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1. Introduction

Sur les 13 600 millions de km3 d’eau qui couvrent notre planète, seulement 0,014 % est de l’eau douce utilisable par l’homme sous forme d’eaux de surface (MOUDALLAL, 1997). Si cette quantité est suffisante pour répondre aux futurs besoins de l’humanité, l’altération de la qualité de l’eau rend la part compatible avec les utilisations humaines de plus en plus petites (WHEAL, 1991). En effet, la qualité de l’eau est altérée par une surcharge en matières organiques, par des substances toxiques provenant des activités agricoles et par des effluents industriels et domestiques rejetés dans le milieu récepteur sans traitement.

La contamination des eaux de surface par des agents pathogènes est un problème de pollution qui remonte très loin dans le temps. Au cours du IXXe siècle, les maladies d’origine hydrique ont été responsables de vastes épidémies de dysenterie, fièvre typhoïde, choléra, entre autres (GEORGE et SERVAIS, 2002). Aujourd’hui, ces maladies sont à l’origine d’un taux de mortalité très élevé des populations des pays en voie de développement. Dans le monde, environ 6 millions d’enfants meurent chaque année des suites de gastro-entérites, 100 millions de personnes souffrent en permanence de gastro-entérites hydriques, 260 millions d’individus sont atteints de bilharziose, 2 à 3 millions de décès sont observés chaque année parmi les 800 millions de sujets impaludés et 30 millions d’onchocercose sont dénombrés (Conseil National de la Recherche Scientifique, 2004).

La pollution de l’eau due à des micro-organismes d’origine fécale est apparue très tôt dès que l’eau a été utilisée comme vecteur de l’élimination des déchets (GEORGE et SERVAIS, 2002). Cependant, lorsque le milieu aquatique reçoit des rejets d’origine animale ou anthropique, le nombre et le type de bactéries présentes sont capables de rendre l’eau impropre à l’utilisation humaine (HÉBERT et LÉGARÉ, 2000). Ces maladies sont le plus souvent transmises par voie féco-orale et la contamination de l’homme se réalise soit par consommation d’eau de boisson, soit par consommation d’aliments contaminés par l’eau, soit encore lors d’un bain ou d’un contact avec des eaux à usage récréatif (GEORGE et SERVAIS, 2002).

Les indicateurs microbiologiques sont considérés parmi les paramètres les plus importants pour les eaux à usage domestique. Ils correspondent à des germes pathogènes qui proviennent du rejet des eaux usées domestiques ou industrielles directement dans les cours d’eau et/ou des lessivages des sols (WHEAL, 1991).

Au Liban, environ 40 rivières importantes, dont 17 pérennes, s’écoulent de la chaîne du Mont-Liban et débouchent dans la Méditerranée (CHAMAS et al., 2001). Ces cours d’eau et les bassins versants correspondants occupent une place importante dans les écosystèmes du pays. Outre leur rôle essentiel dans l’agriculture irriguée, les fleuves conditionnent la richesse et la diversité de la flore et de la faune libanaise, en particulier dans les vallées profondes où le climat local est doux (ABU-JAWDEH et al., 2000). Actuellement, la qualité des eaux est soumise à une forte pression exercée par l’accroissement de la population et par l’activité industrielle. Cette qualité est altérée notamment par l’utilisation excessive de produits agrochimiques, les rejets incontrôlés des industries et les déchets solides (ABU-JAWDEH et al., 2000). Seulement 37 % des bâtiments sont connectés aux réseaux d’assainissement, le reste utilisant des fosses septiques ou rejetant ces eaux usées directement dans les rivières et les ruisseaux (CHAMAS et al., 2001). Selon le ministère de l’Environnement, ces rejets sont estimés à 249 106 m3/an, avec une demande biologique en oxygène moyenne de 99 960 tonnes/an. En 1990, le ministère des Ressources en eau et de l’Électricité a réalisé, avec l’aide de l’UNICEF, une étude nationale de la qualité de l’eau. Celle-ci montre qu’environ 70 % de toutes les sources naturelles d’eau et les eaux de conduites sont exposées à une pollution bactériologique. Environ 66 % des réseaux de distribution d’eau et 78 % des réseaux villageois sont contaminés par des bactéries (ABU-JAWDEH et al., 2000).

