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Introduction

Les années à venir laissent entrevoir des besoins d’éducation sans cesse croissants en ce qui concerne les personnes âgées. En effet, ces dernières, déjà plus scolarisées qu’autrefois, veulent poursuivre leur formation. En outre, il est désormais reconnu qu’une activité cognitive intense permet une meilleure activation cérébrale et, de ce fait, ralentit l’apparition des maladies dégénératives du cerveau (Verghese, Lipton, Katz, Hall, Derby, Kuslansky, Ambrose, Sliwinski et Buschke, 2003). De plus en plus conscients de cette problématique, les gouvernements ont désigné les facultés d’éducation comme maîtres d’oeuvre pour agir dans ce domaine. Cette recommandation apparaît dans toutes les politiques, qu’il s’agisse de celles des différents paliers de gouvernements ou des facultés d’éducation. Considérées comme des interlocutrices privilégiées, ces dernières ne peuvent plus se soustraire à cet impératif. D’après le Vice-recteur aux ressources de l’Université du Québec à Hull : […] la mise en place d’une telle coopération est réaliste et réalisable. Tout ce qu’il faut, c’est un peu d’imagination et d’ouverture d’esprit (Laforte, 1990, p. 36). Mais l’une des problématiques essentielles consiste à esquisser des voies de solution pour que les universités du troisième âge[1], où est dispensé l’enseignement d’une façon empirique, puissent établir un partenariat avec les facultés d’éducation des universités traditionnelles. Il faut bien le reconnaître, si les U3A répondent à des besoins de certaines personnes du troisième âge[2], elles sont loin de partager la fonction d’enseignement et de recherche des universités traditionnelles, dont elles ne gardent que le titre sans en avoir les qualités (Levet-Gautrat et Buras-Tugendhaft, 1980, p. 70).

Le présent article souligne, d’entrée de jeu, l’impossibilité pour les U3A de prétendre non seulement au titre, mais encore à la vocation d’une véritable université. Ce constat ne saurait faire l’économie d’une description du rôle des universités pour intégrer l’éducation des P3A dans leur mission. Les auteurs établissent que le lieu le plus logique pour développer l’enseignement, la recherche et le service à la collectivité de l’éducation des P3A se trouve dans les facultés d’éducation. Enfin, pour terminer, ils exposent un modèle de partenariat entre les U3A et les organismes voués à l’éducation des P3A. Ce modèle s’inspire d’une démarche développée par les facultés d’éducation, en collaboration avec les écoles primaires et secondaires où les futurs maîtres effectuent des stages de formation à la pratique de l’enseignement.

Cet article se veut une réponse à la question soulevée, mais non résolue, dans les années 1980-1990, de la place des U3A dans les facultés d’éducation des universités traditionnelles. Il s’inscrit dans une perspective historique ; par conséquent, le lecteur ne devra pas s’étonner de lire des références qui, bien que paraissant anciennes, sont encore de mises aujourd’hui pour la résolution de cette problématique.

Les universités du troisième âge

Depuis 1973, année de la fondation à Toulouse de la première U3A, une multitude de ces institutions ont été créées à travers le monde, dont 52 en France et une au Québec, l’Université du troisième âge de Sherbrooke. Or, la création de ces universités répondait sans aucun doute à un besoin socioculturel de P3A que le professeur Pierre Vellas a su canaliser, au moment opportun, pour en faire une réalisation colossale. Comme le rappellent Levet-Gautrat et Buras-Tugendhaft, [il] leur a fallu à peine sept ans pour qu’elles naissent dans notre pays (1980, p. 64).

La prolifération de ces institutions nous conduit à nous demander, avec Levet-Gautrat et Buras-Tugendhaft (1980, p. 70), si elles répondent vraiment à l’impératif de toute université, à savoir l’enseignement, la recherche et le service à la collectivité. Pour mériter le titre d’Université, il faut en posséder les principales caractéristiques (Ecochard, 1980, p. 53). Cependant, lorsque nous observons de plus près la façon dont les U3A se sont développées, nous remarquons qu’elles ont été le fruit d’initiatives locales, formées par une variété de décideurs, de toute origine, beaucoup plus que de projets, fruits d’une réflexion approfondie. En effet, ces universités ont été fondées, soit par des professeurs universitaires en exercice ou retraités, qui voyaient en ce domaine une façon de développer de nouveaux créneaux d’engagement, soit par des travailleurs sociaux intéressés à occuper les loisirs des aînés, soit par des politiciens à l’écoute de leur électorat, soit, enfin, à la suite de l’initiative de simples citoyens faisant partie de clubs sociaux. Comme le rappellent Levet-Gautrat et Buras-Tugendhaft (1980, p. 64), toutes ces fondations se sont faites en dehors de l’université traditionnelle et souvent, à son corps défendant, pour ne pas dire son hostilité, s’il arrivait qu’une initiative universitaire ou professorale voulût la développer à l’intérieur de ses murs.

