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Introduction

La mixité sexuelle dans les établissements scolaires est devenu un champ d’étude fécond depuis que les sociologues l’ont défriché il y a un peu plus d’une vingtaine d’années. Cependant, cette fécondité ne rend pas compte de la complexité du problème, car ces études sont, en majorité, déconnectées de la problématique de l’altérité dans l’institution scolaire et de la pratique pédagogique. Nous essayerons alors dans notre travail d’ouvrir la réflexion vers ces directions, c’est-à-dire de l’inscrire explicitement dans le champ des sciences de l’éducation.

Dans une première partie, nous montrerons que la mixité sexuelle dans les écoles françaises ne s’est imposée que dans une période relativement récente, elle a mis un terme à la ségrégation des sexes qui marquait, depuis ses débuts, l’essor de la scolarisation. Cependant, son instauration n’a pas donné lieu à discussion pédagogique. La visée égalitariste que l’on trouve affirmée actuellement dans les textes officiels ne comble que partiellement cette carence. La deuxième partie présente de nombreuses recherches documentant la présence d’inégalités de sexe au sein du système éducatif et une discussion sur le recours à une nouvelle ségrégation des sexes. La troisième partie présente des réponses immédiates et parcellaires proposées par l’institution scolaire. Enfin, dans une quatrième partie, nous insérons la problématique de la mixité dans celle de l’altérité et nous explorons quelques pistes pédagogiques.

Nous commencerons donc par situer historiquement l’avènement de la mixité en France.

La mixité en France

De la ségrégation des sexes…

La scolarisation en France a vraiment pris de l’ampleur à partir du xviie siècle : les déclarations royales du 13 décembre 1698 et du 14 mai 1724 posent le principe de la fondation d’une école dans chaque paroisse et l’obligation scolaire jusqu’à l’âge de 14 ans. Cependant, l’État ne crée pas d’établissements scolaires, il pose la subordination de l’enseignement du peuple à des buts religieux et sociaux : l’apprentissage scolaire n’est pas l’objectif principal de l’enseignement, on forme de bons chrétiens respectueux et travailleurs. Dans ce cadre, filles et garçons sont soigneusement séparés, car : « la condamnation de la mixité est alors plus qu’une règle, c’est une obsession. Dans les statuts synodaux, la recommandation est constante » (Lelièvre, 1993, p. 121). Cette ségrégation en termes de lieu se double d’une ségrégation en termes de contenu : l’éducation des filles comprend exclusivement l’instruction religieuse, l’alphabétisation et les travaux d’aiguille.

La législation de la Troisième République de Jules Ferry organise la ségrégation sexuelle ; elle supprime la barrière à l’intérieur de la classe mais multiplie les écoles spécifiques de filles dont les programmes sont nettement différenciés de ceux des garçons : la scolarisation des filles n’a pas pour objectif de faciliter leur insertion dans le monde du travail, mais de les inciter à « rester à leur place », c’est-à-dire « au foyer ». À ce titre, si la déchristianisation de l’enseignement prend de la vigueur, les contenus redoublent la ségrégation sexuelle. Au primaire, les filles doivent apprendre l’économie domestique, la couture et ont un horaire allégé en lecture et sciences physiques et naturelles. Au secondaire, leurs enseignements sont surtout littéraires et historiques tout en conservant l’économie domestique et une durée totale de scolarisation inférieure à celle des garçons. Cette orientation se poursuivra y compris sous le Front populaire (Lelièvre et Levièvre, 1991).

En résumé, le principe retenu par la Troisième République est simple : les filles et les garçons occupent dans la société des rôles et des statuts sociaux différents, l’école se doit donc de les séparer afin de les préparer au mieux à l’exercice de ces rôles et statuts. Ces représentations de l’homme et de la femme dans la société sont arc-boutées sur les principes idéologiques de la morale religieuse, plus ou moins toilettés par une vision roussoïste, sur lesquels demeure profondément ancrée la ségrégation scolaire selon les sexes. Le tout se présentant sous couvert de loi naturelle. La naturalisation de phénomènes de ségrégation permettant de leur refuser tout changement.

… à l’obligation de la mixité

Dans les années 1960, la mixité devient le régime normal des établissements nouvellement créés, pour le secondaire en 1963 et pour l’élémentaire en 1965. Plusieurs circulaires (10 octobre 1966, 12 septembre 1967) précisent que la totalité de l’enseignement technique (sous réserve de la préparation d’emplois interdits aux femmes) est ouverte aux jeunes filles en vertu de « la règle de l’égalité d’accès des filles et des garçons » à ce type de filières.

La loi « Haby » du 11 juillet 1975 et ses décrets d’application du 28 septembre 1976 mettent en place l’obligation de mixité de l’enseignement en classes maternelles et primaires et ouvrent indifféremment aux deux sexes l’enseignement secondaire et technique (sous la même réserve).

Ces deux impulsions politiques vont amener à ce que le regroupement et la mixité des sexes deviennent une règle dans les années 1970.

