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Un ouvrage sur la télévision, publié en pleine pandémie alors que tous et toutes sont rivés à leurs écrans, quel excellent timing ! Mais ce livre d’histoire et d’histoires survivra certainement au-delà de son année de lancement.
Sa première caractéristique, qui saute aux yeux, est d’être abondamment illustré. On y trouve quelque 150 photos renvoyant à des émissions emblématiques, de la Boîte à surprises à Les Chefs ou à Like-moi en passant par le Bye bye, sans oublier Le temps d’une paix, Les filles de Caleb, ni les deux versions de Passe-Partout. Cela ne manquera pas de rappeler des souvenirs aux lecteurs, si tant est qu’ils aient un jour ou l’autre écouté l’une des quatre chaines généralistes ou d’autres comme Teletoon, Vrak, Séries +, voire les plateformes web comme Tout.tv ou le Club illico, où de nombreuses séries connaissent désormais une prédiffusion ou une rediffusion. La riche iconographie rappelle aussi le travail des techniciens, la publicité sur les appareils et les logos des quatre chaines généralistes.
Cette histoire s’ouvre avec la préhistoire de la télévision au tout début des années 1950, avant même son entrée en ondes en 1952, et se rend jusqu’aux points de presse de 13h du premier ministre pendant le confinement du printemps 2020. Mais bien sûr, des périodes se distinguent clairement au sein de ces 70 ans, et une section est consacrée à chacune d’elles : 1- les débuts (1952-1965), 2- la Révolution tranquille (1966-1979), 3- le passe-temps préféré des Québécois (1980-1994) (« un âge d’or pour les téléspectateurs et les producteurs », (p. 214), 4- l’arrivée des chaines de nouvelles en continu (1995-2006), 5- la dématérialisation de l’écoute (2006-2020). De grandes balises au début des sections portant sur chaque époque posent bien les choses, en peu de pages, tant sur la « télévision comme objet » que sur l’industrie télévisuelle, et au fil des ans apparaissent non seulement de nouvelles chaines mais aussi et surtout de nouvelles technologies.
Mais il y a plus, et l’ouvrage présente environ 450 émissions répertoriées par période (heureusement leur liste alphabétique se trouve en index) et selon cinq catégories. Il faut ici noter que l’autrice a fait des choix et ne parle pas de toutes les émissions, certaines étant seulement nommées dans des notes biographiques sur des « personnalités de la télévision » sans être répertoriées, d’autres étant carrément passées sous silence. Les catégories sont 1- émissions jeunesse, 2- téléromans et téléséries, comédies de situations ainsi que téléthéâtres puis webséries, 3- émissions sportives et culturelles, 4- variétés et jeux télévisés, 5- émissions d’information, d’affaires publiques et de services, sans oublier quelques capsules sur les publicités dont Imbeault rappelle les formules ayant fait époque. Elle présente aussi de nombreux portraits de « personnalités de la télévision », malheureusement non répertoriés en index : comédiens, animateurs, réalisateurs, chefs d’antenne, scénaristes et même météorologues.
La présentation des émissions par période met en évidence plusieurs phénomènes intéressants, dont la disparition graduelle de trois types d’émissions des chaines généralistes : celles destinées à la jeunesse, les émissions sportives sur ces mêmes chaines (La Soirée du hockey a tout de même été diffusée par Radio-Canada pendant 52 ans), ainsi que les téléthéâtres. De plus, il y a de moins en moins d’émissions produites en direct, lesquelles constituaient « les trois quarts des émissions entre 1952 et 1957 » (p. 38) à une époque où la seule chaine était Radio-Canada, alors qu’au début des années 1960, le canal 10, ancêtre de TVA, diffusait encore en direct plus de 60 % de sa production (p. 46). Avec la diminution du direct, viennent cela dit les scènes extérieures, dont les premières seraient apparues dans Les Belles histoire des pays d’en haut. Notons au passage que « le record de longévité pour une émission hebdomadaire » n’appartient pas à cette dernière série mais bien à l’Auberge du chien noir (15 ans). La première téléréalité, Pignon sur rue, est présentée à Radio-Canada (1995-1999), quelques années avant Loft Story, Occupation double ou Star Academie, émissions qui sont entrées simultanément en ondes en 2003. Le livre met de la sorte en lumière plusieurs éléments méconnus de l’histoire de la télévision, par exemple que « la province de Québec se classerait troisième au monde en matière de production d’émissions dès 1956 » (p. 37). Imbeault parle aussi de la place des femmes non seulement à l’écran mais aussi derrière celui-ci. Les femmes sont la portion congrue des effectifs en 1975 (p. 200), alors qu’on en trouve, actuellement, à la tête de réseaux (p. 420).