La présente étude vise à déterminer la qualité bactériologique de l’eau de la rivière Nahr Ibrahim. Ce cours d’eau a fait l’objet de plusieurs études antérieures, vu l’importance de son bassin versant reconnu comme site du patrimoine mondial (ABI SALEH et al., 1996). Certaines de ces études ont porté sur l’hydrologie, la géologie et la géomorphologie du bassin versant (ABDEL-RAHAMAN et NADER, 1989; EL AMIL et OUDWANE, 2000; FITZPATRICK et al., 2001); d’autres se sont intéressés au dosage des paramètres physico-chimiques et à la pollution par les métaux lourds (EL SAMRANI et al., 2005; FITZPATRICK et al., 2001; KORFALI et DAVIES, 2003; SAAD et al. 2002).

La présente étude consiste à déterminer la qualité bactériologique des eaux de la rivière Nahr Ibrahim et de ses principaux affluents et à évaluer la variabilité spatiale et temporelle, en temps sec et en temps de pluie, de cette qualité bactériologique.

2. Matériel et méthodes

2.1 Sites de prélèvement

Nahr Ibrahim est l’une des principales rivières au Liban (FITZPATRICK et al., 2001). Son estuaire est situé dans la Méditerranée, à 20 km au nord de la capitale Beyrouth (ABBOUD, 2002). Sa longueur est de 30 km et son débit annuel moyen est de 16 106 m3/an (CHAMAS et al., 2001) (Figure 1). La surface du bassin versant est d’environ 330 km2. Les précipitations annuelles moyennes varient entre 900 et 1 400 mm, et augmentent avec l’altitude (EL AMIL et OUDWANE, 2000). Les calcaires du Jurassique et du Crétacé forment l’armature principale du bassin versant (EL AMIL et OUDWANE, 2000). Celui-ci est caractérisé par une large biodiversité (environ 25 % des espèces de la faune et de la flore identifiées au Liban) (KHOUZAMI et al., 1996).

Figure 1

Bassin versant du Nahr Ibrahim et sites de prélèvements.

Location of the Nahr Ibrahim river catchment area and sampling sites.

Bassin versant du Nahr Ibrahim et sites de prélèvements.

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Deux sources principales de la rivière maintiennent l’écoulement de l’eau durant toute l’année : la source d’Afqa (1 200 m d’altitude) et la source de Rouaïs (1 300 m d’altitude). Ces sources débitent respectivement 0,75 m3/s et 0,4 m3/s en été (FITZPATRICK et al., 2001). Plusieurs cours d’eau supplémentaires enrichissent le débit de la rivière principale et constituent un réseau hydrographique hiérarchisé et dendritique (EL AMIL et OUDWANE, 2000).

2.2 Prélèvements

Les échantillons d’eau ont été collectés à neuf points de prélèvements choisis en fonction de l’urbanisation du bassin versant, de l’importance hydrologique des affluents et de l’accessibilité au cours d’eau (Figure 1). Les points A (1 200 m d’altitude) et C (1 300 m d’altitude), loin de l’urbanisation, correspondent aux sources principales de la rivière. Les points B et D respectivement en aval du Nahr Afqa et du Nahr Rouaïs sont situés dans des zones urbaines caractérisées par une activité agricole. Les points E et F délimitent le village de Janné où il y a des champs cultivés, des aires de pâturage et d’élevage des bovins. Le point G est situé en aval du barrage de Yahchouch. Le point H est situé après une usine hydroélectrique. Le point I, localisé à 200 mètres avant l’embouchure dans la Méditerranée, est caractérisé par une importante activité industrielle (fabrication métallique, peinture, papeterie et imprimerie).

Pour suivre la variabilité temporelle des paramètres étudiés, trois prélèvements (S1, S2, S3) ont été effectués respectivement le 1er, le 8 et le 16 novembre 2004, cette période correspondant à la fin de la période d’étiage hydrologique où le débit de la rivière est faible, et cela avant les périodes de pluies. Trois autres prélèvements M1, M2, M3 ont été effectués le 1er, le 8 et le 19 décembre 2004, ceux-ci après les pluies.