Pour nous aider à comprendre les raisons de cette politique trois informations sont importantes. Premièrement, la circulaire du 3 juillet 1957 explicite l’avènement de la mixité en France : « la crise de croissance de l’enseignement secondaire […] nous projette dans une expérience [de la mixité] que nous ne conduisons pas au nom de principes, d’ailleurs passionnément discutés, mais pour servir les familles au lieu le plus proche de leur domicile ou dans les meilleures conditions pédagogiques » (cité in Lelièvre et Lelièvre, 1991, p. 178). La mixité est une réponse de l’État à la crise de croissance de l’enseignement secondaire, ce n’est pas un choix effectué au nom de principes éducatifs.

Deuxièmement, la coéducation des filles et des garçons est marginale jusqu’aux années 1950, son autorisation est toujours issue soit de problèmes d’équilibre de budget, de gestion de personnel pour des petits établissements, soit de difficultés de recrutement. Avant l’obligation de la mixité, la seule dérogation accordée par l’État à la ségrégation des sexes était d’ordre économique : un établissement mixte offrait un moindre coût de fonctionnement.

Troisièmement, la mixité concerne avant tout les nouveaux établissements que l’État fait construire sur le territoire et ce n’est qu’après 1968 que les autres basculeront les uns après les autres. À nouveau confronté à des contraintes économiques, l’État passe outre le principe de ségrégation des sexes qui accroîtrait la charge financière de la construction d’établissements.

Ainsi le recours à la mixité s’est imposé, au moins en partie, durant une période de forte croissance démographique et d’allongement de la scolarisation afin de « maximaliser » la gestion des moyens de l’Éducation nationale : « une urbanisation rapide qui oblige à fermer des écoles de campagne, aux effectifs devenus squelettiques, cependant qu’on construit de nouveaux groupes scolaires dans les banlieues bouleversées par les grands ensembles. Du coup, la mixité s’impose » (Prost, 1992, p. 54). C’est ce mouvement qu’entérine la loi Haby.

L’obligation de la mixité s’est donc faite sans débat réel sur les principes d’égalité, ni sur les problèmes de la coéducation des sexes puisque ce sont surtout des difficultés de gestion budgétaire qui étayent l’avènement de la mixité en France.

L’obligation de la mixité est en fait une abrogation de la double ségrégation des sexes : de lieu et de contenu. D’une part, les filles et les garçons sont ensemble dans la même classe, au sein de leur établissement, ce sont avant tout des élèves. D’autre part, les filles et les garçons ont le même contenu d’enseignement, ce sont les programmes nationaux. La mixité devient un contexte éducatif, elle ne renvoie pas à une problématique éducative. Elle est définie par défaut, la mixité est un concept effondré !

Il aura fallu attendre la circulaire du 22 juillet 1982 pour que la mixité se trouve justifiée, sous l’impulsion d’Yvette Roudy alors ministre des Droits de la Femme, par une finalité égalitariste ce qui est différent de la simple « égalité d’accès » présente dans les circulaires de 1966 et 1967. Cette mixité doit « assurer la pleine égalité des chances » entre filles et garçons, notamment par une « lutte contre les préjugés sexistes » ; elle doit participer à une évolution des mentalités visant à « faire disparaître toute discrimination à l’égard des femmes ». Le ministère des Droits de la Femme et celui de l’Éducation nationale signeront le 20 décembre 1984 une première convention prônant des objectifs d’égalité. Prenant acte de ces impulsions, la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 précise, dans son article premier, que le service public de l’éducation contribue à favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes.

Plus près de nous, le 25 février 2000, est signée la « Convention pour la promotion de l’égalité des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif » (Aubry et a l., 2000). Les signataires sont la ministre de l’Emploi et de la Solidarité, le ministre de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie, le ministre de l’Agriculture et de la Pêche, d’une part, la ministre déléguée chargée de l’Enseignement scolaire, la secrétaire d’État aux Droits des Femmes et à la Formation professionnelle d’autre part. Les diverses parties signataires montrent bien que si le ministère de l’Éducation nationale donne une finalité égalitariste à la mixité, celle-ci est issue pour une part importante de revendications sociales, justifiées, d’égalité entre hommes et femmes impulsées grâce aux travaux des femmes sociologues et psychosociologues sur la place des filles dans le système éducatif (Mosconi, 1999).

Ces textes étoffent partiellement le concept de mixité en lui offrant comme finalité le principe fondamental d’égalité des chances entre les sexes. Ce faisant, ils témoignent de l’existence d’un problème d’égalité des sexes à l’intérieur du système scolaire. En effet, l’abolition de la ségrégation des sexes a eu des effets, sans doute non prévus ou à tout le moins non anticipés, sur la scolarisation des filles et des garçons. Ce sont ces effets que nous documentons dans la partie suivante.

Les études sur la scolarisation des filles et des garçons

De très nombreuses études explorent la scolarisation à la lumière de la différence sexuelle (Mael, 1998). Certaines d’entre elles se focalisent sur la comparaison des performances des filles et des garçons scolarisés dans le même type d’établissement, i.e. les établissements mixtes. Dans ce cadre, les auteurs examinent les résultats académiques et analysent l’existence d’un effet différentiel des pratiques enseignantes.

D’autres études se centrent sur la comparaison des types de scolarisation : établissement mixte versus établissement non mixte ; classes mixtes versus classes non mixtes. Elles peuvent analyser, elles aussi, les résultats académiques et/ou les pratiques enseignantes.

