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1. Introduction et problématique

Cet article traite de situations d’enseignement visant à permettre aux élèves de fin d’école primaire (9 à 10 ans) l’apprentissage des propriétés géométriques des quadrilatères. Nous nous intéressons plus particulièrement aux situations d’enseignement de la géométrie qui favorisent chez l’élève la mise en oeuvre et la formulation de connaissances spatiales et géométriques.

À la fin de l’école primaire et en début de collège (vers 12 ans), les enseignants rencontrent de nombreuses difficultés à proposer à leurs élèves des situations d’enseignement permettant le passage d’une géométrie instrumentée, principalement axée sur l’utilisation des instruments usuels (règle, équerre, compas), à une géométrie déductive reposant sur des justifications fondées sur les propriétés géométriques des figures.

Ce constat nous amène à formuler la question initiale : Comment élaborer une ingénierie didactique, reposant principalement sur la résolution de problèmes géométriques par les élèves de cycle 3, et qui accorde une place importante à la mise en oeuvre et à la formulation de connaissances géométriques?

Comme le montrent les nombreuses recherches initialement menées par Berthelot et Salin (1992), Brousseau (2000), ainsi que Combier et Pressiat (2003), la confrontation de l’apprenant à des actions effectives sur le milieu sensible joue un rôle déterminant du point de vue de la construction des concepts géométriques. Berthelot et Salin (1992), s’appuyant sur leurs nombreuses expérimentations, préconisent d’introduire les concepts fondamentaux de la géométrie en fin d’école primaire, comme outils pour résoudre des problèmes spatiaux effectifs. Ces recherches nous ont, d’une certaine manière, servi de fil conducteur lors de l’élaboration de notre ingénierie.

De plus, sur un plan institutionnel, les programmes de mathématiques qui sont entrés en vigueur en France en septembre 2016 préconisent, pour les cycles 3 et 4 (fin de l’école primaire et collège), de construire les notions de géométrie dans des espaces de tailles différentes, comme la feuille de papier (micro-espace) et la cour de récréation (méso-espace). L’intérêt de faire vivre aux élèves des situations d’enseignement/apprentissage dans le méso-espace semble donc institutionnellement reconnu.

Par ailleurs, pour des raisons que nous détaillerons dans la section suivante, en référence à de nombreux travaux de recherches antérieurs, la confrontation de l’élève à des situations d’apprentissage dans l’espace environnant, par exemple la cour de récréation, favorise le recours à des procédures de résolution qui privilégient les actions effectives sur les objets sensibles. Ces procédures prennent appui sur l’utilisation des instruments à disposition et résultent de la mise en oeuvre des propriétés géométriques.

L’analyse de ces situations du point de vue du fonctionnement des connaissances requiert l’utilisation d’un outillage théorique spécifique : la théorie des situations didactiques (Brousseau, 1998). En effet, cette théorie nous offre la possibilité d’analyser les connaissances et les savoirs, valides et erronés, mobilisés par les élèves en situation et nous conduit à identifier précisément les conditions dans lesquelles ils ont été mobilisés lors des différentes phases de la séquence. Nous souhaitons présenter de façon détaillée l’ingénierie élaborée en justifiant, d’un point de vue didactique, les choix effectués qui prennent appui principalement sur des recherches antérieures.

Notre méthodologie repose, d’une part, sur la mise en oeuvre d’une ingénierie basée sur la reproduction de figures géométriques dans la cour de récréation; d’autre part, sur une étude détaillée des raisonnements qui sous-tendent les procédures mises en oeuvre par les élèves en situation de reproduction des figures et ensuite lors de la verbalisation de leurs procédures. En effet, l’identification des propriétés géométriques mobilisées par les élèves lors de la reproduction des figures dans l’espace de la cour de récréation, à l’aide d’instruments inhabituels (tasseaux de bois, gabarit d’angles, ficelle, etc.), nécessite de la part du chercheur une étude précise des actions des élèves afin de déterminer les propriétés qui les sous-tendent. De même, nous avons effectué une analyse des raisonnements produits lors des situations où les élèves communiquaient oralement leurs procédures.

Ainsi, dans cet article, nous nous attacherons à produire des éléments de réponse à la question : En quoi la confrontation des élèves de CM1-CM2, âgés de 10-11 ans, à des situations d’apprentissage dont l’élément central est la reproduction de quadrilatères dans l’espace environnant permet-elle de favoriser la mobilisation et la formulation de connaissances spatiales et géométriques?

Nous allons, dans la section suivante, définir les outils théoriques nécessaires à la réalisation de cette étude en justifiant leur pertinence. La présentation des concepts utilisés, inhérents aux différents cadres théoriques mobilisés, nous offrira également la possibilité de préciser notre question de recherche.

2. La théorie des situations didactiques : un cadre théorique adéquat pour l’analyse des situations d’apprentissage et l’étude des raisonnements

2.1 Étude de l’articulation entre connaissances spatiales et connaissances géométriques

2.1.1 Classification des différents types d’espace

Il convient de distinguer l’espace sensible et l’espace géométrique. Le premier est défini comme un espace qui nous est accessible par le biais des sens, le second est le résultat de l’effort théorique appelé géométrie. Cette dernière est définie par Brousseau, (2000) comme l’ensemble des connaissances spécifiques nécessaires au contrôle de la consistance des énoncés sur l’espace.

Dans notre étude, nous souhaitons mettre en évidence les raisons pour lesquelles la confrontation des élèves à des situations d’apprentissage dans l’espace environnant favorise l’émergence de raisonnements chez les élèves. Pour cela, nous produirons l’analyse clinique d’une séance de classe en nous attachant à effectuer une analyse détaillée des formes de raisonnement élaborées par les élèves au cours des différentes phases de la séquence.

Comme le soulignent Berthelot et Salin (2001) ainsi que Salin (2014), la confrontation de l’apprenant à des actions effectives sur le milieu sensible joue un rôle déterminant du point de vue de la construction des concepts géométriques; c’est ce que nous nous efforcerons d’expliciter dans le paragraphe suivant.

Comme l’indique Brousseau(2000), selon la nature de l’espace sensible avec lequel le sujet est en interaction, ce dernier développe des modèles conceptuels différents. Ces modèles définissent, selon ce chercheur, trois types d’espaces : le micro-espace, le méso-espace et le macro-espace. Brousseau (2000) explicite les modèles conceptuels développés par le sujet en interaction avec ce type d’espace. En ce qui concerne le macro-espace, les situations où un sujet doit prendre des décisions relatives à un territoire beaucoup trop grand pour qu'il puisse l'embrasser d'un regard lui posent des problèmes, entre autres de recollement de cartes et d'incrustation. Pour identifier et retrouver un lieu, établir un trajet, déterminer la forme d'un territoire, etc., il est nécessaire de développer des concepts et des moyens spécifiques. Les solutions sont d'ailleurs différentes suivant qu'il s'agit de la terre entière ou d'une zone urbaine, rurale, sylvestre, souterraine, maritime ou aérienne. À l’opposé, le micro-espace est le milieu de l’élaboration et de la conceptualisation du mouvement des objets autres que l’observateur. L'enfant construit ses premières connaissances spatiales dans la manipulation de petits objets. Par le toucher avec ses mains ou sa bouche autant que par la vue, par les mouvements qu'il leur fait subir, il identifie leur consistance, leur forme solide, leurs positions relatives et leurs propriétés. L’objet est perçu dans sa globalité. Enfin, par confrontation au méso-espace, assimilable à l’espace environnant, le sujet développe des modèles conceptuels différents des précédents. En effet, lorsqu’il se déplace dans un territoire placé sous le contrôle de la vue (comme la salle de classe ou la cour de récréation), un élève est confronté à différentes perspectives présentant des parties communes. La coordination de ces multiples représentations lui permet d’accéder à une conception globale de ce méso-espace auquel il est confronté.

2.1.2 Classification des démarches de modélisation

Dans le domaine de la recherche en didactique des mathématiques, Berthelot et Salin (1992) utilisent le terme de démarche de modélisation, car le passage de l’expérimentation à la théorisation en constitue le principe; selon la nature du problème de géométrie, Berthelot et Salin (1992) distinguent trois problématiques :

  • Une problématique pratique, où les objets sur lesquels on travaille sont des objets physiques (en particulier des dessins) : la validation se fait dans l’espace sensible;

  • Une problématique géométrique, dans laquelle les objets ne sont plus des objets physiques : la validation se fait par un raisonnement qui s’appuie uniquement sur des connaissances géométriques;

  • Une problématique de modélisation, où l’on travaille sur des objets physiques : la validation se fait dans l’espace sensible, comme dans la problématique pratique, mais la démarche de résolution est totalement différente puisqu’elle s’appuie sur des propriétés géométriques.

