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1. Introduction et problématique

Le bienêtre est un concept de plus en plus utilisé dans nombre de domaines. L’Organisation mondiale de la santé (1946) en fait d’ailleurs une condition constitutive de la santé : « La santé est un état de complet bienêtre physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (p. 100). En 2011, l’Organisation de coopération et de développement économiques lance d’ailleurs un indicateur de bienêtre pour mieux appréhender les conditions de vie des habitants de ses pays membres et permettre aux citoyens de comparer leur bienêtre au sein de 34 pays sur la base de 11 dimensions. Parmi celles-ci, l’éducation figure en bonne place.

En effet, à y regarder de plus près, on s’aperçoit que dans ce domaine le concept de bienêtre n’est pas en reste. Ainsi, le Programme international pour le suivi des acquis des élèves consacre un volume complet au bienêtre des élèves (Organisation de coopération et de développement économiques, 2016). Fait symptomatique, le bienêtre devient un élément à part entière que se fixe l’école, puisqu’en France, le terme bienêtre apparait 22 fois dans les programmes de l’école depuis la maternelle jusqu’à la troisième. Florin (2011) rappelle également la nécessité de développer les compétences cognitives, expressives et sociales des élèves, mais également de favoriser le bienêtre de ces dernier⋅ère⋅s et reconnait là un enjeu fondamental pour les acteur⋅rice⋅s du monde éducatif. À l’échelle européenne, la Commission des communautés européennes (2007) rappelle qu’au sein de la société, l’éducation ne doit plus se fixer uniquement l’objectif de développer des compétences chez les individus, mais également celui de viser leur épanouissement personnel. Bien qu’une des vocations principales de l’école soit la transmission du savoir, la notion de bienêtre avait déjà connu une impulsion à la suite de la Convention des Nations Unies concernant les droits de l’enfant (Fonds des Nations Unies pour l’enfance, 1989). Cette dernière indiquait que « l’école doit viser à favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons » (article 29, p. 18). Enfin, l’enquête internationale Health Behavior in School-Aged Children (2016), qui analyse de multiples dimensions de la santé chez les élèves âgé⋅e⋅s de 11, 13 et 15 ans dans 41 pays, souligne que des faibles scores de bienêtre chez ces enfants auront un effet direct sur leur santé. Cette enquête fait d’ailleurs du bienêtre une question de santé publique que les pays sont invités à s’approprier rapidement (Health Behavior in School-Aged Children, 2016).

Toujours dans le cadre scolaire, Randolph, Kangas et Ruoka (2009) rappellent que les élèves qui sont satisfait⋅e⋅s de leur vie à l’école développent mieux leurs ressources personnelles, font preuve de plus grandes facultés d’adaptation et, surtout, s’engagent plus facilement dans les apprentissages. Par ailleurs, selon une recherche de Nie, Chua, Yeung, Ryan et Chan (2014), il semblerait également que la motivation constitue une source de bienêtre. Cette recherche montre notamment que la motivation d’un individu, qu’elle soit intrinsèque ou extrinsèque, constitue chez lui un médiateur du bienêtre et du stress. Cependant, Howard, Gagné, Morin et Van den Broeck (2016), même si ces auteurs reconnaissent que le bienêtre doit être lié à plusieurs concepts motivationnels, relativisent la simple causalité qu’il peut exister. En effet, les concepts de bienêtre et de motivation s’articulent de manière plus complexe avec des éléments extérieurs pouvant médiatiser la relation.

Notre recherche vise à une meilleure compréhension des liens qu’entretiennent motivation et bienêtre. Pour atteindre cet objectif, nous nous appuierons sur plusieurs concepts motivationnels qui, par hypothèse, devraient entretenir des liens avec le bienêtre : le sentiment d’efficacité personnelle (Bandura, 1997), l’intérêt (Shiefele, 2009) et les buts d’orientation (Dweck et Legget, 1988). En effet, nous pouvons considérer que ces concepts devraient tous être en lien avec le bienêtre des élèves, comme nous le verrons plus bas. De plus, dans notre recherche, nous essayons de comprendre leurs relations quand tous ces concepts sont considérés en même temps.