Comparaisons filles/garçons au sein d’établissements mixtes

Résultats académiques filles/garçons

La réussite scolaire des filles est généralement supérieure à celle des garçons (Arnot et al ., 1996 ; Weiner et al ., 1997 ; Riddell, 1998 ; Foster, 2000 ; Bouchard et Saint-Amant, 2000). Ainsi, en France, la réussite des filles aux baccalauréats de la session 2002 (généraux et professionnels) dépasse de 5 points celle des garçons (Robin, 2003). Les mêmes résultats sont constatés pour un diplôme équivalent, au Royaume-Uni, en Australie et à Hong-Kong (Wong et al ., 2001).

Néanmoins, on constate classiquement un décalage dans les performances scolaires des filles et des garçons en fonction des disciplines (Duru-Bellat, 1995 ; Mosconi, 1994, 1999 ; Vouillot, 1999). Les garçons obtiennent de meilleurs résultats dans les domaines scientifiques, alors que les filles réussissent mieux dans le champ littéraire. Il y aurait donc un déséquilibre dans le marquage de genre des disciplines (Meece et Eccles, 1993 ; Kahle et al ., 1993 ; Lee et al ., 1994). Cependant, si de récentes méta-analyses confirment ces tendances (Willingham et Cole, 1997 ; Nowell et Hedges, 1998), elles montrent aussi une tendance à la réduction de ces écarts.

Différences dans les pratiques pédagogiques

Une synthèse de 1331 travaux aux USA (AAUW, 1992) montre un différentiel dans les pratiques pédagogique en fonction du sexe des élèves du préscolaire au secondaire. En résumé, ce rapport souligne que les garçons sont appelés plus souvent, ont le droit de parler plus longtemps, sont encouragés à poser des questions, reçoivent des retours plus précis et informatifs, et enfin, que les réponses et l’activité des garçons sont plus souvent sollicitées par les enseignants.

D’après une étude menée dans un établissement secondaire mixte québécois avec des étudiants de 17 à 20 ans, Baudoux et Noircent (1995) soulignent que les enseignants, généralement sensibles aux questions d’équité en éducation, n’ont pas conscience de traiter différemment les étudiants des étudiantes. Cependant, l’étude montre que les filles ont globalement un traitement moins favorable que celui réservé aux garçons. En effet, les étudiantes reçoivent plus de questions fermées, moins de questions ouvertes. De plus, elles sont plus nombreuses que les garçons à ne pas avoir de réponses à leurs questions. Les réponses obtenues sont plus souvent collectives qu’individuelles, contrairement aux garçons. D’autre part, les filles lèvent plus souvent la main sans succès, font moins de commentaires spontanés et répondent moins que les garçons à une question signalée comme difficile. Enfin, les filles reçoivent moins d’encouragements des enseignants que les garçons. Cette tendance de différence de traitement quantitatif et qualitatif se retrouve également à d’autres niveaux de la scolarisation, comme par exemple en école primaire (Duru-Bellat, 1995).

L’étude de Baudoux et Noircent (1995) montre que près des deux tiers du temps des enseignants est alloué aux garçons. Une fois conscients de cette différence de traitement, les enseignants qui tentent de prêter autant de temps aux deux sexes parviennent à accorder 42 % de leur temps aux filles. Dans ce cas, les enseignants ont le sentiment d’avoir accordé plus de temps aux filles qu’aux garçons.

Cette différence d’attention accordée par les enseignants aux filles et aux garçons se retrouve dans d’autres travaux, comme ceux de Mosconi (1999, 2001) pour qui toutes les observations fines de classe (menées avec des enregistrements vidéo) montrent que les enseignants interagissent nettement plus avec les garçons qu’avec les filles : en moyenne, 44 % d’interactions avec les filles et 56 % avec les garçons. La différence d’attention portée aux élèves selon leur sexe se retrouve également dans les écoles américaines où les résultats convergent pour montrer que les filles reçoivent moins d’attention que les garçons (AAUW, 1992).

Les différences de traitement au niveau de la communication, qu’elles soient inconscientes de la part des enseignants ou le fruit de différences comportementales des garçons et des filles, peuvent amener les élèves à un sentiment d’estime de soi différencié selon le sexe : les filles ont tendance à sous estimer leurs compétences (Baudoux et Noircent, 1995). Une comparaison internationale (Stetsenko et al ., 2000) montre que cette sous-estimation existe même lorsque les résultats académiques des deux sexes sont identiques et semble trouver sa source dans les pratiques scolaires. À ce premier facteur il faudrait ajouter l’importance de la situation de l’emploi dans un pays donné, ainsi que les comportements de son corps enseignant et les pressions sociales existantes (Sutherland, 1999).

Ainsi, ces diverses études montrent bien comment l’homogénéisation des enfants scolarisés dans l’ensemble sexuellement indifférencié des élèves ne conduit pas ipso facto à l’élaboration d’une égalité entre filles et garçons à l’école.

Pour autant, est-ce qu’un retour à la ségrégation sexuelle comble les difficultés constatées de la mixité ? Attardons-nous un instant sur les études analysant les résultats des établissements qui la pratiquent.

