Abstracts
Résumé
Le présent article est consacré à l’analyse des résultats d’une classe de cours élémentaire à un prétest et à un posttest en mathématique dont la notion concerne la division euclidienne. Nous cherchons à réduire les écarts entre les élèves avancé·e·s et moins avancé·e·s avec le groupe d’anticipation. Il s’agit d’un travail dans la durée avec un groupe restreint et hétérogène d’élèves.
Mots-clés :
- mathématique,
- division euclidienne,
- dispositif d’anticipation,
- élèves moins avancés,
- théorie de l’action conjointe en didactique
Abstract
This article focuses on the analysis of the results from an elementary class in a mathematics pre-test and a post-test concerning the Euclidean division notion. We seek to reduce the gaps between advanced and less advanced students through the use of an anticipation group. This long-term work was completed with a small and heterogeneous group of students.
Keywords:
- mathematics,
- Euclidean division,
- anticipation system,
- less advanced students,
- joint action theory in didactics
Resumen
El presente artículo se centra en el análisis de los resultados de una clase de enseñanza elemental a un pre-test y a un post-test de matemáticas sobre la noción de división euclídea. Nos proponemos reducir las diferencias entre los alumnos más avanzados y los menos avanzados con la ayuda del grupo de anticipación. Se trata de un trabajo desarrollado en un intervalo largo de tiempo, con un grupo reducido y heterogéneo de alumnos.
Palabras clave:
- matemáticas,
- división euclídea,
- dispositivo de anticipación,
- alumnos menos avanzados,
- teoría de la acción conjunta en didáctica
Article body
1. Introduction
À l’école, les élèves sont regroupé⋅e⋅s par classe à partir du critère de la date de naissance, l’âge devant favoriser l’homogénéité des apprentissages, comme nous le rappellent Monseur et Demeuse (2001) : « [l]’âge chronologique est considéré comme un bon indicateur de développement, notamment cognitif. Il n’est pas étonnant de constater que les systèmes éducatifs assignent, à chaque âge, un ensemble d’apprentissages, définissant ainsi une année scolaire ou un grade » (p. 38). Pourtant, d’autres regroupements sont pensés pour élaborer des classes de niveau, celles-ci permettant de disposer des mêmes compétences et des mêmes rythmes d’apprentissage.
Il apparait que l’organisation des écoles en classes de niveau ne produit pas le bénéfice escompté en termes d’accroissement de l’efficacité moyenne des performances scolaires ; les élèves faibles sont pénalisé⋅e⋅s par les classes de niveau, tandis que les élèves plus avancé⋅e⋅s en sortent bénéficiaires. Les observations ethnographiques (Crahay, 2000 ; Ireson et Hallam, 2001 ; Slavin, 1990) menées dans des classes fortes et faibles permettent de comprendre ce phénomène : elles font apparaitre de manière générale que le temps d’enseignement et la qualité des situations d’apprentissage sont moindres dans les classes regroupant des élèves en difficulté. Il est donc probable que ce ne soit pas la variable « classes de niveau » telle quelle qui provoque l’effet différencié, mais la disparité des conditions d’apprentissage qui covarient en fonction du niveau de la classe (Dupriez et Draelants, 2004).
Pour faire progresser les élèves, l’institution scolaire française a prévu pour l’enseignant⋅e un enseignement à partir de programmes. Ils comportent « un avant », représenté par des contenus définis, appris et connus les années précédentes, ainsi qu’« un après », avec des contenus à réactiver et de nouveaux savoirs à appréhender et à maitriser. Les résultats du Programme international pour le suivi des acquis, qui vise à tester les compétences des élèves de 15 ans en lecture, sciences et mathématiques, conduisent à envisager que les élèves ne possèdent pas tout à fait les mêmes capacités ni les mêmes compétences à un âge identique. Mieux, les résultats de la Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance, qui mesure la performance dans les domaines de l’éducation et de la formation, indiquent que les différences augmenteraient de manière significative entre les élèves au cours de la scolarité primaire.
Il apparait clairement qu’en termes de score et de classement, les écolier⋅ère⋅s français⋅es se situent en moins bonne position à l’heure actuelle qu’il y a une dizaine d’années. L’enquête de l’Association internationale pour l’évaluation de la réussite scolaire plaçait même la France dans les premiers rangs du classement international (1960-1980), alors que dans les dernières enquêtes, son système éducatif occupe une position très moyenne. Par ailleurs, certains pays, beaucoup moins développés sur le plan économique, obtiennent des résultats plus élevés (Suchaut, 2009).
En fait, il semblerait que malgré la démocratisation de l’enseignement qui vise notamment à rendre accessibles les savoirs à tou⋅te⋅s les élèves, peu importe leur origine sociale, il existe des différences importantes qui demeurent entre les élèves. L’écart entre elles⋅eux tend à croitre avec l’âge, en dépit de l’enseignement reçu (Suchaut).
2. Problématique
Notre analyse porte sur l’étude des résultats obtenus à un prétest et à un posttest. Il s’agit des réponses d’une classe de cours élémentaire première année à des petits problèmes mathématiques. L’analyse comprend également les résultats d’un sous-groupe appartenant à la classe, les élèves du groupe d’anticipation.
Nous pensons que le dispositif d’anticipation pourrait aider à réduire les écarts entre les élèves décrocheur⋅se⋅s, moins avancé⋅e⋅s et avancé⋅e⋅s. La situation de référence choisie est la situation du robot, situation mathématique dont l’objet est la compréhension de la division euclidienne.
Nous commençons par présenter la situation du robot qui est inspirée de la situation des fleurs proposée dans ERMEL Cours Préparatoire[1]. La situation mathématique vise à faire prendre conscience aux élèves que les nombres permettent d’anticiper et de résoudre des problèmes relativement complexes, comme de déterminer le nombre de paquets nécessaires pour construire une fleur. L’élève doit construire une collection d’un nombre donné d’éléments, fournis par paquets de cinq, et déterminer le nombre de paquets nécessaires. Dans la situation du robot, l’élève commande un nombre de bandes de cinq jetons pour décorer un robot, ce qui revient à déterminer le nombre de bandes de cinq jetons nécessaires pour répondre au problème.