Si la fondation des U3A fait l’objet de plusieurs controverses, la qualité de l’enseignement qui y est dispensé suscite également de nombreuses interrogations. Effectivement, la presque totalité des activités qui s’y déroulent prennent la forme de conférences, de causeries, de cours, choisis comme dans une cafétéria, au goût de la personne, sans contrainte de programme ni d’examens, les personnes inscrites ne postulant pour aucun titre ou diplôme universitaire. Il faut donc noter, toujours selon Levet-Gautrat et Buras-Tugendhaft (1980, p. 68), que ces activités éducatives n’ont aucun caractère contraignant, mais s’orientent plutôt vers le plaisir et l’agrément.

En somme, les U3A fonctionnent d’une manière tout à fait parallèle, voire même étrangère à ce qui se passe dans une institution universitaire (Ecochard, 1980, p. 52). Le vocable U3A ne correspond donc pas à la réalité de ces institutions qui apparaissent plutôt comme des super-clubs culturels (Ecochard, 1980, p. 52 ; Pennec, 1980, p. 90), des Jockey-clubs, où se confortent et se rencontrent les nantis de la culture (Barus-Michel et Wong, 1980, p. 154), […] comme dans n’importe quel « Club Méditerrannée » de rencontre assez informel (Vanbremeersch et Margarido, 1980, p. 127).

Quant aux appellations, elles-mêmes différentes, en plus de la dénomination classique d’université du 3e âge, nous trouvons l’éventail prometteur d’universités du temps libre, du temps disponible, du tiers temps, ouverte, pour tous, de tous âges, de l’âge d’or (Minvielle, 1980, p. 75). Enfin, certains organismes culturels ne revendiquent pas le label universitaire U3A, préférant montrer la vraie réalité de leur situation. C’est le cas, par exemple, de Connaissance 3 dans le canton de Vaud (Suisse) (Sigg, 1980, p. 85), du Club des retraités de la MGEN France (Levet-Gautrat et Buras-Tugendhaft, 1980, p. 66 ; Minvielle, 1980, p. 75), de l’Alliance culturelle de Montréal, de Catalist (Canadian Network for the Third Age Learning) et des Institutes for Learning in Retirements (ILRs), tel celui de l’Université McGill. Aux États-Unis, il existe environ 180 ILRs qui s’apparentent aux modèles français et anglais des universités du troisième âge (Manheimer et Snodgrass, 1993). Nous pourrions énumérer de nombreuses autres associations qui ont les mêmes caractéristiques d’action que les U3A, mais qui préfèrent une appellation moins pompeuse de leur institution (Swindell et Thompson, 1995).

Après cette analyse succincte, nous devons reconnaître, en toute honnêteté intellectuelle, que les institutions qui portent le nom U3A ne sauraient, de façon générale, être comparées à une université traditionnelle. Les U3A sont, dans les faits, des clubs sociaux, voués au développement intellectuel et culturel de leurs membres. Si ces institutions admettaient sans fausse pudeur cette réalité, elles éviteraient d’entretenir l’ambiguïté de cette appellation dans la population. Cela permettrait de développer un climat plus propice à une meilleure collaboration avec les universités traditionnelles.

Les universités traditionnelles

Les universités traditionnelles se préoccupent de plus en plus de la prolifération de ces institutions qui se placent toutes sous le vocable d’université(s), quelle que soit leur origine, ce qu’on y fait et ce qu’on y enseigne. Or, pour les universités traditionnelles, ne devraient se prévaloir de ce titre que les institutions qui ont la double vocation d’enseignement et de recherche. Cet aspect particulier de la situation milite en faveur de l’installation d’une structure 3e âge, au sein des universités, selon Levet-Gautrat et Buras-Tugendhaft (1980, p. 70-71).

