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Comme pour faire écho au livre de Stéphane Castonguay sur le gouvernement des ressources naturelles au Québec de 1867 à 1939, cet ouvrage collectif examine comment sont gouvernés les ressources naturelles, les territoires et l’environnement au Québec et dans plusieurs régions françaises. Issu de travaux et de rencontres d’équipes pluridisciplinaires et d’activités communes entre chercheurs de France et du Québec, le livre offre des études empiriques riches et des analyses conceptuelles d’une grande finesse et précision. Plusieurs idées clés guident ces travaux dont les suivantes : acteurs; construction sociale; temporalité; institution. D’autres comme risque, action collective, justice et inégalités environnementales viennent s’ajouter. Ce compte rendu s’attardera aux contributions sur le Québec étant donné la vocation de la revue Recherches sociographiques.
Dans l’introduction de l’ouvrage, les directeurs de la publication présentent la conception d’ensemble du projet collaboratif qui a conduit au livre. À part celui de gouvernement, qui n’a pas ici totalement cédé sa place à gouvernance, sauf à quelques occasions, le concept de risque traverse les chapitres, mais ne s’applique pas à tous avec autant de pertinence. En environnement et en santé, on est habitué à penser en termes de risques, de dangers et de menaces. Mais quand les territoires changent de vocation à la suite de changements économiques et environnementaux, ce n’est plus la notion de risque qui domine, mais celle de conversion économique. Le risque comme tout autre problème d’environnement est une construction sociale. Par cela, les auteurs entendent qu’un problème d’environnement ne s’impose pas de lui-même, mais est construit par des acteurs divers, des mobilisations sociales et des interactions avec les institutions en place, pour en changer souvent le mode de gouvernement. Les acteurs sont les moteurs de la structuration des problèmes d’environnement et de territoire et les mettent sur la scène publique, souhaitant qu’ils soient mis à l’ordre du jour politique. Des controverses s’ensuivent et opposent les acteurs entre eux. Les problèmes et les controverses se déroulent dans le temps. Presque tous les articles accordent une grande importance à l’évolution des enjeux territoriaux et environnementaux et montrent que cette évolution est souvent imprévisible et rarement linéaire. Un autre concept qui reste souvent plus implicite qu’explicite est celui d’inégalités environnementales.
Les quatre chapitres sur le Québec sont des exemples d’enjeux territoriaux et environnementaux qui ont eu un effet sur le gouvernement des ressources. Maude Flamand-Hubert et Nathalie Lewis retracent l’histoire du concept de conservation dans la gestion forestière du 19e siècle à la mi-20e siècle. Elles montrent que la conservation a suivi un parcours assez diversifié. D’abord, portée par les scientifiques et professionnels des ressources inquiets de l’érosion des forêts, la conservation a été associée au progressisme social en contexte américain et canadien, puis a pris une signification différente plus tard avec la montée du mouvement environnemental, s’approchant d’une conception proche de la préservation. Le fait que l’idée de conservation change en partie de sens n’élimine pas le souci d’une gestion rationnelle des ressources pour une utilisation future des mêmes ressources. Le virage vers une protection intégrale de la nature est annoncé, comme le montre les chercheuses, avec la création des parcs nationaux pour la récréation et le loisir il y a déjà plus d’un siècle.
La conservation se concrétise aujourd’hui dans la création des aires protégées. À partir d’un exemple dans l’Est du Québec, Olivia Roy-Malo et Sabrina Doyon montrent comment les acteurs locaux se sont mobilisés autour d’un projet de création d’une aire protégée. Elles interprètent cette mobilisation comme représentant des nouvelles valeurs environnementales, mais aussi comme une volonté de remplacer les activités économiques traditionnelles en déclin.
Plusieurs grands projets territoriaux se confrontent aux contestations et demandes autochtones. Dans un texte sur les enjeux territoriaux autochtones au Québec, Martin Hébert jette un oeil très critique sur les efforts faits pour répondre aux besoins autochtones grâce à la mise sur pied de mécanismes de consultation, de collaboration et de gestion. Même si plusieurs groupes autochtones participent à ces mécanismes et en retirent des avantages, l’auteur, en faisant le procès du capitalisme et du néolibéralisme sans tenir compte des variétés de capitalisme et des différentes pratiques du libéralisme, semble dire que ces progrès ne règleront pas l’injustice originelle par laquelle les nations autochtones ont été dépossédées de leurs territoires et milieux de vie. S’intégrer au monde moderne en jouant le jeu des droits, du pouvoir participatif et des bénéfices à tirer des projets sur leur territoire n’est pas, pour l’auteur, la solution. Il faut explorer d’autres voies. Or, sur ce point, l’auteur, à part reprendre le mot d’ordre de « négocier de nation à nation » cher aux Autochtones, offre peu de pistes pour « produire d’autres futurs ».
Enfin dans le seul texte comparatif sur la gestion de la pollution aquatique causée par l’agriculture dans une région française et le débat au Québec sur l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures menaçant la qualité des eaux souterraines, Busca et Lewis mettent en évidence les déplacements d’enjeux dans l’évolution d’un problème d’environnement. Ainsi, le problème de la pollution aquatique est traité comme un problème non pas environnemental, mais sanitaire et le débat sur les hydrocarbures au Québec commence par des mobilisations sociales locales pour devenir un enjeu plus large sur les changements climatiques.
L’ambition du livre est de repenser le gouvernement des ressources et des territoires à la lumière de l’environnement. Il réussit à le démontrer sur les exemples choisis, mais il reste que le gouvernement des ressources naturelles continue d’être en grande partie un gouvernement de l’économie.