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La monographie de Pierre Clanché en hommage aux travaux de Célestin Freinet regroupe des textes publiés entre 1985 et 1998 dans deux collectifs et six revues, textes étayant quelques résultats de sa thèse en psychologie et de sa thèse d’État de 1982 sur le texte libre à l’école élémentaire. Une analyse des références bibliographiques citées par l’auteur révèle que seulement 15 références sur 96 ont été publiées ces 20 dernières années et que 84 % de la bibliographie présente des ouvrages publiés avant les années 1990. De ces travaux anciens et à bien des égards vieillis (p. 8), l’auteur tente de dégager des éléments qui semblent avoir résisté à la sanction du temps.

Les huit chapitres de ce livre pourraient être regroupés en trois sections : 1) les origines ; 2) les résultats de recherche ; 3) le débat. D’abord inspiré par des sources plus que probables (p. 14), l’auteur présente aux chapitres 1 et 2 trois pédagogues praticiens (Tolstoï, Münch et Wittgenstein) qui ont influencé Freinet. Cette partie sur les origines de la pédagogie Freinet est intéressante, ne serait-ce que parce qu’elle nous montre de grands personnages de la littérature (Tolstoï) et de la philosophie (Wittgenstein) qui ont été, au début de leur vie professionnelle active, des instituteurs originaux. Cependant, nous restons sur notre appétit quant à la véracité des influences annoncées, Clanché mentionnant qu’il ne peut savoir avec certitude si Freinet connaissait les oeuvres dont il est question. Par contre, les cinq conditions élaborées par Münch pour la composition écrite libre demeurent pertinentes : 1) l’observation vécue ; 2) les pensées personnelles ; 3) l’intérêt vif qui pousse à écrire ; 4) le désir de communiquer à un tiers ; 5) le droit à la critique immédiate des pairs. Dans les chapitres 3 à 7, l’auteur aborde différents résultats d’expérimentation dans des classes, dans les années 1970 et 1980. En bref, Clanché souligne que, lors d’activités d’écriture, plus une pédagogie du français est diversifiée, ouverte et active, plus les élèves ont tendance à prendre des distances par rapport à la lettre de la consigne pour s’adapter à son esprit. Enfin, dans le dernier chapitre, l’auteur discute de l’intérêt de la méthode naturelle aux dépens de la méthode didactique, signalant dans ce texte de 1989 qu’il n’y a pas de didactique spécifique de la production de textes. Ce chapitre aurait certes gagné à être éclairé des résultats de recherches des 20 dernières années en didactique du français, volet écriture.

On déplore l’absence de synthèse de l’évolution récente de la pédagogie Freinet dans ce recueil. Quelques chapitres additionnels auraient dû expliciter les thèses de l’auteur dont les propos, souvent pamphlétaires, gagneraient à être nuancés. Dans le contexte actuel où l’écriture créative et l’écriture réflexive sont de plus en plus convoquées en situation scolaire, il aurait été nécessaire que l’auteur tente des rapprochements entre ces formes d’écriture novatrices et le texte libre. Cela dit, cet ouvrage a le mérite de regrouper en un seul lieu une anthropologie de l’écriture à la manière Freinet, et il permet de découvrir un grand pédagogue pour qui les rêves, même et surtout en éducation, étaient des possibles à réinventer.