La tentation est grande, pour plusieurs universités traditionnelles, comme l’indiquent de nombreux chercheurs (Barus-Michel et Wong, 1980 ; Ecochard, 1980 ; Levet-Gautrat, 1980) de tout simplement rattacher les U3A ou l’éducation des P3A au service de la formation continue, tout au long de la vie. Nous citons comme exemple, parmi d’autres, l’Université du troisième âge de Québec (UTAQ), rattachée au secteur de la Direction générale de la formation continue (DGFC) de l’Université Laval à Québec.

Grâce à ce subterfuge, l’Université ingère un organisme nouveau, ici la population du troisième âge, l’encadre, la prend en charge et, comme un organisme biologique, l’assimile à sa propre structure, au point de faire perdre de vue toute la richesse que ces P3A apportent au développement de l’acquisition des connaissances. C’est ainsi que, selon Ecochard, l’association de ces deux structures (U3A et université traditionnelle) repose sur des bases extrêmement fragiles (1980, p. 58). Cette façon de procéder, par simple agglomérat, finit par nier les bénéfices mutuels que pourraient apporter au développement de la pensée l’union historique entre la recherche et l’enseignement.

En ce qui nous concerne, nous croyons, avec Levet-Gautrat et Buras-Tugendhaft, Barus-Michel et Wong, Pellegrin, que l’Université doit avoir une structure facultaire où puissent se rencontrer les enseignants et chercheurs, afin de créer un modèle éducatif qui tienne compte de la spécificité de la formation au 3e âge (Lemieux, 1997, p. 143 ; Pellegrin, 1980, p. 107).

Les facultés d’éducation : interlocutrices privilégiées

Historiquement, la localisation dans les facultés universitaires de l’éducation des personnes âgées varie énormément d’une Université à l’autre. Nous pouvons avancer le fait que ce choix ne suit pas les chemins de la logique, mais est soumis aux aléas de la fantaisie.

Très souvent, le choix de la faculté a été lié aux professeurs qui, avec beaucoup de bonne volonté, ont renversé la prudence technologique et bureaucratique universitaire, et ont, de par l’élan imprimé, mis devant le fait accompli l’administration universitaire (Levet-Gautrat, 1980, p. 64). C’est ainsi que le professeur Vellas, en 1973, a placé l’éducation des P3A à l’intérieur de son groupe de recherche sur les études internationales et le développement de l’Université des Sciences sociales de Toulouse. Nous avons vu d’autres décideurs placer cette éducation dans des facultés de théologie (Université du Québec à Chicoutimi), de psychologie (Université de Lyon 2), etc.

Pour sa part, l’Université de Sherbrooke a intégré cette éducation des P3A dans sa faculté d’éducation, mais comme un service indépendant qui doit se suffire à lui-même, au même titre que le Service des finances. Seule l’Université du Québec à Montréal a véritablement, dans un premier temps, placé la gérontagogie, ou l’éducation des P3A, dans le lieu politique et logique déterminé à cet effet, par la volonté politique des gouvernements et la vocation des facultés d’éducation. Malheureusement, après une réorganisation de la Faculté d’éducation, le premier cycle universitaire de cette formation a été abandonné. Les autorités n’ont conservé que la maîtrise en éducation dans le champ de l’éducation communautaire et de la mésopédagogie, avec la spécialité de gérontagogie.

Choix politique des gouvernements pour la formation en gérontagogie[3]

Dès 1985, le ministère des Affaires sociales du Québec soulignait l’importance d’une formation sur le vécu du vieillissement, dans le dessein d’assurer le maintien de l’autonomie de la personne âgée. Le Ministre écrivait à ce propos :

[…] L’information de la population dans son ensemble et des personnes âgées en particulier, plus spécifiquement sur le processus même du vieillissement, sur les droits et les responsabilités de celles-ci et de la communauté à leur égard, s’avère primordiale. […] La formation doit particulièrement toucher tous les domaines […] des personnes âgées […] mais également à ceux en formation au C.É.G.E.P. et à l’Université et qui seront appelés à intervenir, de même qu’aux intervenants bénévoles et aux familles elles-mêmes.