2. Contexte théorique : bienêtre, concepts motivationnels et leurs relations multiples

Diener (2000) décrit le bienêtre comme étant composé des affects positifs ou négatifs qu’un individu ressent en fonction de la situation vécue, par nature très fluctuants et ayant une durée de vie limitée, mais également d’une composante satisfaction de vie qui serait une appréciation de l’individu de sa propre vie. Pour que l’on puisse dire qu’un individu ressent du bienêtre, il faudrait idéalement qu’il ait un haut niveau d’affects positifs, un niveau très faible d’affects négatifs et un haut degré de satisfaction de vie. Dans cette perspective, le bienêtre est qualifié de subjectif, car l’individu est censé évaluer pour lui-même et par lui-même, de manière générale, dans quelle mesure l’expérience qu’il est en train de vivre lui procure une sensation de bienêtre.

Ce bienêtre se construit également sur l’appréciation que la personne en fait subjectivement Fenouillet, Heutte, Krumm et Boniwell (2014). Pour Diener (2000), chaque individu effectue une évaluation élargie de sa vie dans son ensemble. Ainsi, pour lui, il existe une composante séparable du bienêtre subjectif qui serait la satisfaction de vie. Cette dernière se diviserait en plusieurs domaines, dont celui de l’école.

Le sentiment d’efficacité personnelle théorisé par Bandura (1997) représente une croyance en ses capacités à mettre en place un comportement pour accomplir une tâche donnée. Le sentiment d’efficacité personnelle est d’autant plus élevé que l’individu se trouve dans un état physiologique apaisé, sans stress ni peur, et qu’il bénéficie de facteurs environnementaux positifs, mais également de l’expérience de la réussite et des encouragements qu’il reçoit (Bandura, 1997). Nous pouvons donc faire l’hypothèse que le sentiment d’efficacité personnelle aura un effet sur le bienêtre scolaire des élèves. Par rapport aux autres concepts motivationnels utilisés dans notre recherche, Eliott et Church (1997) nous rappellent que le sentiment d’efficacité personnelle est antérieur à l’adoption d’un but et précisent que plus il est élevé, plus les élèves auront tendance à s’orienter vers un but d’approche et, à contrario, plus il est faible, plus les élèves chercheront à éviter la tâche. Kaplan et Maehr (1999) sont moins formels sur la relation entre les concepts de sentiment d’efficacité personnelle et de but, puisqu’ils montrent que le sentiment d’efficacité personnelle peut entretenir une relation positive avec les buts d’apprentissage et négative avec les buts de performance, mais ces deux types de buts peuvent aussi expliquer à leur tour le sentiment d’efficacité personnelle, tous deux de manière positive, mais dans une moindre mesure pour les buts de performance. Plus récemment, Siddiqui (2015) montre que le sentiment d’efficacité personnelle peut se montrer prédictif du bienêtre chez les étudiant⋅e⋅s de premier cycle universitaire. Salehi, Harris, Coyne et Sebar (2014) indiquent également que le sentiment d’efficacité personnelle a un effet sur le bienêtre en dehors du cadre scolaire. Ces résultats sont corroborés par Soysa et Wilcomb (2015). Quant à eux, Schönfeld, Brailovskaia, Bieda, Zhang et Margraf (2015) situent le sentiment d’efficacité personnelle comme un médiateur entre le stress et le bienêtre. Par contre, Cakar (2012) indique une relation inverse avec le sentiment d’efficacité personnelle, qui constituerait un prédicteur du bienêtre.