Comparaisons entre mixité et non-mixité

Nous trouvons dans la littérature scientifique deux grands types de comparaisons : établissements mixtes versus établissements non mixtes et cours disciplinaires (le plus souvent mathématiques ou physique) mixtes versus cours disciplinaires non mixtes.

Établissements mixtes versus établissements non mixtes

Un certain nombre d’études sur la comparaison entre établissements mixtes et établissements non mixtes montrent un avantage, principalement pour les filles, de ces derniers aussi bien sur le plan des résultats académiques que sur celui de l’épanouissement. Ainsi, aussi bien pour les filles que pour les garçons, les résultats sont meilleurs en établissements non mixtes en particulier en mathématiques et en sciences (Lee et Bryk, 1986 ; Lee et Mark, 1990). Les filles participent davantage et réussissent mieux en mathématiques et en sciences dans les établissements non-mixtes (Carpenter et Hayden, 1987 ; Jimenez et Lockheed, 1989 ; Gwizdala et Steinback, 1990 ; Lee et Lockheed, 1990). D’autre part, les garçons s’engagent plus dans des activités poétiques, théâtrales et dans des chorales lorsqu’ils sont scolarisés dans ces structures (Riesman, 1991).

Les établissements non mixtes semblent aussi favoriser le développement de la personne. En effet, les filles scolarisées y ont une meilleure estime de soi et une meilleure confiance en soi. Elles définissent plus clairement leur projet d’orientation et leurs aspirations professionnelles sont plus élevées que leurs camarades issues d’établissements mixtes. Enfin, leurs possibilités d’endosser un leadership pendant et après la scolarité sont plus importantes (Monaco et Gaier, 1992 ; Johansson, 2001).

C’est pour ces raisons que, dans un rapport pour le Département américain de l’Éducation, Hollinger et Adamson (1993) suggèrent que les filles tirent plus de bénéfices d’une scolarisation en établissements non mixtes que dans des établissements mixtes. Principalement parce qu’elles n’y seraient plus aussi sujettes à la discrimination sexuelle issue de l’environnement social qui normalise le rôle assigné aux femmes.

Cependant, ces études comparant les résultats des établissements mixtes et non mixtes ne sont jamais assurées de manipuler uniquement la variable « sexe ». C’est un problème de contrôle de toutes ces autres variables dites parasites qui sont susceptibles d’influer sur la mesure des comparaisons. Ainsi le caractère privé ou public des établissements peut être plus important que sa mixité ou non-mixité dans la réussite à des tests de mathématiques (Vezeau et al ., 2000). De plus, les différences initiales de réussite académique, de comportements et de fonctionnement familial induites par la sélection des étudiants, le climat de l’établissement ou la ventilation de l’appartenance sexuelle des personnels peuvent rendre compte d’une meilleure réussite des établissements non mixtes (Woodward et al ., 1999). Enfin, pour Robinson et Smithers (1999) les bons résultats des établissements non mixtes sont plus à mettre en rapport avec leur sélectivité, l’arrière-plan socioéconomique et leur prestige qu’avec leur pratique de ségrégation sexuelle. Autant de facteurs qui relativisent les avantages mesurés des établissements.

Cours disciplinaires mixtes versus cours disciplinaires non mixtes

D’autres études comparent, dans des établissements mixtes, des cours disciplinaires mixtes à des non mixtes. Certains résultats montrent que les filles réussissent mieux en mathématiques lorsque les cours sont non mixtes (Smith, 1994 ; Tullock, 1995) et d’autres qu’il n’y a pas de différence significative (Marsh et Rowe, 1996). En sciences physiques le gain sur les résultats pour les filles lorsque les cours sont non mixtes s’accompagne d’une progression de la confiance en la discipline (Gillibrand et al ., 1999). Deux récentes études au Royaume-Uni retrouvent les mêmes résultats favorables aux filles (Jackson, 2002 ; Younger et Warrington, 2002).

Dans ce type de classes, les professeurs de sciences adaptent leur manière d’enseigner au groupe classe filles ou garçons et développent des stratégies d’étayages centrées sur la manipulation pour les premiers et sur l’écrit et l’oral pour les seconds (Parker et Rennie, 2002). Cependant seuls certains enseignants sont capables d’expliciter cette adaptation (Younger et Warrington, 2002). Cela rejoint les premières conclusions de Parker et Rennie (1997) : c’est plus la pratique d’enseignement et les attentes des enseignants que la composition de la classe qui sous-tendent ces effets.

Il reste que, d’une part, les écoles non mixtes ne sont pas immunisées contre le découpage de genre des disciplines. Et, d’autre part, il apparaît que les classes non-mixtes peuvent renforcer les stéréotypes sur les rôles des filles et des garçons dans la société, de la même façon que dans les classes mixtes (Lee, 1993 ; Lee et al ., 1994) voire les exacerber (Jackson, 2002).