Nous nous intéressons également à la question du temps des apprentissages et à la durée nécessaire à l’appropriation des savoirs. Cette durée est différente pour chacun, tandis que le temps d’apprentissage est un temps similaire pour tou⋅te⋅s les élèves et défini par l’institution scolaire et les programmes. Les savoirs sont répartis sur une échelle de temps, découpés, organisés et censés favoriser les apprentissages. Nous pensons que la maitrise des savoirs se réalise davantage dans la durée. Nous nous demandons si les programmes pensés par année scolaire et par cycle permettent aux élèves éloigné⋅e⋅s du savoir de travailler dans leur durée. Par exemple, le cycle des apprentissages fondamentaux concerne trois niveaux de classe : le cours préparatoire et les classes de cours élémentaires première et deuxième année. Pour accorder le temps de l’élève (la durée) et le temps d’apprentissages (les programmes), il semble nécessaire que le rythme de l’élève (la durée) et le rythme d’acquisition des notions élaborées par les programmes (les temps institutionnels) soient très proches. Pour les élèves « petits moyens », la question du travail dans la durée de l’élève risque d’être appréhendée par les dispositifs de prise en charge de la difficulté (des obstacles) plus tardivement.
Quant à la différenciation, elle est au coeur de plusieurs dispositifs dans le système scolaire français. Une classe est par nature hétérogène puisqu’elle est composée d’élèves de compétences et de capacités variables. Devant les difficultés spécifiques d’un⋅e élève ou d’un groupe d’élèves, l’institution scolaire française propose différentes prises en charge. Par exemple, les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté sont constitués de psychologues scolaires, de maitre⋅sse⋅s E (aide pédagogique) et de maitre⋅sse⋅s G (aide rééducative). Ils interviennent à la demande des enseignant⋅e⋅s auprès des élèves dans les écoles. De plus, il existe des temps d’activités pédagogiques complémentaires assurés par les enseignant⋅e⋅s et organisés après la classe ou pendant la pause méridienne. Certains dispositifs concernent plus particulièrement certains secteurs éducatifs comme le dispositif « plus de maitre⋅sse⋅s que de classes » ou encore les classes de cours préparatoires dédoublées et limitées à douze élèves.
En 2017, le Conseil national d’évaluation du système scolaire a organisé le consensus sur la différenciation pédagogique. Il s’agissait de questionner comment adapter l’enseignement pour la réussite de tou⋅te⋅s les élèves avec l’apport de la recherche. Les principales préconisations émises sont d’éviter le redoublement afin de ne pas augmenter les inégalités scolaires, de varier les supports et les modalités. L’enjeu est important. Il concerne également la formation des professeur⋅e⋅s des écoles dans les Écoles supérieures du professorat et de l’éducation.
Le Groupe de recherche et d’innovation s’interroge sur comment donner du temps aux élèves décrocheur⋅se⋅s et aux élèves moins avancé⋅e⋅s, afin qu’elles⋅ils puissent travailler davantage dans leur propre durée, mais également s’approprier les situations mathématiques complexes. Nous cherchons à anticiper la difficulté. Pour cela, nous choisissons d’étudier la division euclidienne avec un groupe d’élèves travaillant avec l’enseignant⋅e dans la classe. Le reste de la classe travaille en autonomie.
L’analyse à priori de la situation du robot montre que la question que l’élève doit traiter est la suivante : combien de bandes de cinq jetons faut-il mettre sur un robot pour un nombre de jetons ? Assude et Mercier (2007) précisent que la modélisation mathématique standard relèverait de la division euclidienne et pourrait se définir de deux manières suivantes :
L’élève pourrait bien sûr résoudre la situation du robot de manière différente en représentant les groupements. Dans cet article, nous nous concentrons sur la modélisation élaborée par Assude et Mercier (2007, p. 157) puisqu’elle représente les deux techniques d’apprentissage que nous souhaitons étudier et travailler avec les élèves de la classe et du groupe d’anticipation. Pour résoudre la situation du robot (première modélisation), l’élève pourrait user de jeux de langage comme « du trop », « du juste ce qu’il faut » et « du pas assez » afin d’encadrer le nombre de jetons par des bandes de cinq jetons. Par exemple, sept jetons correspondent à une bande de cinq jetons plus deux jetons. L’encadrement serait alors avec une bande de cinq (je n’ai pas assez de jetons puisque cinq est plus petit que sept) et avec deux bandes de cinq jetons (j’ai trop de jetons puisque 10 est plus grand que sept), mais j’ai besoin de deux bandes de cinq jetons pour résoudre le problème.
Le tableau 1 et la photographie 1 ci-dessous donnent à voir l’importance des multiples de cinq qui permettent de penser l’encadrement.
Pour résoudre la situation du robot (seconde modélisation), l’élève prendrait en compte le traitement du reste. Le nombre de jetons en trop entrainerait la commande d’une bande supplémentaire. Ainsi pour sept jetons (une bande de cinq jetons + deux jetons), le « plus deux jetons » impliquerait l’ajout d’une bande de cinq jetons supplémentaire à la commande.
L’enjeu du dispositif d’anticipation à partir de la situation du robot est la recherche du devancement du temps didactique, afin de tenter de réduire les écarts entre les élèves moins avancé⋅e⋅s et les élèves avancé⋅e⋅s dans la compréhension de la division euclidienne. Pour cela, nous choisissons d’augmenter le temps et les interactions des élèves éloigné⋅e⋅s de ce savoir. Les élèves du groupe d’anticipation devraient être en capacité de tirer profit des échanges dans la classe, après un temps d’étude supplémentaire sur les nombres et des techniques de résolution.
Le Groupe de recherche et d’innovation pense que d’autres modalités de différenciation sont à inventer. C’est pourquoi nous étudions la question de la prise en charge de la difficulté pour un groupe d’élèves hétérogènes (groupe d’anticipation) à l’intérieur d’une classe. Nous cherchons à évaluer les effets escomptés du point de vue des savoirs mathématiques.
3. Contexte théorique
Notre cadre théorique s’appuie à la fois sur la théorie des situations et la théorie de l’action conjointe en didactique. Partir de la notion de contrat didactique défini par Brousseau (1998) comme « l’ensemble des comportements spécifiques (des connaissances enseignées) du maître qui sont attendus de l’élève et l’ensemble des comportements de l’élève qui sont attendus du maître » (p. 127), nous observons comment l’action conjointe de l’enseignant⋅e et de l’élève peut contribuer à l’élaboration d’un savoir mathématique. En effet, l’étude du contrat didactique, c’est-à-dire des relations qui relient l’élève, l’enseignant⋅e et le savoir dans des habitudes de classe est notre premier grain d’analyse. Ensuite, la formalisation proposée par Sensevy et Mercier (2007) pour laquelle l’action didactique est postulée dans la théorie comme une action conjointe de l’enseignant⋅e et de l’élève constitue notre second grain d’analyse.