Berthelot et Salin (1992) nomment spatio-géométriques la modélisation de l’espace par des connaissances issues du savoir géométrique. Dans cet article, nous nous attacherons tout particulièrement à étudier les différentes formes de connaissances spatio-géométriques élaborées par les élèves.

Comme l’indiquent Combier et Pressiat (2003), l’objectif de ces situations de modélisation est de trouver une solution reproductible qui doit être communicable à d’autres en s’appuyant sur un modèle explicatif. Notre étude s’inscrit dans le cadre de la problématique de modélisation définie précédemment, et vise l’étude d’une situation de modélisation conduisant à l’élaboration de solutions reproductibles qui pourront être communiquées aux autres élèves, en vue, d’une part, de développer la dialectique action-formulation et, d’autre part, de faciliter la transition entre géométrie instrumentée et géométrie déductive.

2.1.3 Les travaux de recherche antérieurs inhérents aux connaissances spatio-géométriques

Parmi les nombreuses situations d’enseignement expérimentées, Berthelot et Salin (1992) étudient un ensemble de situations nommées respectivement Rectangles et Bancs dans lesquelles l’objectif principal d’enseignement est de substituer à la reconnaissance visuelle d’un rectangle, la mobilisation de ses propriétés géométriques. Dans leur conclusion, ils formulent trois remarques essentielles concernant le méso-espace (Berthelot et Salin, 1992, pages 193 et 194). La première est que dans une tâche de construction ou de reproduction spatiale, le passage du micro au méso-espace augmente chez les élèves le recours aux connaissances de géométrie. Ils expliquent ce fait par l’inadaptation des outils conventionnels, habituellement utilisés dans le micro-espace (règle, équerre, compas). Leur usage rend plus complexes les tâches d’actions dans cet espace et mobilise des connaissances complémentaires. Berthelot et Salin (1992) notent également que la validation d’une situation de construction dans le méso-espace conduit à la prise en compte de questions de géométrie. Enfin, ils soulignent que la communication des procédures dans le méso-espace met davantage en avant la nécessité d’employer un langage spatial et géométrique.

Pour Gobert (2001), dans la distinction entre micro et méso-espace interviennent simultanément la taille de l’espace considéré et le type d’interactions que peut entretenir le sujet avec son espace de travail. Elle retient la variable taille de l’espace en tant que variable du milieu matériel avec lequel l’élève est en interaction. Ce sont les contraintes de contrôle portant à la fois sur le milieu et sur les actions que l’on peut y exercer, c’est-à-dire le type d’interaction possible avec les éléments du milieu objectif, qui déterminent le choix d’une procédure.

Parallèlement aux travaux de Gobert, Berthelot poursuit ses recherches portant sur la mise en oeuvre de situations de modélisation en fin de primaire (Berthelot, 2000). Il conclut qu’un travail dans le micro-espace seul ne permet pas aux élèves de distinguer l’espace modélisé des espaces de représentation et il avance les apports potentiels d’un milieu méso-spatial. En particulier, selon lui, les déplacements et les recollements d’informations qu’impose un tel milieu (méso-espace) amènent à mobiliser davantage de notions géométriques et à les articuler. Ses conclusions sont reprises et étayées par Bloch et Salin (2004). Par une analyse des possibilités de contrôle des objets géométriques dans le micro-espace et le méso-espace, ces conclusions mettent en évidence des divergences de fonctionnalité de ces deux espaces dans de nombreux domaines qui vont des tâches de tracé à la prise en compte des problèmes de mesurage.

Salin présente en 2008 une situation Tapis qui s’apparente aux situations Rectangles et Bancs explicitées précédemment, et dans laquelle les élèves doivent anticiper l’emplacement des coins d’un tapis avant son déplacement. Dans cette situation, les élèvent peinent à mobiliser les connaissances de géométrie dont ils semblent disposer dans le micro-espace. En particulier, Salin (2008) remarque que le problème posé ne demande pas de tracer le contour du tapis, mais seulement de positionner ses sommets. Cela demande aux élèves une difficile décomposition du rectangle en 4 droites perpendiculaires. Salin note également que les élèves qui échouent attribuent souvent leur échec à l’imprécision de leurs mesures.

Combier et Pressiat (2003) présentent une ingénierie pour le début du collège. Celle-ci est construite à partir de problèmes géométriques que les élèves ont à étudier successivement dans différents milieux : micro-espace, méso-espace et ensuite dans l’environnement d’un logiciel de géométrie dynamique. Les élèves sont amenés à formuler les procédures utilisées dans les différents milieux et à en trouver une justification qui soit indépendante du milieu matériel. Cette démarche a pour objectif de faciliter le passage d’une problématique pratique à une problématique géométrique. Les travaux publiés portent sur le cercle et l’introduction de la notion d’angle.

Bloch et Osel (2009) présentent des situations qui se déroulent successivement dans le micro-espace et le méso-espace pour introduire l’étape de schématisation. Elles montrent, qu’en créant des liens entre les différentes situations, les élèves arrivent à une progression dans le rôle qu’ils attribuent aux représentations. Les situations présentées qui se situent dans le méso-espace portent principalement sur le cercle et le triangle.

D’autres travaux (Munier et Merle, 2007; Laguerre, 2014), menés au secondaire (élèves de 11à 15 ans), et principalement fondés sur la recherche d’une mesure inaccessible, mettent en évidence comment, dans des activités interdisciplinaires, l’articulation entre les différents espaces favorise l’acquisition de compétences dans le domaine de la modélisation et le passage d’un problème de l’espace à un problème géométrique.

Lors du séminaire national de didactique des mathématiques de 2009, Perrin-Glorian et Salin dressent une revue de questions autour des travaux en didactique de la géométrie réalisée depuis 1973. Elles reviennent plus spécifiquement sur la problématique de modélisation, soulignent que c’est une piste pour l’enseignement de la géométrie, car elle suscite des besoins théoriques à partir de finalités pratiques. Elles s’interrogent en particulier sur les types de raisonnement géométriques accessibles aux élèves par le biais de ces situations (Perrin-Glorian et Salin, 2010.

Plus récemment, Barrier, Mathé et De Vittori (2012) étudient les effets didactiques d’une approche historique dans un cours de mathématique de début de collège. À partir de l’analyse d’une séance de construction de figure plane à l’aide d’une corde comme les Sulbasutras indiens, ils soulignent les spécificités d’usage de cet instrument. Ces chercheurs concluent que la présence, dans le milieu, d’instruments non usuels peut favoriser l’émergence de connaissances géométriques reposant sur des propriétés. Cela peut conduire à la formulation, puis à l’institutionnalisation de ces connaissances géométriques (Barrier, Mathé et De Vittori, 2012).

En conclusion, la majorité des recherches précédemment citées ont pour objet d’étude des situations de mesure de longueurs inaccessibles ou des objets de base de la géométrie. D’après les recherches précédentes, l’augmentation du recours aux connaissances de géométrie dans le méso-espace semble faire consensus, mais comme le souligne Salin (2007), ce phénomène mérite d’être davantage exploré pour en connaître l’origine. C’est ce que nous allons nous efforcer de mettre en lumière dans cet article.

Notre étude porte, comme celle de Berthelot et Salin (1992), sur la reproduction de figures planes dans le méso-espace, mais s’en distingue par l’absence de mesure et par le fait que les élèves auront à reproduire le contour de la figure et pas seulement ses sommets. La démarche est aussi différente de celle proposée dans la recherche de Barrier, Mathé et Vitorri (2012), car la procédure de construction n’est pas imposée.

L’analyse des travaux antérieurs nous permet alors de préciser la formulation de notre question de recherche : Quelle ingénierie didactique convient-il d’élaborer dans le cadre d’une problématique de modélisation afin de favoriser chez les élèves de fin de primaire (âgés de 10-11 ans) l’usage raisonné puis la formulation des propriétés géométriques mobilisées lors de la reproduction de figures dans le méso-espace?

2.1.4 Définition et caractéristiques des situations adidactiques en théorie des situations didactiques

Dans le cadre de la théorie des situations didactiques, Brousseau (1998) caractérise les situations adidactiques comme étant des situations que l’on peut associer à l’enseignement d’une connaissance ou d’un savoir (clairement identifié par l’enseignant), dans laquelle l’intention d’enseigner est effacée pour laisser à l’élève le plus d’initiative possible et lui permettre d’agir, de réfléchir, et de prendre des décisions, par lui-même.