Gouvernement du Québec, 1985, p. 41

À la même époque, le Conseil supérieur de l’éducation reprenait cette idée en la précisant et en désignant les acteurs qui devaient en assurer la réalisation. Les passages suivants illustrent bien son point de vue sur le sujet :

Les connaissances […] du vieillissement [doivent faire] partie […] des programmes de formation des maîtres […]. [De plus, il faut que] les établissements de formation se préoccupent des clientèles dont les besoins éducatifs se définissent en fonction de nouveaux rôles sociaux à jouer et améliorent les connaissances […] des futurs intervenants auprès des personnes âgées et soient stimulés pour développer davantage le champ de la recherche en ce domaine.

Conseil supérieur de l’éducation, 1984, p. 42-43

Bien que le contexte actuel ne soit plus le même, le débat soulevé par les recommandations du Conseil supérieur n’a pas été repris, et pose toujours le même problème de l’intégration des U3A dans les facultés d’éducation des universités traditionnelles.

Au fait, le Conseil supérieur de l’éducation n’est pas le seul organisme à soutenir que l’éducation des aînés, la formation des intervenants ainsi que la recherche dans le domaine du vieillissement relèvent des facultés d’éducation. S’appuyant sur un consensus canadien, le Conseil consultatif national sur le troisième âge du Canada recommande que :

[…] les facultés des sciences de l’éducation incluent dans leurs programmes une formation sur les méthodes pédagogiques adaptées aux adultes afin de préparer les professeurs à enseigner aux personnes âgées (et) conçoivent des programmes d’éducation permanente qui soient particulièrement utiles aux aînés(es).

Conseil consultatif national sur le troisième âge, CCNTA, 1990, p. 14-15

Cependant, l’éducation des aînés et la formation des intervenants en sont à leurs premiers développements. Aussi, le CCNTA se permet d’indiquer les sujets de recherche que les facultés d’éducation devraient examiner dans le domaine de l’éducation des aînés :

  • découvrir quelles sont les méthodes (y compris les méthodes pédagogiques et électroniques) et les lieux d’apprentissage qui répondent le mieux aux besoins des personnes âgées ;

  • encourager la société à investir dans l’éducation en tant que processus s’étalant sur toute la vie ;

  • accroître le nombre de professeurs et de moniteurs qui auront les compétences nécessaires pour planifier et orienter la formation dans le domaine du vieillissement ;

  • créer des possibilités d’éducation, de formation continue et de recyclage sans tenir compte du critère d’âge ;

  • établir des accords […] qui feront qu’une formation adéquate dans le domaine du vieillissement sera un préalable pour travailler avec les personnes âgées.

CCNTA, 1989, p. 11-12

Spécificité logique de la formation en gérontagogie

Les facultés d’éducation ont développé, jusqu’au début 1990, deux modèles éducatifs, à savoir la pédagogie et l’andragogie (Lemieux, 1990, p. 118). La pédagogie repose sur le paradigme d’acquisition des connaissances et s’adresse aux étudiants en formation des maîtres. L’andragogie, en revanche, s’adresse aux personnes déjà sur le marché du travail et qui requièrent un perfectionnement et du recyclage en éducation. En pédagogie, tous les étudiants doivent acquérir des connaissances de base pour enseigner dans les écoles ; c’est ce que nous appelons la formation initiale. Le deuxième modèle, celui de l’andragogie, avant tout économique et pragmatique, permet à l’enseignant en exercice de s’adapter continuellement aux nouvelles méthodes didactiques auxquelles il fait face tout au long de sa carrière professionnelle.

Cependant, un troisième modèle s’est imposé dans les facultés d’éducation (Lemieux, 1993). C’est l’approche dite compétentielle, dans laquelle s’insère la gérontagogie (Legendre, 1993, p. 166). Selon ce modèle, il ne s’agit pas de formation initiale ou de recyclage des connaissances, mais plutôt de la formation d’une pensée dialectique, basée sur le principe de la contradiction et de la relativité de toute chose (Rybash, Hoyer et Roodin, 1986). Dans cette perspective, les deux premiers modèles relèvent de la science, mais le dernier modèle est orienté vers l’acquisition de la sagesse. La sagesse, voilà une notion que l’Université avait transformée en sciences dans ses facultés de théologie et de philosophie et qu’elle retrouve, enfin, dans sa véritable identité, en action dans ses facultés d’éducation.

De ce point de vue, deux sortes de programmes doivent être développés selon la clientèle à laquelle ils s’adressent dans les facultés d’éducation en gérontagogie : un programme destiné aux personnes âgées et un programme destiné aux intervenants auprès des personnes âgées.

