, scénario de base LREM-E.

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4. L’eau agricole

4.1 Production alimentaire

Outre la disponibilité de l’eau, l’augmentation de la température et de la concentration en CO2 dans l’atmosphère affecteront également l’agriculture. On a estimé (GIEC, 2007), qu’à une augmentation de 1 à 3 °C, correspondront une croissance de la productivité aux latitudes nord et une diminution au sud (ainsi que dans les tropiques). Pour une augmentation de plus de 3 °C, on s’attend à une baisse générale de la productivité.

À l’échelle mondiale, la nourriture constituera un problème majeur à cause de la croissance démographique. Il est prévu qu’en 2050, le Monde comptera environ 9 milliards d’habitants. Etant donné que déjà aujourd’hui, 850 millions d’individus ne reçoivent pas assez de nourriture pour leurs besoins élémentaires, la production alimentaire doit croître pour satisfaire aux besoins de 2050. Le tableau 6 donne l’augmentation nécessaire de la production alimentaire en tenant compte des changements anticipés des régimes alimentaires (voir Tableau 10) et de la distribution des âges dans la population (Collomb, 1999; Griffon, 2006). Pour produire cette nourriture, il faut des terres cultivables. Le tableau 7 présente la superficie disponible pour l’agriculture par continent. Il faut d’abord considérablement améliorer l’efficacité des pratiques, aussi bien pour l’agriculture pluviale que pour celle qui est irriguée, mais ceci ne suffit pas. Il faut se rappeler que les engrais deviendront peut-être beaucoup plus chers (les nitrates suivent le prix du pétrole et les réserves de phosphates peuvent s’épuiser).

Tableau 6

Besoins alimentaires en 2000 et estimés pour 2050, en Mt a‑1 de céréales (Griffon, 2006).

Food needs in 2000 and estimated for 2050, in Mt y‑1 cereals (Griffon, 2006).

Régions

Asie

Amérique Latine

Moyen-Orient Afrique du Nord

Afrique Sub-Saharienne

OCDE et Russie

Besoins alimentaires, 2000

1 800

272

154

262

-

Besoins alimentaires, 2050

4 150

520

390

1 350

~ 2000

Facteur multiplicatif 2050/2000

2.34

1.92

2.5

5.14

~1

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Tableau 7

Superficie cultivée en 2000 (Mha) et superficie apte aux cultures (FAO, dans Griffon, 2006).

Cultivated area in 2000 (Mha) and area suitable for agriculture (FAO, in Griffon 2006).

Zones

Monde

Asie

Amérique Latine

Moyen-Orient

Afrique du Nord

Afrique Sub-Saharienne

Russie

OCDE

Surface Ccltivée (2000) (a)

1 600

439

203

86

228

387

265

Surface cultivable (b)

4 152

585

1 066

99

1 031

874

497

a/b

39 %

75 %

19 %

87 %

22 %

44 %

53 %

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À l’heure actuelle, le taux de croissance des superficies irriguées est de 1,34 Mha a‑1. Comme les terres irriguées couvraient 234 Mha en 2000, leur superficie serait de 331 Mha en 2050, ce qui ne sera pas suffisant pour nourrir neuf milliards d’individus. Si le taux d’extension actuel des terres irriguées n’est pas multiplié par dix environ, l’irrigation ne pourra pas satisfaire aux besoins de nourriture en 2050; l’alimentation dépendra donc de l’agriculture pluviale. Toutefois, il apparaît clairement à la lecture des tableaux 6 et 7 que certaines régions n’ont pas suffisamment de terres cultivables, en particulier, l’Asie et le Moyen-Orient - l’Afrique du Nord, où le facteur multiplicateur alimentaire est très important (environ 2,5) avec une population, qui représente plus de la moitié du total mondial : ils utilisent déjà, respectivement, 75 % et 87 % de leurs terres cultivables.