Parmi les situations adidactiques, les situations d’action nous intéressent plus particulièrement. Elles consistent à placer l'enfant devant une situation telle que, d’une part, elle lui pose un problème dont la meilleure solution, dans les conditions proposées, est la connaissance à enseigner; d’autre part, qu'il puisse agir sur elle et qu'elle lui renvoie de l'information sur son action. Lors d'une situation d'action, un véritable dialogue s'instaure donc entre l'élève et la situation. Cette dialectique de l'action lui permet de se créer un modèle implicite, c'est-à-dire d'avoir des réactions qu'il ne peut pas encore formuler, ni encore organiser en théorie.

Figure 1

Schéma de la structuration du milieu

Schéma de la structuration du milieu

-> See the list of figures

Explicitons à présent les interactions avec le milieu dans le cadre d’une situation d’action. Le milieu délimite ainsi les possibilités de décision du sujet. Il est non anticipateur, car ses réactions sont indépendantes d’intentions ou de finalités. De plus, les éléments qui y sont modélisés ne sont pas uniquement des objets matériels : ce peut être, par exemple, des contraintes immatérielles comme des savoirs ou des connaissances stabilisées du sujet.

En situation de formulation, l’élève est amené à adopter une attitude réflexive quant aux connaissances et aux savoirs qu’il a choisi de mobiliser en situation d’action. Les conditions qui définissent la situation de formulation l’amènent à prendre en compte non seulement les actions qu’il a effectuées sur les objets, par confrontation au milieu, mais également les conditions dans lesquelles il a effectué ses actions (Gibel 2008).

Cette prise en compte des conditions dans lesquelles l’élève a élaboré ses actions nous apparait essentielle, car dans le cadre de notre étude, cela devrait permettre aux élèves de justifier leurs actions dans l’espace environnant en lien étroit avec les propriétés géométriques des objets. L’ingénierie que nous allons construire vise principalement à permettre de favoriser une dialectique action-formulation.

Les situations d’institutionnalisation sont celles par lesquelles l’enseignant fixe conventionnellement et explicitement le statut cognitif d’une connaissance ou d’un savoir. Une fois construite et validée, la nouvelle connaissance va faire partie du répertoire didactique de la classe. Après cette dernière dialectique, la connaissance est étiquetée comme quelque chose que tous les élèves sont censés savoir et peuvent appliquer.

2.1.5 Présentation d’éléments d’ordre méthodologique

Nous souhaitons à présent déterminer la méthodologie qu’il convient d’adopter pour étudier précisément les connaissances spatiales et géométriques mobilisées par les élèves en situation d’action, lors de la reproduction de quadrilatère dans le méso-espace, puis en situation de formulation, c’est-à-dire lorsqu’ils sont conduits à verbaliser et à justifier leur(s) procédure(s).

La situation de reproduction de figures géométriques dans le méso-espace est assimilable à une situation d’action. En effet, les élèves vont devoir prendre des informations sur la figure à reproduire en mobilisant et en articulant différentes procédures (pliages, mesure des côtés, mesure des angles, etc.) à l’aide des instruments non conventionnels à disposition (tasseaux de bois, ficelle, gabarit d’angle, etc.). Ils vont ensuite, à l’aide de ces mêmes instruments, s’efforcer de reproduire, sur une parcelle éloignée, la figure modèle par la mise en oeuvre d’une procédure originale. Compte tenu de la variété des procédures susceptibles d’être mobilisées, liées à l’usage d’instruments non conventionnels dans l’espace sensible (méso-espace), l’analyse didactique des procédures nécessitera une analyse approfondie des raisonnements qui les sous-tendent.

Lors de la phase verbalisation des procédures, assimilable à une situation de formulation, les élèves devront expliciter leur démarche en justifiant l’adéquation de leurs actions dans le méso-espace. Pour cela, ils devront se référer aux connaissances spatiales et géométriques qui justifient la validité de leur procédure.

Par conséquent, notre étude devra prendre en compte, d’une part, leurs actions effectives sur le milieu; d’autre part, les connaissances et les savoirs énoncés par les élèves en situation de formulation. Pour réaliser cette analyse didactique, nous nous attacherons à étudier les différentes formes de raisonnements produites par les élèves en spécifiant leurs différentes fonctions, en lien avec les conditions de leurs productions. Dans la partie ci-dessous, nous allons donc préciser ce que nous entendons par raisonnement, définir les différentes fonctions du raisonnement et indiquer les moyens mobilisés afin d’identifier les différentes formes de raisonnements susceptibles d’être produites en situation.

2.2 Enjeux et spécificités d’un modèle d’analyse des raisonnements

2.2.1 Identification et classification des raisonnements

En classe de mathématiques, à l’école primaire, le terme raisonnement tend à couvrir un champ beaucoup plus vaste que celui des raisonnements formels, logiques ou mathématiques. C’est pour cette raison que nous avons adopté la définition du raisonnement proposée par Oléron (1977, p.10) comme pouvant être un enchaînement, une combinaison ou une confrontation d’énoncés ou de représentations qui respectent des contraintes susceptibles d’être explicitées, et sont conduits en fonction d’un but.

Pour pouvoir déterminer et analyser objectivement les raisonnements produits par les élèves, le chercheur doit montrer que tel raisonnement complet, dont il ne perçoit parfois qu’une partie ou que des indices, est bien celui qu’il convient d'attribuer à son auteur. Pour cela, il s’assure que quatre conditions se vérifient dans le supposé raisonnement (Brousseau et Gibel, 2005). Tout d’abord, le raisonnement pourrait être explicité par le sujet ou, au moins, la connaissance, utilisée implicitement ou explicitement, appartient au répertoire didactique de la classe. Ensuite, il est utile dans le sens où il réduit une incertitude, car une autre connaissance aurait pu être mobilisée par le sujet. Il est l’instrument d’une modification de son environnement qui lui parait favorable. Enfin, le raisonnement est motivé par des raisons objectives, qui lui sont propres : arguments de pertinence, de cohérence, d’adéquation, d’adaptation, qui justifient ce raisonnement.

Ainsi, un raisonnement est identifié par sa fonction dans une situation, par le rôle qu’il y joue. Les différentes fonctions que peut avoir un raisonnement sont, par exemple, de décider d'une action à effectuer, d’informer, de convaincre, d’expliquer. Elles sont caractérisées par des modèles de situations mathématiques (situation d’action, situation de formulation, situation de validation) généraux mais différents. Pour une présentation plus détaillée des concepts de la théorie des situations didactiques, nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage de Brousseau (1998).

Afin de pouvoir étudier les moyens utilisés par l’enseignant pour gérer les raisonnements apparaissant dans les productions des élèves, Gibel (2015) définit ce qui est assimilable à un raisonnement. Pour identifier un raisonnement, il faut tout d’abord identifier des observables (textes, gestes, paroles, dessins, etc.) produits par un élève, par plusieurs élèves en interaction ou par l’enseignant. Ensuite il est nécessaire de relier ces observables par une relation rationnelle telle que cette relation s’exprime dans le langage du chercheur, différent a priori de celui des protagonistes. Dans le cas où la relation est assimilable à une hypothèse, il convient d’établir qu’elle est valide, en montrant, éventuellement à l’aide d’autres indices, qu’elle est la moins improbable des explications.

Il est à noter que parmi les raisonnements détectés par le chercheur, certains d’entre eux peuvent être attribués à un ou à plusieurs des protagonistes, bien que ce(s) dernier(s) ne les ai(en)t pas nécessairement identifiés comme tel.

2.2.2 La théorie des situations didactiques comme fondement de notre modèle

Un postulat de notre travail est que la théorie des situations didactiques fournit un cadre privilégié pour cette étude, et notamment que l'analyse des fonctions du raisonnement dans les niveaux de milieux permet une catégorisation des raisonnements. Ce cadre doit cependant être nécessairement complété par des outils d’analyse locale, ainsi que par une analyse des fonctions des raisonnements (Gibel, 2004) et des signes, formels et langagiers, qui le soutiennent. Pour cette dernière fonction, nous utilisons les outils d’analyse issus de la sémiotique peircienne (Bloch et Gibel, 2011; Bloch, 2008) que nous allons nous attacher à justifier et à caractériser dans le paragraphe suivant.

2.2.3 Dimension sémiotique de l’analyse des raisonnements

Les raisonnements apparaissant en situation de classe peuvent se traduire sous des formes très diverses : éléments langagiers, scripturaux, graphiques que nous nous devons d’interpréter en référence à différents registres de représentation (Duval, 1996). Par conséquent, l’analyse sémiotique constitue l’une des dimensions de notre modèle, complétant naturellement celles précédemment exposées : d’une part, la fonction des raisonnements; d’autre part, le niveau de milieu correspondant, autrement dit les conditions dans lesquelles le raisonnement a été élaboré.