L’action conjointe est fondée sur la communication dans la durée entre ces deux types d’acteurs. L’enseignant⋅e et l’élève sont considéré⋅e⋅s comme coauteur⋅rice⋅s dans une situation qu’elles⋅ils partagent et qui est centrée sur le savoir à transmettre, même si elles⋅ils ont des rôles différents. Ainsi leurs interactions sont-elles considérées comme des transactions dont l’objet est le savoir (Sensevy et Mercier, 2007).
Nous définissons le devancement du temps didactique comme un temps spécifique dédié à l’apprentissage des éléments mathématiques nécessaires à l’élaboration du savoir. C’est un temps consacré à l’étude des éléments indispensables pour participer et tirer bénéfice des échanges dans la classe. Le devancement du temps didactique s’accompagne de l’étude dans la durée, temps conséquent nécessaire à l’apprentissage.
Nous décrivons maintenant la notion d’« expression-réticence ». Devant une situation pédagogique, devant l’action d’un élève, l’enseignant⋅e a le choix de dire ou de taire certaines choses. Elle⋅il doit choisir également la manière de dire ou de taire les éléments en rapport avec le savoir. En fonction des choix pédagogiques, l’enseignant⋅e orientera l’élève. L’élaboration du savoir se réalisera à partir de certaines propriétés ou relations avec le nombre rendues visibles alors que d’autres resteront cachées.
Le groupe d’anticipation doit permettre à l’élève de commencer à pouvoir jouer avec le bon contrat. Par « bon contrat », nous entendons la compréhension des règles définitoires, c’est-à-dire les règles qui permettent de commencer à « jouer » au jeu demandé.
Nous rappelons notre question de recherche : comment penser l’enseignement-apprentissage afin de réduire les écarts et prendre en charge la durée de l’élève et la difficulté scolaire ? Pour cela, nous étudions les résultats des élèves à un prétest et à un posttest.
4. Méthodologie
4.1 Description du Groupe de recherche et d’innovation
Le Groupe de recherche et d’innovation « savoirs, gestes et dispositifs » étudie le rôle de la différenciation dans la prise en charge de la difficulté à l’intérieur de la classe. Ce Groupe s’inspire d’un dispositif d’origine japonaise ayant comme protocole la préparation collective d’une leçon, sa réalisation puis son évaluation. Ce dispositif est connu sous le nom de lessons studies. En bref, il s’agit du travail collectif d’une équipe d’enseignant⋅e⋅s sur la construction par étapes d’une leçon, la « leçon d’étude ». Cela implique une analyse minutieuse du sujet dans le programme, dans les manuels et dans la pratique existante de l’équipe, ainsi qu’une documentation très détaillée de la leçon développée et mise en oeuvre à plusieurs reprises et sous l’observation de toute l’équipe (Miyakawa et Winsløw, 2009). Le Groupe de recherche et d’innovation de l’École supérieure du professorat et de l’éducation de Bretagne est constitué de maitre⋅sse⋅s-formateur⋅rice⋅s titulaires d’un certificat d’aptitude aux fonctions de maitre⋅sse-formateur⋅rice, d’enseignant⋅e⋅s disciplinaires et d’enseignant⋅e⋅s-chercheur⋅se⋅s. Les divers statuts des membres suggèrent des rapports aux savoirs différents susceptibles d’alimenter et d’enrichir les échanges. Les analyses sont appréhendées à partir d’un cadre théorique commun, celui de la théorie de l’action conjointe en didactique, et plus particulièrement des notions de contrat didactique et d’action conjointe. Les échanges se centrent sur les épisodes didactiques en relation avec le savoir, les dispositifs et les gestes professionnels.
La préparation du contenu de la leçon d’étude se déroule lors de trois journées en présentiel à Rennes. Ces temps de préparation ne sont pas suffisants. La préparation se poursuit par des visioconférences et des échanges de courriels. Puis, l’enseignant⋅e de la classe réalise la leçon et la filme. Des copies de la leçon filmée sont envoyées à tou⋅te⋅s les participant⋅e⋅s du Groupe pour le visionnement et l’étude. La leçon analysée sera remise en oeuvre dans une autre classe ou lors d’une autre année scolaire. Pour notre étude, nous sélectionnons les savoirs travaillés par et dans le Groupe durant les années 2008 à 2011.
4.2 Description du groupe d’anticipation
Le groupe d’anticipation est composé de six élèves de niveau hétérogène appartenant à la classe de cours élémentaire première année. Les six élèves travaillent avec l’enseignant⋅e la compréhension de la notion de division euclidienne à partir de la tâche et des techniques présentées. Lors de ce temps de travail, les élèves du groupe d’anticipation élaborent ensemble des connaissances sur les multiples de cinq et sur l’encadrement entre deux multiples de cinq par des échanges, des essais, et des temps d’institutionnalisation. Le travail s’effectue dans un groupe restreint et hétérogène afin que l’enseignant⋅e puisse orienter les élèves, organiser les échanges et gérer les différents temps.
Le groupe d’anticipation devrait permettre de retravailler des connaissances anciennes non maitrisées ou absentes et nécessaires à la compréhension de la situation du robot, mais également des techniques. Il permettrait d’anticiper sur le contenu de la leçon collective. Ici, l’étude d’un savoir spécifique en mathématique est pensée dans la durée de l’élève avec le traitement des obstacles inhérents (obstacles cognitifs) à la maitrise de ce savoir.
4.3 Observation des participants
La classe dont nous allons étudier les résultats est située dans le Finistère Sud et est composée de 23 élèves. Nous rappelons que la situation du robot est une situation de recherche, pour laquelle les élèves doivent commander un nombre de bandes de cinq jetons pour décorer un robot. Par exemple, les élèves doivent résoudre ce problème : il faut décorer un robot avec 11 jetons. Dans une bande, les élèves savent qu’il y a toujours cinq jetons. La question à résoudre concerne le nombre de bandes de cinq jetons à commander.