Le programme destiné aux personnes âgées

Ce programme interdisciplinaire relève essentiellement des sciences de l’éducation. En effet, bien que, dans la programmation, se retrouvent des éléments d’ordre éducatif, culturel et social, le principe d’intégration ou de coordination de l’ensemble de cours choisis et la caractéristique de la formation demeurent l’acquisition de la sagesse pour une meilleure gestion de la vie personnelle et sociale de la personne âgée. Dans cette perspective, l’aspect éducatif de la programmation fait ressortir la conscience qu’ont les personnes âgées de leurs fonctions mentales, de leur créativité, de leurs émotions et de leurs motivations (Lemieux, 1992). Cette caractéristique réfère à la métacognition ou, si l’on veut, à la possibilité, pour une personne, de réfléchir sur les mécanismes de sa propre réflexion. Nul ne peut contester que cet élément épistémologique, dans un programme destiné aux personnes âgées, relève de la compétence des professeurs d’éducation.

Le programme destiné aux intervenants auprès des personnes âgées

Dans la perspective des caractéristiques du programme destiné aux personnes âgées, les facultés d’éducation se doivent d’élaborer des programmes destinés à des étudiants débutants ou à des professionnels en exercice qui désirent parfaire leurs connaissances dans le domaine du vieillissement.

Il s’agit alors de développer non pas une connaissance gérontologique du vieillissement, mais une connaissance gérontagogique de l’apprenant âgé (Lemieux, 1990, p. 118). Cette connaissance gérontagogique permet de concevoir des pratiques éducatives susceptibles de susciter, chez la personne âgée, une connaissance réflexive des phénomènes étudiés et non une accumulation de connaissances pures et simples. C’est dans ce souci éducatif que les facultés d’éducation devront former les futurs intervenants en vue de leur faire comprendre que seule l’intervention d’un bon maître est capable, à l’instar de Socrate, de faire surgir la Sagesse chez les P3A.

Cependant, si les facultés d’éducation sont en mesure d’assumer seules ce rôle de la formation théorique, elles ne peuvent développer la formation pratique des gérontagogues qu’en établissant des partenariats avec les milieux où l’on retrouve une masse critique de P3A, regroupées dans des organismes dont le but est, avant tout, socioculturel et éducatif. Il s’agit notamment des universités du troisième âge.

Or, les facultés d’éducation ont établi, depuis plusieurs années, un partenariat officiel avec les écoles primaires et secondaires afin de développer la pratique de l’enseignement théorique des futurs intervenants dans ce domaine. De même, en andragogie, les futurs intervenants se forment dans des lieux de stages industriels ou autres. Il doit en être ainsi en gérontagogie : les facultés d’éducation ont besoin de développer des partenariats avec les U3A où les futurs intervenants pourront faire des stages de pratique et de recherche.

Le prochain volet de cet article sera consacré à la présentation du modèle que le professeur Boutin, directeur de la Formation pratique à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Montréal, et ses collaborateurs, ont expérimenté à la Faculté d’éducation. À notre avis, ce modèle pourrait servir d’inspiration aux facultés d’éducation qui désirent établir un partenariat avec les U3A, particulièrement pour l’instauration d’un modèle de formation pratique d’intervenants en gérontagogie.

Un tel modèle appelle de nombreuses nuances relatives à l’application de la notion de réflexivité, dans le domaine de l’intervention auprès de populations diverses, étant entendu que chacune d’elles possède ses caractéristiques particulières.

Modèle de formation pratique d’intervenants

La formation des intervenants auprès des personnes du troisième âge[4] se situe au centre d’une préoccupation qui, si elle n’est par récente, revêt à l’heure actuelle une importance déterminante. En effet, les P3A réclament de plus en plus une formation adaptée à leurs besoins et à leurs intérêts. Le temps n’est plus pour elles de recevoir de simples compléments culturels ou occupationnels ; elles exigent des formations qui leur permettent de valider leurs connaissances, d’en acquérir de nouvelles, mais également de se développer sur le plan personnel et communautaire. Les responsables universitaires chargés des programmes d’éducation des P3A doivent revoir leurs positions épistémologiques et pratiques afin de prendre en considération ces demandes. Il leur faut envisager la nécessité de préparer les IP3A en prenant en considération un modèle de type gérontagogique. S’appuyant, entre autres, sur les écrits de Rendall et Kenyon (2001), Rybash, Hoyer et Roodin (1986), Sinnott (1998), ainsi que Sternberg (1997), ce modèle rejoint les courants éducatifs actuels, selon lesquels le sujet qui apprend n’est pas simplement un élève, mais plutôt un apprenant, responsable de son propre apprentissage. Partant de là, l’enseignant auprès des P3A doit prendre en considération le fait que les personnes auprès desquelles il intervient possèdent une expérience de vie plus ou moins longue et des connaissances qu’elles désirent actualiser.