La conclusion principale de ce tour d’horizon est donc que la production alimentaire viendra vraisemblablement d’une augmentation importante de l’agriculture pluviale, dans les régions où il y a encore des terres disponibles : principalement l’Amérique du Sud et l’Afrique, tandis que d’autres régions, telles que l’Asie et le Moyen-Orient - Afrique du Nord, ne pourront pas elles-mêmes satisfaire leur besoins alimentaires. Le tableau 8 présente un scénario possible de production alimentaire, qui pourrait satisfaire la demande de nourriture en 2050; d’après Griffon (2006). Ce scénario suppose des changements technologiques significatifs afin d’améliorer l’efficacité (+50 % et +30 % de la culture pluviale et irriguée, respectivement, en Asie, Amérique Latine et Afrique Sub-Saharienne), un investissement faible dans l’irrigation, une augmentation considérable de la superficie de l’agriculture pluviale en Afrique (pour satisfaire la demande sur ce continent) et en Amérique Latine pour compenser les manques en Asie et Moyen-Orient - Afrique du Nord, qui ne peuvent suffire à elles-mêmes.

Tableau 8

Un scénario possible pour la production alimentaire (en Mt) en 2050, (d’après Griffon, 2006).

One possible scenario for food production (in Mt) in 2050 (from Griffon, 2006).

Région

Asie

Amérique du Sud

Moyen-Orient et Afrique du Nord

Afrique Sub-Saharienne

Besoins alimentaires

4 150

520

390

1 350

Production alimentaire

3 190 ±100

1 704 ±100

166 ±10

1 350

Déficits/Excédents

‑960 ±100

+1 184 ±100

‑224 ±10

0

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Dans le tableau 9, le même scénario suppose que, en outre, une partie des terres est utilisée pour produire de l’énergie. Ce scénario prédit que la superficie de terres cultivées augmentera de 1,574 milliards d’hectares en 2000 (1,34 pluviales + 0,234 irriguées) à 3,152 milliards d’hectares en 2050, comprenant 2,587 milliards d’hectares pour la production alimentaire (2,174 pluviale + 0,413 irriguée) et 0,565 milliards d’hectares pour la production de bioénergie. Même si l’on n’inclut pas la production de bioénergie, il faudra augmenter d’un milliard d’hectares la superficie cultivée afin de nourrir la planète. Les écosystèmes naturels auront diminué de 2,578 milliards d’hectares en 2000 à 1 milliard en 2050, ou à 1,565 milliard sans la production de bioénergie. Pour conclure, l’eau ne sera probablement pas le facteur limitant, devant la croissance démographique actuelle sur la planète; il y aura suffisamment de terres et d’eau pour produire la nourriture nécessaire en années normales, mais au prix de :

  • un commerce gigantesque « d’eau virtuelle » entre les continents, puisque l’Asie, le Moyen‑Orient et l’Afrique du Nord ne pourront pas se suffire à elles-mêmes, mais devront importer de la nourriture, principalement d’Amérique Latine;

  • une réduction dramatique de la biodiversité et des écosystèmes naturels dans le monde entier.

Tableau 9

Superficies des terres cultivées par continent en 2050, pour la production de nourriture et d’énergie et les terres protégées restantes, en millions de ha (d’après Griffon, 2006).

Cultivated surface areas per continent in 2050, for food and energy production and remaining protected areas, in million ha (from Griffon, 2006).

Zone

Asie

Amérique du Sud

Moyen-Orient

Afrique du Nord

Afrique Sub-Saharienne

OECD

Russie et CIS

Total

Surfaces cultivables

585

1 066

99

1 031

874

497

4 152

Zones protégées

100

300

0

200

300

100

1 000

Surfaces agricoles

460

646

99

711

424

247

2 587

 

Irriguées

 

250

 

26

 

49

 

17

 

24?

 

47?

 

413

 

Pluviales

 

210

 

620

 

50

 

694

 

400?

 

200?