À partir de la résolution de petits problèmes, les élèves vont percevoir différentes catégories de nombres : les multiples de cinq et les autres nombres. Cette identification a une incidence sur la commande du nombre de bandes de cinq jetons. Lorsque le nombre de jetons est un multiple d’un nombre cinq, le reste est égal à zéro (r = 0). La commande sera le juste nombre de bandes de cinq jetons. Lorsque le nombre de jetons n’est pas un multiple de cinq, le reste est différent de zéro (r ≠ 0). La commande sera alors x bandes de cinq jetons plus une bande pour prendre en charge le traitement du reste (les jetons en plus). Pour le problème des 11 jetons, les élèves ne peuvent commander deux bandes de cinq jetons plus un jeton. La commande est nécessairement de trois bandes puisque les jetons sont groupés par cinq. Le reste de jetons (un, deux, trois ou quatre jetons de plus) bien qu’inférieur à cinq jetons entraine la commande d’une bande supplémentaire. Il est donc possible d’avoir un peu plus de jetons, mais il est rigoureusement interdit de commander trop de bandes de cinq jetons. Ici, pour notre exemple de 11 jetons, l’élève ne peut commander quatre ou même 11 bandes. C’est beaucoup trop de jetons. Les élèves vont appréhender cette contrainte en situation avec l’emploi des expressions « du trop » ou « du pas assez » au sujet des jetons ou des bandes. L’usage répété des expressions « du trop », « du juste ce qu’il faut » et « du pas assez » du nombre de jetons et du nombre de bandes participera à la compréhension de la notion de division euclidienne.
4.4 Constitution du groupe d’anticipation
La constitution du groupe d’anticipation composé de six élèves est réalisée à partir des résultats de l’évaluation au prétest et des observations de l’enseignant⋅e. Le Groupe de recherche et d’innovation élabore ou choisit les items du prétest (annexes 1, 2 et 3) que l’enseignant⋅e effectue avec les élèves. À partir du prétest, l’enseignant⋅e étudie la composition du groupe d’anticipation. L’enjeu consistera à favoriser les échanges utiles à la compréhension de la division euclidienne, à l’intérieur du petit groupe composé de deux élèves avancé⋅e⋅s, deux élèves moins avancé⋅e⋅s et deux élèves fragiles (ou décrocheur⋅se⋅s). Le même test sera réalisé en fin d’année scolaire (posttest).
Le groupe des six élèves choisi⋅e⋅s par l’enseignant⋅e est resté identique durant les 10 séances d’anticipation. Nous avons fait ce choix par rapport à la durée (le temps d’apprentissage) de l’élève moins avancé⋅e et de l’élève décrocheur⋅se. La décision de ne pas modifier la constitution du groupe d’anticipation s’est imposée. Nous rappelons que le travail sur la durée dans ce groupe devait permettre d’identifier et de travailler les obstacles récurrents rencontrés par les élèves moins avancé⋅e⋅s ou décrocheur⋅se⋅s. De plus, le devancement du temps didactique devait leur permettre de retrouver une place d’élève lors des séances collectives. Quant aux élèves avancé⋅e⋅s, nous pensions leur offrir l’occasion de perfectionner certaines compétences, comme être capable d’argumenter et de justifier les réponses. Pour répondre à ces enjeux, nous avons élaboré 10 séances d’anticipation et 21 séances collectives. Comme le précisent Gamoran, Nystrand, Berend et Lepore (1995), la qualité de l’apprentissage-enseignement ne dépend pas uniquement des ressources apportées par l’enseignant⋅e, mais des interactions entre les élèves et l’enseignant⋅e. Dans le groupe d’anticipation, nous pensons que le nombre restreint de six élèves avec la présence de l’enseignant⋅e permettra des échanges nombreux, fructueux et centrés sur le savoir.
4.5 Instrumentation
Le travail produit dans le Groupe de recherche et d’innovation est un travail collaboratif puisqu’il est initié dans les réunions en présentiel et poursuivi lors des échanges par courriels ou visioconférences. Le recueil de données est constitué de films d’étude et d’évaluations formées d’un prétest et d’un posttest effectués à des périodes différentes. Le prétest et le posttest sont composés de deux tests : les stylos et l’évaluation de mathématiques du Programme incitatif de recherche en éducation et en formation (2003). Afin d’uniformiser les consignes de passation dans les différentes classes où se déroulent les évaluations, un protocole a été mis en place. Il définit la présentation du matériel, le traitement collectif du premier problème dont le but est d’expliciter l’objet de recherche pour les élèves et le déroulement de l’épreuve (annexes 1 et 2). Notre recherche repose sur l’utilisation de divers documents qui constituent le recueil des données. Nous avons élaboré une programmation-progression. Chaque enseignant⋅e a rédigé des fiches de préparation pour les séances réalisées. La transcription de certains enregistrements s’est effectuée avec le logiciel Transana. L’analyse collective des épisodes didactiques a permis un travail en profondeur sur les contenus et les dispositifs. Les évaluations (prétest et posttest) mesurent les apprentissages des élèves. Le Groupe cherche à vérifier les premiers résultats positifs obtenus par la reproductibilité du dispositif d’anticipation dans plusieurs autres classes les années suivantes. Pour cela, il souhaite intégrer de nouveaux⋅lles enseignant⋅e⋅s à l’expérimentation.
4.6 Déroulement
Les trois réunions à l’École supérieure du professorat et de l’éducation de Bretagne ont permis de programmer le calendrier de réalisation des séances et le filmage. Chaque participant⋅e du Groupe reçoit les enregistrements de la séquence pour le visionnage et les analyses. Les participant⋅e⋅s se répartissent ou choisissent les séances à transcrire et différentes analyses sont produites dans des mémoires de master 1 et 2. La mise en oeuvre est reconduite les années suivantes pour approfondir les notions et pour étudier les conditions nécessaires à la reproduction du dispositif avec de nouveaux⋅lles enseignant⋅e⋅s qui n’ont pas participé à la genèse du travail.
4.7 Méthode d’analyse des données
Pour nous permettre d’envisager une première définition des catégories d’élèves avancé⋅e⋅s et d’élèves fragiles, nous observons le taux de réussite au prétest des stylos (14 élèves réussissent moins de trois problèmes, quatre élèves réussissent deux problèmes, cinq élèves réussissent un problème et cinq élèves ne réussissent aucun problème). La catégorie d’élèves moins avancé⋅e⋅s ne peut être définie puisque 14 élèves réussissent moins de trois problèmes, sans pour cela éprouver des difficultés importantes en mathématiques. Le prétest du Programme incitatif de recherche en éducation et en formation fait apparaitre six élèves qui ne résolvent aucun des problèmes. Nous devons élaborer des critères supplémentaires afin de préciser les trois catégories d’élèves.