Outre le sentiment d’efficacité personnelle, nous postulons que le concept suivant est lié au bienêtre : les buts d’accomplissement. Cette théorie cognitive (Dweck et Legget, 1988) s’intéresse aux raisons qui poussent les individus à s’engager dans une activité et qui orientent la conduite comme cela peut être le cas dans une tâche d’apprentissage scolaire. D’après les auteur⋅rice⋅s, il existe au moins quatre manières de s’orienter dans les apprentissages scolaires : vers l’approche de l’apprentissage, centrée sur la réussite de la tâche, l’apprentissage, la compréhension, la maitrise ; vers l’évitement de l’apprentissage, centré sur l’idée d’éviter de ne pas comprendre, d’éviter de mal apprendre, de ne pas réussir, d’être moins performant⋅e qu’avant ; vers l’approche de la performance, centrée sur l’idée d’être supérieur⋅e aux autres, d’être la⋅le meilleur⋅e, dans une tâche donnée, en comparaison des autres ; vers l’évitement de la performance, centré sur l’idée d’éviter d’être inférieur⋅e, de ne pas paraitre stupide par rapport aux autres. Tian, Pi, Huebner et Du (2016) montrent que la perception du bienêtre par l’individu est dépendante de l’environnement dans lequel il se trouve et particulièrement de l’attente d’une récompense. D’après Tuominen-Soini (2012), il semblerait que cette manière de s’orienter face à une tâche à accomplir ait un effet sur le bienêtre que l’individu peut ressentir. L’auteur propose trois modèles de fonctionnement : lorsque les élèves s’orientent vers un but d’approche de l’apprentissage, l’effet serait positif sur le bienêtre ; à l’inverse, lorsqu’elles⋅ils poursuivent un but d’approche de la performance, le bienêtre subirait une baisse ; enfin, c’est lorsque les élèves seraient dans l’évitement que les effets seraient les plus néfastes pour le bienêtre. Kaplan et Maehr (1999) avaient déjà obtenu des résultats similaires dans une recherche montrant que les élèves qui poursuivaient des buts d’apprentissage étaient ceux qui présentaient les indicateurs de bienêtre les plus élevés. À l’inverse, selon les deux auteurs, les élèves s’orientant vers la performance avaient certains indicateurs de bienêtre plus bas que les autres. Par ailleurs, la théorie des buts d’orientation est intimement liée à un autre concept motivationnel utilisé dans notre recherche : l’intérêt (Harackiewicz et Hulleman, 2010).

L’intérêt individuel (Schiefele, 2009) est considéré comme une orientation plutôt durable d’un individu vers un type d’activité suivant deux composantes : la composante « ressenti », qui désigne les sentiments que l’on peut ressentir à l’égard d’une activité ou d’un sujet connus ou ceux que l’on associe à une tâche nouvelle ; la composante « valeur », qui désigne la valeur que l’individu attribuera à une tâche en fonction de ce qu’elle contribuera à lui procurer (développement personnel, compétence…). Nous retrouvons bien ces deux composantes dans le bienêtre scolaire. En effet, selon Engeles, Aelterman, Van Petegem et Schepens (2004), le terme de bienêtre à l’école pourrait se définir comme « l’expression d’une vie émotionnelle positive résultant de l’harmonie entre la somme de facteurs environnementaux spécifiques et les besoins et attentes personnels des élèves vis-à-vis de l’école » (p. 128, traduction libre). Cette dimension affective est également décrite par Silvia (2006), qui considère l’intérêt situationnel comme une émotion à part entière.

Fenouillet, Heutte, Martin-Krumm et Boniwell (2014) précisent également que le bienêtre est composé, entre autres, d’affects positifs et négatifs, par nature très fluctuants et contextualisés, mais qu’il est également constitué d’une composante de satisfaction de vie, plus globale et donc moins susceptible de fluctuer rapidement. Comme les auteur⋅rice⋅s l’ont postulé et vérifié, le bienêtre entretient des liens avec l’intérêt chez les élèves de collège. De même, Fenouillet, Chainon, Yennek, Masson et Heutte (2017) ont montré qu’il existe une relation forte entre le bienêtre scolaire et l’intérêt au collège et au lycée. Nous pouvons donc faire l’hypothèse qu’il en sera de même à l’école primaire. Tout comme Schiefele et Schaffner (2015), Krapp (1999) indique que le développement de l’intérêt est contrôlé par la sélection des buts d’apprentissage ; Harackiewicz et ses collaborateur⋅rice⋅s (1997, 2000, 2002, 2008) ont montré que le but de performance est généralement lié aux résultats des étudiante⋅s, alors que le but d’apprentissage est en relation avec l’intérêt. Enfin, Hidi et Harackiewicz (2000) précisent que l’adoption d’un but d’approche de l’apprentissage entrainerait une hausse de l’intérêt des élèves.