Dans notre usage de la sémiotique peircienne, nous utiliserons les trois désignations : icône, indice et symbole-argument. Par exemple, dans la séquence étudiée, un tracé peut être assimilé à une icône; celle-ci traduit et manifeste une action du sujet confronté à la situation d’action; un indice est de l’ordre d’une proposition : par exemple, la mise en place d’un codage spécifique (de l’angle droit par exemple); un symbole-argument est de l’ordre d’une justification sous-tendue par une ou des propriétés géométriques. Comme le souligne Everaert-Desmedt (1990), l’interprétation d’un signe par un interprétant est étroitement liée à l’expérience, formée par d’autres signes toujours antécédents. Par conséquent, l’analyse sémiotique nécessite de prendre en compte les signes en lien avec les connaissances et les savoirs antérieurs; c’est la raison pour laquelle nous allons définir, dans ce qui suit, les notions de répertoire didactique et de répertoire de représentation.

Le répertoire didactique de la classe désigne aussi l’ensemble des moyens qui sont susceptibles de permettre à l’élève, confronté à une situation didactique ou adidactique, de générer de nouvelles connaissances à partir de ses connaissances antérieures.

Le répertoire de représentation, défini dans Gibel (2015) et dans Bloch et Gibel (2011), est la dimension sémiotique du répertoire didactique. Cette dimension sémiotique joue un rôle déterminant pour étudier la construction et l’utilisation des connaissances spatio-géométriques de l’élève en situation d’enseignement/apprentissage. Ces éléments, d’ordre sémiotique, permettent au chercheur de rendre compte des comportements, des démarches, des décisions et des actions effectives des élèves confrontés à des situations didactiques. Autrement dit, ces éléments reflètent les connaissances des élèves mobilisées en situation d’apprentissage.

D’après Berthelot et Salin (1992, p. 41), les représentations symboliques de l’espace, éléments du répertoire de représentation, relèvent de trois catégories différentes. En premier lieu, ces représentations peuvent être langagières avec un énoncé écrit ou oral. On distingue alors les formulations qui relèvent du langage spatial et celles qui sont issues du langage géométrique spécifique. En second lieu, les représentations infra-langagières sont liées à l’utilisation d’une gestuelle qui permet de communiquer des informations spatiales, c’est le langage du corps. Enfin, les représentations analogiques avec le milieu de référence comme les dessins, les schémas, les croquis, les pliages pour produire un gabarit d’angle.

Notre étude repose principalement sur l’étude détaillée des différentes formes de raisonnements qui sous-tendent les procédures formulées par les élèves. Par la mise en oeuvre de cette méthodologie, nous souhaitons apporter des éléments de réponse aux questions suivantes :

1) En quoi les activités de reproduction des quadrilatères dans le méso-espace peuvent-elles être efficientes pour générer une grande variété de raisonnements reposant principalement sur les propriétés géométriques des quadrilatères? 2) En quoi l’étude détaillée des raisonnements qui sous-tendent les procédures mises en oeuvre et formulées par les élèves permet-elle d’identifier précisément les propriétés géométriques sous-jacentes mobilisées par les élèves?

3. Méthodologie

3.1 Sujets

L’étude a été menée dans une classe à double niveau correspondant aux cours moyens première et deuxième année (élèves de 9-10 ans). L’école de trois classes est située en périphérie d’une petite ville, au sein d’un département rural français de faible densité démographique. L’enseignant décrit les élèves comme étant issus d’une population fluctuante, avec des départs et arrivées d’élèves en cours d’année fréquents, ainsi que des difficultés sociales perceptibles. L’enseignant s’est porté volontaire pour l’expérimentation; il n’a pas de formation particulière dans le domaine des mathématiques. On peut par conséquent considérer que l’expérimentation se déroule dans une classe ordinaire. Il a choisi, pour l’année scolaire considérée, de construire lui-même ses séquences et séances d’apprentissage en prenant appui sur les instructions officielles, le travail d’une collègue, quelques manuels et ressources en ligne. Quinze élèves sont inscrits en cours moyen deuxième année qui correspond à la sixième année du primaire, et six élèves en cours moyen première année (cinquième primaire), dont un élève dyspraxique qui bénéficie, à ce titre, d’un plan de travail aménagé.

3.2 Instrumentation

Afin de déterminer en quoi la confrontation des élèves à des situations d’apprentissage dans le méso-espace favorise l’élaboration de raisonnements pertinents à partir de connaissances spatio-géométriques, nous avons procédé à l’étude clinique d’une séance de classe au cours de laquelle les élèves ont été mis en présence d’une situation adidactique dans le méso-espace.

3.2.1 La séance objet d’étude

La situation retenue est une situation de reproduction de losanges de dimensions variées découpés dans un papier résistant et souple afin de conserver la trace des pliages effectués. (tableau 1)

Tableau 1

Dimensions des figures à reproduire

Dimensions des figures à reproduire

-> See the list of tables

La séance est structurée en trois temps : après une phase de dévolution de l’activité, les élèves sont mis en situation d’action pendant une vingtaine de minutes. Enfin, ils sont regroupés pour valider leurs productions et formuler leurs procédures.

Pour la situation d’action, la consigne donnée aux élèves est la suivante : Le travail que vous allez réaliser va se passer sous le préau. Vous allez travailler par groupes. Chaque groupe aura une figure géométrique qui sera collée sur le mur du préau. Il devra la reproduire sur le sol du préau le plus précisément possible. Vous aurez réussi si l’écart entre la figure modèle et la figure reproduite n’excède pas 1 cm. Chaque groupe devra tracer la figure dans la parcelle qui lui est réservée. Les figures à reproduire peuvent être détachées du mur, mais ne doivent pas quitter l’espace initial délimité par des bancs. (voir en annexe 1 le plan du préau.)

Les instruments et outils mis à votre disposition sont : ficelle, ciseaux, un tasseau de bois de 2 m par groupe, équerres en carton, feutres, craies de différentes couleurs et brosses pour effacer.

Après avoir effectué la reproduction de votre figure, à tour de rôle, chaque groupe exposera à l’ensemble de la classe et au professeur comment il a procédé pour effectuer le tracé.

Les objectifs généraux de l’enseignant sont donc, d’une part, d’amener les élèves à élaborer, dans le méso-espace, des procédures de reproduction de quadrilatères originales et s’appuyant sur l’utilisation d’instruments inhabituels définis précédemment; d’autre part, de conduire les élèves à formuler leurs procédures en justifiant le choix des instruments et des procédures en lien avec les connaissances et les savoirs spatiaux et géométriques sous-jacents.

3.2.2 Les données recueillies avant la mise en oeuvre

Les données recueillies avant l’expérimentation ont pour objectif de définir le répertoire didactique de la classe. Un entretien semi-directif a eu lieu avec l’enseignant, durant lequel il a explicité ses choix didactiques en géométrie. Cet entretien a été enregistré puis retranscrit. Nous avons également collecté, pour chacun des niveaux, la progression annuelle, un cahier d’élève avec les évaluations correspondantes ainsi que les affichages temporaires ou permanents utilisés par l’enseignant.

3.2.3 Les données recueillies pendant la séance observée

Lors de la mise en oeuvre de la séance, deux caméras mobiles nous ont permis de recueillir des enregistrements vidéos. Ainsi nous avons pu filmer l’intégralité de la phase de dévolution, puis chaque groupe pendant une partie de la phase d’action, et enfin, tous les groupes au moment de la formulation de leur procédure. Ces prises de vue ont été complétées par des photographies des figures tracées au sol.

3.3 Déroulement et analyse a priori de la séquence

3.3.1 Place de la séance dans la progression

Après une première prise de contact avec l’enseignant, qui nous a permis de collecter les données citées précédemment, nous lui avons communiqué la situation de reproduction de losanges dans le méso-espace. Il a choisi d’intégrer cette séance dans sa progression, fin mai, en semaine 31 de l’année scolaire qui compte 36 semaines d’enseignement. Précisons que les quadrilatères avaient été étudiés, par le biais d’activités proposées dans le micro-espace, en milieu d’année scolaire (semaines 15 à 18), et la symétrie axiale juste avant (semaines 27 à 30). Nous avons fourni à l’enseignant le matériel spécifique nécessaire à la mise en oeuvre de la séquence, puis il a préparé seul son projet de séance. De notre côté, nous avons effectué une analyse a priori de la situation en tenant compte du répertoire didactique de la classe. Cette analyse a priori, que nous présentons dans le paragraphe suivant, comporte les réponses attendues, les procédures envisagées, puis décrit une analyse didactique de la séance.