La catégorie élèves décrocheur⋅se⋅s serait à priori plus facile à définir. Parmi les élèves qui ne réussissent aucun problème, nous cherchons à repérer les élèves les plus éloigné⋅e⋅s du savoir, celles⋅ceux qui sont en attente de la réponse (Sensevy, 1998) et ne s’engagent pas dans la recherche du problème. Ce sont des élèves qui ont décroché des apprentissages mathématiques. Elles⋅ils semblent ne plus être concerné⋅e⋅s par ce qui se passe en classe. Nous avons retenu comme élève décrocheur, un élève de cours élémentaire première année maintenu deux années au cours préparatoire avec des difficultés récurrentes.
La catégorie des élèves moins avancé⋅e⋅s correspond à une catégorie intermédiaire. Ce sont des élèves qui ont besoin de temps pour s’approprier le savoir et comprendre les apprentissages. Néanmoins, certain⋅e⋅s de ces élèves pourraient devenir des élèves fragiles ou décrocheur⋅se⋅s si les écarts entre les compétences acquises et les tâches demandées se creusaient. Pour autant, tou⋅te⋅s les élèves moins avancé⋅e⋅s ne deviendront pas toute⋅s des élèves décrocheur⋅se⋅s. Nous cherchons à sélectionner plus particulièrement les élèves qui ont peur de se tromper. Elles⋅ils possèdent des connaissances mathématiques qu’elles⋅ils ne savent pas ou peu utiliser. Ce sont des élèves qui ne peuvent tirer parti des échanges en classe entière.
Nous nous interrogeons sur le choix des élèves avancé⋅e⋅s qui participeront au groupe d’anticipation parmi les cinq élèves qui réussissent l’ensemble des problèmes. Nous devons donc sélectionner des élèves qui savent écouter les autres, faire des essais, partager leurs stratégies, être capables de verbaliser leurs actions, chercher ensemble et de collaborer si nous voulons favoriser les interactions. Nous décidons d’observer les cinq élèves avec un taux de réussite de 100 % au prétest qui répondent aux critères ci-dessus lors d’une nouvelle situation de recherche en mathématique. L’observation sera réalisée dans des petits groupes.
La séance d’anticipation a pour objectif de travailler un savoir mathématique (et des techniques) en profondeur à partir de la situation du robot. Il ne s’agit nullement de simplifier la notion mathématique, mais de permettre aux élèves les moins avancé⋅e⋅s ou décrocheur⋅se⋅s d’aller à la « rencontre » du savoir en tirant profit des interactions et notamment des dialogues entre les élèves et l’enseignant⋅e ancrés dans le milieu. Un⋅e élève du groupe d’anticipation fait une proposition que les autres membres du groupe testent, modifient, valident ou invalident. Le temps est au service des nombreux essais qui vont précéder l’institutionnalisation. Nous parlons d’anticipation puisque ce que nous cherchons n’est pas seulement la réponse juste au problème (le nombre de bandes de cinq jetons), mais bien la compréhension de ce qui est demandé et des différentes techniques pour valider. Ce temps permet de tester différentes manières de résoudre la situation du robot. Travailler dans la durée de l’élève devrait permettre d’élaborer un temps dans lequel il n’y aurait pas de scission entre la compréhension de la situation et les techniques de résolution.
L’usage de l’oral et le développement des interactions dans le groupe d’anticipation seront fortement au service des apprentissages mathématiques. Notre hypothèse de recherche est de permettre l’étude dans la durée afin de multiplier et de favoriser les échanges, d’autoriser les retours sur les connaissances anciennes et d’expérimenter toutes les hypothèses formulées par le groupe d’anticipation lors de ce temps d’étude supplémentaire. Chaque réponse proposée sera étudiée et analysée par les élèves. L’erreur sera prise en charge par le groupe. Sa taille restreinte (six élèves plus l’enseignant⋅e) devrait favoriser la prise de parole de chacun⋅e et nourrir les échanges autour du savoir mathématique.
Les élèves décrocheur⋅se⋅s doivent redevenir, dans la classe, des élèves parmi d’autres. La volonté de constituer un groupe hétérogène pour le groupe d’anticipation devrait favoriser les interactions entre pairs, l’exploitation du milieu et la construction de la connaissance par l’élève. Il s’agit de permettre la rencontre avec un milieu complexe.
Plus précisément, il s’agit de déterminer les expériences qui doivent être privilégiées dans un dispositif pédagogique pour permettre aux enfants d’atteindre les buts éducatifs fixés au préalable. Pour ce faire, il faut savoir comment les enfants apprennent sur le terrain et ce qu’ils retirent des expériences pédagogiques auxquelles ils sont confrontés […]. Dans certains cas, d’autres stratégies d’enseignement-apprentissage se révèlent efficaces telles que la résolution de problèmes, les jeux, la démonstration à partir d’exemples et entre autres celles qui permettent aux enfants de confronter leurs connaissances entre pairs.
Perret-Clermont, 2000, p. 28
De plus, la séance d’anticipation a l’avantage de permettre une étude renforcée dans le temps (plus de temps consacré à l’étude d’une notion) et prenant en compte la durée (le temps de l’élève). La connaissance explorée à partir des essais et erreurs, dans le groupe d’anticipation, n’aura pas encore le statut de savoir, mais l’élève pourra jouer avec le « bon contrat » lors de la séance collective.
Cette année-là, nous avons organisé 10 séances d’anticipation et 21 séances collectives sur la division euclidienne. La séance d’anticipation précède la séance collective pour permettre aux élèves du groupe d’anticipation de s’essayer à résoudre les problèmes et de travailler dans la durée. Nous recherchons précisément l’élaboration d’une familiarité avec le savoir. Les élèves moins avancé⋅e⋅s et décrocheur⋅se⋅s devraient être en capacité de comprendre ce qui se joue dans les échanges et d’y participer. De plus, nous cherchons à évaluer si les élèves moins avancé⋅e⋅s ou les élèves décrocheur⋅se⋅s du groupe d’anticipation ont retrouvé une place d’élève dans la classe par une participation plus active. Pour cela, l’analyse s’effectuera à partir des résultats obtenus aux prétest et posttest au travers de la question de la réduction des écarts entre les élèves.
Quant au posttest, il permettra de mesurer la construction des connaissances de la division euclidienne. Nous précisons que le prétest et le posttest sont identiques dans la tâche qui est demandée à l’élève. Nous cherchons à mesurer la compréhension de la division euclidienne après un temps d’apprentissage conséquent. Le posttest ne sera pas effectué à la fin du module d’apprentissage, mais au mois de mai sans réactivation spécifique sur la façon de résoudre ce type de problème.