Prises dans leur ensemble, ces études nous permettent de postuler que la motivation agit sur le bienêtre de manière complexe. Cependant, différentes recherches permettent d’articuler ces concepts entre eux et, à partir de cette articulation, de postuler un modèle plus global de relations entre ces différentes formes de motivation et le bienêtre des élèves. En effet, il apparait que le sentiment d’efficacité personnelle permet d’expliquer les buts d’accomplissement et non l’inverse (Eliott et Church, 1997). L’intérêt scolaire serait déterminé par le type de but que poursuit l’élève (Schiefele et Schaffner, 2015) ainsi que par son sentiment d’efficacité personnelle (Bandura et Schunk, 1981 ; Ross, Perkins et Bodey, 2016). Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’intérêt serait lié au bienêtre (Fenouillet, Heutte, Martin-Krumm et Boniwell, 2014 ; Fenouillet, Chainon, Yennek, Masson et Heutte, 2017). Nous pouvons également estimer que l’effet du sentiment d’efficacité personnelle sur le bienêtre scolaire est médiatisé par les buts et l’intérêt scolaire (Laguardia et Ryan, 2000). De plus, les différentes recherches permettent de faire l’hypothèse que c’est l’intérêt scolaire qui aura le plus de poids dans le bienêtre (en d’autres termes, c’est bien l’intérêt que ressentira l’élève pour une activité qui augmentera son bienêtre) et que l’effet du but d’apprentissage sur le bienêtre sera médié partiellement ou totalement par l’intérêt (Kaplan et Maehr, 1999). Enfin, nous ne nous attendons pas à un effet significatif du but de performance sur le bienêtre ou même sur l’intérêt (Tuominen-Soini, 2012).

Au vu de tous ces éléments, nous postulons le modèle suivant :

Figure 1

Modélisation de la relation entre le sentiment d’efficacité personnelle, les buts d’accomplissement, l’intérêt scolaire et le bienêtre scolaire

Modélisation de la relation entre le sentiment d’efficacité personnelle, les buts d’accomplissement, l’intérêt scolaire et le bienêtre scolaire

SEP : sentiment d’efficacité personnelle ; AA : but d’approche de l’apprentissage ; AP : but d’approche de la performance ; IS : intérêt scolaire ; BES : bienêtre scolaire.

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De manière plus précise, nos hypothèses sont donc les suivantes :

Le sentiment d’efficacité personnelle influe sur les buts d’approche de l’apprentissage positivement et sur les buts d’approche de la performance de manière moins tranchée (Eliott et Church, 1997 ; Kaplan et Maehr, 1999).

L’intérêt est déterminé par le sentiment d’efficacité personnelle (Ross, Perkins et Bodey, 2016).

Le but d’approche de l’apprentissage entraine de l’intérêt (Hidi et Harackiewicz, 2000).

Le but d’approche de la performance est délétère pour l’intérêt (Schiefele et Schaffner, 2015).

L’intérêt serait lié au bienêtre (Ryan et Deci, 2000 ; Fenouillet, Heutte, Martin-Krumm et Boniwell, 2014 ; Fenouillet, Chainon, Yennek, Masson et Heutte, 2017).

Le but d’approche de l’apprentissage contribue à la hausse du bienêtre, tandis que ce dernier subit une baisse sous l’effet du but d’approche de la performance (Tuominen-Soini, 2012).

L’objectif général de notre recherche est donc de mieux comprendre les interrelations entre les différents concepts présentés et, de cette manière, de mieux appréhender ce qui se joue en classe entre bienêtre et motivation. Plus précisément, l’objectif poursuivi est de tester le modèle postulé plus haut afin de valider ou non nos hypothèses.

3. Méthodologie

3.1 Sujets

Notre échantillon est constitué de 278 élèves de classes de quatrième et de cinquième année du primaire issu⋅e⋅s de neuf établissements. La moitié des établissements sont urbains (Saint-Étienne et Givors) et l’autre moitié sont situés en zone rurale (région stéphanoise) dans des villes comptant moins de 10 000 habitant⋅e⋅s. Il s’agit d’un échantillon composé de 48,8 % de filles et de 51,2 % de garçons. L’âge moyen des élèves est de 10,59 ans (SD = 0,53, min = 9, max = 12).

3.2 Instrumentation

Dans cette recherche nous avons utilisé quatre échelles (type likert) validées permettant de mesurer nos concepts :

Échelle d’intérêt scolaire (Fenouillet, Chainon, Yennek, Masson et Heutte, 2017), de 5 items codés sur 7 niveaux (de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord »). Nous avons utilisé les items qui permettent de mesurer l’intérêt scolaire (α = 0,83). Exemple d’item : « Je vais à l’école parce que j’éprouve du plaisir à apprendre de nouvelles choses ».