3.3.2 Analyse a priori de la situation

Sur le plan mathématique, la réponse attendue est double : l’enseignant attend des élèves, d’une part, qu’ils construisent sur le sol, en utilisant les instruments mis à disposition, une figure assez proche de la figure modèle et, d’autre part, qu’ils verbalisent et justifient les étapes de la construction réalisée. Pour chacune de ces parties, nous allons détailler les procédures attendues, construites à partir du répertoire didactique de la classe.

Pour comparer ou reporter des longueurs, les élèves pourront utiliser la ficelle, le tasseau ou plier la figure. En particulier pour vérifier la nature de la figure, les élèves pourront s’assurer de l’égalité de longueur des côtés du quadrilatère à l’aide de la ficelle, du tasseau ou d’un double pliage. S’ils éprouvent la nécessité de reporter un angle, les équerres en carton pourront servir à la fabrication d’un gabarit d’angle. La détermination du milieu des diagonales pourra se faire par pliage de la figure modèle, tracé de ses diagonales ou utilisation de la ficelle pliée en deux. En ce qui concerne l’organisation du tracé, nous classerons les procédures envisageables en trois classes suivant les propriétés de la figure mobilisées. Le premier type de procédure utilise en acte les propriétés des diagonales d’un losange. Sont successivement tracés, une diagonale et son milieu, la deuxième diagonale perpendiculaire à la première et de même milieu, puis les côtés du losange.

Figure 2

Les étapes de la procédure 1

Les étapes de la procédure 1

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La seconde procédure se fonde sur la décomposition du losange en deux triangles isocèles isométriques de même base, puis le report de longueurs ou d’un angle. Après le tracé d’une diagonale, un triangle est construit en utilisant la ficelle pour reporter les longueurs, ou un gabarit d’angle pour reporter un angle. Dans le cas d’un losange dont les angles aigus ont pour mesure 60°, le losange pourra être décomposé en deux triangles équilatéraux ayant un côté commun.

Figure 3

Les étapes de la procédure 2

Les étapes de la procédure 2

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Enfin, dans la troisième procédure, le losange est décomposé en quatre triangles rectangles.

Figure 4

Les étapes de la procédure 3

Les étapes de la procédure 3

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Les procédures envisagées étant explicitées, nous allons maintenant procéder à une analyse didactique de la séance. Après avoir précisé le type de situation auquel correspond chaque phase, nous listerons les variables didactiques, puis expliciterons le scénario élaboré, avant d’aborder les difficultés prévues et les aides envisagées, pour finir sur la validation des productions.

Initialement, les élèves sont confrontés à une situation d’action permettant différents niveaux de rétroaction, puis lors de la mise en commun, à une situation de communication visant à formuler la démarche de réalisation.

Les principales variables didactiques sont les dimensions des losanges à reproduire (longueur des côtés et mesure des angles), les outils mis à la disposition des élèves et, en particulier, le rapport entre la longueur des tasseaux et la longueur des diagonales ainsi que le type de gabarit d’angle droit fourni (équerre cassée, feuille de papier à plier…), la nature du support qui permet ou non d’avoir recours à une procédure de pliage. La présence ou non d’une trace de pli initiale pour représenter un axe de symétrie sur les figures à reproduire peut aussi influer sur les procédures produites. Dans nos expérimentations, nous avons fait le choix d’une matière qui permet d’effectuer des pliages et d’en conserver la trace.

Dans le scénario envisagé, les élèves travaillent en groupes hétérogènes de 3 à 4 élèves comportant des élèves des deux niveaux. La dévolution de l’activité se déroule en classe. Le maître donne la consigne, la fait reformuler et présente le matériel qui n’est pas familier en le nommant (les tasseaux). Il précise la composition des groupes qui est affichée au tableau. Puis les élèves sont répartis par groupes, sous le préau, pour une mise en situation d’action. Chaque groupe prend connaissance de la figure à reproduire et de l’espace attribué à cet effet. Les instruments et outils sont mis à la disposition de tous les élèves. Après reformulation de la consigne, les groupes sont mis en activité pour une durée de 20 minutes, suit la phase de mise en commun et validation. Dans cette phase, chaque groupe présente son tracé à l’ensemble de la classe et explicite sa démarche en précisant les étapes de construction et les outils utilisés. Le groupe superpose la figure modèle à son tracé. Si l’écart entre la figure modèle et le tracé réalisé est inférieur à 1cm, alors la production est déclarée valide par l’ensemble de la classe. La séance se termine par une institutionnalisation : de retour dans la classe, une synthèse est faite des différentes procédures utilisées et du rôle de chaque outil.

Les difficultés prévisibles sont dans l’usage des outils, le maniement des tasseaux auquel les élèves ne sont pas familiarisés, la gestion des repères sur le tasseau (oubli de l’origine, confusion entre les différentes marques inscrites sur le tasseau), le manque de précision dans le report des longueurs, en particulier lors de l’usage de la ficelle. Il peut apparaître un manque de coordination au sein du groupe pour organiser les prises d’information et les tracés ainsi qu’une difficulté à prendre des décisions quant aux choix des informations à prélever sur la figure modèle. Par ailleurs, la durée de l’activité étant limitée, la nécessité d’effectuer de nombreux allers retours entre le modèle et la figure reproduite par manque d’anticipation et d’organisation de l’action peut gêner certains groupes. Enfin, les connaissances acquises dans le micro-espace ne seront peut-être pas transférées dans un espace de travail nouveau.

3.3.3 Déroulement effectif

Le déroulement effectif est conforme au déroulement prévu. Les caméras mobiles ont permis de filmer les groupes d’élèves en action et de les suivre dans leurs déplacements. Lors de la phase de mise en commun, chaque groupe a été filmé et enregistré quand il explicitait ses procédures.

Immédiatement après la séance, en recoupant nos observations avec les enregistrements effectués par les deux caméras pendant la phase d’action, nous avons recensé les procédures mises en oeuvre par chaque groupe ainsi que le matériel utilisé. Dans un deuxième temps, nous avons analysé les films enregistrés pendant la phase de formulation. Nous avons complété la transcription des dialogues par la description des gestes porteurs d’une signification en lien avec les mathématiques, les gestes mathématiques comme les définit Petitfour (2015). Pour finir, nous avons complété les transcriptions par des images, extraites des vidéos, illustrant les gestes mathématiques les plus emblématiques.

3.4 Méthode d’analyse des données

Nous souhaitons analyser les raisonnements produits par les élèves lors de la séquence en mettant en oeuvre le modèle d’analyse des raisonnements (Bloch et Gibel, 2011 et Gibel, 2015), que nous présentons ci-dessous.

3.4.1 Le modèle d’analyse des raisonnements

Le modèle de structuration du milieu utilisé, lors de l’élaboration du modèle d’analyse des raisonnements, est celui de Bloch (2006), issu précédemment du modèle de Margolinas (1994), modifié afin de tenir compte du rôle du professeur dans les niveaux adidactiques de milieux. Dans ce travail, nous nous intéressons à l’analyse des fonctionnalités des différents niveaux de milieux et aux résultats de la mise en oeuvre dans la contingence (Bloch, 2006).

Le tableau 1 résume les niveaux de milieux du milieu didactique au milieu matériel−correspondants à la situation expérimentale. Les niveaux associés aux indices strictement négatifs sont ceux qui nous intéressent tout particulièrement dans la configuration que nous étudions, c’est-à-dire l’apparition de différentes formes de raisonnement dans la mise en oeuvre d'une situation à dimension adidactique (Bloch, 1999). En effet, c'est au niveau de l'articulation entre le milieu objectif et le milieu de référence que nous nous attendons à voir apparaître et se développer les raisonnements attendus.

Comme nous l’avons indiqué précédemment, la dialectique action-formulation est au centre de nos préoccupations dans cette étude. Par conséquent, il nous apparait nécessaire d’étudier, los de la phase de verbalisation des procédures, les allers-retours entre la situation d’action et la situation de formulation, cette dernière visant à favoriser chez l’élève l’adoption d’une posture réflexive basée sur une justification de ses actions.

Tableau 2

La structuration du milieu

La structuration du milieu

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Dans la structure précédente, nous avons montré que des étapes de la situation peuvent être à l’origine de raisonnements mathématiques : la confrontation à un milieu heuristique (milieu objectif) pour leur élaboration; le passage à un milieu de référence pour justifier la validité des méthodes et établir le caractère de nécessité des propriétés utilisées plus ou moins implicitement. En situation d'apprentissage, les interventions de l'enseignant sont destinées à maintenir le caractère adidactique de la situation. Ainsi, il amène les élèves à préciser leur formulation par un éventuel appui sur les étapes de construction ou par la demande d'une explication nécessaire à la justification d'une proposition. Dans son article sur l'articulation du travail mathématique du professeur et de l'élève, Bloch (1999) précise que lorsque le milieu de la situation n’assure pas de façon suffisamment adidactique la production de connaissances, il convient d’analyser l’activité du professeur et les connaissances qu’il met en oeuvre pour comprendre le fonctionnement de la situation pour l’élève.

