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Cet ouvrage, dérivé de l’habilitation à la direction de recherche de l’auteur, aborde avec érudition et exhaustivité la genèse et les déclinaisons actuelles de la sociologie du curriculum. Définissons d’abord ce concept : « un curriculum scolaire est […] un ensemble continu de situations d’apprentissage auxquelles un individu s’est trouvé exposé au cours d’une période donnée dans le cadre d’une institution d’éducation formelle » (p. 23). Cette branche de la sociologie vise donc à analyser le contexte social et les décisions qui conduisent à la mise en oeuvre des programmes scolaires, afin d’éclairer, entre autres choses, la relation entre le savoir, le pouvoir et le contrôle. Par exemple, pourquoi enseigner une chose plutôt qu’une autre ? En effet, dans les sociétés occidentales, la détermination du curriculum ne s’effectue pas à l’abri des intentions politiques et cette discipline vise à considérer ces éléments dans les analyses du système scolaire.
Avant de commenter l’ouvrage, quelques lignes pour le décrire. Ainsi, le premier chapitre présente la genèse de la sociologie du curriculum à travers les écrits de Durkheim. Le deuxième chapitre traverse la Manche pour aborder les travaux anglais sur le curriculum. Ensuite, le troisième chapitre expose les raisons qui viendraient expliquer la relative éclipse de la sociologie du curriculum en France après les années 1970 au regard des travaux de Bourdieu qui s’éloigne de ce domaine. Le quatrième chapitre poursuit les explications historiques et s’affaire à décrire le contexte des années 1990 marqué par la montée du néolibéralisme et du courant postmoderniste conduisant à une reconceptualisation de la sociologie du curriculum à travers, notamment, les travaux de Young. Le cinquième chapitre aborde les travaux de Bernstein, majeurs dans ce champ. Finalement, le sixième chapitre présente un programme de recherche pour une sociologie du « curriculum vivant », c’est-à-dire ancré dans l’étude de la pédagogie, pour comprendre la mise en oeuvre réelle du curriculum par les enseignants en classe à l’aide des connaissances issues des sciences humaines.
En introduction, l’auteur pose une question qui peut sembler irrévérencieuse : « on pourrait légitimement demander pourquoi alors consacrer un livre à ses thèmes » (p. 31). Le reste de l’introduction, et même de l’ouvrage, montre l’abondance de réponses à sa question. En effet, il dialogue avec les textes fondateurs de la sociologie du curriculum pour rendre compte des avancées dans ce domaine et de la pertinence de ces outils conceptuels pour mieux analyser le monde de l’éducation sous l’angle de la sociologie. Il souhaite se dégager d’une vision historique et figée des concepts pour leur donner une nouvelle perspective ancrée dans les connaissances les plus récentes sur le système scolaire et il relève le défi avec brio.
En effet, en exposant chronologiquement de manière claire les principaux ouvrages qui traitent de la sociologie du curriculum (Durkheim, Young, Bourdieu, Bernstein, Isambert-Jamati, Forquin), on peut aisément comprendre la filiation entre les auteurs, les nuances apportées et les affrontements des écoles de pensée pour faire évoluer la connaissance autour du curriculum. Vitale met en évidence qu’à peu près tous les travaux sur le curriculum cherchent à expliquer la persistance des inégalités scolaires à travers les époques. Alors que Durkheim aborde la mission de socialisation, Bourdieu montre comment l’école reproduit les inégalités, tandis que Young et Bernstein mettent en perspective l’accès différencié à diverses formes de savoir. Pour Young, le curriculum doit permettre à tous les élèves de pouvoir acquérir la connaissance puissante, peu importe leur origine sociale.
Pour Vitale, la sociologie du curriculum contemporaine doit relever le défi de s’éloigner d’une pensée statique qui aborde la reproduction ou la socialisation par l’école. Elle doit arriver à produire une analyse critique qui ne soit ni dénonciatrice, ni déterministe, ni dominocentrée pour conduire à « décrire et analyser comment les rapports sociaux sont actualisés dans les activités des curricula formel, en acte et caché, ou comment ils ne le sont pas et comment ils pourraient ne pas l’être » (p. 203).
Tout au long de l’ouvrage, l’auteur emploie une langue claire pour décrire un sujet complexe et il faut le souligner, il s’agit d’une force incontestable. Toutefois, une seule ombre au tableau subsiste et concerne les nombreuses occurrences de prépositions impropres comme « au niveau de » ou critiquées comme « suite à ». On pourrait s’attendre à une meilleure révision linguistique de la part d’un éditeur universitaire francophone.