 

2 174

Cultures énergétiques

25

120

0

120

150

150

565

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4.2 Économiser l’eau en agriculture

En agriculture, il ne sera probablement pas efficace de tenter de réduire la consommation d’eau en réduisant la transpiration des plantes. Comme l’a montré par exemple Tardieu (2005), il est possible de réduire les pertes par évaporation des feuilles, mais cela diminuerait aussi la consommation de CO2 par les feuilles à travers les mêmes stomates et donc la production de biomasse. Il n’y a pas de méthode connue pour réduire l’une sans influencer l’autre, même avec des OGM. On ne peut économiser l’eau qu’en réduisant les pertes entre l’eau réellement utilisée par la plante et celle amenée au champ : l’évaporation dans l’atmosphère (aspersion et sols nus irrigués) et infiltration dans le sol. Cependant, l’infiltration dans le sol n’est pas vraiment une perte; l’aquifère sous-jacent est alimenté et l’eau peut être réutilisée ou s’écoulera dans les rivières. Les plus importantes économies d’eau en agriculture viendront de changements de types de cultures et de régimes alimentaires, comme le montre le tableau 10, d’après Académie des Sciences (2006).

Tableau 10

Quantité d’eau nécessaire à la production alimentaire. Valeurs moyennes utilisées en m3 t-1 pour produire la nourriture brute (fraction consommée, non en matière sèche). (D’après Académie des Sciences, 2006).

Water needed for food production. Average values of water used in m3 t-1 to produce raw food (consumed fraction, not in dry matter). (From Acad. Sciences, 2006).

Produits végétaux

Besoins en eau (m3 t‑1)

Produits animaliers

Besoins en eau (m3 t‑1)

Huile végétale

5 000

Boeuf

13 000

Riz

1 500 – 2 000

Volailles

4 100

Blé

1 000

Oeufs

2 700

Maïs

700

Lait

800

Agrumes

400

 

 

Maraîchage

200 – 400

 

 

Pommes de terre

100

 

 

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Ce tableau montre clairement qu’un régime carné utilise beaucoup plus d’eau et de sol qu’un régime végétarien, tous les aliments n’ont pas la même efficacité en ce qui concerne les besoins en eau. Par exemple, nourrir les volailles avec du maïs est environ deux fois plus efficace que de leur donner du riz ou du blé. Pour économiser de l’eau, il faut s’occuper de la question des régimes alimentaires des humains ainsi que de celle de l’efficacité hydrique des végétaux cultivés.

Une autre source potentielle d’économie est la lutte contre le gaspillage, principalement dans les pays développés, où l’on considère que 30 % de la nourriture produite est jetée, et également dans les pays en voie de développement, où une très large part des récoltes (jusqu’à 50 % ?) est perdue par mauvaise conservation (à la récolte, humidité, rongeurs, etc.). La surconsommation énergétique des population des pays développés, qui conduit à l’obésité, est non seulement un gaspillage, mais aussi un problème grandissant de santé publique, qui est en train de s’étendre aux pays en voie de développement (Delpeuchet al., 2006).

4.3 Risques de sécheresses à l’échelle mondiale

Le Monde a une longue expérience de forte variabilité climatique, comme par exemple les sept années de vaches maigres et les sept années de vaches grasses dans la Bible. Des études archéologiques menées simultanément en Chine et en Grèce semblent montrer qu’une sécheresse grave a sévi dans ces deux pays aux alentours de l’année 400 AD. Il est probable que ce genre d’événements se reproduira; la question est : est-ce qu’ils affecteront gravement la production alimentaire et vont-ils se produire simultanément sur plusieurs continents? En 1998, après un épisode El Niño très intense, la production céréalière en Chine et en Indonésie a connu simultanément de grands déficits. Ces deux pays ont pu importer les céréales nécessaires à partir des réserves mondiales et aucune conséquence négative n’a été ressentie; les réserves mondiales de céréales, de l’ordre de 400 millions de tonnes, c’est‑à‑dire environ deux mois de la consommation mondiale actuelle, sont tombées à un niveau très bas mais elles ont suffi. Ces réserves sont en constante diminution depuis quelques années et, en conséquence, les prix des céréales ont fortement augmenté en 2006 (+31 % pour le blé et 67 % pour le maïs exportés des États Unis) et ils continuent de monter en 2007.