échelle de sentiment d’efficacité personnelle scolaire (Masson et Fenouillet, 2013), de 11 items codés sur 7 niveaux (de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord »). Nous avons utilisé les items qui permettent de mesurer le sentiment d’efficacité personnelle scolaire sur 3 items (α = 0,83). Exemple d’item : « Lorsque j’ai un problème dans un exercice, je me débrouille toujours pour trouver la solution ».

Échelle d’orientation des buts (Masson et Fenouillet, 2018). Nous avons utilisé les 6 items des deux dimensions liées au but d’approche de la performance (3 items, α = 0,82) et au but d’approche de l’apprentissage (3 items, α = 0,77). Cette échelle est codée sur 7 niveaux (de « pas du tout vrai » à « totalement vrai »). Exemple d’item pour le but de performance : « Mon but dans la classe est d’avoir de meilleures notes que la plupart des élèves ». Exemple d’item pour le but d’apprentissage : « Je veux apprendre autant que possible en classe ».

Échelle de bienêtre scolaire (Fenouillet, Heutte, Martin-Krumm et Boniwell, 2014). Nous avons utilisé la dimension du bienêtre scolaire de 7 items (α = 0,85) codés sur 7 niveaux (de « pas du tout d’accord » à « tout à fait d’accord »), qui est l’une des dimensions de l’échelle multidimensionnelle de satisfaction de vie chez l’élève. Exemple d’item : « Je suis impatient⋅e d’aller à l’école ».

3.3 Déroulement

Nous avons contacté les établissements en début d’année scolaire 2016 afin d’obtenir leur accord pour réaliser une recherche auprès de leurs élèves. Une fois l’accord des enseignant⋅e⋅s et des parents obtenu, l’expérimentateur a distribué à chacune des classes les questionnaires conçus pour la recherche. Les passations ont eu lieu en présence des enseignant⋅e⋅s de chaque classe. Elles se sont déroulées en une seule fois par élève entre novembre 2016 et janvier 2017.

3.4 Méthode d’analyse des données

Pour réaliser les analyses factorielles confirmatoires et les modélisations en piste causale, nous avons utilisé le logiciel MPLUS version 7.3 (Muthén et Muthén, 1998).

3.5 Considérations éthiques

Pour mener à bien cette recherche, nous avons sollicité l’autorisation écrite des parents des élèves (mineur⋅e⋅s). Pour assurer l’anonymat des élèves, nous avons codé chaque questionnaire numériquement.

Les enseignant⋅e⋅s seront par ailleurs informé⋅e⋅s des résultats globaux de cette étude, et il leur a été précisé que l’équipe de recherche reste à leur disposition pour toute information complémentaire.

4. Résultats

Dans un premier temps, nous regarderons dans quelle mesure nos différentes variables entretiennent des liens les unes avec les autres. Pour évaluer ces liens, nous calculons les corrélations intervariables présentées dans le tableau suivant :

Tableau 1

Statistiques descriptives et corrélations entre les dimensions des échelles prises en compte dans les analyses (n = 278)

Statistiques descriptives et corrélations entre les dimensions des échelles prises en compte dans les analyses (n = 278)

AA : but d’approche de l’apprentissage ; AP : but d’approche de la performance ; IS : intérêt scolaire ; BES : bienêtre scolaire ; SEP : sentiment d’efficacité personnelle.

*** p < 0.001, ** p < 0,01

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Concernant le sentiment d’efficacité personnelle, ces résultats confirment nos hypothèses. Il semble en effet que si le sentiment d’efficacité personnelle est bel et bien lié positivement aux buts d’approche de l’apprentissage (r = 0,34, p < 0,001), le lien avec les buts d’approche de la performance n’existe pas, puisque la corrélation est nulle (r = 0). Par ailleurs, on constate une corrélation positive entre le sentiment d’efficacité personnelle et l’intérêt scolaire (r = 0,25, p < 0,001) conformément à nos hypothèses.

Quant au but d’approche de l’apprentissage, il apparait, toujours conformément à nos hypothèses, lié positivement à l’intérêt (r = 0,46, p < 0,001) et au bienêtre (r = 0,43, p < 0,001). Le but d’approche de la performance semble en revanche ne pas avoir de corrélation avec l’intérêt (r = 0,06) et le bienêtre (r = 0,07), alors que nous avions postulé que ces liens étaient négatifs.

Enfin, en ce qui concerne l’intérêt, il entretient bien des liens forts et positifs avec le bienêtre scolaire (r = 0,60, p < 0,001).