Des flacons en verre borosilicaté de 500 mL sont utilisés pour les prélèvements des échantillons pour l’analyse physico-chimique. D’autres flacons, soigneusement lavés, rincés six fois à l’eau bidistillée (1,8 µS/cm) et stérilisés (120 ºC, 15 min) sont utilisés pour prélever les échantillons destinés à l’analyse bactériologique (RODIER, 1994). Les échantillons sont collectés au milieu de la rivière à mi-distance de la colonne d’eau selon une direction opposée au sens de l’écoulement (HÉBERT et LÉGARÉ, 2000).

2.3 Analyse physico-chimique de l’eau

Des paramètres tels que la température, le pH et la conductivité électrique de l’eau ont été mesurés in situ à l’aide d’un pHmètre (Boeco) et d’un conductimètre (Thermo-électroporation).

Les ions nitrates ont été dosés à l’aide d’un spectrophotomètre (Thermo-électroporation, Helios λ, balayage 2 nm) par la méthode de complexation au salicylate de sodium (λ =  15 nm), après filtration de l’échantillon sur entonnoir de Büchner, pour éliminer les matières en suspension qui peuvent altérer les mesures (RODIER, 1996).

La matière volatile a été déterminée après évaporation de 20 mL d’eau à une température de 105 oC et calcination des résidus dans un four à moufle à 550 oC. La différence de masse obtenue à 105 ºC et à 550 ºC détermine les matières volatiles exprimées en mg/L (EATON et al., 1999).

2.4 Analyse bactériologique

L’analyse bactériologique a porté sur les germes indicateurs de pollution qui regroupent les bactéries hétérotrophes aérobies mésophiles (BHAM), les coliformes totaux, les coliformes fécaux et les streptocoques fécaux.

Le dénombrement des BHAM est effectué par ensemencement en surface sur gélose nutritive PCA (Plate Count Agar) (HIMEDIA, M091) après incubation à 37 oC pendant 24 heures. Une eau distillée et stérilisée (120 ºC, 15 min,) est utilisée comme diluant (dilution jusqu’à 1/1 000) des échantillons suspectés très contaminés. Trois boîtes de culture pour chaque dilution sont ensemencées. Le nombre des germes totaux est déterminé en calculant la moyenne des valeurs obtenues sur les boîtes après correction par les facteurs de dilution correspondants. Le résultat est exprimé en unité formatrice de colonie par mL (UFC/mL) (RODIER, 1994).

L’isolement des coliformes totaux (CT) et coliformes fécaux (CF) a été effectué par incorporation en gélose de 5 prises d’essai (0,4 mL; 1 mL et 3 x 2 mL). Le milieu de culture est la gélose Mac Conkey (HIMEDIA, M083) sélective pour les coliformes (RODIER, 1994). Le dénombrement des colonies est effectué après 24 heures d’incubation à 37 oC pour les coliformes totaux et à 44 oC pour les coliformes fécaux. L’isolement des streptocoques fécaux (SF) est effectué par la même méthode mais sur le milieu de culture incubé à 37 oC pendant 48 heures. Le comptage des colonies se fait sur les boîtes où sont développées 100 à 300 colonies. La moyenne des colonies comptées est ensuite déterminée. Si les boîtes ne contiennent pas au moins 100 colonies, l’ensemble des colonies présentes sur toutes les boîtes est compté, en tenant compte du volume total d’eau inoculée dans celles-ci.

3. Résultats et discussion

3.1 Caractérisation physique

Les résultats des paramètres physico-chimiques mesurés sur le terrain sont présentés dans le tableau 1. Dans l’ensemble, ces paramètres présentent une relative stabilité en période d’étiage. Les perturbations interviennent avec le début du temps pluvieux (Tableau 1). La température de l’eau dans les sources (sites A et C) est constante dans les deux périodes de prélèvement (8,5‑9 ºC). Pour les autres points, la température de l’eau et de l’atmosphère augmente de l’amont vers l’aval sous l’effet de l’altitude et de l’ensoleillement, surtout par temps sec.

Tableau 1

Moyennes et écarts-types des paramètres physico-chimiques en périodes d’étiage et de crue sur les 9 sites de prélèvement.