La théorie actuelle est que les sécheresses se reproduiront dans le futur, comme elles l’ont fait auparavant, mais pas en même temps sur tous les continents : une période de sécheresse ici sera compensée par une production normale ou supérieure ailleurs, de manière à ce qu’il n’y ait pas de véritable pénurie mondiale de nourriture. Ceci peut être vrai la plupart du temps, mais regardons un instant l’histoire. Il est bien connu, par exemple, que la très forte éruption volcanique du Krakatoa en 1883 a eu un effet mondial sur la température et les précipitations (une baisse mondiale de 5 % des précipitations est souvent citée). En 2001, M. Davis a publié une analyse historique des famines au XIXE siècle, où il décrit deux épisodes majeurs de sécheresse en 1876-1878 et en 1896-1900, qui ont affecté simultanément au moins l’Australie, le Brésil, la Chine, l’Inde et l’Éthiopie (Figure 9). Contrairement à l’idée générale, dans ce cas, des épisodes de sécheresse se sont produits simultanément sur des continents différents; Davis (2001) met en relation ces sécheresses avec des événements El Niño très intenses affectant les zones de moussons.

Figure 9

Les zones de mousson affectées par la sécheresse de 1876-1878 (Davis, 2001).

The monsoon zones affected by the drought of 1876-1878 (Davis 2001).

Les zones de mousson affectées par la sécheresse de 1876-1878 (Davis, 2001).

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Les conséquences des famines du XIXe siècle ont été très graves; Davis (2001) indique, dans chaque cas, environ 30 millions de morts seulement en Chine et en Inde, ce qui veut dire environ 4 % de la population mondiale de l’époque (de l’ordre de 1,5 milliard en 1875). Le lauréat du Prix Nobel d’économie Armatyra Sen (Sen, Drèze, 1999) a également analysé ces événements et déterminé que, dans la plupart des cas de sécheresse, ce qu’il appelle « déclin de disponibilité alimentaire », la cause principale de mort et de famine n’est, en fait, pas le manque de nourriture, mais plutôt le manque de ressources économiques chez les paysans pauvres, dont les cultures (leur seule source de revenu) sont détruites et qui, par conséquent, n’ont plus les moyens d’acheter les produits alimentaires, qui deviennent trop chers. Il a montré, par exemple, que ceci est arrivé en Ethiopie en 1975, quand une grande sécheresse, accompagnée d’un désastre agricole dans une partie du pays, a engendré une sévère famine et de nombreux morts tandis que, dans d’autres régions du même pays, la nourriture était disponible et même les moyens de la transporter jusqu’à la zone de famine, qui était située le long d’une route principale.

À ce propos, il est intéressant d’examiner l’historique des fréquences observées d’événements El Niño très intenses. Ortlieb (2000) a essayé de reconstruire, à partir d’archives historiques en Amérique Latine, quelles ont été les années d’événements El Niño forts et très forts (en gras) de 1525 à 1950 (plus 1998), comme suit :

1539, 1546, 1552, 1559, 1567,1574, 1578, 1589, 1600, 1604, 1607, 1614, 1618, 1621, 1630, 1640, 1650, 1652, 1661, 1671, 1681, 1687, 1694, 1703, 1715, 1723, 1728, 1737, 1747, 1761, 1776, 1782, 1790, 1802, 1814, 1824, 1827, 1832, 1837, 1844, 1850, 1854, 1864, 1867, 1876, 1877, 1887, 1891, 1899, 1904, 1913, 1918, 1925, 1940, 1998.