Pour vérifier le modèle que nous avons postulé, nous avons réalisé des modélisations en équations structurelles. Afin d’évaluer la plausibilité de ce modèle, en plus du χ2, qui reste l’indicateur de référence, nous avons utilisé les mesures incluant l’indice d’ajustement comparatif, l’indice de Tucker Lewis, la racine carrée moyenne d’erreur d’approximation d’erreur et la racine carrée moyenne standardisée. Il est généralement accepté par différent⋅e⋅s auteur⋅rice⋅s (Bentler, 1992 ; Schumacker et Lomax, 1996) qu’une valeur supérieure à 0,90 pour l’indice d’ajustement comparatif et l’indice de Tucker Lewis est suffisante. Cependant, d’autres auteur⋅rice⋅s (Hu et Bentler, 1995 estiment qu’une valeur de 0,95 ou plus est préférable. Une racine carrée moyenne d’erreur d’approximation d’erreur inférieure à 0,08 (Browne et Cudeck, 1993) est admise, mais pour Hu et Bentler (1999), une racine carrée moyenne d’erreur d’approximation d’erreur inférieure ou égale à 0,06 peut être considérée comme une valeur acceptable. De même, pour Hu et Bentler (1999), la racine carrée moyenne standardisée ne devrait pas être supérieure à 0,09 et devrait si possible rester inférieure à 0,06.

Nos valeurs sont les suivantes :

Tableau 2

Indicateurs d’ajustement du modèle

Indicateurs d’ajustement du modèle

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Le tableau 2 permet de constater que notre modèle s’ajuste correctement aux données. En effet, bien que le χ2 soit significatif, l’indice d’ajustement comparatif et l’indice de Tucker Lewis sont supérieurs à 0,90, la racine carrée moyenne d’erreur d’approximation d’erreur et la racine carrée moyenne standardisée sont égales à 0,06. L’ensemble des indicateurs sont donc inférieurs ou supérieurs aux seuils recommandés en fonction des indicateurs.

La représentation graphique de notre modélisation en équations structurelles est illustrée par la figure suivante :

Figure 2

Modèle en équations structurelles permettant d’établir la relation entre les variables globales du sentiment d’efficacité personnelle (SEP) général, des buts d’accomplissement (AA et AP), de l’intérêt scolaire (IS) et du bienêtre scolaire (BES)

Modèle en équations structurelles permettant d’établir la relation entre les variables globales du sentiment d’efficacité personnelle (SEP) général, des buts d’accomplissement (AA et AP), de l’intérêt scolaire (IS) et du bienêtre scolaire (BES)

***p < 0,001, *p < 0,05

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L’analyse des coefficients de parcours nous permet de constater que l’effet du sentiment d’efficacité personnelle général est entièrement médiatisé par le but d’apprentissage (β = 0,47, p < 0,001). En effet, le sentiment d’efficacité personnelle n’a pas d’effet significatif ni sur le but de performance (β = 0,01, ns) ni sur l’intérêt scolaire (β = 0,06, ns). Cependant, l’intérêt scolaire est le facteur qui a l’effet positif direct le plus important sur le bienêtre scolaire (β = 0,62, p < 0,001), suivi de l’approche de l’apprentissage (β = 0,17, p < 0,05), tandis que l’approche de la performance a un effet négatif sur le bienêtre scolaire (β = -0,12, p < 0,05).

5. Discussion des résultats

L’objectif de notre recherche était de mieux comprendre les déterminants du bienêtre scolaire. Nous postulions que, parmi eux, un certain nombre de concepts motivationnels (sentiment d’efficacité personnelle, buts et intérêt) entretenaient des liens avec ce bienêtre. L’étude des corrélations et une modélisation en équations structurelles nous ont permis de confirmer cette hypothèse générale, puisqu’effectivement, les différentes variables mesurées entretiennent bien des liens entre elles, et ce, conformément à la théorie.