Average and standard deviation of physico-chemical parameters during dry and wet weather periods for the nine sampling sites.

Point

Température de l’atmosphère (ºC)

Température de l’eau (ºC)

pH

Conductivité

μS/cm

Étiage

Crue

Étiage

Crue

Étiage

Crue

Étiage

Crue

A

13

6,5 ± 1,9

9

8,4 ± 0,8

7,63 ± 0,09

8,34 ± 0,08

160 ± 4

205 ± 18

B

14,8 ± 1,8

7,5 ± 2,2

13 ± 1

8,5 ± 0,8

8,31 ± 0,06

8,41 ± 0,03

229 ± 67

267 ± 24

C

15,5 ± 1,3

6,1 ± 2,2

9

9

7,58 ± 0,02

8,06 ± 0,19

182 ± 10

241 ± 11

D

16,1 ± 2

7,1 ± 2,7

11,8 ± 0,7

8,8 ± 1

8,37 ± 0,02

8,46 ± 0,07

245 ± 12

269 ± 37

E

17,3 ± 1,1

7,1 ± 2,2

13,6 ± 0,7

9 ± 1

7,93 ± 0,04

8,41 ± 0,11

253 ± 5

255 ± 12

F

18 ± 2

7,3 ± 2,5

18 ± 2

7,3 ± 2,5

8,1 ± 0,05

8,31 ± 0,02

269 ± 5

260 ± 2

G

18 ± 1

9,6 ± 0,5

14,8 ± 0,2

10,3 ± 0,5

8,13 ± 0,09

8,35 ± 0,1

278 ± 6

280 ± 19

H

19,3 ± 0,5

10,6 ± 0,5

15,6 ± 0,5

10,6 ± 0,5

8,28 ± 0,04

8,40 ± 0,06

292 ± 5

284 ± 13

I

20,1 ± 0,2

11 ± 0,5

16

10,6 ± 0,5

8,28 ± 0,03

8,44 ± 0,1

300 ± 3

282 ± 15

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Le pH moyen, par temps sec, varie entre 7,9 et 8,4 tout le long de la rivière, excepté pour les sources qui ont un pH légèrement plus faible. En période de crue, le pH est relativement stable tout le long de la rivière (8,3 à 8,4), à l’exception de la source de Rouaïs (pH*= 8) (pH*C = pH du Site C-Rouais). L’augmentation du pH au niveau des points A et C (sources) et au point E après les pluies serait liée à la dissolution du carbonate des roches calcaires dolomitiques du Crétacé moyen (C4-Cénomanien). Pour les autres points, l’augmentation du pH en temps de crue par rapport à la période d’étiage n’est pas très significative. À ces autres points, l’effet de dissolution des carbonates par les pluies est équilibré par l’apport d’acides humiques provenant du lessivage des sols (KORFALI et DAVIES, 2003). Ceci serait favorisé par les fortes pentes des reliefs bordant le cours d’eau à chaque point de prélèvement (Figure 2). La pente moyenne au niveau des points B, D, E, F, G et H varie entre 24 % et 58 % (NS‑SN) excepté le flanc nord du point B caractérisé par une pente faible (4 %).

Figure 2

Profils topographiques, pentes moyennes et mode d’utilisation du sol dans le bassin versant du Nahr Ibrahim.

Topographic profiles, averages slopes and land use in the Nahr Ibrahim River catchment area.

(a)

(b)

(c)

(d)

(e)

(f)

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La conductivité de l’eau augmente progressivement de l’amont vers l’aval du Nahr UIbrahim en temps de pluie et en temps sec, cette augmentation étant relativement plus importante en période de pluie qu’en période sèche. (Tableau 1). Les valeurs élevées de la conductivité traduisent un apport extérieur continu des sels minéraux le long de la rivière. Cette variation peut être liée à la teneur en nitrates qui varie de 0,5 à 2,2 mg/L en temps sec et de 0,5 à 4 mg/L en période de crue. Les ions nitrates proviendraient vraissemblablement du lessivage des sols et des rejets des eaux usées particulièrement au début de crue de la rivière par temps de pluie. Par temps sec, l’augmentation progressive des nitrates dans l’eau est attribuée uniquement à la présence des rejets des eaux domestiques et industrielles tout au long de la rivière (GAUDREAU et MERCIER, 1998).