On voit sur cette liste que 1876, 1877 et 1899 ont en effet été des années El Niño très fortes, comme le dit Davis (2001), mais aussi que, en moyenne, de tels événements El Niño très intenses se produisent environ deux fois par siècle : ils sont donc relativement rares.

Pour conclure, on voit de cette brève analyse qu’une ou deux fois par siècle, ou peut-être plus souvent, si les changements climatiques influencent la variabilité d’El Niño, une période de grande sécheresse, qui dure plusieurs années, peut affecter simultanément différents continents et influencer la production de produits alimentaires à l’échelle mondiale. Il est probable que les réserves de nourriture ne suffiront alors pas à satisfaire la demande, puisque les réserves actuelles, qui représentent environ deux mois de consommation mondiale, seront vite épuisées et leur transport à des régions lointaines sera toujours compliqué. Les prix des aliments sur le marché international deviendront subitement très élevés et le « Déclin de disponibilité alimentaire » deviendra une réalité, qui générera des famines d’une magnitude inconnue. Les pays pauvres ou les communautés rurales pauvres exposés à la sécheresse seront les premières victimes mais probablement pas les seules. Il n’y a pas de raison de penser que ceci ne peut pas se produire. Toutefois, nous ne savons pas quand : l’année prochaine? Dans dix ans? La seule façon possible de prévenir une telle catastrophe serait d’accroître considérablement les réserves alimentaires mondiales. Mais où peuvent-elles être stockées, et qui payera?

5. Écosystemes et biodiversité

Aussi bien le changement climatique que la croissance démographique affecteront les ressources en eau et l’occupation des terres sur la Planète. Cependant, les humains ne sont pas les seuls à « utiliser » cette eau; les écosystèmes et des millions d’espèces ont besoin d’eau et d’espace, comme le montre la figure 10. Il est nécessaire de rappeler ici que les écosystèmes naturels sont autorégulés pour utiliser toutes les ressources auxquelles ils ont accès. Sur terre, les précipitations sont utilisées par la végétation naturelle, et dans les cours d’eau et les lacs, les biotopes s’adaptent à la ressource disponible. Même dans les zones côtières, le flux d’eau douce est utilisé par les écosystèmes amphi-halins. Quand les humains sont arrivés et ont commencé à utiliser la terre et les eaux pour leurs propres besoins, c’était toujours aux dépens d’un écosystème, qui s’est trouvé obligé de réduire sa part de la ressource. En Europe, par exemple, une déforestation majeure a eu lieu au Moyen Âge, réduisant la biodiversité et la part laissée aux écosystèmes naturels. Aujourd’hui, une déforestation semblable s’opère par exemple, en Amérique Latine, en Afrique et dans les pays nordiques, menaçant sérieusement la biodiversité, en particulier aux « points chauds » des forêts tropicales. D’après le tableau 9, selon un des scénarios de production de nourriture et de bioénergie, le Monde subira une réduction de 1,5 milliards d’hectares d’écosystèmes naturels dans les prochaines 50 années, et ne gardera que 1 milliard d’hectares pour la conservation. Est-ce que cela sera suffisant pour maintenir la viabilité de la planète?

Figure 10

Le delta d’Okawango, Namibie, d’après Kinzelbach (2006).

The Okawango delta, Namibia, from Kinzelbach (2006).

Le delta d’Okawango, Namibie, d’après Kinzelbach (2006).

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À l’échelle de l’Europe, il semble qu’une augmentation de la production de nourriture et de bioénergie sera indispensable pour assurer nos propres besoins alimentaires et énergétiques ainsi que ceux d’autres continents. Toutefois, la protection des écosystèmes et de la biodiversité devra également être une priorité : il faudra déterminer la part minimum d’eau nécessaire au maintien d’écosystèmes sains en Europe, et ils devront être considérés comme « utilisateurs » à part entière de nos ressources en eaux. Ceci sera particulièrement pertinent en situations de sécheresse, où les écosystèmes devront figurer haut sur la liste des allocations d’eau des autorités, probablement avant l’agriculture. Il est certainement pénible de perdre une année de récoltes, mais celles-ci peuvent être compensées financièrement et les conséquences pour l’année d’après seront minimes, tandis que la détérioration d’un écosystème peut être irréversible ou demander plusieurs années pour récupérer.