Le portait d’ensemble de la programmation révèle encore plus, ce que l’autrice ne met pas toujours en évidence. Je prends ici l’exemple des « émissions jeunesse ». Plusieurs ont raconté l’histoire du Québec sous un mode romancé, comme Le Courrier du Roy (1958-1961), et d’autres présentaient des contes et légendes comme Le Grand duc (1959-1963), émission à l’écriture de laquelle Gilles Vigneault contribuait (mais dont Imbault, ne parle pas). À ce sujet, j’ai d’ailleurs relevé une – à ma connaissance très rare – erreur : Ouragan (1959-1962) qui se déroule en Louisiane en 1719, est une émission jeunesse et non une émission destinée aux adultes. Puis les émissions historiques ont quitté la scène jeunesse pour rejoindre celle des adultes : les deux incarnations des Belles histoires des pays d’en haut (1956-1970 puis 2016-2020), Le Temps d’une paix, Les Filles de Caleb. Dans l’ensemble, les fictions à caractère historique sont actuellement en perte de vitesse sur les chaines généralistes. La télévision raconte de moins en moins l’histoire aux jeunes et moins jeunes.
L’intitulé de la seconde catégorie témoigne aussi de changements importants à l’écran : il comporte d’abord « téléromans, téléthéâtre et comédies de situations », à la deuxième époque apparaissent les téléséries, à la quatrième, les téléthéâtres sont disparus et c’est sans surprise qu’à la cinquième apparaissent les web séries. Derrière cette nomenclature, c’est toute une histoire de la fiction qui se profile. La lecture attentive révèle aussi à quel moment les grands réseaux cessent de produire des séries de fiction, pour en devenir simplement les diffuseurs.
L’autrice présente aussi les cotes d’écoute de nombreuses émissions : Les filles de Caleb et Le Temps d’une paix ont eu des auditoires de plus de 3 millions de téléspectateurs, la seule à atteindre plus de 4 millions, au moment de sa première diffusion, étant La petite vie, véritable « série-culte » (p. 290).
Le livre permet aussi de prendre la mesure de « nouvelles traditions » du temps des fêtes : la nuit du jour de l’an est désormais indissociable au Québec du Bye bye, dont le premier a été diffusé en 1968, et Ciné-Cadeau, en ondes depuis 1982 pour le plus grand plaisir des enfants et des parents, ponctue les vacances de Noël.
Pour les amateurs de petite histoire, le livre fourmille d’anecdotes. Par exemple après le décès de Pierre Dufresne, personnage masculin principal du Temps d’une paix, l’équipe de production a reçu « des centaines de lettres, des pétitions, et même les résultats d’un concours organisé par un hebdomadaire » (p. 249) pour son remplacement, ce qui, dans les années 1980, laissait présager un bel avenir pour les réseaux sociaux.
Le livre plaira aux téléspectateurs en général ainsi qu’aux historiens de la culture qui y trouveront une foule de renseignements. Tout n’a cependant pas encore été dit sur l’histoire de la télévision québécoise, mais le livre de Sophie Imbeault ouvre de manière systématique, avec en prime de nombreuses photos et quelques clins d’oeil, ce vaste chantier.