3.2 Caractérisation bactériologique

3.2.1 En période d’étiage

Une augmentation de la contamination bactériologique de l’eau est observée en période d’étiage du point A jusqu’au point B et du point C au point D (Figure 3). Le niveau de contamination de l’eau diminue ensuite au point E qui représente le point de rencontre du Nahr Afqa (Branche A-B) et Nahr Rouaïs (Branche C-D).

Figure 3

Nombre des unités formatrices de colonies par mL en temps d’étiage (□) et en temps de crue (figure: 016909arf013n.png) (a) des germes totaux, (b) des coliformes totaux, (c) des coliformes fécaux et (d) des streptocoques fécaux en période d’étiage et en période de crue (Insertion : localisation des points de prélèvement sur la rivière).

Number of colony-forming units/mL in dry weather (□) and in wet weather (figure: 016909arf017n.png) (a) total bacteria, (b) total coliforms, (c) fecal coliforms, (d) fecal streptococci (Insert: location of the river sampling points).

(a)

(b)

(c)

(d)

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Les dynamiques d’abondance de différentes populations bactériennes étudiées évoluent dans l’ensemble de la même manière en période d’étiage (Figure 4).

Figure 4

Variation de la teneur en coliformes totaux, coliformes fécaux et streptocoques fécaux (a) au point D et (b) au point G en fonction de la période de prélèvement.

Temporal variatino of total coliforms, fecal coliforms and fecal streptococci at (a) site D and (b) site G as a function of sampling time date.

(a)

(b)

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Ces sources, en se versant dans la rivière, dilueraient le flux de polluants. Trois principales sources se versent dans la rivière Nahr Ibrahim : source de Seraaïta (0,06 m3/s) (FITZPATRICK et al., 2001), Nabaa el Marj, Aïn El Ghouaïbé et Aïn et Tîné (DUBERTRET, 1962). On note une augmentation particulière des abondances bactériennes en passant du point C au point D pendant le temps sec (Figure 3). Ce changement du degré de contamination peut être attribué au rejet des eaux usées en provenance du flanc Nord-Sud de la vallée (Figure 2b). La diminution des paramètres bactériologiques du point C au point D pendant le temps de pluie est due vraisemblablement aux effets de la dilution. Le flanc de direction Sud-Nord de la vallée au niveau du point D est dominé par des affleurements calcaires et dolomitiques (EL SAMRANI et al., 2005). Ce flanc, de pente relativement raide (58 %), favorise un ruissellement rapide sur ces affleurements, et, par la suite, renforce l’effet de dilution de la rivière (Figure 2b).

Ensuite, l’effet des radiations ultraviolettes, particulièrement importantes par rapport aux autres sites (ensoleillement) sur les trajets B-E et D-E, a un pouvoir germicide. Ces radiations ultraviolettes sont potentiellement dangereuses pour la survie des bactéries (CRÉTEUR, 1998). Enfin, certaines espèces bactériennes comme Streptococcus bovis et Streptococcus equinus sont fragiles (RODIER, 1994) et disparaissent totalement en 24 heures à une température de 10 à 20 oC (HASLAY et LECLERC, 1993). Cela peut, en partie, expliquer la diminution des streptocoques fécaux au point E, ce dernier étant situé loin des rejets anthropiques.

À partir du point E, les dynamiques d’abondance des quatre populations bactériennes étudiées augmentent légèrement au fur et à mesure qu’on descend en aval de la rivière, excepté les streptocoques fécaux aux points G et H, lesquels subissent une diminution perceptible pendant la période d’étiage (Figure 3d).

Le point F est caractérisé par une pollution fécale répétée du fait de la présence du bétail et des animaux domestiques qui ont libre accès au cours d’eau. Parmi les streptocoques fécaux, l’espèce fragile S. bovis est dominante chez le bétail et les chiens et rare chez l’homme (RODIER, 1994). Cette fragilité de S. bovis peut expliquer la diminution de l’abondance des streptocoques fécaux au point G. Une telle diminution montre un faible impact du Nahr ed Dahab débouchant dans la rivière en amont du point G (Figure 1), et l’absence d’une contamination importante par les streptocoques fécaux sur le trajet F-G-H. De plus, les fortes pentes des flancs rendent la rivière difficilement accessible à ce site G, même pour les animaux (Figure 2).

