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Dans Géographies du pays proche : poète et citoyen dans un Québec pluriel, Pierre Nepveu présente ses réflexions sur le Québec à partir de son attachement à celui-ci. Il nous offre un essai plutôt intime, puisque ponctué d’échos de son expérience personnelle, et ce, depuis son plus jeune âge. Une nation et un territoire pour lesquels il éprouve un amour profond, mais dont il « déplore aussi les zones de médiocrité, les crispations identitaires stériles, les inégalités sociales persistantes, l’insouciance culturelle et spirituelle trop répandue » (p. 11). Il cherche de toute évidence à donner sens à un tel amour tout en soulignant que, bien qu’il puisse nourrir d’une sublime manière notre expérience du monde, il peut toutefois mener à des dérives si trop fortement affirmé et revendiqué, tant sur le plan individuel que collectif : mépris de l’Autre et des minorités, fermeture des frontières, nationalisme hermétique.
De ce va-et-vient entre son parcours personnel et le Québec actuel surgissent, certes, bon nombre de questionnements féconds, mais un en particulier plane du début à la fin : « comment se crée un sentiment d’appartenance, qui suppose qu’un souci s’éveille en nous, que l’on devient concerné par ce qui arrive à notre collectivité, notre État, notre nation? » (p. 16). Qu’en est-il du dévouement à notre collectivité dans un monde de l’ubiquité, un monde à la fois rétréci, pluriel et fragmenté? La question de l’expérience et de la responsabilité citoyenne est en effet centrale. L’auteur fait d’ailleurs un rapprochement entre ce thème et plusieurs autres tels que la musique, la traduction, le territoire, la poésie. Précieux à l’éveil de la conscience citoyenne, le sentiment poétique de l’espace consiste en un souci « du monde proche et des prochains dont nous sommes solidaires » (p. 237), en une sensibilité à la proximité et à l’altérité, essentiels au dépassement des « idéologies toutes faites et aux récits stéréotypés, pour mieux juger de ce qui est vrai ou faux, distinguer ce qui est fort et consistant de ce qui est mou, creux et informe » (p. 166).
Nepveu appréhende le territoire comme un espace de rassemblement et de résonance dans lequel on investit une part de nous-mêmes et de ce que nous voulons être : « nous avons le Québec en partage […]. Là se concrétise d’abord notre souveraineté ou notre démission » (p. 177). Or, pour investir un territoire, il faut sentir qu’il est nôtre. Non pas au sens de possession, mais au sens d’attache au monde à la fois matérielle, historique et culturelle. Consentir à un espace partagé, reconnaître l’Autre comme faisant partie d’un monde commun est-il suffisant pour animer conscience citoyenne et éthique du prochain?
La question de l’identité en est une autre tout aussi incontournable de l’essai, laquelle est abordée « non pas sous l’angle de l’Histoire, comme on le fait le plus souvent, mais sous celui de la proximité, ce qui suppose à la fois un rapport à l’espace plus qu’au temps et une relation d’altérité plutôt que d’identité plus ou moins fusionnelle » (p. 81). En une fuite de l’Histoire vers la géographie, Nepveu nous convie à nous délier de la lourdeur historique québécoise – du mythe de la rupture et de la vulnérabilité nationale tout comme de celui de l’« homme humilié et dépossédé » (p. 17). La mémoire mérite un tri, nécessite un preste regard sur ce qui était pour nourrir ce qui adviendra : c’est en la soupesant que nous parviendrons « à la culture et au politique » (p. 68). Si tant est qu’il ne veuille pas « disqualifier l’Histoire et la mémoire » (p. 158), sa conception du rapport qu’elles entretiennent à l’identité n’en demeure pas moins nébuleuse, de telle sorte qu’on pourrait croire qu’il en appelle à une identité dont la seule profondeur historique s’arrêterait aux frontières du vécu. Nous ne pouvons douter de l’amour de l’auteur pour le Québec. Une question demeure : l’amour dépourvu de fierté nationale dont il se réclame peut-il donner lieu à des réflexions fécondes, à une conception rajeunie, mais aussi incarnée d’un Québec enfin libéré de la honte atavique et dont on pourrait se réjouir?
Il va sans dire que cette collection de douze textes révèle l’expérience québécoise originale d’un poète aujourd’hui rasséréné. Avide de l’espace qui l’entoure et du sentiment poétique qu’il suscite en lui, Nepveu nous offre un essai composite qui s’harmonise hautement à la manière dont il a découvert le monde et dont il cherche encore aujourd’hui à en éclairer les mystères : « par fragments, par des espaces discontinus, par des trajets dont on ne devine pas la cartographie » (p. 18). En vue de son caractère quelque peu disparate, force est d’admettre que l’essai aurait bénéficié d’un fil conducteur plus solide.