Problèmes d’interprétation des études

Nous l’avons vu, les études basées sur la comparaison établissements mixtes versus établissements non mixtes posent le problème méthodologique du contrôle de variables parasites. Des méthodes statistiques plus élaborées devraient permettre un meilleur contrôle de ces variables. Cependant, d’autres types de problèmes apparaissent dans les recherches qui comparent l’impact de la mixité à celui de la non mixité :

  • la plupart se focalisent sur le niveau secondaire, on ne sait pas grand chose des éventuels précurseurs ;

  • elles ne comparent que des résultats académiques, des scores (tests, positionnement sur des échelles) ou des états (estime de soi), sans tenter de saisir les processus de construction à l’oeuvre permettant de relier des variables écologiques (type d’établissement, type de classe…) à des caractéristiques personnelles (sexe, performance, estime de soi…) ; les recherches essayent d’établir des différentiels de mesures (performance) et ce faisant elles restent descriptives sans, le plus souvent, être multidimensionnelles ;

  • les comparaisons s’effectuent de manière globale entre établissements mixtes versus non mixtes et très rarement entre les classes ou le niveau scolaire, les élèves étant caractérisés par leur appartenance à un établissement ou leur inscription dans un dispositif ;

  • elles homogénéisent aussi les établissements en fonction de leur pratique de mixité ou de non-mixité, il n’y a pas ou peu d’entrées sur les caractéristiques pédagogiques mises en oeuvre, sur l’organisation scolaire ;

  • elles homogénéisent, en terme d’appartenance à la classe filles ou garçons, les regroupements, n’offrant pas d’épaisseur psychologique aux sujets (pas de diversité intra-groupe) qui se définissent avant tout par leur sexe. Or nous pouvons raisonnablement estimer que l’appartenance sexuelle ne sature pas l’expérience scolaire des sujets.

La mixité permet de mettre en évidence le travers de la différenciation et de l’homogénéisation en termes de groupements sociologiques : on passe de l’affirmation et de la justification de différences entre groupes (ségrégation) à la négation de ces différences par une homogénéisation formelle d’un nouvel ensemble (les élèves). Se pose ici un problème central en éducation : quelles sont les déterminations de la création d’un ensemble indifférencié — les élèves, quel que soit leur sexe — et que faire pour ne pas nier ou effacer dans la formation les différences qu’on observait et justifiait dans la période antérieure de différenciation ?

En effet, si dans un premier temps la ségrégation est bien la reconnaissance d’une différence de fait, son enracinement naturel amène à poser, dans un deuxième temps, une différenciation de droit. Les hommes et les femmes sont différents, ces différences sont « organiques » — donc naturelles, c’est-à-dire immuables, hors de l’emprise des actions humaines. Ils doivent donc être éduqués de manière différente. La naturalisation est un processus social et culturel qui n’est que peu redevable envers la biologie. C’est une construction qui légitime a posteriori « une transformation du fait naturel d’être-mâle et d’être-femelle en signification imaginaire sociale d’être-homme ou d’être-femme, laquelle renvoie au magma de toutes les significations imaginaires de la société » (Castoriadis, 1975, p. 313). Ainsi tout regroupement, toute ségrégation dérivent de déterminations sociales et culturelles et non pas naturelles, dont il est nécessaire que l’enseignant prenne conscience.

En revanche, le passage à la mixité abolit la différence entre sexes en termes de dénégation. Le mélange supprime les sexes différenciés depuis des siècles pour les remplacer par un être unique, indifférencié — l’élève (un ou une) — en face duquel nous trouvons un être tout aussi neutre et indifférencié — le professeur (le ou la) : « cette opération alchimique [la mixité] qui, par le mélange, tendrait, en supprimant les deux sexes différenciés, à obtenir une seule substance, un être complexe (bisexe ?), celui que précisément le monde scolaire désignerait par ces termes neutres, indifférenciés d’ »élève »et de « professeur » ? En somme tout se passerait comme si le système scolaire ne cherchait pas tant, dans la relation pédagogique, à éduquer qu’à conjurer la sexualité » (Mosconi, 1989, p. 38). L’assimilation des filles et des garçons dans ces ensembles indifférenciés d’« élève » et de « professeur » entraîne un universalisme éducatif qui nie les différences entres les sujets le plus souvent au nom d’une égalité des droits. Cette conjuration de la sexualité implique aussi une non remise en cause du modèle hétéronormé implicite en éducation mais dominant.

Alors, avec Noddings (1992), nous pensons qu’il faut dépasser en éducation l’affrontement entre approche ségrégationniste et approche assimilationniste (Muñoz Sedano et Martin, 2000) et chercher à construire une approche de la mixité scolaire qui permette à la fois une reconnaissance de la différence et une égalité de droit.

Construire une approche de la mixité scolaire

La construction d’une telle approche de la mixité exige de « savoir comment articuler différence, égalité et identité en ayant sans cesse à l’esprit qu’égalité ne veut pas dire absence de différences, et que les différences ne deviennent des inégalités que lorsqu’on les hiérarchise » (Drouin-Hans, 1999, p. 16). Dans ce cadre, le sexe est considéré comme une des différences, comme un critère à prendre en compte, comme on prend déjà en compte ceux liés à la classe sociale, à l’origine géographique, ethnique ou culturelle. Il ne s’agit plus d’expliquer les différences de comportements par un critère unique, le sexe du sujet, puisque la seule appartenance à un sexe ne suffit ni a définir un sujet, ni à définir un groupe homogène. En effet, Vouillot (1999) nous rappelle que les différences observées entre les filles et les garçons au niveau de l’intelligence, des compétences scolaires, de la personnalité, des intérêts et des valeurs, de la sociabilité et de l’agressivité sont d’abord bien moins nombreuses et de moindre amplitude que ce qu’on pourrait penser et qu’il y a plus de différences à l’intérieur de chacun des groupes (filles, garçons) qu’entre les deux groupes. On se dirige alors vers une interprétation multicausale des différences pour laquelle la réponse pédagogique peut être un traitement différencié selon les sexes (Duru-Bellat, 1999).