4.8 Considérations éthiques
Notre recherche en éducation implique des sujets humains qui sont des élèves de sept et huit ans. Nous avons garanti l’anonymat des participant⋅e⋅s en remplaçant les prénoms des élèves de la classe par un code à l’aide d’une lettre et d’un numéro. Nous avons également obtenu le consentement des parents de la classe concernée par la recherche et sollicité une autorisation parentale pour les enregistrements des films d’étude. Les parents sont informés des avancées de la recherche lors de rencontres organisées durant l’année.
5. Les résultats des élèves au prétest
5.1 Les résultats obtenus au prétest des stylos
Nous présentons les résultats obtenus au prétest (tableau A en annexes). Le « code 1 » correspond à une réponse juste, le « code 9 » est une réponse erronée et le « code 0 » représente une absence de réponse. De plus, nous précisons que nous avons ajouté dans le tableau complet la réponse erronée. Elle apparait entre parenthèses afin de pouvoir procéder à une analyse des erreurs. L’avant-dernière colonne du tableau correspond à la procédure de résolution lorsqu’elle apparait sur la feuille de l’élève. Le surlignage (gris clair) identifie les six élèves du groupe d’anticipation choisi⋅e⋅s par l’enseignante après le passage du prétest pour la classe de cours élémentaire première année. Nous précisons que le premier problème n’est pas pris en compte étant réalisé collectivement. Nous donnons à voir l’énoncé du problème deux.
« La maitresse doit acheter des stylos pour la classe.
Les stylos sont vendus par paquets de cinq.
Combien faut-il acheter de paquets pour avoir 10 stylos ? »
Nous produisons un tableau synthétique des résultats.
Les pourcentages attestent des nombreux obstacles rencontrés par les élèves. Une première remarque très générale concerne le peu d’absence de réponses. Les élèves ont acquis un certain nombre d’habitudes. Par exemple à l’école, il est important de toujours répondre aux questions posées. Une grande majorité de réponses erronées pourraient être de l’ordre du contrat didactique (ici, les attentes de l’enseignante envers les élèves). L’élève produit une réponse pour respecter le contrat. La série de problèmes comprend deux problèmes dont le reste est égal à zéro (r = 0) et trois problèmes avec un reste positif (r ≠ 0). D’un point de vue général, 14 élèves sur 22 (un élève est absent lors de la passation) rencontrent des obstacles dans la résolution des problèmes de partage. Pour les problèmes dont le reste est égal à zéro (r = 0), les élèves devaient commander un nombre de paquets de stylos qui correspond au nombre de stylos. Pour les problèmes dont le reste est positif (r ≠ 0), les élèves devaient commander un paquet supplémentaire de stylos (+ un paquet). Nous pensons que l’obstacle pourrait être en lien avec le traitement du reste. Il est à noter que les procédures de représentation de la situation par un schéma n’apparaissent pas pour les deux premiers problèmes. Il s’agit de la catégorie des problèmes avec un reste égal à zéro (r = 0). Il semblerait que les élèves prennent appui sur les répertoires mathématiques. Le troisième problème appartient à la catégorie des problèmes avec un reste différent de zéro (r ≠ 0). Nous pensions que la recherche de la réponse engagerait les élèves à représenter le problème pour le résoudre, pourtant il n’en est rien.
En résumé, les problèmes deux et six ont un taux de réussite plus élevé que les problèmes trois, quatre et cinq. Les problèmes réussis (deux et six) sont des problèmes avec des nombres multiples de cinq (nombres 10 et 15) et, de ce fait, ils appartiennent à la catégorie des problèmes avec un reste égal à zéro. Les problèmes trois, quatre et cinq sont des problèmes avec un reste positif dont les nombres (huit, six et douze) ne sont pas des multiples de cinq et sont moins bien réussis. Le champ numérique est peu développé (nombre < 20) et il n’est pas source d’obstacle. Par contre, la contrainte de prendre un paquet supplémentaire pour avoir assez de stylos n’est pas fournie dans la consigne. Nous pouvons penser que ce sont les stylos en trop qui représentent un obstacle cognitif.
5.2 Les résultats obtenus au prétest du Programme incitatif de recherche en éducation et en formation
Nous regardons maintenant les résultats obtenus au prétest du Programme incitatif de recherche en éducation et en formation. Nous constatons que le champ numérique est également restreint et se limite aux premiers nombres (≤ 15). Est-il davantage réussi et si oui, dans quelles proportions ? Pour cela, nous présentons un exemple (problème cinq du Programme) et un tableau synthétique des résultats obtenus au prétest des problèmes du Programme.
« J’ai besoin de 15 yaourts. Ils sont vendus par paquets de quatre.
Combien de paquets dois-je acheter ? »
Nous produisons un tableau synthétique des résultats de la classe au prétest du Programme.
Tous les problèmes sont des problèmes dont le reste est différent de zéro (r ≠ 0) et tous les nombres sont impairs (neuf, onze et quinze). Une particularité de ce second test concerne le nombre d’éléments variables dans chaque groupement proposé (des bandes de cinq pour les étoiles, des boites de six pour les oeufs et un conditionnement par quatre pour les yaourts). Dans le prétest du Programme (2003), il n’y a pas d’exemple effectué collectivement. L’évaluation s’est déroulée le 5 novembre 2009. Lors de la passation des consignes, l’enseignante a lu chaque problème et laissé un temps suffisant pour la recherche de la solution. Nous avons répertorié les résultats sous la forme d’un tableau.
Dans cette courte analyse, nous remarquons le très faible nombre d’élèves réussissant les cinq problèmes. Nous obtenons 10 élèves en dessous du taux moyen de réussite. Il est à noter que six élèves ne réussissent aucun problème sur les 19 élèves présent⋅e⋅s le jour de la passation (quatre élèves absent⋅e⋅s).
Nous pouvons considérer qu’un tiers des élèves de cette classe rencontre des obstacles ou ne possède pas de technique pour résoudre ce type de problèmes. Nous avons mis en évidence précédemment que le traitement du reste pouvait être un obstacle à la résolution des problèmes. Ici, il nous semble qu’un second obstacle concerne le nombre d’objets qui varie dans les groupements (par exemple, cinq étoiles, six oeufs, quatre yaourts).