Enfin, les streptocoques fécaux présentent un maximum au point I([SF]I‑S = 30,94 ± 3,09 UFC/mL), probablement à cause de l’utilisation des matières fécales des animaux utilisées comme engrais dans les aires cultivées au bord de la rivière et à l’apport des streptocoques à partir des zones supérieures. Le rejet des eaux usées de plusieurs unités d’habitation dans la rivière peut également être une source importante de streptocoques dans l’eau qui participent à la contamination de ce site.

3.2.2 En période de crue

L’’évolution des abondances des différentes populations bactériennes n’est pas uniforme en période de crue.

On note une nette augmentation des effectifs de différentes populations des germes du point A au point B, et du point C au point D (Figure 4). On relève également d’importantes augmentations quantitatives des germes en période de crue par rapport à la période d’étiage, excepté les coliformes totaux. Cette augmentation peut être reliée au lessivage des sols par les eaux de ruissellement, à l’apparition des sources hivernales, à l’effet de dilution et aux rejets du contenu des fosses septiques pendant le temps de crue.

3.2.3 Comparaison entre la période d’étiage et la période de crue

Pour tous les points de prélèvement, l’abondance des germes totaux, des coliformes fécaux et des streptocoques fécaux augmente considérablement en période de crue (Figures 4a, 4b). Les crues jouent un rôle déterminant dans le processus de contamination. La quantité de micro-organismes présents dans les eaux augmente avec la pluviométrie, bien qu’aucune étude n’ait, jusqu’à présent, pu établir une loi simple modélisant formellement ces deux paramètres (CRÉTEUR, 1998). Le lessivage des sols par les eaux de ruissellement peut être néanmoins une raison principale pour la mobilisation des biomasses des sols.

Les deux points D et I font exception et subissent une chute remarquable de la teneur en coliformes totaux, en coliformes fécaux et en streptocoques fécaux dans la période de crue.

Les concentrations élevées en coliformes totaux, coliformes fécaux et streptocoques fécaux en temps sec aux points D et I et leurs chutes en période de crue laissent supposer l’existence possible du rejet des eaux usées en amont de ces deux points. Selon HÉBERT et LÉGARÉ (2000), la teneur en polluants rejetés régulièrement dans un cours d’eau diminue et se trouve diluée dans un plus grand volume d’eau suite à la chute des pluies. Les pluies peuvent intervenir comme des agents de dilution de la contamination bactérienne, et cela en augmentant le débit de la rivière. La période de crue peut aussi être à l’origine d’un phénomène de lessivage des sols. Pendant les premiers instants des pluies, les eaux de ruissellement mobilisent les dépôts sur les sols. Les charges des sols seront appauvries. Le reste de la période de crue se comporte ainsi comme agent de dilution pour le milieu récepteur (EL SAMRANI et al., 2004).

3.3 Analyse en composantes principales

Une analyse en composantes principales (ACP) de l’ensemble des données obtenues sur les eaux de la rivière Nahr Ibrahim, prélevées lors des six campagnes d’échantillonnage sur les neuf sites (Figure 5), fait apparaître que le premier axe, qui explique 52 % de la variance, est principalement dû à tous les paramètres bactériologiques mesurés, alors que le deuxième axe, qui représente (22 %) de la variance, est marqué surtout par la présence abondante des nitrates, et plus particulièrement pour les sites E et I en période de crue.

Figure 5

Analyse en composantes principales effectuée sur les nitrates et les paramètres bactériologiques pour tous les points de prélèvements en période d’étiage et de crue (la lettre désigne le nom du point et le chiffre désigne le numéro de la campagne d’échantillonnage).

Principal component analysis of nitrates concentrations and bacteriological numbers for all sampling sites during dry and wet weather periods (letters indicate the site name and numbers indicate the sampling campaign).

