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Le domaine que l’on en est venu à considérer comme celui des « politiques culturelles » s’est considérablement élargi, diversifié et approfondi depuis le milieu du 20e siècle. Pour en prendre la mesure, on n’a qu’à considérer ce qui s’était fait depuis le milieu du 19e siècle : alors que c’est essentiellement à ce moment que débutent les préoccupations à l’égard de l’« instruction publique », qui multiplie grosso modo tout de même par 25 le nombre d’écoliers en une décennie à peine (« 108,284 en 1853, par rapport à 4,935 en 1842 », p. 18), celle-ci rassemble tant bien que mal les efforts en vue d’élargir les horizons pour les arts, les lettres et les sciences par le biais d’achats de livres pour les bibliothèques scolaires (politique contestée du reste par le clergé…); or, au milieu du 20e siècle, jusque sous le gouvernement Duplessis, c’est toujours l’éducation qui s’octroie la part majeure des investissements et des intérêts à l’égard de la culture, bien que des initiatives aient commencé, depuis quelques décennies, à développer les autres secteurs des arts et des sciences de manière un peu plus autonome. Ce n’est donc véritablement que depuis les années 1960, en particulier bien sûr avec la création du ministère des Affaires culturelles en 1961, sous le gouvernement Lesage engageant la responsabilité de Georges-Émile Lapalme au titre de premier titulaire, que l’on peut considérer que se déploient des ressources et des intérêts pour des politiques culturelles au sens qu’on attribue à ce terme aujourd’hui. Cela justifie que l’ouvrage de Fernand Harvey traite en deux parties pratiquement d’égale ampleur deux périodes considérablement asymétriques du point de vue historique, soit de 1851 à 1959 pour la première partie de l’ouvrage, et de 1960 à… 1976 pour la deuxième partie. Il y a sans doute là, outre la documentation disponible et l’essor des intérêts qui la supporte, la trace d’un véritable éveil à la signification à donner aux « politiques culturelles » développées au Québec, sinon une accélération inouïe de leurs mises en oeuvre, sises étroitement au départ dans un contexte d’instruction publique (appuyée d’un autre côté largement par l’Église, tenant le rôle d’institution culturelle dominante), qui voit par la suite, et comme tout d’un coup, s’autonomiser des politiques visant les arts et la culture comme des destinations susceptibles d’avoir une importance qui leur est propre.
Ce n’est pas le moindre mérite de cet ouvrage que de rassembler ainsi une réflexion montrant l’essor graduel d’une préoccupation véritable à l’endroit d’un développement culturel plus large, plus profond et plus divers, à partir de ce contexte des années 1960 qui, fort d’un appui donné par le grand mouvement étatique de la Révolution tranquille, trouve dans la culture une nouvelle destination, à l’instar de ce qui se passe à ce moment dans le reste du monde, où l’on assiste aussi à des remises en question tablant sur la culture (tant au Canada qu’aux États-Unis, en Angleterre, en France, etc., où une certaine « démocratisation de la culture » est en route). L’accent mis sur cette orientation de « souveraineté culturelle » qui pointe dans les années 1970, sous le gouvernement Bourassa, porte tout autant l’empreinte de ce qui est devenu depuis une donnée fondamentale de la société québécoise. L’ouvrage, riche en documents et en sources, permet de mettre à plat ces divers développements, en les inscrivant dans une histoire somme toute bien connue, dans laquelle on reconnaît en fait l’essor et les transformations menant du Canada français au Québec contemporain. Appuyé par un regard qui porte attention au « rapport triangulaire » entre les « acteurs politiques, les priorités de l’État et les demandes du milieu culturel » (p. 383), l’ouvrage, très bien fait, bien construit et structuré, repose sur une vision avalisant la « genèse de la société québécoise » thématisée par un Fernand Dumont (lui-même acteur au demeurant, et analyste, de cette période déterminante pour la constitution du Québec contemporain).
On trouve donc dans les pages des 10 chapitres composant l’ouvrage un rassemblement impressionnant de faits historiques et de saisies synthétiques des politiques (parfois par les bribes auxquelles elles se résument) donnant un tableau vivant de cette évolution du regard porté sur les politiques culturelles pendant près de deux siècles. Et on en ressort certainement mieux informé à l’égard des détails de ces développements qui éclairent les destinées actuelles de notre société. Peut-être pourra-t-on, à partir de là, creuser davantage la cinquantaine d’années qui nous sépare de ces réalisations, et peut-être pourrait-on, aussi, profiter de ces études pour ouvrir une perspective comparative permettant de situer les dynamiques de la société québécoise parmi celles des autres sociétés du monde avec lesquelles elle était en dialogue (au moins implicitement), ailleurs dans les Amériques ou en Europe, en particulier. La mesure de ces comparaisons permettrait ainsi d’éclaircir la manière par laquelle se définit une réelle autonomie sur le plan des politiques culturelles, sinon une réelle originalité exprimée sur ce plan.