5.3 Les résultats des élèves au posttest
Nous présentons un tableau synthétique des résultats de la classe au posttest des stylos (tableau C complet en annexes). La passation du posttest s’est déroulée en mai 2010.
Nous pouvons remarquer que les 21 séances produisent des effets positifs sur la compréhension et l’apprentissage de la division euclidienne. Les pourcentages de réussite sont compris entre 65,21 et 82,60 % (contre 31,81 et 68,18 %). Les écarts entre le prétest et le posttest sont tous positifs (augmentation de 14,42 à 33,40 %). Un nombre important d’élèves (15) réussit l’ensemble des problèmes du posttest des stylos. Comme nous le pensions, un temps d’étude conséquent semble produire une meilleure maitrise du contenu.
Le test du Programme montre une évolution positive similaire puisque 13 élèves réussissent l’ensemble des problèmes. De même, les écarts sont tous positifs (augmentation de 18,66 à 44,93 %). Là encore, le travail dans la durée favorise une meilleure compréhension de la division euclidienne. L’impression générale pour la classe est très positive, les élèves semblent avoir progressé dans la compréhension et l’apprentissage de la division euclidienne. Elles⋅ils semblent disposer de connaissances sur les nombres et de techniques pour résoudre les problèmes de partage. La progression de la classe est importante. Maintenant, nous observerons plus particulièrement les résultats de certain⋅e⋅s élèves.
Les résultats des élèves moins avancé⋅e⋅s et décrocheur⋅se⋅s
Nous avons sélectionné ces élèves (E7, E10, E13, E14 et E15) parce qu’ellesils ont des taux de réussite similaires (très proche pour l’élève E13) aux prétests (stylos et Programme). Les élèves E7, E10, E13, E14 et E15 ont participé aux 21 séances sur la division euclidienne avec l’ensemble de la classe. Elles⋅ils n’appartiennent pas aux élèves du groupe d’anticipation.
Nous observons que les élèves E7, E10, E13 et E14 éprouvent toujours des difficultés importantes à résoudre des problèmes de partage. La progression de l’élève E15 connait une légère hausse. La progression la plus importante concerne l’élève E9, élève du groupe d’anticipation.
En résumé, si l’ensemble des élèves ont des taux de réussite supérieurs à ceux obtenus lors de la passation du prétest, il reste néanmoins cinq élèves (voir tableau 6 ci-dessus, exception faite de E9) dont les taux de réussite sont inférieurs à 40 %. Globalement, même si des rencontres régulières avec les situations de partage ont permis de travailler le savoir à de nombreuses reprises et de consolider la compréhension de la division euclidienne pour un grand nombre d’élèves, cela n’a pas permis à ces élèves de progresser. Comme nous l’avons vu, tou⋅te⋅s les élèves rencontrant des obstacles dans les situations de partage ne pouvaient être regroupé⋅e⋅s à l’intérieur du même dispositif. Le choix d’étudier régulièrement les situations de partage pendant l’année scolaire sur une période conséquente n’a pas permis de réduire les écarts pour les élèves décrocheur⋅se⋅s.
Nous observons maintenant les résultats des deux élèves les moins avancé⋅e⋅s du groupe d’anticipation aux évaluations (prétest et posttest).
Au prétest, les élèves E9 et E17 obtiennent des taux de réussite relativement bas. En revanche, les taux de réussite au posttest ont fortement augmenté. Ces deux élèves ont participé à toutes les séances du groupe d’anticipation. L’élève E9 semble avoir encore quelques difficultés dans les situations de partage lorsque la taille du groupement varie, mais les progrès sont là (augmentation de 40 %). Quant à l’élève E17, il obtient 100 % de réussite et nous pouvons penser qu’il a retrouvé une place d’élève.
Nous observons les résultats des élèves E15 et E13.
Les élèves E15 et E13 ont bénéficié de 21 séances, en classe entière, sur la division euclidienne. La rencontre régulière avec les situations de partage sur le temps long devait favoriser la reprise des savoirs anciens. Les taux de réussite de l’élève E15 ont progressé. Nous pouvons dire qu’il a tiré profit des rencontres régulières sur le travail de la division euclidienne même si les obstacles sont encore présents. Sans l’étayage dans la durée (les 21 séances), quelle serait l’évolution de l’élève E15 ? Les connaissances acquises seront-elles suffisantes pour lui permettre de continuer à progresser et retrouver une place d’élève ? L’écart s’est quelque peu réduit, mais nous ne pouvons certifier que l’élève E15 continuera sa progression sans un travail dans la durée. Quant à l’élève E13, les taux de réussite (prétest et posttest) restent identiques. Nous pouvons dire que les 21 séances n’ont pas permis à l’élève E13 de progresser. Le taux de réussite reste faible, mais il est stable ; tout au plus, nous pouvons penser que les 21 séances ont empêché l’élève E13 de régresser, mais nous ne pouvons l’affirmer. Quelle autre modalité de différenciation envisagée pour les élèves éloigné⋅e⋅s du savoir qui n’appartiennent pas au groupe d’anticipation pourrait leur permettre de progresser ?
Nous pensons que le travail dans le groupe d’anticipation pour l’élève E9 l’a exercé à la discussion mathématique. Le travail dans la durée a favorisé la consolidation des connaissances. Nous constatons que les taux de réussite augmentent pour tou⋅te⋅s les élèves du groupe d’anticipation. Ce dernier a des effets positifs sur la compréhension de la division euclidienne. Pour autant, nous ne pouvons pas dire que tou⋅te⋅s les élèves moins avancé⋅e⋅s ont étudié dans la durée et ont repris une place d’élève parmi les élèves de la classe.
6. Discussion des résultats obtenus
Nous aimerions revenir sur le type de travail réalisé lors des 21 séances collectives. Pour illustrer notre propos, nous insérons une courte transcription. Il s’agit d’une élève à la recherche de la réponse du nombre de bandes de cinq jetons à commander pour décorer le robot avec neuf jetons.
Lorsque nous analysons cet extrait, nous constatons que pour cette élève, le reste ne semble pas poser de problème, car elle utilise intuitivement la définition de l’encadrement. Elle propose la réponse de deux bandes de cinq jetons au problème des neuf jetons. Le reste (le jeton de trop) n’apparait que pour justifier sa réponse. Deux bandes de cinq jetons, cela fait trop, voilà pourquoi elle évoque le jeton qui ne sera pas utilisé. La technique de l’encadrement n’est pas citée explicitement, mais ce court extrait en est une illustration. L’élève sait implicitement qu’avec une bande de cinq jetons, elle n’aura pas assez de jetons pour décorer le robot avec neuf jetons.