6. Conclusions

Selon nos connaissances actuelles des effets des changements climatiques et de la demande accrue de nourriture sur le cycle de l’eau, les conséquences probables de ces changements seront les suivantes :

Dans des conditions normales

  • Augmentation des ressources en eaux en Europe du Nord, Russie, Amérique du Nord et la zone tropicale, permettant une production agricole plus élevée.

  • Forte diminution des ressources en eaux en Europe du Sud, Asie du Sud-Est, Amérique du Sud et Australie avec des effets sévères sur la production agricole.

Etant donné la demande croissante de nourriture dans le monde, due à la croissance démographique et au changement des habitudes alimentaires, l’augmentation de la production agricole doit être une priorité majeure. Bien que l’on puisse s’attendre à certaines économies d’eau de la part de l’agriculture, ainsi que des améliorations sensibles de l’efficacité des cultures, il est fort probable qu’il faille produire davantage en développant l’agriculture pluviale en Afrique et en Amérique Latine où des terres cultivables sont encore disponibles, engendrant un commerce considérable « d’eau virtuelle ». Les écosystèmes naturels subiront des impacts importants, ce qui menacera la biodiversité dans une mesure qui n’a pas encore été évaluée. Il faudra également augmenter l’irrigation, ce qui demandera des transferts sur de longues distances ou des stockages supplémentaires d’eau (par exemple, par barrages ou dans les aquifères par recharge artificielle et réutilisation des eaux usées). L’alimentation en eaux domestique et industrielle sera, en revanche, un problème mineur, qui pourra être résolu par des économies d’eau ou des technologies nouvelles. Des économies de nourriture et des restrictions de régimes alimentaires devront être mises en oeuvre.

Dans des conditions extrêmes

Les fréquences des crues et des sécheresses sont très incertaines. Les deux continueront à se produire, avec ou sans changements climatiques. Les connaissances actuelles des effets des changements climatiques sur la fréquence des sécheresses et des crues sont, en effet, trop limitées pour permettre une analyse quantitative valable; ce qui semble le plus probable est que la fréquence des sécheresses s’intensifiera, en particulier dans la zone aride, tout comme celle des crues, particulièrement dans les pays nordiques et sous les tropiques.

Des plans de sécheresse doivent donc être développés et des mesures adéquates prises dès le début d’une période de sécheresse, afin d’assurer des économies d’eau et d’allouer l’eau à des usagers prioritaires, parmi lesquels les écosystèmes devront occuper un rang prééminent si l’on veut protéger la biodiversité.

Les réserves de nourriture doivent être augmentées et stockées près des zones de moussons en préparation à des périodes de sécheresse touchant toutes les parties du monde, comme celles que nous avons vues par le passé pendant des événements El Niño très intenses.

Perspectives de recherches

Les sociétés sont bien plus vulnérables aux changements hydrologiques qu’à ceux qui ne concernent que la température. Ainsi, des efforts soutenus de recherche sont toujours nécessaires dans le domaine de la modélisation du climat, de l’analyse des événements extrêmes, de la paléoclimatologie, afin de mieux contraindre les effets prévus du changement climatique sur le cycle de l’eau. De gros efforts internationaux sont indispensables pour collecter les données et les rendre disponibles à la recherche sur le climat (les données hydrologiques ne sont plus disponibles, ni dans les pays développés, ni dans ceux en voie de développement, parfois par manque de suivi, mais généralement parce que les données hydrologiques et météorologiques sont maintenant considérées comme des propriétés commerciales et vendues très cher).