À partir de Bloch et Gibel (2011), nous avons été amenés à retenir trois axes qui orientent et structurent notre analyse des raisonnements dans chacune des situations décrites précédemment. Ces axes réfèrent à des niveaux de modélisation différents des raisonnements en jeu dans le déroulement de la situation : modélisation globale relative aux niveaux de milieux, ou modélisation locale au niveau des arguments produits dans le travail et les échanges en classe, ainsi qu’au niveau des signes émergents de ce travail.

Dans une situation comportant une dimension adidactique, les élèves donnent à voir des raisonnements qui dépendent fortement du niveau de milieu où ils se situent, ce que nous illustrerons, dans la dernière partie, lors de l'analyse a posteriori de différents épisodes de la séquence. Le premier axe est l'analyse des fonctions du raisonnement, pointée ci-dessus comme nécessaire. Nous nous attacherons à montrer comment les fonctions du raisonnement sont liées à des niveaux de milieux et comment ces fonctions manifestent aussi ces niveaux de milieux, de sorte qu'ils peuvent servir au repérage de la position des élèves dans chacun de ces niveaux. Le deuxième axe est celui des signes et des représentations observables. Ces observables se donnent à voir dans des formes différentes qui affectent le déroulement de la situation. La nature des signes et le statut logique du raisonnement sont à prendre en compte pour l’efficacité, l’idonéité aux attendus et le rôle dans la situation. Enfin, le troisième axe est étroitement lié aux représentations observables; il s'agit d'une analyse de l'usage du répertoire didactique et de son niveau d'actualisation.

Figure 5

Modèle d’analyse des raisonnements

Modèle d’analyse des raisonnements

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3.4.2 Mise en oeuvre du modèle d’analyse des raisonnements

Pour analyser les raisonnements produits par les élèves lors de la séance étudiée, nous nous appuierons sur l’analyse a priori réalisée précédemment ainsi que sur le déroulement prévu. Ce dernier est basé initialement sur la confrontation des élèves au milieu heuristique (situation d’action) et ensuite, lors de la phase de mise en commun, sur la formulation et la justification des procédures mises en oeuvre (milieu de référence). Il s’agit là d’une confrontation au milieu de référence. Nous nous attacherons tout particulièrement à analyser les raisonnements produits dans les milieux objectifs et de référence, pour mettre en évidence les formes et les fonctions des raisonnements élaborés par les élèves.

Pour chaque niveau de milieu, nous analyserons, d’une part, les fonctions des raisonnements et d’autre part, les connaissances et les savoirs mobilisés en identifiant les répertoires correspondants. L’analyse détaillée de différents épisodes sera facilitée par l’utilisation du tableau ci-dessous, ce qui nous permettra d’anticiper sur la forme, la nature et la fonction des raisonnements.

Tableau 3

Modèle d’analyse des raisonnements

Modèle d’analyse des raisonnements

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3.5 Considérations éthiques

Avant les expérimentations, les parents d’élèves, l’enseignant et son supérieur hiérarchique ont été informés de l’objectif de la recherche. Leur accord écrit a été recueilli pour effectuer des enregistrements vidéos dans la classe, exploiter ces enregistrements au sein d’une recherche, en publier les résultats et des images extraites des vidéos. Lors des transcriptions, les noms des participants ont été modifiés pour garantir leur anonymat. Après les premières analyses, un bilan a été communiqué oralement à l’enseignant. Les publications relatives à cette recherche lui seront transmises.

4. Résultats

4.1 Analyse des procédures élaborées en situation d’action

Pour chaque groupe, nous avons étudié la démarche utilisée lors de la phase de reproduction des quadrilatères en nous appuyant sur les vidéos réalisées et les photographies des tracés produits pas les élèves. Nous rendons compte de façon détaillée, dans les annexes 2, 3 et 4, des instruments utilisés, des informations prises en situation d’action, des raisonnements et des décisions observés, ainsi que des connaissances et savoirs mobilisés lors de la confrontation au milieu heuristique (milieu objectif); autrement dit, lors de la confrontation des élèves à la situation d’action.

La taille des figures (voir tableau 1) et le fait qu’elles soient accrochées au mur du préau, dans une position non prototypique, génèrent un doute chez les élèves quant à la fiabilité de leurs perceptions. L’observation, à partir de la vidéo, rend compte de leurs interrogations sur la nature de la figure. Chaque groupe décroche la figure à reproduire et l’étend alors sur le sol. Dans quatre groupes sur six (groupes 1, 2, 5 et 6), les élèves commencent par émettre une conjecture : la figure à reproduire est un losange. Les élèves jugent ensuite nécessaire de mettre à l’épreuve cette conjecture avant même de débuter le tracé.

Pour cela, les groupes 1 et 6 optent pour une comparaison des mesures des longueurs des côtés. Après plusieurs tentatives, le groupe 1 effectue la comparaison des mesures en utilisant un tasseau de bois sur lequel il repère l’extrémité du segment par une marque faite sur le tasseau. Il compare alors cette longueur, matérialisée sur le tasseau, à celle des trois autres côtés de la figure modèle. Quant au groupe 6, il choisit d’utiliser la ficelle. Après de multiples essais infructueux, liés à une tension inadéquate de cette dernière, ils coupent un morceau de ficelle correspondant à la longueur d’un côté, puis vérifie qu’elle correspond à la longueur des trois autres côtés. Ces deux groupes en déduisent que la figure modèle est effectivement un losange.

Les deux autres groupes (groupes 2 et 5) optent pour une procédure différente. Constatant la présence d’un pli matérialisant la petite diagonale du quadrilatère, ils effectuent un premier pliage suivant ce pli initial et obtiennent un triangle isocèle. Ils décident alors de procéder à un second pliage le long de la hauteur du triangle isocèle. Cela les conduit à l’obtention d’un triangle rectangle. Ils constatent que les quatre triangles se superposent exactement et en concluent que les 4 côtés du quadrilatère ont la même mesure : le quadrilatère à reproduire est donc bien un losange.

Ces deux procédures mettent en évidence la richesse et la variété des raisonnements produits, dans le but de prendre de l’information sur la figure modèle à reproduire. Ces quatre groupes, s’appuyant sur la caractérisation par les côtés isométriques de la figure modèle, concluent que celle-ci est effectivement un losange. Quant aux deux autres groupes (groupes 3 et 4), ils seront conduits à faire de même après avoir débuté le tracé au sol.

Du point de vue de l’analyse de la figure, les groupes ont organisé leur tracé selon deux stratégies très différentes. Les groupes 1 et 3 ont décomposé le losange en deux triangles symétriques par rapport à la diagonale. Leurs procédures sont assez proches de celle décrite dans l’analyse a priori (figure 3, procédure 2 bis). Pour tracer ces triangles, ils ont mobilisé différentes connaissances en lien avec les propriétés de la symétrie axiale, comme la conservation des angles et des longueurs. Ils ont également construit des triangles en connaissant la longueur de deux côtés adjacents et l’angle qu’ils forment, ce qui n’avait jamais été abordé dans la classe auparavant. Pour autant, les chronologies des différents tracés et l’usage des instruments diffèrent entre ces deux groupes.

Les autres élèves, soit quatre groupes, ont commencé leur reproduction par le tracé des diagonales en prenant implicitement appui sur les propriétés des diagonales des losanges. Ces procédures sont voisines de la procédure 1 décrite dans l’analyse a priori. Là encore à partir d’une même idée directrice, l’organisation des tracés a beaucoup varié d’un groupe à l’autre, témoignant de raisonnements et de connaissances riches.

Par ailleurs, les outils mis à la disposition des élèves ont été investis et ont fait l’objet d’une véritable appropriation. Ainsi, 4 groupes ont utilisé la ficelle pour reporter des longueurs, vérifier des égalités de longueurs ou placer le milieu d’un segment. Le tasseau a été utilisé pour reporter des longueurs par cinq groupes. Les premiers essais ont souvent été infructueux du fait des changements d’orientation du tasseau pendant le déplacement entre le modèle et la zone de tracé. L’accumulation de plusieurs marques sur le même tasseau a aussi été source de difficultés. Différentes stratégies ont alors émergé, comme l’usage de codes couleur ou de lettres pour repérer les différents points placés sur le tasseau.

