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Le domaine des études en développement régional, auquel les chercheurs québécois en sciences sociales ont contribué de manière significative selon Claude Lacour, grand spécialiste français de ce champ d’études, serait en déclin tant aux États-Unis qu’en Europe. L’émergence d’une science régionale québécoise est attestée par la mise en place de plusieurs formations universitaires de cycles supérieurs dans plusieurs universités, et notamment celles du réseau de l’Université du Québec, et par la reconnaissance depuis 2003 du CRDT (Centre de recherche en développement territorial) par le Fonds de recherche du Québec - Sociétés et Culture. Cette reconnaissance s’appuie sur l’originalité des approches théoriques et surtout méthodologiques de la recherche québécoise en sciences régionales qui valorisent la co-construction des questions de recherche avec les acteurs sociaux pour produire des connaissances pour l’action. La diffusion, ou le partage, des connaissances prennent une importance particulière pour ce domaine de recherche, d’où la valorisation des publications dans les revues dites de transfert et la mise en place de la collection « Sciences régionales » aux Presses de l’Université du Québec. Parmi les dix-sept livres publiés à ce jour dans cette collection, on trouve d’ailleurs les ouvrages Science du territoire. Perspectives québécoises (2008) et Sciences du territoire, Tome 2, Défis méthodologiques (2014), qui sont considérés comme les ouvrages qui ont le plus contribué à la formation de cette École québécoise de sciences régionales.
D’entrée de jeu, en 4e de couverture, Marc-Urbain Proulx, spécialiste reconnu des questions régionales, plante le décor : après des décollages souvent fulgurants, les régions qui comptaient pour 17 % de la population du Québec en 1960, n’en représentent plus que 10 % de nos jours. Selon lui, les périphéries québécoises, synonymes de régions pour lui, sont peu diversifiées sur le plan industriel malgré une extraction massive de matières premières livrées sur le marché mondial. Ces régions seraient entrées dans une dynamique de transition alimentée tant par l’intensification technologique que par l’épuisement de certaines ressources naturelles, la mobilité des travailleurs, la sensibilité environnementale, la montée en puissance du tertiaire supérieur et l’affirmation de l’acceptabilité sociale des grands projets.
Mais cet ouvrage s’intéresse aux efforts consentis par les pouvoirs publics pour « occuper, aménager, gouverner et développer les régions du Québec ». À partir de l’analyse des cinq dernières décennies de politiques, l’auteur identifie et décrit une douzaine de forces, phénomènes ou tendances qu’il appelle des « leviers » du développement des régions. Ce concept de levier m’est apparu très original en ce qu’il permet à l’auteur de faire un tour très complet des différentes dimensions de ce qu’on pourrait appeler l’action publique régionale.
Le programme annoncé par l’auteur est relevé avec brio et j’avoue que cela m’a agréablement surpris. Me considérant moi-même un spécialiste des questions de développement régional, j’ai énormément appris à la lecture des différents chapitres de ce livre toujours captivant et riche en informations originales. De plus, ce livre est fort bien écrit, ce qui rend sa lecture encore plus agréable. On reconnaît ici le travail sérieux d’un éditeur comme les PUQ qui soumet toutes ses publications à une révision linguistique digne de ce nom.
Les premiers chapitres, consacrés au processus de territorialisation au Québec, décrivent bien le phénomène des périphéries qui structure l’histoire et la géographie. L’auteur rappelle souvent le rôle des ressources naturelles dans l’ouverture au peuplement de ces territoires périphériques et leur dynamique socio-économique contemporaine. Cette première partie de l’ouvrage se termine par un chapitre sur la diversité des trajectoires des régions qui illustre le degré d’enclavement des régions et la disponibilité des services aux populations.
Ensuite, l’auteur décline pas moins de treize leviers de développement des régions : la polarisation, la décentralisation, la planification territoriale, la médiation territoriale, la prise en main territoriale, l’innovation, la spécialisation territoriale, la diversification, le Nord, les partenariats autochtones, l’éducation supérieure, le tertiaire supérieur, la gouvernance globale. On aurait aimé une explication plus détaillée de cette notion de levier utilisée par l’auteur, mais on comprend que c’est un concept à valeur heuristique. En multipliant les leviers, on risquerait de soutenir des thèses contradictoires : la polarisation peut s’opposer à la décentralisation, la spécialisation territoriale s’opposer à la décentralisation. Mais l’analyse de chaque levier est bien documentée et l’analyse apparait finalement très convaincante.
Si l’auteur manifeste clairement ses compétences en analyse des politiques publiques et une profonde connaissance de la géographie du Québec, il reste un économiste et adhère subrepticement à la théorie économique classique et à une vision à la Rostow selon laquelle le développement économique passe par des étapes ou des stades menant d’une économie primitive à une économie développée caractérisée par l’industrialisation et la consommation de masse. Dans cette évolution, l’exploitation des ressources naturelles est vue à la fois comme un « ressort » des régions, mais aussi comme une de ses « misères ».
Je n’ai pas bien compris à quoi renvoient certains mots du titre de cet ouvrage. Si les ressorts évoquent les leviers de développement régional, « les splendeurs et les misères » me semblent des notions très lourdes de sens et qui ne décrivent pas si bien les cycles de développement régional. Cela dit, ce titre que je ne trouve pas très approprié n’enlève en rien au riche contenu de l’ouvrage.