Si l’on admet que les facultés d’éducation sont le port d’attache de ces formateurs, comme nous l’avons montré plus haut, celles-ci doivent établir des liens avec le terrain (centres pour personnes âgées, centres de loisirs, centres communautaires, etc.) et mettre en place des dispositifs qui permettront aux IP3A de se forger une pratique dans un contexte de partenariat, entendant par là un engagement mutuel de la part de tous ceux qui participent à un projet commun (Boutin et Le Cren, 2004, p. 26). Partant de là, nous allons traiter successivement des fondements théoriques d’un modèle de formation des IP3A, de la démarche qui préside à son instauration et, enfin, des conditions essentielles de développement d’une telle façon de procéder.

1. Les fondements théoriques

Le modèle que nous proposons ici repose sur l’approche réflexive, dont il importe de dire quelques mots. Cette approche, qui nous sert de point d’ancrage (Boutin et Camaraire, 2001 ; Schön, 1996), prend sa source, entre autres, dans les travaux de John Dewey (1859-1952). Ce psychologue américain a été l’un des premiers à mettre en évidence la nécessité de l’action dans le contexte d’un apprentissage significatif, le fameux Learning by doing. Au début des années 1980, des professeurs du MIT, Schön et Argirys, ont repris cette thèse en l’appliquant à de nombreux domaines des activités humaines. L’axe réflexif se caractérise par la prise en considération de l’expérience du sujet. Le processus sur lequel s’appuie toute la démarche comporte quatre grandes phases qu’il est utile de rappeler : (a) la prise en considération de l’expérience par la personne concernée ; (b) l’analyse de cette expérience ; (c) la recherche du sens, qui se manifeste par une prise de conscience de cette expérience en lien avec les expériences antérieures et, enfin, (d) la mise en perspective d’hypothèses à vérifier dans une action ultérieure. Cette approche que nous présentons (Boutin et Camaraire, 2001) fait le pont entre le modèle pédagogique et le modèle gérontagogique que Lemieux (2001, p. 91) aborde dans son récent livre, et sert de canevas au programme de formation pratique dont nous présentons les grandes lignes.

Cependant, ces fondements théoriques ne sauraient faire l’économie d’une réflexion approfondie de la notion de partenariat. Dans le contexte de la formation pratique des IP3A, nous définissons ce concept comme une mise en commun par deux partenaires ou plus, de leurs expériences, de leurs acquis antérieurs et des moyens dont ils disposent pour atteindre un but commun (Boutin et Le Cren, 2004). Ce principe de base requiert une mise en acte particulièrement exigeante, comme nous le verrons un peu plus loin. Il suppose, entre autres, une capacité de partage et de communication peu commune, qui n’exclut pas la nécessaire résolution de conflits en cours de route.

Rappelons que le programme de formation sur le terrain destiné aux IP3A est constitué de deux volets principaux : a) cours théoriques reliés à des connaissances de base et à des disciplines spécifiques, b) stages de formation pratique sur le terrain. Ces deux volets sont intimement reliés, et ce n’est que pour le besoin d’illustration du partenariat entre les facultés d’éducation et les milieux de pratique que nous nous centrons sur le second.

2. La démarche de mise en place d’un partenariat

2.1 L’établissement d’un protocole

Le programme en question repose sur l’établissement d’un protocole entre, d’une part, la Faculté de l’éducation et, d’autre part, les organismes communautaires, les U3A, les associations de retraités, et autres. Ce protocole comporte :

  1. la mise au point des rôles et fonctions de chacun des partenaires, à savoir les universités et les centres ;

  2. l’établissement d’un dispositif de placement en stage portant sur le choix des lieux de stage, le choix des enseignants-formateurs, les modalités de formation des intervenants (enseignants-formateurs, superviseurs, etc.).