Tout d’abord, concernant les corrélations, nous pouvons constater que bien que le sentiment d’efficacité personnelle entretienne des liens significatifs avec le bienêtre, ceux-ci ne sont pas très forts (r = 0,20**). Par contre, c’est aux buts d’approche de l’apprentissage (r = 0,43**) et surtout à l’intérêt (r = 0,60***) que le bienêtre semble le plus lié. Ce résultat semble cohérent en ce qui concerne tant les écrits scientifiques que ce que l’on peut empiriquement supposer en classe. En effet, on peut aisément comprendre que l’envie d’apprendre de nouvelles choses, sans aucune arrière-pensée compétitive, soit, elle aussi, liée à des activités que les élèves trouvent intéressantes. Ces activités à fort potentiel de plaisir ressenti pour l’élève ont en effet tendance à motiver l’élève à en faire encore plus, à les prolonger et le mettent en appétit pour les savoirs. Il est donc assez logique de constater que cette configuration est corrélée au bienêtre que les élèves peuvent ressentir en classe.

À l’inverse, il semblerait que lorsque les élèves perçoivent la compétition dans les activités que l’on peut leur proposer, leur motivation soit orientée principalement vers le besoin de remporter la compétition et que cette focalisation empêche les élèves d’éprouver du plaisir, de ressentir du bienêtre durant ces activités. Par ailleurs, nous constatons des corrélations non significatives entre le but d’approche de la performance et toutes les autres variables (intérêt, sentiment d’efficacité personnelle et bienêtre).

Si nous examinons plus particulièrement le sentiment d’efficacité personnelle, nous constatons qu’il influe bel et bien sur les buts de manière différente. S’il agit positivement sur le but d’approche de l’apprentissage, il ne semble pas avoir de lien avec les buts d’approche de la performance. En d’autres termes, un⋅e élève qui aura un sentiment d’efficacité personnelle élevé s’orientera plutôt vers l’approche de l’apprentissage à l’école en ayant tendance à vouloir progresser dans son apprentissage, et son bienêtre augmentera d’autant plus que l’activité qui lui est proposée l’intéresse. À contrario, dans la quête du bienêtre, le sentiment d’efficacité personnelle ne semble pas avoir de répercussion sur l’adoption d’un but d’approche de la performance. Ce résultat permet de mieux comprendre la relation complexe qu’entretiennent sentiment d’efficacité personnelle et but. En effet, Elliot et Church (1997) distinguent deux cas : si le sentiment d’efficacité personnelle de l’individu est élevé, celui-ci devrait s’orienter vers un but d’approche de l’apprentissage ou vers un but d’approche de la performance de manière équivalente ; par contre, dans le cas d’un sentiment d’efficacité personnelle faible, l’individu aura tendance à plutôt s’orienter vers un but d’évitement (de manière équivalente pour l’apprentissage et la performance). Par ailleurs, Kaplan et Maehr (1999) montrent qu’un sentiment d’efficacité personnelle élevé entrainera une orientation vers l’approche de l’apprentissage, alors qu’un sentiment d’efficacité personnelle faible aura tendance à orienter l’individu vers l’approche de la performance.

La question ne semble pas tranchée, et nos résultats, dans le cadre de la recherche de bienêtre, indiquent, eux, une non-significativité de la relation entre le sentiment d’efficacité personnelle et le but d’approche de la performance, ce qui tend à confirmer ce lien fragile.

Ross, Perkins et Bodey (2016) indiquaient que le sentiment d’efficacité personnelle avait un effet sur l’intérêt ; au vu de nos résultats, nous avons mis en évidence que les buts d’approche de l’apprentissage constituent un médiateur entre le sentiment d’efficacité personnelle et l’intérêt. En effet, le sentiment d’efficacité personnelle n’agit pas directement sur l’intérêt (β = 0,06, ns) comme le postulait notre modèle ; par contre, lorsque l’élève est orienté⋅e vers l’approche de l’apprentissage, il semble que cette orientation influe sur l’intérêt qu’elle⋅il peut ressentir pour ce qu’elle⋅il fait. Conformément à nos hypothèses, le but d’approche de l’apprentissage entretient un lien fort avec l’intérêt. Un⋅e élève qui s’orientera vers une tâche avec l’objectif de progresser, d’apprendre de nouvelles choses, ressentira plus d’intérêt pour celle-ci que s’elle⋅il s’oriente vers la compétition. Ce résultat a bien évidemment un effet direct sur les classes, puisque le fait d’orienter les élèves vers la compétition (classement, obtention de récompenses…) aura tendance à nuire à l’intérêt qu’elles⋅ils peuvent ressentir pour les activités scolaires.