Analyse en composantes principales effectuée sur les nitrates et les paramètres bactériologiques pour tous les points de prélèvements en période d’étiage et de crue (la lettre désigne le nom du point et le chiffre désigne le numéro de la campagne d’échantillonnage).

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Cette analyse montre que les nitrates sont surtout présents dans les sites G, H et I (zone en aval du bassin versant) en période de crue, tandis que les sites A, C et E présentent de faibles concentrations en nitrates. Cela signifie qu’il y a une différence perceptible entre les différents sites choisis et que les sources de pollution en nitrates peuvent avoir des origines différentes tout le long de la rivière Nahr Ibrahim. Cette différence semble être influencée par la localisation géographique des points de prélèvements.

On note une forte corrélation positive entre les nitrates et les germes totaux (P < 0,05), d’une part, et entre les nitrates et les coliformes fécaux (P < 0,05), d’autre part (Tableau 2). Cette corrélation est non significative entre les nitrates et les streptocoques fécaux ou les coliformes totaux. Les coliformes fécaux ont un habitat exclusivement fécal (RODIER, 1994) et les ions nitrates peuvent provenir aussi des matières fécales par oxydation des ions ammoniums (GAUDREAU et MERCIER, 1998). Les ions nitrates et les coliformes fécaux ont ainsi une origine commune. Par contre, les coliformes totaux groupent, en plus des coliformes fécaux, toutes les bactéries ayant les mêmes caractères biochimiques que ces derniers, et dont l’habitat est le sol ou l’eau (RODIER, 1994).

Tableau 2

Tableau de corrélation entre les différentes variables.

Table of the correlation mong different variables.

Paramètres*

[NO3]

(mg/L)

GT

(UFC/mL)

CT

(UFC/mL)

CF

(UFC/mL)

SF

(UFC/mL)

[NO3] (mg/L)

1

0,384

‑0,082

0,377

0,254

GT (UFC/mL)

0,384

1

0,471

0,492

0,537

CT (UFC/mL)

‑0,082

0,471

1

0,680

0,285

CF (UFC/mL)

0,377

0,492

0,680

1

0,454

SF (UFC/mL)

0,254

0,537

0,285

0,454

1

En gras sont représentées les valeurs significatives avec un seuil de confiance de 0,05.

*GT, CT, CF et SF signifient respectivement germes totaux, coliformes totaux, coliformes fécaux et streptocoques fécaux.

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On note aussi qu’une corrélation significative (P > 0,05) est observée entre les abondances de coliformes totaux et celles de coliformes fécaux (Tableau 2). De même, une corrélation significative est observée entre les abondances de germes totaux et celles de coliformes fécaux, ainsi qu’entre les germes totaux et les streptocoques fécaux (Tableau 2). La significative interconnexion des variables bactériologiques considérées dans cette étude montre que le suivi de l’une d’entre elle suffirait pour la surveillance de la qualité bactériologique de cette rivière.

Cette approche statistique multivariée montre aussi clairement, comme nous l’avons remarqué précédemment, que l’effet de la localisation du site masque l’effet date sur un même site et pendant la même période.

Nous allons conclure que les sites situés en aval de la rivière Nahr Ibrahim (I, H et G) sont caractérisés par une pollution en nitrate et une contamination bactériologique alors que les sites situés en amont de la rivière Nahr Ibrahim sont surtout marqués par une contamination microbiologique (B).

3.4 Origine de la contamination fécale

L’origine de la pollution fécale est reliée au rapport quantitatif des coliformes fécaux sur les streptocoques fécaux (CF/SF). Lorsque ce rapport CF/SF est supérieur à 4 (Tableau 3), la pollution est essentiellement humaine (rejet des eaux usées) (BORREGO et ROMERO, 1982). Lorsqu’il est inférieur à 0,7, l’origine animale, notamment le bétail et en particulier les moutons, semble jouer un rôle prédominant dans la contamination de l’eau (GELDREICH, 1976).

Tableau 3

Origine de la pollution selon le rapport coliformes fécaux/streptocoques fécaux (CF/SF).

Pollution source as indicated by the fecal coliforms/fecal streptococci (CF/SF) ratio.