Il prévoit également les modalités de déroulement du stage en ce qui concerne, notamment, la prise en charge des stagiaires, l’observation des activités, les instruments d’évaluation et, enfin, la répartition des responsabilités entre les acteurs.

2.2 La clarification de la part des acteurs

Plusieurs acteurs sont appelés à intervenir dans le cadre d’un tel projet de formation en partenariat. Boutin et Camaraire (2001, p. 20-25) parlent d’une triade constituée du stagiaire, de son formateur-associé sur le terrain et du superviseur universitaire. Il importe de clarifier la part de chacune de ces personnes qui contribuent toutes à la formation du futur IP3A. Il doit, en effet, exister entre elles une véritable synergie si l’on veut que leur action soit efficace.

Le stagiaire

Ce vocable désigne ici un intervenant qui se destine à l’éducation auprès des personnes âgées. La plupart du temps, il a reçu une formation de niveau universitaire ou collégial dans des domaines très variés. L’un des critères de sélection prend en considération son intérêt et sa motivation à intervenir auprès des P3A. Il doit montrer des capacités sur le plan de l’acceptation inconditionnelle, du non jugement et de l’empathie. En un mot, on s’attend de sa part à ce qu’il manifeste une grande ouverture d’esprit. Sa capacité de réflexivité sera accrue par une pratique éclairée qui lui permettra d’acquérir les bases de son métier et de développer son propre modèle d’intervention auprès des P3A, à partir d’une analyse approfondie de son expérience.

Le maître-formateur

Ce terme désigne la personne qui accueille le stagiaire dans les U3A, centres ou associations de P3A. Il s’agit d’un praticien expérimenté auprès de la population en question, qui a reçu une formation poussée à l’utilisation de l’approche réflexive. Son rôle consiste à soutenir le stagiaire, à l’accompagner dans ses fonctions et, bien sûr, à contribuer à l’évaluation de ses capacités comme formateur auprès des personnes du troisième âge. Son rôle se rapproche de l’enseignant qui reçoit un stagiaire dans sa classe, comme le décrivent Boutin et Camaraire (2001, p. 18-19). Tout comme lui, le maître-formateur des IP3A doit être en mesure de donner une rétroaction de qualité au stagiaire et de l’encadrer de façon respectueuse, efficace et professionnelle.

Le superviseur universitaire

Il s’agit d’un enseignant expérimenté dans le domaine de l’intervention auprès des personnes âgées, qui est délégué par la faculté pour encadrer et évaluer l’intervenant en stage. Il lui appartient également de préparer le futur intervenant à bien effectuer son stage. Son rôle consiste à fournir au stagiaire les techniques et les procédés d’intervention spécifiques à l’intervention auprès des P3A. Nommons, à titre indicatif : les techniques d’animation de groupes, les modèles éducatifs d’intervention individuelle ou collective, les modalités d’évaluation des acquis parmi lesquelles se placent le dossier personnel ou le journal de bord (Boutin et Camaraire, 2001, p. 45 ; p. 231 et suivantes). Le superviseur universitaire joue le rôle de courroie de transmission entre la faculté et le milieu de pratique, dont nous avons précédemment exposé les composantes.

Aux acteurs de cette triade se joint le formateur universitaire. Ce dernier, même s’il ne fait pas partie intégrante de l’équipe-terrain, n’en contribue pas moins à sa réussite. En l’occurrence, on peut penser ici au professeur universitaire qui donne des cours théoriques dans des programmes destinés aux IP3A et qui entretient idéalement une relation étroite avec le superviseur et l’étudiant en stage. À l’heure actuelle, plusieurs auteurs (Boutin, 2002) déplorent l’existence d’une rupture entre la formation théorique et la formation pratique.

La démarche de formation pratique en partenariat exige de la part des partenaires plusieurs mises à niveau, de nombreux rajustements, en cours de route. Rien n’est vraiment arrêté une fois pour toutes, car les conditions de mise en application varient sans cesse. Entrer en partenariat, c’est entrer dans un processus de transformation des routines, qui réclame une grande transparence des fonctionnements et une forte dose de patience et de compréhension. Ce qui n’est pas une mince affaire ! Il arrive, en effet, que les partenaires ne soient pas toujours disposés à se remettre en question et à s’adapter aux situations changeantes.