Il manque des scénarios opérationnels, qui font le bilan besoins‑ressources pour les prochaines 10 à 50 années, région par région, en tenant compte des prélèvements, de la consommation, du recyclage et de la qualité de l’eau. Un tel scénario devrait inclure :

  • les prévisions d’activités agricoles en fonction des marchés, des régimes, des progrès techniques, etc;

  • les besoins en eaux des écosystèmes, qui devront être pris en compte en tant que composante prioritaire des besoins en eaux, aussi bien dans des conditions normales qu’en cas de sécheresse;

  • les autres demandes en eaux, par exemple demandes industrielles, refroidissement des centrales thermiques, etc.;

  • les conséquences prévues des changements climatiques;

  • la protection contre les crues et les inondations possibles à la suite d’une augmentation de la variabilité climatique;

  • des plans pour affronter des conditions de sécheresses sévères.

Pour les hydrologues, la nature de leur tâche principale doit dépendre de la région géographique de leurs travaux. Dans les zones sèches, la meilleure solution n’est probablement pas d’essayer d’extraire l’eau jusqu’à la dernière goutte : il est plus important de considérer le cycle de l’eau à long terme et de se préparer à stocker l’eau excédentaire, quand il y en a (dans des barrages ou par recharge artificielle, etc.) pour s’en servir pendant les années sèches ou très sèches. Pour gérer un aquifère, il faudra concilier des demandes opposées : baisser le niveau des nappes pour y gagner la place de stockage en période de hautes eaux et, en même temps, ne pas baisser trop, afin de toujours garder des réserves pour des années anormalement sèches. Comme beaucoup de pays dans la zone aride ne pourront pas produire assez de nourriture pour alimenter leurs populations, devant donc recourir à « l’eau virtuelle », il devient important de déterminer quel est le meilleur usage de l’eau pour leur développement : la production alimentaire ou d’autres activités économiques qui peuvent générer les moyens d’acheter la nourriture?

S’agissant de la construction de barrages, plus ils sont en altitude, mieux c’est : les pertes par évaporation seront moindres et peut-être que l’impact du barrage sur les écosystèmes sera plus faible, car ils peuvent être moins développés en altitude que dans les fonds de vallées. Dans les pays nordiques, les risques plus forts de crues nécessitent que les évacuateurs de crues des barrages soient réexaminés et qu’une réflexion soit engagée sur la gestion des crues, la prévention des inondations et la limitation de la vulnérabilité.

Une autre priorité est la conservation des sols car la disponibilité des sols sera un des facteurs majeurs dans la production alimentaire. Il faut aussi empêcher une augmentation de la salinisation (par exemple, par drainage) ainsi que l’érosion du sol, sa dégradation (par exemple, la perte de matière organique, qui augmente l’érosion et empêche l’infiltration par la création d’une croûte de battance). Il faudra aussi réfléchir à la gestion du paysage, par exemple, créer des banquettes en courbes de niveau, qui diminuent l’érosion et augmentent l’infiltration.

Toutefois, l’objectif final de la gestion de l’eau au XXIe siècle devra être de protéger et maintenir la biodiversité. Elle est probablement la ressource la plus fragile et la plus menacée de la Planète, beaucoup plus que l’eau et le sol. Le souci urgent pour la recherche est de pouvoir prédire l’état et la santé futurs des écosystèmes sous toutes les formes possibles de développement de l’agriculture, de l’urbanisme et des industries. Quelles mesures compensatoires seraient nécessaires pour garantir la survie des écosystèmes? Devrait-on établir un minimum de territoires protégés pour sauvegarder la nature? Quand des signes alarmants apparaissent, peut-on restaurer un écosystème en péril avant qu’il ne disparaisse? Ces questions sont aujourd’hui sans réponses et, pour y répondre, il faudra une collaboration étroite entre les hydrologues et les écologistes.