Rapport CF/SF

 

A

B

C

D

E

F

G

H

I

S1

0

5,14

0

0,23

0,35

0,21

26

39

0,44

S2

0,5

10,85

0

0,24

0,42

0,21

13

31

0,52

S3

0

5,64

0

0,28

0,5

0,17

12

300

0,52

M1

0,5

3,91

6,66

1,5

0,07

0,11

0,95

0,85

0,61

M2

2,66

0,85

8,66

0,15

0,13

0,11

0,75

0,90

0,74

M3

300

9,72

300

1

0,13

0,18

0,82

0,89

0,44

CF/SF <0,7 Principalement ou entièrement d’origine animale, CF/SF compris entre 0,7 et 1 Mixte à prédominance animale, CF/SF compris entre 1 et 2 Origine incertaine, CF/SF compris entre 2 et 4 Mixte à prédominance humaine, CF/SF >4 Source exclusivement humaine (Borrego et Romero, 1982).

-> See the list of tables

En période d’étiage (S1, S2, S3), le rapport CF/SF est nettement supérieur à 4 aux points B, G et H (RB = 5,14 ‑ 10,85; RG = 12 ‑ 26; RH = 31 ‑ 39) (Tableau 3). Ceci révèle l’impact majeur des rejets des villages traversés par Nahr Afqa (Branche A‑B) sur la rivière au point B, de même que pour les points G et H situés en aval de plusieurs villages dont la plus grande est le village de Yahchouch.

Après la chute des pluies, ce rapport diminue considérablement aux points G et H par augmentation de la teneur en streptocoques fécaux. Ces apports en streptocoques proviennent du lessivage des sols et des aires de pâturage en amont de ces deux points, alors qu’au point B, le rapport CF/SF n’a diminué significativement qu’après un lessivage intense des sols au prélèvement M2 (RB = 0,85) qui masque l’origine humaine de la pollution.

Cette dernière réapparaît après l’arrêt des pluies durant 11 jours entre M2 et M3 (RB = 10,07).

Au niveau des points D, E, F et I, le rapport CF/SF est toujours inférieur à 0,7. Ces résultats sont conformes avec l’environnement de ces points, le point D étant situé à une centaine de mètres en aval d’une ferme, et E et F en amont et en aval du village de Janné caractérisé par une activité agricole. Au point I, caractérisé par son urbanisation, le rapport R indique une pollution animale malgré l’absence de pâturage et de bovins à proximité. Cette origine animale peut être attribuée à l’utilisation des matières fécales des animaux comme engrais dans les aires cultivées au bord de la rivière et aux streptocoques véhiculés par l’eau à partir des zones supérieures.

Les streptocoques fécaux apportés par le lessivage des sols sont ceux considérés comme les hôtes habituels des intestins des moutons et des chèvres qui dominent dans les aires de pâturage. Ces streptocoques fécaux appartiennent alors à l’espèce S. faecium qui sont des indicateurs stables (RODIER, 1994).

Bien que l’origine de la contamination bactérienne dans les eaux de surface soit directement liée aux périodes de crue et aux phénomènes de lessivage, l’explication de la variation des charges bactériennes n’est pas isolée des propriétés physico-chimiques des eaux qui alimentent la rivière. L’étude bactériologique, la corrélation entre les bactéries nitrifiantes et sulfato-réductrices ainsi que les paramètres physico-chimiques constitueront une étape importante pour comprendre l’origine interne et les apports externes de la contamination bactérienne de la rivière.

4. Conclusion

Une évaluation globale sur les origines de la contamination microbiologique de la rivière Nahr Ibrahim pendant les périodes de temps sec et de temps pluvieux a pu être établie au cours de cette étude.

Les résultats obtenus ont montré la présence d’une différence significative entre les différents sites de prélèvement et entre les périodes de crue et les périodes de temps sec. Toutefois, l’influence du temps de prélèvement semble jouer un rôle significatif dans le transport et la mobilisation des matières des sols.

Les origines de pollution diffèrent selon le type d’occupation des sols. Les rejets des eaux usées et le lessivage des sols peuvent être considérés comme les sources principales de la contamination bactériologique de la rivière. Une contamination in situ de la rivière n’apparaît pas très clairement dans cette étude.