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Réalisé sous la direction d’Alain Mercier, de Gisèle Lemoyne et d’André Rouchier, l’ouvrage regroupe neuf articles issus de deux symposiums didactiques tenus à Toulouse à l’automne 1998. Dès les premières pages, les maîtres d’oeuvre du collectif prennent soin de situer la perspective adoptée par les auteurs : « Nous nous intéressons d’abord dans cet ouvrage à l’ingéniosité des professeurs, c’est-à-dire à la fois aux produits de leur activité lorsqu’ils affrontent les problèmes qu’ils doivent résoudre – les engins pour l’enseignement – et à cette activité elle-même – leur ingéniosité didactique. » (p. 9) Cette démarche est heureuse, car elle permet d’ajuster les attentes et de proposer un portrait unificateur des textes qui ont été retravaillés à la suite du colloque. La conclusion mérite aussi qu’on s’y attarde afin d’extraire l’essentiel des retombées à dégager du livre et les voies possibles pour de futures recherches.
Avec ce titre évocateur, le lecteur ne se surprendra pas de retrouver six chapitres qui concernent plus spécifiquement les contextes d’enseignement des mathématiques (chapitres 2, 3, 6, 7 et 8) et d’enseignement des technologies (chapitre 5). Toutefois, ce qui fait certainement l’originalité de cet ouvrage, c’est de laisser place à d’autres champs d’application, voire d’attirer l’intérêt d’autres disciplines, tels l’enseignement du français (chapitres 4 et 9) et l’enseignement de l’éducation physique (chapitre 1). Doit-on voir là un effort de transférabilité du cadre théorique ? Cela est certainement possible, mais non sans représenter quelques défis, comme le soulignent d’ailleurs Flore Gervais, Gisèle Lemoyne et Monique Noël-Gaudreault qui ont amorcé une réflexion sur le sujet (chapitre 4). Les difficultés reliées aux particularités des contenus à enseigner semblent notamment des obstacles à considérer. À cela, il faut ajouter d’autres problèmes de transfert auprès des enseignants, ce dont discute Chantal Amade-Escot (chapitre 1).
Écrits dans un souci de réflexion théorique, les textes du recueil permettront sûrement à plusieurs lecteurs de clarifier ou de revoir certaines notions-clés largement véhiculées en didactique des mathématiques et des sciences : ingénierie didactique, théorie des situations didactiques et adidactiques, contrat didactique, transposition didactique, dévolution, etc. En outre, d’autres aspects maintenant incontournables sont abordés dont la transférabilité didactique et l’autonomie de l’enseignant, la coconstruction de la situation d’enseignement et la médiation entre deux cultures. Une préoccupation d’illustrer les propos à l’aide de résultats issus de la recherche conduite dans ou avec le milieu de la pratique, comme le montrent notamment les travaux de Nadine Bednarz, de Louise Poirier, de Serge Desgagné et de Christine Couture (chapitre 2), ainsi que ceux de Maggy Schneider (chapitre 8), est également omniprésente à travers les articles, ce qui vient enrichir le regard porté sur la question de l’ingéniosité didactique de l’enseignant.
Ce livre nous fait également partager les réflexions d’Annie Bessot et de Denise Grenier (chapitre 3), ainsi que de Joël Lebeaume (chapitre 5), sur la formation des maîtres en didactique. Leurs analyses soulèvent de nombreuses questions dont les réponses se trouvent parfois à différents paliers décisionnels, ce qui pourrait complexifier la recherche de solutions. Le débat demeure donc entièrement ouvert, mais tout de même un peu plus éclairé par les auteurs. D’autres choix difficiles sont aussi faits par les concepteurs de matériels scolaires, dont les résultats ne sont pas toujours ceux escomptés. André Rouchier (chapitre 6) s’est penché sur cette question qui fait actuellement l’objet de débats dans d’autres pays comme au Québec. Pour sa part, Bernard Sarrazi (chapitre 7) dresse un portrait sans détour des écueils qu’il constate entre la réalité du didacticien et celle du praticien. C’est, comme il le précise, sous l’angle épistémologique et didactique qu’il s’intéresse à la question du génie didactique. Gérard Sensevy (chapitre 9) présente sous un angle un peu différent, mais complémentaire au précédent, les difficultés et les besoins qu’il perçoit de ce qu’il a observé lors de ses expériences auprès d’enseignants. Le regard qu’il jette sur l’action de l’enseignant et sur son discours suscite un profond questionnement, particulièrement en ce qui a trait à la notion de dévolution et du partage des responsabilités entre l’enseignant et l’élève.
Somme toute, cet ouvrage regroupe un ensemble d’articles dont la position théorique générale adoptée par les auteurs – la théorie des situations didactiques – est plutôt connue et fréquente, de sorte que le lecteur familier au domaine pourra facilement naviguer à travers les textes et y puiser des éléments de réflexion ainsi que des pistes d’intervention et de recherche. Voilà, certes, un livre à proposer aux personnes qui se sentent à l’aise avec la position adoptée et qui veulent enrichir leur réflexion, ou encore à celles qui désirent suivre de manière critique l’évolution des travaux en didactique. Par ailleurs, il permet de connaître des expériences réalisées en vue de transférer les théories aux usages de la pratique et, même peut-être davantage, de réfléchir à l’importance d’étudier l’ingéniosité des professeurs pour faire progresser les théories !