L’ensemble des reproductions effectuées repose sur des raisonnements adéquats basés sur les propriétés géométriques valides. On constate que seule l’une des reproductions, celle du groupe 5, ne satisfait pas au contrat didactique. Les élèves constatent un écart de plus de 1 cm entre la figure modèle et la figure tracée au sol. Cet écart est dû à une erreur de mesurage liée à une difficulté lors de la manipulation du tasseau, au moment de la prise d’information sur les mesures initiales de la petite demi-diagonale, comme en témoignent les photographies proposées en annexe 5.

L’analyse didactique précédente rend compte de la richesse des raisonnements produits et met en évidence la variété des connaissances et des savoirs mobilisés en situation d’action. Les raisonnements produits recouvrent des fonctions différentes : conjecturer, décider d’une suite d’actions, justifier auprès de ses camarades la pertinence de celle-ci, décider des outils à mettre en oeuvre, contrôler le résultat de ses actions, interpréter des rétroactions. Par ailleurs, ces fonctions correspondent à celles explicitées grâce au modèle d’analyse des raisonnements, et formulées dans le tableau 3.

Il se dégage de l’analyse de cette phase d’action que les élèves ont mobilisé une grande variété de procédures faisant appel à de nombreuses connaissances géométriques anciennes ou nouvelles. Comme indiqué précédemment, les groupes 1 et 3 ont mobilisé une procédure assez proche de la procédure 2 bis, décrite dans la figure 3. Or cette procédure n’appartient pas au répertoire didactique de la classe, ce qui met en évidence que la confrontation des élèves à cette situation favorise non seulement la mise en oeuvre de connaissances anciennes, mais encore l’élaboration de savoirs nouveaux.

Pour affiner cette étude, nous avons fait le choix d’analyser, à l’aide du modèle (Bloch et Gibel, 2011; Gibel, 2015), très précisément les formes de raisonnements produites par les élèves en situation de formulation. Dans la section suivante, nous proposons une analyse détaillée, fondée, d’une part, sur les transcriptions des échanges et, d’autre part, sur l’analyse de photos extraites de la vidéo, pour tenir compte de la dimension infra-langagière. Compte tenu des contraintes liées au format de l’article, nous présenterons ce travail d’analyse uniquement pour le groupe 6 dont la nature des démarches, des procédures et des formulations nous paraît particulièrement représentative des travaux des différents groupes. De plus, la procédure du groupe 6, analysée ci-dessous, est à rapprocher de la procédure n°1 envisagée et décrite dans l’analyse a priori, et dont les étapes sont basées sur la construction des diagonales.

4.2 Analyse de plusieurs épisodes relatifs à la situation de formulation

Dans la figure construite au sol par le groupe 6 (figure n°6, en référence au tableau 2), les sommets sont nommés ABCD et les diagonales sont tracées. Les élèves ont écrit losange à côté de la figure. Le procédé de construction est correct et la figure sera validée, mais l’angle de prise de vue fait que, sur la photographie, l’image est déformée par rapport à la réalité.

Figure 6

Figure construite au sol par le groupe 6

Figure construite au sol par le groupe 6

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La présentation de son travail par le groupe 6 peut se décomposer en plusieurs épisodes. Nous les analyserons successivement, à l’aide du modèle d’analyse des raisonnements de Bloch et Gibel (2011), avant d’en présenter la synthèse.

L’épisode 1 est retranscrit ci-dessous.

Tableau 4

Présentation de l’épisode 1

Présentation de l’épisode 1

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Nous allons à présent effectuer l’analyse de cet épisode.

À la demande de l’enseignant, les élèves explicitent leur démarche. Un élève, que nous nommerons Julien, désigné par la lettre (J), prend la parole.

Du point de vue des raisonnements produits, les élèves, confrontés au milieu objectif, ont émis implicitement une conjecture : la figure à reproduire est un losange, ses quatre côtés ont la même mesure. Afin d’éprouver la validité de leur conjecture, ils procèdent à une comparaison des mesures des segments. Du point de vue du raisonnement, les élèves ayant établi l’égalité des mesures ont conclu que la figure à reproduire est un losange. Le fait qu’ils aient écrit le terme losange tend à confirmer la validité de notre analyse. Du point de vue de l’analyse des signes, les élèves ont mesuré un côté de la figure modèle à l’aide du tasseau. Ils ont fait coïncider une extrémité du tasseau avec un sommet de la figure et porté une marque à la craie, sur le tasseau, correspondant à l’extrémité du segment. Ils ont ensuite reporté le segment tracé sur chaque côté de la figure modèle, comme en témoigne le mouvement circulaire, effectué par Julien. Enfin, en ce qui concerne les connaissances mobilisées, les élèves ont utilisé une propriété du répertoire didactique de la classe : la caractérisation du losange par l’égalité des mesures de ses côtés.

Intéressons-nous maintenant à l’épisode 2, retranscrit ci-dessous.

Tableau 5

Présentation de l’épisode 2

Présentation de l’épisode 2

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Réalisons à présent l’analyse de l’épisode 2, par la mise en oeuvre du modèle d’analyse des raisonnements.

Du point de vue du raisonnement, les formulations langagières et infralangagières des élèves tendent à établir qu’ils ont opté pour une reproduction du quadrilatère fondée sur la reproduction à partir de ses diagonales. Leurs formulations, en partie implicite, mettent en lumière, les étapes de leurs procédures. Le raisonnement formulé est de nature organisationnel, il est le résultat d’un pas de côté par rapport à la construction effective. Cela traduit une attitude réflexive de la part des élèves et permet de déduire que l’on se situe ici au niveau du milieu de référence.

Du point de vue de l’analyse des signes, le pliage réalisé le long de la grande diagonale de la figure modèle leur permet de matérialiser la seconde diagonale sur cette figure. Cette transformation leur permet également de constater la symétrie de la figure par rapport à la grande diagonale. En dépliant la figure, ils déclarent qu’ils obtiennent le centre de la figure, désignant du doigt le point correspondant. Le signe de la croix, effectué par un élève, tend à établir que les élèves ont perçu la perpendicularité des diagonales.

Du point de vue des connaissances mobilisées, l’analyse sémiotique met en évidence que les élèves ont souhaité, pour reproduire la figure, utiliser la caractérisation du losange et non les propriétés de ses diagonales.

Les formulations (6.5d) et (6.5e) sont implicites et ne permettent pas d’effectuer une analyse des raisonnements.

À la suite de cet épisode, comme certains élèves manifestent leur incompréhension quant à la procédure utilisée, l’élève demande à l’enseignant s’il peut aller chercher la figure modèle, ce qu’il fait. L’enseignant invite alors un autre élève du groupe à reformuler les étapes de construction. L’enseignant souhaite que les élèves verbalisent leur procédure, explicitent les étapes en indiquant les instruments utilisés ainsi que la finalité des actions. L’épisode ci-dessous s’inscrit dans la continuité des deux précédents.

Tableau 6

Présentation de l’épisode 3

Présentation de l’épisode 3

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Explicitons l’analyse de l’épisode 3.

Du point de vue des raisonnements, l’élève Gabriel formule des explications visant à justifier les moyens mis en oeuvre afin de reporter sur le tasseau respectivement la mesure de la grande diagonale, la mesure de la petite diagonale et les mesures des demi-diagonales. On se situe ici au niveau du milieu objectif, car il s’agit simplement d’une dénotation des actions.

L’analyse sémiotique s’appuie sur les photos proposées ci-dessus; à partir des signes (matérialisation du pli correspondant à la grande diagonale sur la figure modèle, désignation des marques sur le tasseau correspondant respectivement aux mesures de la grande diagonale, de la petite diagonale et des demi-diagonales), elle permet d’étayer le discours de l’élève, corroborant ainsi les étapes de la procédure utilisée.

Nous présentons ci-dessous le quatrième et dernier épisode étudié.

Tableau 7

Présentation de l’épisode 4

Présentation de l’épisode 4

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Procédons, à présent, à l’étude de l’épisode 4.

Du point de vue des raisonnements, l’élève met en évidence, par le recours au gabarit d’angle droit et par le report de la mesure de la demi-diagonale (associée à la grande diagonale) à partir du milieu de la petite diagonale, sa capacité à mettre en oeuvre la propriété caractéristique des diagonales d’un losange pour reproduire la figure modèle, sans cependant formuler explicitement la propriété utilisée. On se situe ici au niveau du milieu de référence, car l’élève réfère à la nécessaire utilisation de l’équerre pour tracer un segment perpendiculaire à la petite diagonale, et passant par le milieu, il justifie son action par le recours à un outil adéquat.