Or les différentes tentatives du ministère de l’Éducation nationale français pour donner un sens à la pratique de la mixité nous semblent en retrait par rapport aux exigences de cette approche. En effet, elles lui donnent pour finalité de « favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes » en formant « les femmes et les hommes de demain, des femmes et des hommes en mesure de conduire leur vie personnelle, civique et professionnelle en pleine responsabilité » (loi n°89-486 du 10 juillet 1989). Plus précisément, il faut « améliorer l’orientation scolaire et professionnelle des filles et des garçons » en promouvant « une éducation fondée sur le respect mutuel des deux sexes » grâce à « une action dès le plus jeune âge sur les représentations des rôles respectifs des hommes et des femmes » (convention du 25-2-2000). Concrètement, au niveau du collège et du lycée cela se traduit par un travail sur les stéréotypes de sexes et sur l’orientation lors de l’heure de vie de classe, dans le cadre de l’éducation civique, de l’éducation à l’orientation ou de l’éducation à la santé (B.O.E.N. Hors-Série n°10 du 2 novembre 2000). Ce travail doit permettre aux élèves et aux enseignants de s’interroger sur leurs propres comportements. Si le ministère a bien pris la mesure du poids des stéréotypes de sexes et des rôles sociaux de sexes, celui-ci est principalement dénoncé dans ses effets sur le parcours scolaire et sur les sorties du système éducatif. Il nous semble, malgré de réelles avancées, que deux problèmes demeurent. Le premier est la focalisation sur le parcours scolaire et sur l’orientation, c’est-à-dire les inégalités les plus mesurables par les outils sociologiques. Le second est la faible ampleur des propositions pédagogiques et frappe par le décalage entre la complexité du problème et les solutions proposées. Celles-ci peuvent se résumer par des séquences de débats dans les établissements, une vigilance sur les stéréotypes dans le primaire et la création de modules de sensibilisation dans les IUFM et en formation continue (Belloubet-Frier, 2001), voire par un appendice à l’instruction civique. Sans doute est-ce déjà le premier pas d’une longue marche mais nous voyons surtout des propositions d’enseignement et pas de propositions pédagogiques. Ainsi on pourrait très bien imaginer l’adjonction d’un enseignement sur l’égalité des chances à l’intérieur d’une pédagogie de type traditionnel où il n’y a pas de remise en cause de la relation d’autorité Maître-Élèves. Le risque est alors que la mixité devienne un objet d’enseignement au lieu d’être une pratique pédagogique.

Pourtant c’est bien une réorganisation de la pratique pédagogique qui est préconisée dans les conclusions du rapport Report finds separating by sex not the solution to gender inequity in school (AAUW, 2000). Il y est recommandé d’encourager l’implication des filles dans l’apprentissage coopératif, d’éliminer les pratiques compétitives dans les classes qui, le plus souvent, marginalisent les filles. Il y est préconisé encore l’utilisation d’une éducation équitable et multiculturelle en replaçant la différence de sexe dans un contexte plus général afin de prôner une éducation qui favorise la réussite la plus élevée pour tous les étudiants quels que soient leur sexe, leur classe sociale, leur race ou leur ethnie. Il reste tout de même que si ce rapport s’appuie sur des résultats empiriques, il lui manque une véritable assise théorique en éducation qui dépasserait et légitimerait la déduction pragmatique.

Les apports de l’éducation interculturelle

La problématique de fond de la mixité est en fait une problématique de l’altérité posée par la différence des sexes (Duru-Bellat, 1999). Cette problématique a partie liée avec ce que avons précédemment identifié comme un problème central en éducation, à savoir : quelles sont les déterminations de la création de l’ensemble indifférencié des élèves (mixité) et que faire pour ne pas nier ou effacer dans la formation les différences ? Dans quel cadre penser l’autre sexué ? Et quelles sont les conséquences sur les pratiques d’enseignement ? Nous avons vu que l’indifférenciation s’est construite sans fondation pédagogique sous la poussée de facteurs économiques. Nous avons vu aussi les problèmes sexués de scolarité que cela engendrait. Enfin, nous avons montré que le retour à une différenciation en termes de regroupements sociologiques n’était pas convaincante, la rencontre avec l’autre est abolie si l’autre n’est que la cristallisation des caractéristiques d’un groupe.

