Article body
Dans son ouvrage, J. P. Proulx situe la genèse de l’école publique et de la démocratie scolaire au Québec dans le court épisode des écoles de syndics. Ces écoles constituent, en effet, le premier grand projet politique poursuivi par les Québécois en matière d’éducation, visant à scolariser le plus grand nombre d’enfants possible. En 1814, l’assemblée législative de la colonie du Bas-Canada se prononce en faveur de la création et de la gestion démocratiques d’écoles publiques dans les campagnes. Adopté en 1829, le projet permettra, durant six ans, la construction de petites écoles laïques, gérées par des syndics élus au sein des communautés locales. Il est ensuite abandonné, faute d’un renouvellement de la loi par le conseil législatif, et après quinze ans de conflits de pouvoir et d’intérêts entre l’assemblée canadienne, le gouvernement colonial et l’Église qui se disputent le contrôle de l’éducation.
Insistant sur la complexité des processus et s’appuyant sur le réexamen de certaines sources et l’accès à de nouvelles archives, dont une importante revue de presse, l’ouvrage nuance, discute et dépasse certaines interprétations. La démonstration intègre l’analyse politique, économique, sociale et idéologique du contexte interne et ses relations avec une conjoncture internationale – montée du libéralisme et du républicanisme, explosion de l’éducation pour tous − jugée favorable.
La perspective générale se veut donc systémique mais le découpage est clair, les synthèses régulières, et le travail pour préciser la démarche de l’auteur et les concepts en jeu, patent. Les deux grandes parties qui organisent l’ouvrage rendent compte de la genèse et de la construction du projet, mais aussi de la manière dont s’est opérée localement la difficile mise en oeuvre des écoles de syndics. La première de ces deux parties se découpe en cinq chapitres dont les trois premiers étudient le contexte de son élaboration, puis la trajectoire chaotique du projet, et enfin l’essor et l’effondrement des écoles de syndics. Les deux derniers s’intéressent aux discours tenus sur l’éducation. L’auteur s’arrête judicieusement sur les points de divergence mais aussi de convergence entre les tenants des idéologies libérale et conservatrice, et interroge les relations avec les modèles fournis par certains pays européens ou états nord-américains. La seconde partie présente une analyse en huit chapitres des modalités de gouvernance et de gestion économique et pédagogique des écoles de syndics, puis les dernières tentatives pour faire revivre politiquement et perdurer localement le système, malgré son abandon officiel en 1836.
S’il avoue s’être heurté à la rareté de certaines sources et n’hésite pas à recenser les thématiques qui mériteraient d’être davantage creusées, l’auteur redonne par ailleurs toute son importance à cet épisode et met en relief l’originalité d’un processus qui ne relève pas d’une autorité centrale. Le travail de J. P. Proulx, riche en références – l’abondance de faits recensés, d’importance parfois inégale, s’il peut finir, en certains chapitres, par troubler quelque peu la démonstration, permet de mesurer l’énorme défi qu’a constitué, après celui de son adoption, la mise en oeuvre d’un projet porteur, dès le début du XIXe siècle, des valeurs de démocratie du Québec actuel.