Concernant l’intérêt, il apparait clairement qu’il constitue un médiateur important de l’effet des buts d’orientation sur le bienêtre, dernier élément de notre modèle. Si, conformément aux écrits scientifiques, le but d’approche de l’apprentissage influe positivement sur le bienêtre et que le but d’approche de la performance influe négativement sur celui-ci, les coefficients locaux de ces influences sont assez faibles (β = 0,17* pour le but d’apprentissage et β = -0,12* pour le but de performance) par rapport aux autres coefficients du modèle. Par contre, c’est bien quand elle s’exerce par l’intermédiaire de l’intérêt que l’influence est la plus grande. Nous relevons en effet une valeur de 0,62***, ce qui en fait le β le plus élevé de notre modèle. Ainsi, à l’école, le fait de ressentir de l’intérêt pour les activités scolaires proposées influe directement sur le bienêtre ressenti.

En résumé, nous avons validé le modèle proposé et mis en lumière un nouveau jeu de relations entre différentes formes de motivation et le bienêtre. Le but d’approche de l’apprentissage constitue un réel médiateur entre le sentiment d’efficacité personnelle et l’intérêt. Ce dernier, à son tour, médiatise la relation entre le but d’apprentissage et le bienêtre, puisque la relation directe entre sentiment d’efficacité personnelle et bienêtre n’est pas significative. Il semble donc qu’il existe à l’école une organisation assez fine de la motivation pour conduire les élèves à ressentir du bienêtre. Le sentiment d’efficacité personnelle, parce qu’il a tendance à orienter les élèves vers le but d’apprentissage, est un important transmetteur d’intérêt pour l’activité menée. De manière pragmatique, travailler le sentiment d’efficacité personnelle à l’école ne suffit pas forcément pour promouvoir le bienêtre. Il existe, certes, une corrélation significative entre le sentiment d’efficacité personnelle et le bienêtre, mais il faudra veiller, pour la⋅le professionnel⋅le de l’éducation, pour l‘enseignant⋅e, à instaurer un climat sécurisant en travaillant notamment sur le statut qu’elle⋅il peut donner aux évaluations. En effet, il semble nécessaire que les élèves considèrent les évaluations comme des informations, des rétroactions, à même de les renseigner sur leurs apprentissages, sur ce qu’ellesils savent ou ne savent pas encore faire, comme des outils de régulations, et surtout pas comme des sanctions ou des éléments leur permettant de se comparer en classe et, donc, instaurant la compétition entre elles⋅eux. Notre recherche nous montre que l’orientation vers l’apprentissage est cruciale. Cette dernière se double de l’importance de travailler à partir des intérêts des élèves ou tout au moins de leur proposer des activités à même de susciter leur intérêt. C’est bien à ces conditions que l’on pourra promouvoir le bienêtre dans les classes.

6. Conclusion

Dans la présente recherche, nous avions pour objectif de mieux comprendre les liens complexes qu’entretiennent la motivation et le bienêtre à l’école. Nous avons pris en considération trois théories de la motivation entre lesquelles s’établissent des liens conceptuels forts : le sentiment d’efficacité personnelle, les buts d’orientation et l’intérêt. L’étude corrélationnelle puis le modèle en pistes causales nous indiquent clairement qu’il s’avère, comme nous le postulions, que le sentiment d’efficacité personnelle n’influe pas de manière directe sur le bienêtre ressenti par les élèves à l’école. La relation est plus complexe, puisqu’elle dépend, d’une part, des buts d’orientation et, d’autre part, de l’intérêt que les élèves portent aux activités proposées. Nous constatons qu’à l’école, c’est parce que le sentiment d’efficacité personnelle aura tendance à orienter l’élève vers l’approche de l’apprentissage qu’il augmentera potentiellement l’intérêt porté aux activités proposées par l’enseignant⋅e. C’est bien ensuite cet intérêt qui permettra, entre autres, à l’élève de ressentir du bienêtre à l’école. Cette modélisation est, à notre connaissance, inédite et permet de confirmer une fois encore la puissance du sentiment d’efficacité personnelle. De nombreuses études (Schwarzer, 2014) montrent clairement l’effet de ce sentiment sur la réussite scolaire. Ce dernier s’avère également un excellent prédicteur du bienêtre lorsqu’il est médiatisé par l’orientation des buts et l’intérêt. Il apparaitrait donc intéressant de prolonger notre modèle en incluant la réussite scolaire.