En résumé, il faut donc s’appuyer sur des approches qui permettent de dépasser la bijection systématique entre un individu et les caractéristiques d’un groupe, qui supportent une approche multiréférentielle du sujet et qui assurent la liaison avec des pratiques pédagogiques. Nous avons besoin, pour penser la mixité, de supports théoriques permettant de saisir l’expérience personnelle d’un sujet sexué dans l’école et de l’articuler avec des pratiques pédagogiques. Ce champ d’études ouvert par des sociologues se doit de prendre la mesure de la complexité des relations dans un contexte scolaire. Présentées sous cette forme, il nous semble que les études sur la mixité peuvent être éclairées de manière stimulante par les recherches sur l’éducation interculturelle (Duru-Bellat, 1995) qui explorent la complexité du vécu de l’altérité dans le contexte bien spécifique de l’École.

Le champ de l’éducation interculturelle est historiquement riche de multiples formes éducatives classifiées et analysées (Ouellet, 1991 ; Abdallah-Pretceille, 1999 ; Muñoz Sedano et Martin, 2000). Les modèles d’éducation interculturelle (Ouellet, 1991 ; Clanet, 1993 ; Santos-Rego, 1994 ; Abdallah-Pretceille, 1996 ; Sales et Garcia, 1997 ; Garcia et Sáez, 1998) sont aujourd’hui connus. Ces finalités sont 1) la cohésion sociale à travers la recherche d’un principe d’appartenance collective, 2) la reconnaissance et l’acceptation du pluralisme culturel comme une réalité sociale, 3) l’instauration d’une société d’égalité de droits et d’équité, sans aucun type de discrimination et 4) la participation critique à la vie et à la délibération démocratique (Ouellet, 2000).

Pour parvenir à leurs fins, ces modèles prennent leurs appuis théoriques sur le socio-constructivisme (Clanet, 1999) en posant une unité fonctionnelle entre le sujet et son milieu : « le développement n’est possible que dans une unité fonctionnelle entre le sujet et son milieu, il ne peut être envisagé que dans une perspective socio-constructiviste qui lie la construction du psychisme au contexte » (Muñoz Sedano et Martin, 2000, p. 128). C’est grâce à cette assise que l’éducation interculturelle tente de dépasser une certaine emprise du regard sociologique sur l’éducation (Clanet, 2000) en conjuguant, en termes d’interstructuration, la dynamique des sujets et celle des réseaux culturels de significations. Fondamentalement, cette gageure est soutenue par une définition particulière de ce que nous pouvons entendre par culture : « La culture peut être vue comme l’ensemble des formes imaginaires/symboliques qui médiatisent les relations d’un sujet aux autres et à lui-même, et, plus largement, au groupe et au contexte ; de même que, réciproquement, les formes imaginaires/symboliques qui médiatisent les relations du contexte, du groupe, des autres… au sujet singulier » (Clanet, 1993, p. 16). Cette définition de la culture la rend inséparable du sens : ce ne sont pas les productions ou les formes qui importent mais le sens qu’elles prennent dans un contexte particulier. De plus, ces formes ne sont pas à considérer en elles-mêmes mais comme support des relations, comme médiations de relations interhumaines nécessairement paradoxales dans les relations intergroupes et dans les relations de chaque individu à ses groupes d’appartenance. Tout sujet est donc pris dans des réseaux de significations qui le dépassent et inversement tous ces réseaux sont pris par des processus de subjectivation qui les signifient (Martin, 1998).

Ce qui change alors c’est que l’altérité est la résultante de processus différentiels de construction, que la différence n’est pas engendrée par une simple appartenance groupale (qu’elle soit ethnique, culturelle ou sexuelle) mais par l’actualisation contextuelle d’un développement. L’éducation interculturelle s’adresse alors à des élèves-sujets qui sont intrinsèquement divers les uns des autres par le jeu complexe du procès d’adaptation (Troadec, 1999 ; Martin et Mocillo, 2000) ; et non à des élèves-individus ne possédant que les caractéristiques différentielles que distillent en eux des catégories sociales. L’atout de l’approche culturaliste dans la problématique de la mixité, c’est qu’elle réintroduit le sujet là où il avait été évacué (l’école) par les sociologies de la différence (Charlot, 1997).

Ainsi, comme le remarquent Dasen et ses collaborateurs (1991), les lacunes ou handicaps constatés sont considérés comme des différences et non comme des déficiences. Ce point de vue n’interdit pas une remédiation compensatoire mais change la manière dont elle est vue et vécue, car au lieu de ne chercher à combler que les lacunes d’un élève ou d’une classe d’élève, on place plus facilement le problème au niveau institutionnel. Par conséquent, c’est à présent à l’école à s’adapter à la différence, à la variabilité des sujets. Et si l’on vise toujours une modification des attitudes et des stéréotypes, celle-ci se fera par des changements massifs, dépassant de beaucoup le simple ajout de suppléments de programmes. Ces changements sont d’ordres pédagogiques, ils concernent le complexe relationnel « maître-élèves-savoir ».