Du point de vue de l’analyse sémiotique, le fait qu’un élève soit allé chercher la figure modèle et le tasseau et le gabarit d’angle droit permet d’éclairer chacune des étapes de la construction et de mettre en évidence les difficultés rencontrées, comme celle inhérente aux tracés des deux demi-diagonales associées à la grande diagonale.

Du point de vue des connaissances mobilisées, les élèves en formulant et en illustrant les étapes de leurs constructions ont donné à voir, par leurs décisions et leurs actions effectives, leur capacité à mettre en oeuvre la propriété caractéristique des diagonales du losange.

Pour conclure, l’analyse de cette phase de formulation, par la mise en oeuvre du modèle, met en lumière la démarche des groupes afin de réaliser cette tâche de reproduction d’une figure modèle dans le méso-espace. À chaque étape de construction, la prise d’information sur la figure modèle a nécessité différentes manipulations et une instrumentalisation des outils mis à disposition (pliage, report de longueurs). Les élèves se sont ensuite interrogés quant à la construction effective de la figure, et ils ont été conduits à effectuer des choix quant aux outils et à leur(s) usage(s).

De l’analyse de cet épisode, il ressort que la formulation des étapes de construction conduit les élèves à mettre en lumière, de différentes manières (infra langagières, énoncés implicites ou semi-implicites), les propriétés géométriques sur lesquelles repose la construction réalisée.

Au-delà de l’utilisation raisonnée des outils, l’analyse donne à voir des éléments particulièrement riches de la dialectique action-formulation (passage du milieu objectif au milieu de référence et réciproquement) et permet de rendre compte de la variété des propriétés géométriques mobilisées pouvant faciliter le passage d’une géométrie instrumentée à une géométrie déductive.

5. Discussion des résultats

L’étude clinique de la mise en situation des élèves a permis d’établir la spécificité et la richesse, du point de vue des apprentissages, des activités de reproduction de figures géométriques dans le méso-espace. Notre étude contribue à illustrer, dans le cas de l’activité de reproduction de figure, la déclaration de Bloch et Salin (2004) indiquant que lorsque les élèves sont confrontés à des activités géométriques dans le micro-espace, les tâches de tracé de droites, de cercles, sont effectuées avec des instruments qui prennent en charge non seulement le travail, mais encore le contrôle, sans que l’élève ait à investir des connaissances pour effectuer ou vérifier; par contre dans le méso-espace, dans la cour de récréation par exemple, le tracé d’une droite, d’un angle droit ou d’un cercle nécessite la mise en oeuvre de connaissances géométriques (Bloch et Salin, 2004).

Notre analyse détaillée a permis de mettre en lumière la diversité des raisonnements qui sous-tendent les procédures mises en oeuvre, mais aussi d’identifier précisément les savoirs géométriques mobilisés par les élèves, en lien étroit avec le répertoire didactique de la classe. De plus, la richesse des procédures utilisées reflète la variété des représentations que les élèves peuvent avoir d’une même figure lorsqu’ils sont confrontés à une situation d’enseignement/apprentissage dans le méso-espace.

Par ailleurs, les analyses détaillées des séances de reproduction de losanges dans le micro-espace, réalisées par Henry (2014) au sein de cette même classe, corroborent la déclaration précédente de Bloch et Salin (2004). Ces mêmes analyses mettent en évidence que, lors des activités de reproduction d’un losange dans le micro-espace, les procédures sont basées, pour la très grande majorité, sur une construction du losange à partir des diagonales. Ce constat permet de mettre en relief la richesse des situations de reproduction proposées dans le méso-espace en comparaison de celles conduites dans le micro-espace.

Notre étude détaillée permet d’établir que les activités de reproduction de figures dans le méso-espace, pour des raisons ergonomiques et compte-tenu des techniques mobilisables, sont très différentes de celles qui se déroulent dans le micro-espace. Cela est dû principalement au fait que les instruments et outils mis à disposition sont non conventionnels et nécessitent donc, de la part des élèves, une réflexion approfondie quant à leur utilisation. Cette réflexion se manifeste, en situation d’action, par des essais multiples, autorisés et encouragés par la situation, qui conduisent les élèves à produire une interprétation des rétroactions du milieu. Cette dernière les conduit à mobiliser leurs connaissances spatiales et géométriques et, plus particulièrement, les caractérisations et les propriétés des objets géométriques.

Notre étude a également contribué à mettre en évidence l’intérêt de faire vivre à l’élève une ingénierie basée sur la confrontation des élèves à une situation d’action et à une situation de formulation. Elle a permis de rendre compte des connaissances et des savoirs mobilisés par les élèves en effectuant une analyse des formes et des fonctions des raisonnements et de mettre en lumière la dialectique action–formulation.

Cependant, cette recherche pourrait être prolongée par une étude ciblée sur l’institutionnalisation des connaissances et des savoirs mobilisés par les élèves en situation d’action et de formulation. Cet aspect est important, car il illustre la manière dont l’enseignant choisit de formuler de façon explicite, en lien avec les conditions de leur utilisation, les connaissances et les savoirs qui sous-tendent les raisonnements produits. D’autant que cette ingénierie offre la possibilité d’institutionnaliser des raisonnements particulièrement variés et consistants qui amorcent le passage à la géométrie déductive.

6. Conclusion

À travers l’analyse clinique d’une situation de reproduction de figures planes dans le méso-espace, mise en oeuvre dans une classe de fin de primaire, nous avons cherché à déterminer en quoi la confrontation des élèves à des situations d’apprentissage adidactiques d’action et de formulation dans le méso-espace favorise l’élaboration de raisonnements variés et la construction de concepts géométriques.

L’analyse a posteriori met en évidence que la taille de la figure modèle, l’éloignement entre cette dernière et le lieu du tracé, le changement d’orientation ainsi que l’utilisation d’instruments inhabituels conduisent les élèves à rechercher puis à mettre en oeuvre des procédures originales. Ces dernières mobilisent des connaissances anciennes et en génèrent de nouvelles.

L’étude détaillée des raisonnements élaborés lors des phases d’action et de formulation a été rendue possible par la mise en oeuvre du modèle d’analyse des raisonnements. Ce dernier a largement contribué à approfondir l’étude des différentes formes de raisonnements, en privilégiant trois dimensions : la fonction des raisonnements, la situation associée en lien avec le niveau de milieu correspondant et l’identification des connaissances en jeu, nécessitant, dans certains cas, le recours à une analyse sémiotique.

Nous avons ainsi établi que la construction d’un répertoire de connaissances et de savoirs dans le domaine spatio-géométrique requiert de faire vivre aux élèves des situations dans le méso-espace associant la prise de décisions, l’utilisation des instruments et la manipulation de figures (rotation, translation, pliage). Cependant, il est également nécessaire que la situation autorise des modes de validation des productions afin que l’élève puisse obtenir, à la suite de ses actions, des rétroactions signifiantes lui permettant de mesurer l’écart entre sa réalisation et l’attendu. Celles-ci lui permettent alors de prendre conscience de la validité ou de la non-validité de son raisonnement et éventuellement d’envisager la mise en oeuvre d’une nouvelle procédure.

Nous avons montré que les phases de formulation des procédures contribuent à générer une dialectique action-formulation particulièrement propice à une explicitation des connaissances et des savoirs géométriques qui sous-tendent les raisonnements des élèves. Cette dialectique conduit à un enrichissement du répertoire didactique de la classe. L’analyse didactique permet également de rendre compte de la variété des propriétés géométriques mobilisées pouvant faciliter le passage d’une géométrie instrumentée à une géométrie déductive.

Les activités spatiales et géométriques doivent donc être proposées tour à tour dans le micro-espace et dans le méso-espace, afin de permettre aux élèves d’accéder aux différents sens des connaissances et des savoirs objets d’apprentissage. Cependant, ce travail centré sur l’étude de la situation nous amène à de nouvelles questions : Comment l’enseignant peut-il se saisir des potentialités d’apprentissage des situations dans le méso-espace? Dans l’institutionnalisation de nouveaux savoirs, la prise en compte des raisonnements produits par les élèves en phase adidactique est essentielle. Or nous avons mis en évidence que les formulations des élèves mêlent des représentations symboliques qui relèvent de différentes catégories (langagières, infra-langagières et spatiales en lien avec la schématisation) et dont l’analyse est complexe. Ce qui nous conduit à ouvrir notre réflexion sur le questionnement suivant : Comment des enseignants de fin de primaire ou de début de collège gèrent-ils cette diversité de raisonnements et de formulations? Quels savoirs sont in fine institutionnalisés, intégrés au répertoire didactique de la classe puis réinvestis? C’est par l’analyse clinique de la mise en oeuvre de situations dans le méso-espace par différents enseignants qu’il nous semble envisageable de répondre à ces questions.