3. Pertinence de l’approche réflexive

Les raisons qui militent en faveur de l’adoption d’un tel modèle par les responsables de la formation des IP3A sont nombreuses. Disons d’abord qu’il a le mérite de s’appuyer sur des fondements théoriques dont l’origine remonte à Dewey et Schön (Boutin et Camaraire, 2001, p. 49) et qui ont fait leur preuve dans le domaine de la formation de professionnels de l’enseignement primaire, secondaire et même collégial, sans compter ceux des secteurs de la santé et du travail social. Le modèle en question répond à la nécessité de prendre en considération l’expérience et les connaissances des personnes en formation. Quand on sait que les IP3A possèdent déjà, pour un bon nombre d’entre eux, une expérience très riche dans divers domaines, cet aspect n’est pas négligeable.

Sur le plan de la formation pratique des intervenants, il importe de développer une approche intégrée. Les IP3A doivent être outillés non seulement pour transmettre des connaissances, mais également, et surtout, pour aider les P3A à réactualiser leurs connaissances. Il leur appartient d’aider leurs étudiants-apprenants à exploiter leurs ressources afin de poursuivre leur développement personnel et social. Comment pourraient-ils accomplir une telle tâche s’ils ne sont pas en mesure de prendre en considération leur propre cheminement, sans procéder eux-mêmes à l’établissement d’un bilan de leurs propres capacités, de leurs forces et de leurs faiblesses ?

Le modèle, inspiré de l’approche réflexive et réalisé dans un contexte de partenariat, permet de mettre l’accent sur le processus et non seulement sur les résultats attendus. En cela, il est vraiment gérontagogique, car il accorde au stagiaire d’être le maître de sa propre performance. C’est sur lui que repose l’entreprise de formation et non pas uniquement sur le maître-formateur, le superviseur ou le professeur universitaire.

Il va de soi que le futur IP3A doit être en mesure d’avoir la possibilité de réaliser son projet de vie à partir d’une prise de conscience de la raison pour laquelle il s’inscrit dans un tel cheminement. On s’attend donc à ce qu’il accepte d’entrer dans un processus de questionnement et de remise en question de ses valeurs, de ses points de vue, de ses préjugés. Les IP3A ne peuvent manifester leurs capacités que dans l’action, sur le terrain. Il ne suffit pas de se montrer intéressé par l’intervention auprès d’une population donnée, encore faut-il être en mesure de faire la preuve qu’on possède des qualités de base : facilité de communication, connaissances théoriques des caractéristiques du processus de vieillissement, etc. Le stagiaire sera évalué également sur ses capacités de saisir le contexte de pratique, sur son sens de l’observation et, enfin, sur sa capacité de s’adapter aux différences individuelles des P3A.

Conclusion

Dans l’état actuel des choses, les U3A ne peuvent prétendre pouvoir développer l’enseignement, la recherche et le service à la collectivité qui sont les caractéristiques des universités traditionnelles. Prenant en compte un consensus entre les divers paliers de gouvernement, il nous a semblé pertinent d’établir que les facultés d’éducation sont les interlocutrices privilégiées pour le développement d’un modèle de formation plus adapté aux exigences de la gérontagogie.

Nous avons montré que ce modèle, axé sur l’acquisition de la sagesse, c’est-à-dire la formation d’une pensée dialectique basée sur le principe de la contradiction et de la relativité de toute chose, devait être développé dans les facultés d’éducation des universités traditionnelles. C’est pourquoi celles-ci doivent s’occuper des programmes universitaires destinés aux P3A et établir des programmes destinés aux intervenants auprès des personnes âgées qui tiennent compte de cette spécificité. Dans ces programmes pour les IP3A, nous avons aussi insisté à dessein sur le contexte de l’intervention de ces intervenants, en soulignant les conditions essentielles à la mise en place d’un partenariat entre les facultés d’éducation et les organismes socioculturels, notamment les U3A.

Si l’on veut tenir compte du fait qu’il est illusoire de vouloir traiter séparément la formation théorique et la formation pratique, le partenariat proposé s’avère non seulement nécessaire pour les U3A dans le but de lever l’ambiguïté qui pèse sur elles, mais aussi essentiel pour les universités traditionnelles, afin d’assurer un développement professionnel de qualité pour les futurs IP3A.