Ainsi Ouellet (2001) propose, afin de faire face aux défis de la pluralité, le recours à l’utilisation d’une forme d’apprentissage coopératif, l’instruction complexe (Cohen, 1994, 2001). Cette forme d’apprentissage développée pour le primaire et le collège (pour le développement d’apprentissages coopératifs au lycée et à l’université, Bruffee, 1995) peut être présentée schématiquement en quatre étapes :

  • le travail se faisant en petits groupes hétérogènes (sur des critères comme la compétence, l’origine ethnique ou le sexe), les élèves doivent être préparés par l’enseignant à un changement des normes de comportement en classe ;

  • l’autorité est déléguée aux groupes de travail qui assument eux-mêmes la responsabilité du bon fonctionnement du groupe ;

  • avant la mise au travail, il faut donner une orientation sur les objectifs de cette tâche et sur les critères d’évaluation. L’enseignant organisera ensuite un retour sur la séance ;

  • équilibration du statut des élèves dans le cadre de tâches riches qui font appel à des habiletés multiples (plusieurs solutions possibles, plusieurs types de contributions possibles en fonction des élèves, plusieurs médias, plusieurs habiletés mobilisables…) utilisant les ressources diversifiées de tous les membres de l’équipe.

Le principal intérêt de cette instruction complexe vient de ce qu’il y a gestion, dans un cadre coopératif, des rapports de dominance dans les interactions entre élèves. Autour d’une tâche riche, ils sont obligés de tous se mobiliser et de mutualiser leurs ressources et lors de la séance de retour, l’enseignant est là pour les aider à pointer les ratés de la gestion des rapports de dominance qui auront entraîné une perte d’efficacité dans la résolution de la tâche. L’approche de Cohen tente de tenir ensemble 1) la dynamique des statuts au sein des groupes de travail, 2) les apprentissages scolaires et 3) les habiletés sociales permettant d’établir des interactions égalitaires. C’est pourquoi elle pourrait être une des approches ouvrant à un traitement global des différentes formes d’hétérogénéité, qu’elles soient culturelle, socio-économique, de maîtrise des apprentissages scolaires ou… de genre. À ce titre elle est une des tentatives intéressantes dans la construction de liens entre une théorisation de la différence entre les sujets et la pratique concrète des enseignants.

À travers cet exemple, nous espérons avoir montré que le champ de l’éducation interculturelle avait une pertinence dans la gestion de l’altérité, car celui-ci propose des pratiques pédagogiques qui essayent de gérer la différenciation des sujets au sein de la classe. On rentre alors pleinement dans la manière d’enseigner, dans le travail sur le rapport au savoir sans se cantonner aux contenus d’enseignement plus ou moins traversés par une « vigilance de genre ».

Cependant, il reste encore à introduire cette gestion de l’altérité au sein de la formation à l’enseignement assurée en France par les IUFM, ce qui n’est pas véritablement le cas actuellement (Clanet, 2000). De manière un peu schématique, nous pouvons dire que lors de leur formation, les enseignants ne sont confrontés qu’au traitement de l’hétérogénéité des niveaux académiques des élèves. La gestion de l’altérité dans la relation pédagogique suppose un effort supplémentaire pour professionnaliser le métier d’enseignant (Jorro, 2002). La question de la mixité s’ouvre alors à la recherche des postures professionnelles idoines. La formation des enseignants doit permettre aux professionnels de passer d’une théorisation implicite de leurs pratiques en contexte mixte, à une théorisation rationalisée et outillée par des savoirs conceptualisés (Altet, 1994). La pratique comprise comme l’ensemble des actes professionnels posés dans un contexte doit être à la fois le point de départ et la finalité du processus de professionnalisation : « le savoir professionnel relève moins de la réflexion, comme savoir d’un savoir-faire, mais à la réflexivité comme savoir sur un savoir-faire » (Tochon, 1992, p. 102). C’est à l’intérieur de la démarche réflexive propre à supporter la professionnalisation des enseignants que doit se poser le problème de l’altérité (et donc de la mixité qui est une forme particulière d’altérité).

Conclusion

Si l’on veut que le genre soit une différence parmi des différences sociales, culturelles, de compétences, de célérité des apprentissages, etc., si l’on veut se donner « l’opportunité (ou non) de ne considérer le sexe que comme une différence parmi d’autres, une forme d’altérité que ne serait plus le support d’une domination » (Duru-Bellat, 1999, p. 13), il faut se donner les moyens de les traiter toutes ensembles par des pratiques pédagogiques qui les intègrent et les gèrent et ne pas les sectoriser au risque de les couper de leur processus d’émergence. La mise en action de la mixité de genre n’est pas isolable d’une gestion pédagogique de l’hétérogénéité des élèves-sujets de la classe et des sujets-enseignants en formation (Theberge, 1999).

La prise en compte des caractéristiques des élèves, de leur niveau de compétences comme de leur caractéristique sexuelle et culturelle doit faire l’objet d’études en sciences de l’éducation afin de, dans la formation des enseignants, développer des postures professionnelles propres à leur gestion.

La construction d’une approche de la mixité scolaire qui permette à la fois une reconnaissance de la différence et une égalité de droit gagnera en efficacité en ne se coupant pas des travaux qui depuis plusieurs années se penchent sur la problématique de l’altérité. Elle gagnera également en pertinence en investissant pleinement le champ pédagogique au plan de la pratique de classe et au plan de la professionnalisation des enseignants. C’est par ces efforts de reliance que la complexité du problème de la mixité ne sera plus mutilée.