Lors des 21 séances, les élèves se sont entrainé⋅e⋅s à résoudre de petits problèmes similaires. Comme nous l’avons montré, de nombreux⋅ses élèves progressent, mais il reste quelques élèves pour lesquel⋅le⋅s les séances ne produisent pas les effets escomptés. Pour les élèves du groupe d’anticipation, les 10 séances supplémentaires ont permis de faire progresser tou⋅te⋅s ses membres. Nous pensons que ce sont davantage les interactions supplémentaires dans un groupe restreint et hétérogène qui ont favorisé la compréhension de la division euclidienne et donc les progrès. Malgré le nombre important de séances, sans le groupe d’anticipation, nous pensons que les élèves moins avancé⋅e⋅s éprouveraient encore des difficultés à résoudre ce type de problème.
Nous observerons plus particulièrement certaines erreurs commises par les élèves éloigné⋅e⋅s du savoir lors de la passation du prétest des stylos. Les élèves devront résoudre les petits problèmes suivants :
« La maitresse doit acheter des stylos pour la classe.
Les stylos sont vendus par paquets de cinq.
Combien faut-il acheter de paquets pour avoir 6, 8 et 12 stylos ? »
L’élève E2 commande systématiquement un nombre trop juste de paquets pour ne pas obtenir de stylos en trop. Les résultats montrent que le reste de stylos n’est pas pris en charge. L’élève E5 augmente le nombre de paquets de stylos à commander en fonction du nombre croissant de stylos. En effet, l’élève E5 commande trois paquets pour six stylos, quatre paquets pour huit stylos et six paquets pour 12 stylos. L’élève E5 commande systématiquement trop de paquets afin de disposer du nombre de stylos demandés même si pour cela, il commande trop de stylos. Quant à l’élève E17, il répond à la demande en notant sur sa feuille le mot paquet dans chacune des cases prévues pour la réponse. L’élève E17 n’utilise aucun nombre (absence de nombre dans les cases). Il semblerait que l’élève E17 ait compris que la commande s’effectue en paquets sans pourtant relier la situation à l’usage des nombres pour anticiper. L’absence de réponse est difficile à interpréter, car elle peut relever de plusieurs causes : refus de montrer son ignorance (au sens de ne pas savoir répondre), une incompréhension de la tâche ou même le rejet du travail scolaire. Pour une enseignant⋅e, il est difficile de comprendre le cheminement de l’élève sans la présence de traces écrites (essais, schémas, ratures, etc.). Nous constatons que les réponses erronées révèlent les écarts importants entre les élèves. Le groupe d’anticipation permet aux élèves de progresser, mais il concerne un groupe restreint d’élèves. D’autres moyens de prendre en charge les obstacles, des moyens complémentaires au groupe d’anticipation restent à inventer.
7. Conclusion
Notre étude portait sur la division euclidienne. Notre méthodologie reposait sur les résultats d’un prétest et d’un posttest identiques réalisés à des temps différents de l’année scolaire. L’ensemble de la classe résolvait des situations de partage pendant 21 séances et le groupe d’anticipation, groupe restreint et hétérogène, travaillait avec l’enseignante pendant 10 séances supplémentaires. Nous cherchions à mesurer les effets du groupe d’anticipation par rapport à l’ensemble de la classe en fonction des catégories d’élèves (élèves avancé⋅e⋅s, moins avancé⋅e⋅s et décrocheur⋅se⋅s). L’étude de la notion de division euclidienne dans la durée entraine des progrès pour l’ensemble de la classe, mais il reste des élèves, si elles⋅ils ne semblent pas régresser, elles⋅ils ne progressent pas non plus. Par contre, tou⋅te⋅s les élèves du groupe d’anticipation progressent de manière significative même si pour certain⋅e⋅s élèves le renforcement sera nécessaire. Les 21 séances créent une certaine familiarité avec l’objet de savoir, mais les résultats montrent que la familiarité n’est pas suffisante pour amener une progression chez tou⋅te⋅s les élèves.
Le dispositif du groupe d’anticipation, par son hétérogénéité et son nombre restreint d’élèves, a permis aux élèves moins avancé⋅e⋅s et décrocheur⋅se⋅s de participer à l’activité mathématique avec des élèves plus avancé⋅e⋅s et la présence de l’enseignante. Le dispositif montre une progression variable, mais positive pour toute⋅s les élèves qui composent le groupe d’anticipation. Nous notons que les élèves de ce groupe ont un temps d’avance par rapport au savoir et aux autres élèves de la classe même si cette avance peut être de très courte durée. La progression de tou⋅te⋅s les élèves du groupe d’anticipation est à mettre également en relation avec les 21 séances collectives. Nous ne pouvons pas attester de l’influence unique du dispositif sur les effets positifs de la progression des élèves.
Actuellement, notre interrogation porte sur la manière de permettre aux élèves du groupe d’anticipation d’aider à la diffusion des techniques et de la compréhension, et notamment auprès des élèves moins avancé⋅e⋅s qui ne sont pas dans ce groupe. Comment favoriser la diffusion des connaissances et des techniques mathématiques qui sont discutées dans le petit groupe d’anticipation ? Le statut de ce dernier est en évolution et nous devons construire d’autres modalités de travail favorables à la mutualisation des savoirs entre les élèves du groupe d’anticipation vers la classe. Toutefois, nous ne pouvons attester d’une réduction significative des écarts liée uniquement à la constitution d’un tel groupe.
Appendices
Annexe
1. Le protocole
2. Un exemple de fiche distribuée aux élèves
La maitresse doit acheter des stylos pour la classe. Les stylos sont vendus par paquets de cinq.
3. L’évaluation Programme incitatif de recherche en éducation et formation
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Je veux mettre des étoiles sur un sapin. Les étoiles sont par bandes de cinq, comme cela :
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Je veux mettre des étoiles sur un sapin. Les étoiles sont par bandes de cinq, comme cela :
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Je veux ranger des oeufs dans des boites. Les boites contiennent 6 oeufs chacune, comme cela :
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Je veux ranger des oeufs dans des boites. Les boites contiennent 6 oeufs chacune, comme cela :
-
J’ai besoin de 15 yaourts. Ils sont vendus par paquets de 4.
Note
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[1]
ERMEL Cours Préparatoire : Équipe de recherche sur les mathématiques dans l’enseignement élémentaire.
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